La lettre juridique n°789 du 4 juillet 2019 : Procédure administrative

[Conclusions] De la présentation de la requête par voie électronique contenant un nombre important de pièces jointes constituant une série homogène - Conclusions du rapporteur public

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 14 juin 2019, n° 420861, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6066ZEE)

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N9672BXI

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[Conclusions] De la présentation de la requête par voie électronique contenant un nombre important de pièces jointes constituant une série homogène - Conclusions du rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/52260881-conclusions-de-la-presentation-de-la-requete-par-voie-electronique-contenant-un-nombre-important-de
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par Mireille Le Corre, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 03 Juillet 2019

Dans un arrêt rendu le 14 juin 2019, la Haute juridiction a estimé que, dans le cadre de la présentation de la requête par voie électronique, dès lors que le requérant souhaite transmettre un nombre important de pièces jointes constituant une série homogène, il peut faire parvenir celles-ci en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans les répertorier individuellement par un signet, à la condition d'énumérer tous ces fichiers et pièces dans l'inventaire détaillé qui accompagne la requête et de les regrouper en respectant l'ordre indiqué par cet inventaire. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de découvrir les conclusions de Mireille Le Corre, rapporteure publique sur cette affaire.

1. Le pourvoi présenté par la requérante, relatif à l’arrêté préfectoral lui refusant un titre de séjour, pose une question de procédure contentieuse et c’est pourquoi nous ne nous attarderons pas sur les faits de l’espèce.

Par une ordonnance du 12 février 2018, le président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté la requête de Mme X. Il a jugé que sa requête était manifestement irrecevable en estimant qu’elle ne respectait pas les exigences posées par l’article R. 414-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2806LPM).

2. Cet article a fait l’objet de modifications à plusieurs reprises mais les dispositions qui nous intéressent n’ont pas évolué depuis le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016, relatif à l’utilisation des téléprocédures (N° Lexbase : L9754LAI).

Cet article a été modifié pour renforcer, en l’assortissant d’une sanction, l’obligation d’indexation des pièces jointes qui était auparavant prévue à l’article 9 [1] de l’arrêté technique du 12 mars 2003 [2].

Les deuxième et troisième alinéas de l’article R. 414-3 prévoient désormais que «les pièces jointes sont présentées conformément à l'inventaire qui en est dressé. / Lorsque le requérant transmet, à l'appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus. S'il transmet un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d'irrecevabilité de la requête».

Ainsi, le non-respect de l’obligation d’indexation des pièces jointes est sanctionnée, après invitation à régulariser, par l’irrecevabilité de la requête ou par la mise à l’écart des débats des autres mémoires du requérant.

3. A deux reprises, vous avez précisé le mode d’emploi de cette procédure.

D’abord, par votre décision de Section «M. Sergent» (CE, 5 octobre 2018, n° 418233 N° Lexbase : A5187YET, au Recueil), vous avez rappelé que ces dispositions définissaient «un instrument et les conditions de son utilisation qui concourent à la qualité du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et à la bonne administration de la justice». Vous avez précisé qu’elles avaient pour finalité de «permettre un accès uniformisé et rationalisé à chacun des éléments de la procédure, selon des modalités communes aux parties, aux auxiliaires de justice et aux juridictions».

Vous avez ensuite opportunément tenu compte du cas dans lequel la requête est accompagnée de très nombreuses pièces jointes. Par votre récente décision «SARL Attractive Fragrances et Cosmetics» du 6 février 2019 (CE, n° 415582 N° Lexbase : A6204YWP, aux Tables sur ce point), vous avez retenu que ces dispositions ne font pas obstacle, lorsque l’auteur de la requête entend transmettre un nombre important de pièces jointes constituant une série homogène, telles que des factures, à ce qu’il les fasse parvenir à la juridiction en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans répertorier individuellement chacune d’elles par un signet, à la condition que le référencement de ces fichiers ainsi que la numération, au sein de chacun d’eux, des pièces qu’ils regroupent soient conformes à l’inventaire. Disons d’emblée que ce n’est pas tant la numération que la numérotation que votre décision a entendu évoquer. Cela n’est pas neutre : ce n’est pas le dénombrement qui est visé mais bien le fait d’attribuer un numéro.

La notion de «série homogène» en cas de pièces nombreuses est un apport substantiel de cette décision. Elle n’a pas été «cadenacée» dans une définition précise. Dans ses conclusions, Karin Ciavaldini soulignait que trois conditions pouvaient être fixées pour permettre cette lecture souple du texte, tenant au nombre important de pièces, à leur caractère «de même nature» et à la constitution d’un «groupe homogène». Mais elle estimait qu’il n’était pas souhaitable de définir plus précisément la notion de groupe homogène, au-delà de l’idée que les pièces regroupées doivent présenter «un lien logique entre elles».

La décision et son fichage ont retenu la notion de « série homogène » sans plus de précision et cela nous semble pertinent pour une question qui suppose une appréciation assez pratique, au cas par cas, se prêtant peu à la conceptualisation.

3. La possibilité vous est donnée aujourd’hui d’en donner un éclairage et de passer du mode d’emploi à la boîte à outils, encore plus concrète, en disant comment apprécier cette notion de série homogène en matière de droit des étrangers. Vous le savez, cette matière représente une part très importante du contentieux devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel.

Comment appliquer cette procédure s’agissant de documents visant à établir la preuve du séjour ? Le cas d’espèce nous fournit un bel exemple. La requête a été jugée irrecevable par l’ordonnance attaquée parce qu’elle comportait un fichier comprenant vingt-deux signets et que certains signets renvoyaient à plusieurs pièces.

Le président de chambre n’a pas recherché si, compte tenu du nombre important de pièces (en l’occurrence plus de 220), la présentation qui lui était soumise se fondait sur des séries homogènes permettant de tels regroupements. En cela, il a commis une erreur de droit au regard de votre jurisprudence précitée.

Cette erreur nous semble d’autant plus fondée que la présentation commune de plusieurs pièces sous un signet relatif à chacune des années de séjour pouvait, à notre sens, être considérée comme une série homogène. La présentation comprenait des pièces de contenu divers mais tournées vers la même finalité, à savoir faire la preuve de la présence du séjour, avec une présentation rationnelle, année par année.

Nous nous sommes interrogée sur l’éventuel règlement au fond de cette affaire et il nous conduit, du fait de l’examen de ce cas pratique, à vous proposer de donner sa pleine portée à votre jurisprudence «Attractive Fragrances».

En l’espèce, l’inventaire global figurant en fin de mémoire portait sur les fichiers, chacun étant numéroté. Le détail interne du contenu de chaque fichier était quant à lui donné, non dans l’inventaire, mais au sein des écritures. Toutefois, la présentation en était faite par des listes claires et précises. Il y avait bien ainsi, au total, une énumération des pièces et non des seuls fichiers.

Il nous semblerait excessif de retenir que la requête était irrecevable au motif que ne figurait pas un numéro devant l’intitulé de chaque pièce alors qu’il était possible et facile de se repérer dans les pièces jointes comme nous l’avons vérifié et alors que la présentation était bien rationnelle.

Retenir l’irrecevabilité dans ce cas d’espèce, pour ce motif, nous semblerait trop formaliste, alors que l’objectif initial rappelé par votre décision de Section «Sergent» est que cette procédure contribue à la qualité du service public de la justice et à sa bonne administration.

Nous pensons que pour conférer toute son utilité à votre décision «Attractive Fragrance», il conviendrait d’accepter qu’en cas de nombre important de pièces regroupées par séries homogènes, la numérotation exigée porte sur chaque série et non sur chaque pièce, dès lors que les pièces font tout de même l’objet d’une énumération.

Dit plus directement, si vous acceptez une présentation par série telle que «preuve de séjour de l’année 2018» pour ensuite exiger un inventaire comprenant une numérotation de chaque pièce au sein de cette série, le gain procuré par votre décision «Attractive Fragrances» nous semble, à vrai dire, assez faible. Nous vous proposons donc de juger que dans le cas de présentation des pièces par série homogène, l’exigence de numérotation s’applique aux fichiers et non aux pièces, dès lors que celles-ci sont énumérées.

La requête était donc, si vous nous suivez, recevable en l’espèce. Vous pourrez donc casser l’arrêt et renvoyer l’affaire à la cour pour qu’elle examine désormais au fond la question du droit au séjour de la requérante.

Par ces motifs, nous concluons :

- à l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

- au renvoi de l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille ;

- et à ce que l’Etat verse à la SCP Y, avocat de Mme X, la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) et de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE).

 

[1] «Lorsqu'une partie ou son mandataire transmet par l'application Télérecours un fichier au format PDF comportant plusieurs pièces, chacune d'entre elles est répertoriée par un signet conformément à l'inventaire qui en est dressé».

[2] Relatif aux caractéristiques techniques de l’application permettant la communication électronique devant le Conseil d’Etat, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs.

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