La lettre juridique n°782 du 9 mai 2019 : Procédure civile

[Textes] Simplification et efficacité, les deux maîtres-mots de la réforme de la justice civile (loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice)

Réf. : Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC)

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[Textes] Simplification et efficacité, les deux maîtres-mots de la réforme de la justice civile (loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/51233843-textes-simplification-et-efficacite-les-deux-maitres-mots-de-la-reforme-de-la-justice-civile-loi-n
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par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"

le 07 Mai 2019

Un petit vent de modernité souffle sur la justice civile. Alors que la procédure pénale s’enfonce année après année dans les lourdeurs procédurales, la procédure civile connaît quant à elle, des cures régulières de rajeunissement. La loi du 23 mars 2019 poursuit le travail engagé depuis la précédente réforme, qui prétendait de façon un peu excessive, faire entrer la justice dans le 21ème siècle [1]. Le fait est que, réforme après réforme, ces lois contribuent à une mutation assez profonde de la procédure civile. Cette mutation est dominée par deux grandes idées. La première est la simplification. La justice doit être plus simple pour être plus accessible aux justiciables. Elle doit encore l’être pour faciliter l’acte de juger et la gestion des dossiers. La seconde idée est celle de l’efficacité. Face à la masse, il faut résoudre plus d’affaires en un temps plus court. Et pour cela, tous les moyens sont bons. La loi de réforme pour la justice décline ces deux idées sous des formes très différentes, qu’il s’agisse de l’organisation juridictionnelle, des modes amiables de règlement des litiges, ou encore de la procédure civile proprement dits. Elle cible principalement les contentieux de masse : le divorce, l’injonction de payer ou encore les litiges portants sur des sommes de faible valeur. Nulle utopie politique ne se cache derrière ce texte, mais on y décèle plutôt la figure d’un législateur qui calque son comportement sur celui que les économistes appellent «l’agent rationnel». Ses choix procéduraux sont calculés par rapport au résultat optimum qu’ils sont censés produire. Le nouveau visage de la justice civile emprunte beaucoup à cette rationalité. C’est ce que nous proposons d’explorer dans cette chronique en examinant successivement l’organisation des juridictions (1), les modes amiables de règlement des litiges (2), les règles communes aux différentes procédures (3) et enfin les procédures particulières (4). Il est à souligner que toutes les dispositions de la loi n’entrent pas en vigueur avec sa promulgation. De nombreuses dispositions nécessitent des décrets d’application, et pour certaines, l’entrée en vigueur pourra être repoussée jusqu’au 1er janvier 2022 [2].

 

I - L’organisation des juridictions

 

  • La promesse d’une juridiction unique

 

Comme nous l’avions évoqué dans de précédentes chroniques [3], la promesse de la création d’un tribunal de première instance à compétence civile universelle n’est pas encore tenue. Toutefois, en créant le «Tribunal judiciaire», qui regroupera au 1er janvier 2020 le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance, la loi du 23 mars 2019 amorce un pas décisif [4]. Certes, c’est le pas le plus simple qui a été franchi. On est encore bien loin de réunir au sein d’un même tribunal, les juridictions civiles au sens strict, et les juridictions commerciale et prud’homale. La simplification est donc assez modeste. Elle consiste principalement à réduire les difficultés liées à la compétence respective des TI et des TGI. Du point de vue des implantations géographiques, le Gouvernement s’est engagé à plusieurs reprises à ne supprimer aucun lieu de justice. Du point de vue de l’affichage, c’est plutôt la complexité qui domine, puisque la suppression des tribunaux d’instance donne lieu à une forme de renaissance : celles des «tribunaux de proximité» qui constituent, d’un point de vue administratif, des «chambres de proximité» détachées du tribunal judiciaire. Pour bien comprendre cette nouvelle organisation, lorsqu’un ancien tribunal d’instance se situe en dehors du siège d’un tribunal judiciaire, il lui est rattaché sous la forme d’une chambre de proximité. Cette chambre prend alors le nom de tribunal de proximité, mais elle demeure une chambre composant le tribunal judiciaire.

 

  • La spécialisation des juridictions

 

L’efficacité va dans le sens de la spécialisation. Lorsque plusieurs tribunaux judiciaires existent dans un même département (ou dans deux départements géographiquement proches), l’un d’entre eux peut être spécialement désigné par décret pour traiter des contentieux techniques [5]. L’idée est ici de regrouper des contentieux qui nécessitent des compétences pointues et qui seront plus efficacement jugés par des magistrats spécialisés.

La spécialisation est encore recherchée à travers la création d’un juge des contentieux de la protection au sein du tribunal judiciaire. Ce juge est compétent en premier lieu à l’égard du contentieux des majeurs protégés (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, mesure d’accompagnement judiciaire, mandat de protection future). Il connaît d’autres contentieux, tels que l’expulsion des personnes sans droits ni titres, des litiges portant sur les contrats de louage d’immeubles à usage d’habitation ou d’occupation d’un logement, le crédit à la consommation, le surendettement des particuliers. Ce juge unique peut décider de renvoyer l’affaire à une formation collégiale du tribunal judiciaire.

 

  • La souplesse dans la composition de la juridiction

 

La loi apporte des petites modifications à la répartition des contentieux entre juge unique et collégialité [6]. Lorsqu’une affaire est dévolue à une formation à juge unique, le renvoi à la formation collégiale peut être décidé, soit à la demande d’une partie, soit d’office. La décision est alors qualifiée de mesure d’administration judiciaire. Le renvoi à la collégialité n’est donc plus «de droit» pour les parties. Les cas de renvois doivent être précisés par un décret. Par ailleurs, si la formation collégiale est incomplète au jour de l’audience, plutôt que d’ordonner le renvoi, le président peut demander l’accord des parties pour statuer à juge unique [7]. Cette possibilité permet d’éviter un renvoi d’audience.

 

  • Déjudiciarisation de certains actes

 

La loi de réforme de la Justice s’inscrit dans un mouvement qui consiste à recentrer le juge sur sa fonction juridictionnelle. Il s’agit donc de retirer au juge des tâches qui ne relèvent pas de son office, mais qui nécessitent une certaine solennité :

- la première catégorie d’actes est dressée à des fins probatoires. Il s’agit de l’acte de notoriété. En matière de filiation, chaque parent peut désormais demander à un notaire qu’il leur délivre un acte de notoriété faisant foi de sa possession d’état [8] alors que le pouvoir de dresser un tel acte appartenait antérieurement au juge du TGI. Cet acte est toujours établi sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins. Pour être valable, l’acte doit être signé par le notaire et par les témoins. L’acte de notoriété peut également être délivré par le notaire pour suppléer aux actes d’état civil dont les originaux ont été détruits ou sont disparus [9] ;

- la seconde catégorie d’acte concerne le recueil du consentement d’un couple ayant recours à une procréation médicalement assistée (avec tiers donneur ou accueil d’embryon). Ce consentement doit être donné exclusivement à un notaire. Auparavant, il pouvait également être donné à un juge [10].

 

II - Les modes alternatifs de règlement des litiges : entre contrainte et anticipation

 

Les modes amiables de règlement des litiges font encore l’objet de toutes les attentions de la part du législateur. L’objectif est toujours le même. D’une part, la procédure amiable est une manière de détourner les litiges de la voie juridictionnelle. Le rôle du juge est réduit et chaque affaire réglée à l’amiable évite de gaspiller de précieuses heures de travail des magistrats. D’autre part, la voie amiable est une voie efficace de règlement des litiges. Elle permet de trouver une issue à la fois à la question juridique soulevée, mais également de résoudre le conflit psychologique. En 2015, le taux de réussite de la conciliation était de 57 % lorsque le conciliateur était saisi par un particulier et de 49 % lorsqu’il était saisi par un juge [11]. La difficulté française réside dans une tradition culturelle qui est marquée par une certaine forme d’hostilité à l’égard de la voie amiable. Devant le TI, le taux de tentative de conciliation au regard des affaires introduites au fond représente entre 0,7 et 1,6 %. Devant le TGI, le taux d’envoi en médiation ou d’injonction à rencontrer un médiateur est proche de 0,5 % [12]. Ces chiffres montrent, de façon constante, que ni les juges ni les parties ne recourent, de façon spontanée, à un mode de règlement amiable du litige. Face à ce constat, quasi immuable, le législateur tente à nouveau d’utiliser plusieurs leviers pour favoriser le développement des modes de règlement amiable.

 

Le premier levier est celui de la contrainte. Il consiste dans la généralisation de la possibilité offerte au juge d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur. Cette injonction constitue une part très faible du règlement amiable [13] et, en pratique, seuls les juges aux affaires familiales y ont recours [14]. L’objectif poursuivi par la loi est donc de généraliser la possibilité pour le juge de recourir à cette injonction. L’article 22-1 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 (N° Lexbase : L1139ATD) est modifié et prévoit désormais que le juge peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur «en tout état de la procédure, y compris en référé». Cette injonction ne contraint pas les parties à régler leur différend à l’amiable. A ce stade de la procédure, le rôle du médiateur est simplement d’informer celles-ci sur l’objet et le déroulement de la mesure de médiation. Par ailleurs, le législateur a ouvert la possibilité de désigner un médiateur dans la procédure de divorce ou de séparation de corps, alors que, jusqu’à présent, la médiation était interdite pour procéder au préalable obligatoire de conciliation. Ce préalable ayant désormais disparu [15], le juge aux affaires familiales peut recourir à la médiation à tout moment de la procédure de divorce. Toujours en matière familiale, l’article 22-3 de la loi précitée du 8 février 1995 et l’article 373-2-10 du Code civil (N° Lexbase : L7364LPG) sont modifiés pour permettre au JAF d’ordonner une médiation même lorsqu’il est dessaisi. Il s’agit du cas particulier où le juge prend une décision sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Dans sa décision, qui fixe ces modalités, le juge peut ordonner une médiation. La médiation prend ici une forme atypique. Elle ne vise plus à résoudre un litige, puisque le juge l’a déjà tranché, mais elle est destinée à favoriser l’exécution de la décision [16]. On parle alors de médiation post-sentencielle.

La contrainte est encore utilisée pour imposer une tentative de règlement amiable préalable à la saisine de la juridiction pour les petits litiges. Depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle (N° Lexbase : L1605LB3), ce préalable obligatoire existe déjà devant le tribunal d’instance, lorsque la saisine de cette juridiction est faite par déclaration au greffe. Avec la fusion du TI et du TGI, le préalable obligatoire est remodelé. Il concerne toutes les demandes qui tendent au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou celles relatives à un conflit de voisinage. Il s’agit donc principalement de litiges relatifs à des petites créances, encore que le seuil de la créance reste à fixer par décret (4 000 euros ? 10 000 euros ?). Le demandeur a le choix du mode amiable. Il peut s’agir d’une conciliation par un conciliateur de justice, d’une médiation ou d’une procédure participative. A défaut de tentative de règlement amiable, l’action en justice est irrecevable. Le texte prévoit plusieurs exceptions lorsque :

1/ une des parties sollicite l’homologation d’un accord. La procédure amiable a donc déjà eu lieu ;

2/ l’exercice d’un recours préalable est imposé ;

3/ l’existence d’un motif légitime (qui doit être précisé par décret) ;

4/ l’obligation pour le juge, ou pour l’autorité administrative, de procéder à une tentative préalable de conciliation.

La loi prévoit également une exclusion spéciale s’agissant des litiges relatifs au crédit à la consommation et au crédit immobilier.

 

Le second levier et celui de la régulation du marché commercial du règlement alternatif des litiges. Prenant acte que le règlement des litiges se développe en dehors de l’activité juridictionnelle, le législateur a entrepris de reconnaître juridiquement l’existence de prestataires privés pour mieux en contrôler l’activité. L’article 4 de la loi du 23 mars 2019 définit ainsi le statut juridique des services en ligne de conciliation de médiation, mais également d’arbitrage et d’aide à la saisine des juridictions.

 

En premier lieu, ces prestataires sont soumis à un ensemble d’obligations et d’interdictions. Ils doivent protéger les données à caractère personnel et garantir aux parties la confidentialité. Par principe, ils ne peuvent réaliser d’acte d’assistance ou de représentation en justice, ni donner de consultations juridiques ou rédiger des actes sous seings privés, sauf s’ils y sont expressément autorisés par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ). Cette application du droit commun des professions juridiques permet donc aux avocats de créer leurs propres plateformes de services juridiques couvrant l’ensemble du champ de compétences (consultation, rédaction d’actes, représentation, assistance, résolution amiable ou arbitrage). Quelle que soit la qualité du prestataire, celui-ci doit respecter les obligations générales qui s’imposent au «médiateur» [17] : impartialité, indépendance, compétence et diligence. Plus spécifiquement, la loi du 23 mars traite la question du recours à traitement de données pour aider à la résolution du litige, qu’il s’agisse d’une résolution amiable ou par voie d’arbitrage. Le prestataire de service en ligne ne peut faire usage d’un algorithme ou un traitement automatisé de données à caractère personnel [18] que s’il en informe explicitement les parties et qu’il recueille leur consentement exprès. Le responsable du traitement doit pouvoir expliquer «en détail et sous une forme intelligible» la manière dont le traitement a été fait. Le législateur fait ici preuve d’une certaine capacité d’anticipation. Les algorithmes, et de façon plus générale, le traitement informatisé des litiges n’a pas encore fait la preuve de son efficacité. Les domaines d’application de ces techniques se limitent à ceux dans lesquels une prétention est chiffrée. Il s’agit des prestations compensatoires, des indemnités de licenciement ou encore des préjudices corporels. Pour autant, les algorithmes ne savent pas encore dire si un contrat a été exécuté, si une personne a commis une faute ou encore s’il y a trouble anormal de voisinage. Autrement dit, les prestataires privés ne savent pas encore faire ce que le législateur encadre déjà.

 

En second lieu, la loi de réforme de la justice crée une certification pour les prestataires de service de conciliation, de médiation ou d’arbitrage. La certification est délivrée par un organisme accrédité [19] au prestataire de service en ligne qui en fait la demande et qui respecte les obligations et interdictions précitées. La procédure de certification doit être précisée par un décret. Les personnes qui exercent une activité de médiation ou de conciliation juridiquement reconnue bénéficient de plein droit de cette certification. Il s’agit des conciliateurs de justice, des médiateurs de la consommation inscrits sur la liste prévue à l’article L. 615-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0834K7Z) et enfin des médiateurs inscrit sur une liste de cour d’appel prévue par l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995. Ces trois catégories font l’objet d’un contrôle préalable à leur désignation, ce qui justifie leur certification automatique. La procédure de certification des médiateurs et conciliateur a pour but d’introduire de la confiance dans un marché en plein essor. Elle ne certifie en rien la qualité du service rendu, mais plutôt la conformité de l’activité aux exigences légales. Le développement des services en ligne pourrait participer au succès du règlement amiable des litiges à l’avenir, mais il faut aussi souligner le fait que ce type de service néglige la dimension psychologique du travail du médiateur. Si les parties ne se rencontrent pas, il est douteux que le conflit psychologique, qui sous-tend le litige, soit résolu.

 

III - Le droit commun procédural

 

Le droit commun procédural évolue dans le sens d’un renforcement des procédures écrites et de la représentation obligatoire. La procédure orale avait déjà subi les assauts de l’écrit à la suite de la réforme réglementaire de 2010 [20]. Elle subit aujourd’hui la concurrence d’une nouvelle procédure sans audience.

 

  • Un accroissement modéré de la représentation obligatoire

 

La représentation obligatoire est réorganisée pour s’adapter à la fusion entre TGI et TI. Les règles de cette représentation sont aménagées par diverses lois. Le principe est fixé par le premier alinéa de l'article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) : «Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit».

Ce principe subit des exceptions prévues dans des lois générales et d’autres dans des lois particulières. Deux exceptions sont précisées et reconfigurées par la réforme :

- s’agissant des litiges relevant de l’ancienne compétence du TI, l’article 2 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H) est modifié et il énumère de façon générale que : «dans certaines matières, en raison de leur nature, ou en considération de la valeur du litige, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le tribunal de grande instance, outre par un avocat, par :

1° Leur conjoint ;

2° Leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ;

3° Leurs parents ou alliés en ligne directe ;

4° Leurs parents ou alliés en ligne collatérale jusqu'au troisième degré inclus ;

5° Les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise».

L’article ajoute que «l'Etat, les régions, les départements, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration».

Cette disposition -qui s’appliquera à compter de la fusion entre TI et TGI au sein du Tribunal judiciaire- doit faire l’objet d’un décret d’application pour préciser le domaine de la dispense de représentation obligatoire.

L’autre dispense légale concerne les litiges devant le Conseil des prud’hommes. L’absence de représentation obligatoire par avocat des parties devant le conseil de prud’hommes est désormais inscrite dans le Code du travail [21]. La règle reste la même. Le salarié peut être représenté et assisté par un autre salarié appartenant à la même branche d’activité, un défenseur syndical, le conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin. L’employeur peut se faire représenter ou assister par un autre employeur appartenant à la même branche d’activité ou par un membre de l’entreprise ou de l’établissement fondé de pouvoir ou habilité à cet effet.

Sur le fond, cette réorganisation générale de la représentation obligatoire et de ses dérogations ne devrait pas modifier substantiellement les règles existantes. Toutefois, la loi impose la représentation obligatoire par avocat dans deux nouveaux contentieux :

- dans le contentieux civil douanier, la représentation obligatoire est alignée sur les règles du Code de procédure civile.

- devant le juge de l’exécution, l’article L. 121-4 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L5807IRI) est modifié. La représentation est obligatoire par principe, mais deux dérogations sont conservées, à savoir les demandes relatives à l’expulsion et les litiges ayant pour origine une créance ou qui tendent au paiement d’une somme qui n’excède pas un montant déterminé par décret en Conseil d’Etat [22].

 

  • La création d’une procédure exclusivement écrite et dématérialisée

 

Le Code de l’organisation judiciaire accueille deux nouvelles dispositions ayant pour objet de définir le cadre général des procédures sans audience [23]. Les règles posées par le COJ sont très générales et elles doivent faire l’objet de précisions par décret. Pour cette raison, leur application est reportée, au plus tard, au 1er janvier 2022. La première procédure a vocation à s’intégrer dans le droit commun du procès civil. La seconde concerne plus particulièrement l’injonction de payer [24].

L’article L. 212-5-1 du COJ (N° Lexbase : L7183LPQ) prévoit que «devant le tribunal de grande instance, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite». Le tribunal peut décider de tenir une audience (contre l’accord des parties), lorsqu’il estime «qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites».

Ce cadre général semble pouvoir s’appliquer à toutes les procédures. En réalité, l’étude d’impact fait apparaître que cette procédure est destinée à s’appliquer aux litiges inférieurs à la somme de 5 000 euros [25]. Elle a pour finalité d’apporter une réponse rapide aux «litiges du quotidien» [26]. Il s’agirait ainsi de la transposition dans la loi d’une promesse de campagne du président de la République. La promesse consiste à donner une réponse judiciaire à ces litiges dans un délai de deux mois.

Les modalités de cette procédure sans audience restent à définir. L’étude d’impact évoque une mise en état opérée par le juge en cabinet. La circulaire d’application parle, quant à elle, d’une procédure dématérialisée.

Cette nouvelle procédure sans audience préfigure une troisième voie procédurale. En effet, dans la procédure orale, les parties peuvent être autorisées à formuler leurs prétentions par écrit [27], mais pour former cette demande, elles doivent se présenter à une première audience. La physionomie de la nouvelle procédure écrite semble différente. Les parties vont saisir la juridiction par voie dématérialisée et les échanges d’écritures vont avoir lieu de la même façon. Par conséquent, le droit commun procédural devrait, à l’avenir, être composé de trois voies principales : la procédure écrite avec mise en état ; la procédure orale qui conduit les parties d’une audience à une autre audience avec des renvois successifs ; et enfin, cette procédure écrite simplifiée dont la vocation est d’être dématérialisée et de dispenser les acteurs du procès de se rencontrer en vue d’obtenir une solution rapide.

 

IV - Les procédures spéciales

 

Deux procédures spéciales font l’objet d’une rénovation. La loi apporte quelques touches, assez modestes, à la procédure de divorce. En revanche, elle réinvente totalement la procédure d’injonction de payer.

 

  • Un divorce sans audience de conciliation, mais sans bouleversement

 

En matière de divorce, l’innovation présentée comme la plus importante est la disparition du préalable obligatoire de conciliation [28]. Cette modification n’est pas une nouveauté en soi. D’une part, la place du règlement amiable dans la procédure de divorce conserve toute son importance. D’autre part, l’audience qui ouvre la procédure continuera d’exister et d’occuper une place centrale, puisqu’il s’agira d’une audience destinée à orienter le dossier et à statuer sur les mesures provisoires [29]. Le changement n’en est donc pas vraiment un.

Sur le terrain du règlement amiable, nous avons vu précédemment que le juge peut orienter les parties vers la voie amiable à tout moment de la procédure et même à la suite de la décision qui le dessaisit. De surcroît, le nouvel article 252 du Code civil (N° Lexbase : L7332LPA) prévoit que la demande introductive d’instance en divorce comporte un rappel des dispositions relatives aux modes amiables de règlement du litige (médiation en matière familiale, procédure participative, homologation des accords partiels).

La loi du 23 mars 2019 ajoute à la procédure de divorce quelques innovations de faible ampleur. D’abord, l’acte contresigné par avocats est étendu aux époux qui acceptent le principe de la rupture du mariage. Ces derniers peuvent consentir à ce divorce par un acte conclu avant l’introduction de l’instance [30]. Ensuite, la durée minimale de la cessation de la communauté de vie dans la procédure de divorce pour altération définitive du lien conjugal passe de deux ans à un an [31]. Enfin, la réforme introduit la possibilité de signer électroniquement les actes de divorce et de séparation de corps par consentement mutuel [32].

 

  • L’injonction de payer réinventée

 

L’injonction de payer constitue le prototype du contentieux de masse. Il constitue un volume de requête annuelle variant entre 430 000 et 500 000. Le taux d’opposition varie entre 3 % et 4 % des requêtes [33], ce qui signifie que la question est principalement tranchée au stade de la requête. Ce contentieux mobilise une masse importante de magistrat et de magistrats à titre temporaire. La réforme opérée par la loi du 23 mars 2019 se situe sur un double terrain : d’une part, celui de la spécialisation juridictionnelle ; d’autre part, celui de la dématérialisation.

En ce qui concerne la spécialisation, la loi prévoit de regrouper les demandes d’injonction de payer devant un tribunal spécialement désigné [34]. Il s’agira d’un TGI existant, qui se verra confier ce contentieux par décret. Ce décret devra entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2021. Le tribunal désigné sera compétent pour statuer sur l’ensemble des requêtes en injonction de payer, à l’exception de celles qui relèvent du tribunal de commerce. Il sera également compétent pour juger, sans exception, toute les requêtes relevant du Règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer (N° Lexbase : L1426IRA). Les oppositions seront formées devant le tribunal spécialement désigné et elles seront transmises par le greffe aux tribunaux de grande instance territorialement compétents.

La nouvelle procédure d’injonction de payer peut prendre une forme dématérialisée ou traditionnelle (sur support papier) selon les situations :

 

- devant le tribunal à compétence nationale, la procédure est dématérialisée par principe. Ce principe subit deux exceptions. D’une part, les demandes d’injonction de payer formées par une personne physique n’agissant pas à titre professionnel et non représentées par un mandataire ; d’autre part, les demandes relevant de la procédure européenne. Dans ces deux situations, la demande peut être formée sur support papier et adressée au greffe de la juridiction nationale ;

- devant le tribunal territorialement compétent pour statuer sur l’opposition, les parties doivent suivre la procédure de droit commun. Toutefois, l’article. L. 212-5-2 du COJ (N° Lexbase : L7184LPR) prévoit que pour les créances ne dépassant pas un certain montant (fixé par décret), les parties peuvent prendre l’initiative de suivre une procédure dématérialisée. Cette procédure se déroule alors sans audience, à moins que le juge estime ne pas pouvoir juger l’affaire au regard des preuves écrites.

 

Au premier abord, cette procédure semble particulièrement complexe. Toutefois, elle présente une certaine cohérence. La demande d’injonction de payer est, par nature, non contradictoire. L’audience n’est pas nécessaire et, en faisant usage d’une procédure dématérialisée, elle peut être tranchée par n’importe quelle juridiction française. A partir du moment où la saisine de la juridiction pourra avoir lieu via une application centralisée et accessible en ligne, la procédure devrait être particulièrement simple. En revanche, l’opposition à l’ordonnance portant injonction de payer nécessite un débat contradictoire. Le retour au droit commun s’impose donc, c’est-à-dire celui qui gouverne la compétence et la procédure. Les parties pourront alors choisir entre une procédure de droit commun et, pour les petites créances, une procédure entièrement dématérialisée qui leur évitera de se présenter devant le juge si elles jugent que leur dossier écrit est suffisant. La souplesse et l’efficacité sont donc bien les maîtres mots de cette procédure.

 

En définitive, la loi du 23 mars 2019 ne propose pas une refonte de la justice civile. En revanche, elle procède à une modernisation incontestable de l’institution et de la procédure. Toutefois, le parcours de la réforme est loin d’être achevé. D’une part, le ministère de la Justice devra déployer d’importants moyens matériels et humains pour mettre en place un système informatique opérationnel qui est désormais indispensable pour que la réforme puisse être appliquée. D’autre part, dans le domaine de la procédure civile, la compétence du législateur demeure marginale. C’est au pouvoir réglementaire qu’est confié le pouvoir de modifier le Code de procédure civile. La véritable réforme de la justice civile est à venir et, en cette matière, il n’existe pas de travaux préparatoires qui nous permettent d’imaginer ce qu’elle sera.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle (N° Lexbase : L1605LB3).

[2] Pour le détail de l’application dans le temps, nous renvoyons à la circulaire du 25 mars 2019 de présentation des entrées en vigueur des dispositions civiles de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

[3] Nous renvoyons à notre chronique sur le projet de loi déposé en 2015 : E. Vergès, La Justice du 21ème siècle : petits arrangements avec la procédure, Lexbase, éd. priv., n° 632, 2015 (N° Lexbase : N9828BUK).

[4] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 95.

[5] COJ, art. L. 211-9-3.-I (N° Lexbase : L7243LPX).

[6] COJ, art. L. 212-2.

[7] COJ, art. L. 218-1 (N° Lexbase : L1586K7U).

[8] C. civ., art. 317 (N° Lexbase : L7273LP3).

[9] C. civ., art. 46 (N° Lexbase : L7272LPZ).

[10] C. civ., art. 311-20 (N° Lexbase : L8445LPH) et C. sant. pub., art. L. 2141-6 (N° Lexbase : L7275LP7).

[11] Etude d’impact de la loi, p. 21. Ce taux est relativement stable, comme le montre la comparaison établie par l’étude d’impact entre 2001 et 2015.

[12] Etude d’impact de la loi, p. 23.

[13] 7,3 % des médiations en 2017.

[14] Les injonctions sont prononcées par le JAF dans 99,7 % à 100 % des cas selon les années (de 2010 à 2017).

[15] Cf. infra, sur la procédure de réforme du divorce.

[16] Circulaire de présentation des entrées en vigueur des dispositions civiles de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, annexe 1, p. 2.

[17] Le terme «médiateur» est ici entendu au sens large, c’est-à-dire celui visé par l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (N° Lexbase : L2513IRI).

[18] C’est-à-dire un traitement statistique des données du litige.

[19] La procédure devrait passer par le comité français d’accréditation (COFRAC)

[20] Décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3).

[21] C. trav., art. L. 1453-1 A (N° Lexbase : L2044H9L).

[22] Les dispositions spécifiques applicables à la saisie des immeubles, navires, aéronefs et bateaux de navigation intérieure sont inchangées.

[23] COJ, art. L. 212-5-1 (N° Lexbase : L7183LPQ) et L. 212-5-2 (N° Lexbase : Z64068RE).

[24] Elle sera envisagée plus loin, avec les procédures spéciales.

[25] Ce montant devra être fixé par décret.

[26] Etude d’impact, p. 110. Dans le programme de campagnes, étaient évoqués les litiges relatifs à la consommation, aux conflits de voisinage, aux injonctions de payer ou de faire.

[27] C. pr. civ., art. 446-1 (N° Lexbase : L1138INH).

[28] L’article 252 du Code civil (N° Lexbase : L7332LPA) prescrivant qu’une «tentative de conciliation est obligatoire avant l'instance judiciaire» est totalement réécrit.

[29] C. civ., art. 254 (N° Lexbase : L2817DZD) : «Le juge tient, dès le début de la procédure, sauf si les parties ou la partie seule constituée y renoncent, une audience à l’issue de laquelle il prend les mesures nécessaires pour assurer l’existence des époux et des enfants de l’introduction de la demande en divorce à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée».

[30] C. civ., art. 233 (N° Lexbase : L2791DZE).

[31] C. civ., art. 238 (N° Lexbase : L2794DZI).

[32] C. civ., art. 1175 (N° Lexbase : L7344LPP).

[33] Chiffres issus de l’étude d’impact (p. 114) et des statistiques 2017 du ministère de la Justice.

[34] COJ, art. L. 211-17 (N° Lexbase : L7346LPR).

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