La lettre juridique n°253 du 22 mars 2007 : Sociétés

[Jurisprudence] Concert et franchissements de seuils : la cour d'appel de Paris donne le ton

Réf. : CA Paris, 3ème ch., sect. B, 17 novembre 2006, n° 05/22756, Société IDI, société en commandite par actions c/ Société anonyme Soludi et autres (N° Lexbase : A2813DTD)

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le 07 Octobre 2010

Dans ce qu'on nous rapporte des superstitions romanistes, le franchissement du seuil de la domus devait se faire du pied droit. Celui qui aurait été fait du pied gauche aurait, d'ailleurs, été de si sinistre augure qu'on affectait parfois un esclave à la surveillance du rite qui était chargé de s'écrier à l'occasion : "Du pied droit !" (1).
Il n'est plus de ces hérauts, aujourd'hui, pour annoncer l'entrée d'un nouvel arrivant dans les lieux, mais le franchissement du seuil revêt tout autant d'importance en matière de droit des sociétés cotées qu'il en avait chez nos superstitieux ancêtres. Les différents niveaux de détention des droits de vote représentent, désormais, autant de degrés qui conduisent à l'accession au contrôle de la société. Or, l'investisseur qui les franchit doit, comme dans toute bonne maison, être clairement annoncé et s'il est toujours bien accueilli lorsqu'il vient en invité, le maître de maison est parfois contraint de refuser de recevoir celui qui tente de s'imposer en importun.
Difficile, toutefois, de savoir si le nouvel actionnaire n'a pas déjà investi la place lorsque cette annonce n'a pas pu être réalisée. On risque, ainsi, de retrouver l'arrivant en position de force dans la société sans que les dirigeants, les autres associés ou le marché, n'en aient été activement informés. C'est le problème qui s'est précisément posé dans l'espèce examinée, où un actionnaire -personne morale- d'une société faisant partie d'un groupe, réclamait la limitation des droits de votes de certains actionnaires ayant franchi des seuils de détention sans en avoir fait la déclaration. L'évolution du groupe avait, en effet, donné lieu à de nombreuses opérations d'absorption, ces opérations aboutissant, in fine, à une opacité quant à la détention des droits de vote. L'affaire que vient de juger la troisième chambre de la cour d'appel de Paris, le 17 novembre 2006, recèle, toutefois, quelques complexités supplémentaires, complexités dues à l'existence démontrée d'un ancien pacte d'actionnaires, préexistant aux opérations de fusion et/ou d'absorption. L'existence de ce pacte, qui encadrait à l'origine les actionnaires principaux, conduisait à voir ces derniers comme une entité collective, contrainte de déclarer le franchissement en considération des droits de vote de l'ensemble des "pactisants". Au terme de trois années, ledit pacte ayant pris fin, il convenait, en revanche, de ne considérer, cette fois, pour apprécier les obligations déclaratives, que la détention individuelle des droits de vote.

C'est, plus précisément, la question de la sanction du non-respect de ces obligations déclaratives qui se trouvait posé à la cour d'appel de Paris. En effet, la société actionnaire demanderesse prétendait, d'une part, que le concert n'avait pas cessé, quand bien même le pacte d'actionnaires avait pris fin et, qu'ainsi, les prétendus concertistes auraient dû déclarer les franchissements de seuils à la hausse (I). Elle soutenait, d'autre part, que les intimés déclarant ne pas agir collectivement, auraient dû, s'il n'y avait pas eu concert, déclarer le franchissement de seuil à la baisse (II) leur participation devant être appréciée, cette fois, de façon individuelle.

I - Concert et franchissement de seuil à la hausse

L'organisation du groupe examiné fait apparaître l'existence d'une structure dédiée au maintien du pouvoir d'un ensemble d'actionnaires familiaux, cette structure évoluant dans un contexte de restructuration pouvant laisser imaginer l'existence d'un concert (A). Le juge, toutefois, dans son appréciation du concert et des obligations déclaratives de franchissement de seuil à la hausse, s'en tiendra exclusivement à la mise en oeuvre de critères objectifs (B) pour conclure à l'absence de coalition entre les actionnaires principaux.

A - Une série d'opérations susceptibles de masquer un concert

La société Cnim (la Cnim), est une société introduite sur le second marché en 1987 et détenue majoritairement par la famille Herlicq par l'intermédiaire de deux autres sociétés, nommées PIP et PIN. Une autre société, dénommée IDI, constituée sous forme de société en commandite par actions, est actionnaire à hauteur de 0,69 % de la Cnim. Telle est l'organisation initiale qui va évoluer progressivement, en sept étapes marquées par les différentes restructurations suivantes. 

- Le 8 juillet 1992, la société PIP absorbe la société PIN, le Conseil des bourses de valeurs (CBV) lui accordant une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique alors que la société PIP détient, désormais, plus de 50 % des droits de vote dans la Cnim.
- Le 10 avril 1996, un pacte d'actionnaires est conclu entre les huit groupes d'actionnaires représentant 82,6 % de la société PIP. Ce pacte permet de finaliser l'absorption de la Cnim. La situation prédominante de la famille Herlicq au sein de la nouvelle entité étant maintenue, le CBV prend acte de l'absence de modification du pouvoir et accorde une dérogation à l'obligation de déposer une OPA.
- Le 28 juin 1996, l'assemblée générale de la Cnim entérine l'absorption, et le pacte d'actionnaires conclu auparavant entre en vigueur pour une durée de trois ans reconductible, c'est-à-dire à échéance du 28 juin 1999. Mais à cette date, il n'est pas renouvelé.
- Le 18 février et le 3 mai 2000, la société IDI, qui a engagé une action de concert avec deux sociétés par actions simplifiées : la Financière de Bagatelle et de Neuilly-Barrès, déclare les franchissements de seuil dans la Cnim de 20 % des actions, puis des droits de vote.
- Le 28 novembre 2002, lors d'une assemblée générale mixte de la Cnim, le bureau vote une motion emportant limitation des droits de vote des sociétés IDI, Financière de Bagatelle, et Financière Neuilly Barrès pour absence de déclaration des franchissements de seuils de 5 et 10 % en juin 1998.
- Le 10 juin 2003, le tribunal de commerce de Paris prononce la nullité des résolutions précitées. Cette décision sera, toutefois, infirmée par la cour d'appel de Paris le 18 novembre 2003.
- Le 29 juin 2004, les sociétés IDI, Financière de Bagatelle et Financière Neully fusionnent, les droits des deux dernières sociétés étant transférés à l'IDI.

Le conflit entre les deux partis d'actionnaires s'accroît en intensité lorsque l'IDI introduit un recours devant le tribunal de commerce de Paris. S'appuyant sur les dispositions de l'article L. 233-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L3890HBP), la société demande au juge de suspendre les droits de vote de sept actionnaires réunis autour de la famille Herlicq au motif que, selon l'IDI, ces derniers auraient agi de concert sans procéder aux déclarations imposées par l'article précité. Le tribunal de commerce de Paris les déboute le 21 juin 2005.

L'IDI interjette, alors, appel le 22 novembre 2005. La société demande à la cour de constater que les intimés agissaient de concert depuis le 29 juin 1999. En application de l'article L. 233-14, alinéa 1er, du Code de commerce, ces derniers -selon l'IDI- devraient voir leurs droits de vote limités à hauteur de 5 % des droits existants dans la société CNIM pendant deux ans, à compter de leur déclaration à l'AMF du franchissement des seuils de 2, 10, 20, et 33 % des droits dans la société cible.

L'IDI demande, également, au juge d'appel, au cas où le concert ne serait pas reconnu, d'appliquer subsidiairement l'article L. 233-14, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L3894HBT) qui impose des obligations d'information équivalentes en cas de franchissement de seuil à la baisse.

La réponse de la cour d'appel se fera en deux temps, s'agissant du franchissement de seuil à la hausse : d'abord sur la mesure de la présomption de concert, ensuite sur la démonstration du concert.

Elle motive ainsi sa décision, en premier lieu, sur le fondement du II de l'article L. 233-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L6313AIN), proposé ici dans sa dernière version, qui établit un certain nombre de présomptions en matière de constitution d'un concert (2). Ce concert est, ainsi, censé exister entre : une société et ses dirigeants ; une société et les sociétés qu'elle contrôle ; des sociétés contrôlées par la même ou les mêmes personnes ; les associés d'une société par actions simplifiée à l'égard des sociétés que celle-ci contrôle ; et, enfin, cette dernière mention ayant été ajoutée par l'article 18 de la loi du 19 février 2007 sur la fiducie (loi n° 2007-211, 19 février 2007, instituant la fiducie N° Lexbase : L4511HUM), "entre le fiduciaire et le bénéficiaire d'un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant".

Or, en l'espèce, l'existence d'un concert devait s'apprécier depuis 1999, date à laquelle le pacte d'actionnaires avait pris fin et n'avait pas été renouvelé, les appelants soutenant la thèse qu'un concert s'y était substitué. Sur ce point, la cour d'appel, pour répondre aux appelants, s'appuie sur diverses considérations de fait. Elle relève, d'abord (et on peut se demander si l'argument n'est pas superfétatoire), que le CBV avait accordé durant la période de validité du pacte d'actionnaires une dérogation au dépôt d'une offre publique. Elle souligne, ensuite, qu'après que le pacte ait pris fin, les sept actionnaires cités n'ont pas entretenu les relations permettant de conclure à une présomption de contrôle visée à l'article précité.

Elle se prononce, en second lieu, quant à la démonstration du concert, sur le fondement des dispositions de l'article L. 233-10 I du Code de commerce qui établit que, sont considérées comme agissant de concert, les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société. En l'espèce, la cour va s'appuyer, là encore, sur des considérations de fait, qu'il convient de n'évoquer que brièvement, comme autant de réponses aux prétentions des requérants. Elle établit ainsi :
- que la décision du CBV, du 11 avril 1996, ne peut s'assimiler à une action de concert ;
- que les décisions de justice, concernant les sociétés visées dans l'affaire, ne fournissent aucune indication quant à l'existence d'un concert ;
- que l'argument des appelants, en vertu duquel le silence des intimés démontre le concert, est inopérant ;
- qu'il existait bien des projets de pacte destinés à remplacer l'accord initial mais que leur négociation n'a pas abouti ;
- que les intimés reconnaissent avoir constitué des holdings familiales, en raison de leurs intérêts communs, mais le juge d'appel en tire le constat qu'il ne pouvait être "déduit que de manière préalable et coercitive, ils aient conclu une entente relative à leurs droits de vote".

Ainsi, la cour de conclure que le concert ne pouvait être déduit du parallélisme des votes dans les organes de la CNIM, ni même de positions communes, lors d'opérations d'acquisition ou d'alliance. Elle conclut donc, sur ce point du moins, à la confirmation du jugement de première instance.

B - Une appréciation du concert cantonnée à des critères objectifs

Au-delà de l'impossibilité à apprécier, au plan de la théorie juridique, cette partie de la décision qui est exclusivement motivée en fait, la rédaction de l'arrêt concernant le franchissement de seuil à la hausse semble particulièrement intéressante en pratique. On peut, en effet, déduire de l'argumentation du juge -sous les réserves d'usage- que les appelants invoquaient l'existence d'un parallélisme de comportement entre les actionnaires ou groupes d'actionnaires poursuivis, cette homogénéité de comportements révélant, selon eux, l'existence d'un concert débouchant sur une obligation de déclaration de franchissement de seuil. Or, ce type de raisonnement, s'il est susceptible de prospérer devant un juge, ne saurait aboutir qu'en matière de concurrence où l'entente, si elle n'est pas démontrée positivement, peut être déduite d'un parallélisme de comportement économique (alignement des prix, par exemple) qui ne saurait s'expliquer que par l'existence d'un accord (même tacite) préalable.

On retrouve donc, assez curieusement, les linéaments de ce raisonnement dans l'argumentation présentée au juge en matière d'appréciation du concert. En effet, la thèse du parallélisme des votes constituait la pierre angulaire des moyens d'appel, avec l'idée sous-jacente que la création de holdings familiaux, en amont, confortait l'idée de l'existence d'un accord occulte. Il faudrait donc entendre du raisonnement de la société IDI que le concert, comme l'entente, pourrait se fonder sur une recherche d'éléments qui, à défaut d'être divinatoire, s'écarterait quand même singulièrement des canons du raisonnement juridique. En jurisprudence, d'ailleurs, l'existence d'un parallélisme démontré des comportements n'a jamais débouché -à notre connaissance- sur une qualification de concert et il est constant que celle-ci ne saurait découler de relations bilatérales ou multilatérales informelles et ne saurait être constituée qu'à la condition de démontrer un accord entre des personnes (3). Le juge a, ainsi, estimé que l'établissement d'un protocole entre les présidents des deux sociétés dont l'une est actionnaire de l'autre ne suffisait pas à caractériser une action de concert (4). C'est donc, à juste titre, que la cour d'appel rejette l'argument, soulignant que l'absence d'éléments objectifs démontrant le concert ne permettait pas de conclure à l'application de l'article L. 233-10 du Code de commerce.

Pourtant, la logique du raisonnement n'est pas sans attraits. En effet, en dépit des caractéristiques propres du droit de la concurrence, droit résolument structuré sur des considérations économiques, la doctrine a, parfois, pu souligner les liens existants, dans des situations complexes, avec le droit des sociétés. Ainsi en est-il, par exemple, du sort des filiales communes dont la constitution est susceptible d'aboutir à la réduction des concurrents sur le marché car le juge est parfois confronté à la question de savoir si l'opération doit être rapportée à une concentration, auquel cas le droit des sociétés est indirectement concerné, ou à une entente. Ceci dit, la comparaison ne peut guère être poussée à l'excès (5). De là, le pas ne peut être franchi que par un plaideur particulièrement hardi, pensant trouver dans l'argumentation avancée en matière d'entente, et en désespoir de cause, le moyen d'inciter le juge à extrapoler la jurisprudence dégagée en droit de la concurrence pour l'appliquer au concert.

C'est sans doute oublier que le concert est, désormais, une notion parfaitement définie en droit positif, à la différence de l'entente dont la fluidité des contours s'explique par le souhait du législateur de pouvoir, grâce à cette plasticité, appréhender le plus grand nombre de comportements possibles. Le juge, s'agissant du concert, se trouve, ainsi, lié par un faisceau d'indices qui lui interdisent de s'échapper de la trame serrée du texte. La rédaction retenue dans l'arrêt est, à cet égard, digne d'éloge puisque le rejet de la demande des appelants est justifié avec une grande précision et ne laisse aucunement place à l'interprétation. Le concert est dans les textes et le juge ne s'écartera pas de sa partition, lui proposerait-on d'adopter des critères de qualification extrapolés de notions voisines.

II - Absence de concert et franchissement de seuil à la baisse

La question du franchissement du seuil à la hausse étant résolu, restait au juge à examiner les obligations déclaratives concernant le franchissement de seuil à la baisse (A). Sur ce point, la cour d'appel affirme distinctement le caractère souverain de son appréciation de la sanction (B).

A - Les obligations déclaratives s'agissant d'un franchissement de seuil a la baisse

La seconde partie de l'arrêt constitue la réponse à une construction assez habile des appelants. Ils invoquaient, d'abord, l'existence d'un concert pour demander la suspension des droits de vote, en raison d'un franchissement de seuils non déclaré à la hausse, mais faisaient valoir, également, qu'au cas où le juge ne reconnaîtrait pas le concert, la participation des actionnaires devait alors être appréciée individuellement. A ce titre, des franchissements de seuil à la baisse ayant été réalisés, ils auraient dû être déclarés. L'articulation du raisonnement, d'une désarmante simplicité, n'en était pas moins redoutablement efficace : soit il y avait concert et, alors, les obligations de déclaration n'avaient pas été remplies, soit il n'y avait pas concert et, alors, d'autres obligations déclaratives n'avaient pas été respectées.

Le juge, toutefois, s'en réfère, là encore, à la lettre du texte pour motiver sa décision et s'appuie sur l'article L. 233-7, alinéa 3, du Code de commerce qui impose une déclaration aux personnes qui franchissent à la baisse les seuils de 5, 10, 20, 33, 50 % de détention des droits de vote d'une société cotée. En l'espèce, le juge relève que les membres du pacte détenaient, à l'époque ou ce dernier était en vigueur, 60,32 % des droits de vote et, qu'à la sortie du pacte, chacun de ses membres se trouvait confronté aux obligations légales attachées à leur qualité d'actionnaires individuels. Or, un courrier avait bien été adressé à la date de la fin du pacte à l'autorité boursière compétente mais cette information ne "mentionne[ait] pas sa valeur déclarative", et ne présentait, par ailleurs, aucun caractère individuel, même si elle donnait des indications quant au niveau de participation respectif des anciens membres du pacte. Donc, les actionnaires n'avaient pas, à l'occasion de la fin du pacte, satisfait aux exigences de l'article L. 233-7 du Code de commerce.

B - Une suspension laissée à l'appréciation du juge du fond

A ce stade, on aurait ainsi pu croire l'affaire gagnée pour les appelants, le juge soulignant formellement l'absence de déclaration. C'était, cependant, sans compter sur la faculté de moduler la sanction qui a été conférée au juge. Le dernier volet de l'arrêt, qui concerne cette fois la sanction fait, en effet, table rase des espoirs des appelants d'obtenir la suspension des droits de vote excédentaires.

Le juge s'appuie, pour décider de l'opportunité de la suspension, sur les dispositions de l'article L. 233-14, alinéa 4, du Code de commerce, qui dispose que "le tribunal de commerce peut prononcer la suspension totale ou partielle des droits de vote d'un actionnaire". Se livrant, ensuite, à une interprétation de ces dispositions, il en vient à souligner que "par ses termes généraux, cette sanction facultative se rapporte à l'obligation déclarative tant à la hausse qu'à la baisse" et souligne, ainsi, implicitement, que le tribunal ou la cour détient un pouvoir discrétionnaire en matière de sanction. En l'espèce, la cour relève, d'abord, qu'il n'y avait pas volonté de dissimuler la fin du pacte, comme en atteste la lettre adressée à l'autorité boursière le 25 juin 1999, puisqu'elle précisait le pourcentage de droits de vote détenu par les actionnaires individuels. Ainsi, le juge d'appel confirme la décision rendue en premier ressort qui concluait à l'absence de sanction en raison du caractère non intentionnel du défaut de déclaration qui, par ailleurs, n'était pas frauduleux et n'avait pas causé de préjudice, tant aux autres actionnaires qu'au marché.

Ce qui n'est sans doute pas dit dans l'arrêt, mais il est vrai que le propos n'eut pas été judicieux eu égard la qualité des débats, c'est que l'appelante avait, elle-même, subi auparavant la suspension de ses droits de vote pour défaut de déclaration de franchissement de seuils à la hausse. Cet affrontement entre les deux clans rivaux d'actionnaires, ne pouvait ainsi aboutir sans que la bonne foi de l'une ou l'autre des parties ne soit implicitement prise en considération. En l'espèce, c'est ce que souligne le juge, qui ne sanctionne pas les intimés, d'abord, en raison de leur absence de volonté malveillante et, ensuite, parce que l'atteinte à l'obligation de déclaration résulte de la méconnaissance du formalisme requis auprès des autorités boursières.

On peut, en outre, évoquer un autre enseignement quant à cette décision sur les obligations déclaratives : c'est que, même si la société est cotée, la structure de l'actionnariat est prise en considération par le juge pour mesurer la nécessité d'une sanction. Dans l'hypothèse où le capital est détenu, comme en l'espèce, par un petit nombre de personnes et où la plupart des mouvements de l'actionnariat sont susceptibles d'être connus des autres actionnaires, la nécessité d'une sanction n'apparaît pas aussi distinctement que si le marché, ou des actionnaires minoritaires, avaient pu souffrir du caractère occulte des franchissements de seuils. Le juge nous donne ainsi une touche d'interprétation nouvelle dans la partition, sans cesse réécrite, du concert en droit des sociétés.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) "Exclamavit unus ex pueris, qui super hoc officium erat positus : Dextro pede !", Petr. Sat. XXX (traduction : "Un des esclaves préposés à cet office s'écria : "Du pied droit !").
(2) C. com., art. L. 233-10 : "I. - Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société.
II. - Un tel accord est présumé exister :
1º Entre une société, le président de son conseil d'administration et ses directeurs généraux ou les membres de son directoire ou ses gérants ;
2º Entre une société et les sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3 ;
3º Entre des sociétés contrôlées par la même ou les mêmes personnes ;
4º Entre les associés d'une société par actions simplifiée à l'égard des sociétés que celle-ci contrôle ;
5º Entre le fiduciaire et le bénéficiaire d'un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant.
III. - Les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements
".
(3) CA Paris, 10 mars 1992, Pinault c/ Printemps, Rev. Sociétés 1992, p. 346 et p. 229 et suiv., chronique de M. Vasseur.
(4) T. com. Nîmes, 18 février 1992, Bull. Joly 1992, p. 536.
(5) Sur la question, v. P. Laurent, Traité concurrence consommation, JCP, Fasc. 545 : Ententes - Principe d'incompatibilité - Article 81, § 1 et 2 du Traité CE, 1er mars 2001, n° 49 et s..

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