La lettre juridique n°617 du 18 juin 2015 : Droit des biens

[Chronique] Chronique de droit des biens - Juin 2015

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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé à l'Université François-Rabelais-Tours (CRDP-EA 2116 ; IEJUC-EA 1919), et de Séverin Jean, maître de conférences à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC-EA 1919)

le 18 Juin 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des biens de Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université François-Rabelais-Tours (CRDP-EA 2116 ; IEJUC-EA 1919) et de Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC-EA 1919). Au sommaire de cette nouvelle chronique de droit des biens, quelques difficultés propres à cette discipline : encadrer la propriété d'un bien incorporel (Cons. const., décision n° 2014-449 QPC, du 6 février 2015) ; dresser les concours du juste titre (Cass. civ. 3, 11 février 2015, n° 13-24.770, FS-P+B) ; qualifier l'action consécutive à un empiètement (Cass. civ. 3, 11 février 2015, n° 13-26.023, FS-P+B) ; appréhender le tiers de l'article 555 du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP) (Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-26.680, FS-P+B) ; prouver la propriété du dessous (Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-27.342, FS-P+B) ; et comprendre le bornage (Cass. civ. 3, 19 mai 2015, n° 14-11.984, F-D ; Cass. civ. 3, 10 février 2015, n° 13-24.289, F-D). I - Encadrer la propriété d'un bien incorporel
  • Le transfert d'office du portefeuille de contrats d'assurance d'une personne titulaire d'un agrément par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution entraîne une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L6813BHS) (Cons. const., décision n° 2014-449 QPC, du 6 février 2015 N° Lexbase : A9203NA4)

La présente décision est, d'abord, une confirmation -de plus- que la notion constitutionnelle de propriété s'applique autant aux biens incorporels qu'aux biens corporels. Reprenant une formule devenue classique, le Conseil constitutionnel affirme effectivement que "les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux" ; partant, "les portefeuilles de contrats ou de bulletins d'adhésion constitués par une personne dans l'exercice de l'activité d'assurance relèvent de sa protection" (cons. 6). Ces portefeuilles sont des universalités de fait, autrement dit, des ensembles de biens -eux-mêmes incorporels- dont l'unité économique justifie qu'ils puissent être perçus, ut universi, comme un seul bien. A l'instar de tout autre, leur propriétaire doit donc être préservé de toute privation de propriété, "si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité" (1).

Cette décision, ensuite, sanctionne la possibilité que les dispositions du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 612-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7458I4Y) offrait à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution -autorité administrative indépendante qui veille à la préservation de la stabilité du système financier ainsi qu'à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle- de prononcer, "à titre de mesure de police administrative édictée à des fins conservatoires des droits des assurés et de la stabilité du marché, le transfert d'office de tout ou partie du portefeuille des contrats d'assurance ou de règlements ou de bulletins d'adhésion à des contrats ou règlements des entreprises, mutuelles et unions mutualistes, institutions de prévoyance, unions et groupements paritaires de prévoyance exerçant une activité d'assurance directe", notamment "lorsque la solvabilité ou la liquidité d'une personne soumise au contrôle de l'Autorité ou lorsque les intérêts de ses clients, assurés, adhérents ou bénéficiaires, sont compromis ou susceptibles de l'être" (cons. 5). Pour le Conseil constitutionnel, puisque ce transfert d'office "s'opère sans que soit laissée à la personne visée la faculté, pendant une période préalable, de procéder elle-même à la cession de tout ou partie de ce portefeuille", il s'agit d'une "privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789", or "ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition n'assurent le respect des exigences qui résultent de cet article" (cons. 7). Ces dispositions sont donc contraires à la Constitution.

Guillaume Beaussonie

II - Dresser les contours du "juste titre"

  • Un acte de partage ne peut constituer un juste titre permettant de fonder une prescription acquisitive abrégée (Cass. civ. 3, 11 février 2015, n° 13-24.770, FS-P+B N° Lexbase : A4333NB4)

S'il est acquis que le bénéfice de la prescription acquisitive abrégée est conditionné par l'existence d'un juste titre, il n'en demeure pas moins que la qualification de juste titre suscite toujours des débats comme en témoigne l'arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 11 février 2015.

En l'espèce, les propriétaires d'un terrain assignèrent la propriétaire d'une parcelle contiguë en démolition d'une construction empiétant sur une partie de leur propriété. La cour d'appel de Saint-Denis, par un arrêt du 21 juin 2013, rejeta cette demande au motif que la propriétaire avait acquis la portion litigieuse -sur laquelle l'empiètement était caractérisé- par prescription acquisitive abrégée fondée sur un acte de partage effectué en 1992, selon un plan d'arpentage de 1990 consacrant ledit empiètement. En effet, les magistrats du fond estimèrent que l'acte de partage de 1992 constituait un juste titre permettant à la propriétaire de bénéficier de la prescription acquisitive abrégée pour la surface empiétée. Dès lors, les victimes de l'empiètement formèrent un pourvoi en cassation. Les magistrats du Quai de l'Horloge devaient donc se demander si l'acte de partage de 1992 pouvait constituer ou non un juste titre. La réponse -rendue au visa de l'ancien article 2265 du Code civil (2) et au chapeau selon lequel "il résulte de ce texte que le juste titre est celui qui, s'il était émané du véritable propriétaire, serait de nature à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription"- est très claire : l'acte de partage de 1992 ne constitue pas un juste titre dans la mesure où, non seulement, il émane du véritable propriétaire, mais également, parce qu'il ne transfère aucunement la propriété. A première vue, la solution est évidente. Pourtant, cette solution n'a que l'apparence de l'évidence.

L'argumentation de la cour d'appel méritait-elle d'être désapprouvée ? Assurément pour au moins deux raisons. D'abord, si les magistrats réunionnais voient dans l'acte de partage de 1992 un juste titre, c'est qu'ils considèrent que ce dernier n'émane pas du véritable propriétaire. Sans doute peut-on le comprendre puisque l'auteur de la donation-partage de 1984 n'était plus le véritable propriétaire lors de l'acte de partage de 1992, peu important qu'il soit à l'origine du partage en raison de son décès, parce qu'il avait précisément transféré la propriété par la donation-partage de 1984. Ce raisonnement semble pertinent puisque la donation-partage est une libéralité qui transfère nécessairement la propriété. Dès lors, l'auteur de la donation-partage de 1984 ne peut plus être propriétaire au moment de son décès puisqu'il a préalablement transféré la propriété. Toutefois, la situation est plus épineuse lorsqu'il s'agit de s'intéresser au bien litigieux. En effet, il n'est pas certain que la propriété transférée en 1984 soit la même que celle visée dans l'acte de partage de 1992 dans la mesure où un document d'arpentage de 1990 -à partir duquel le partage est opéré- délimite autrement la propriété, c'est-à-dire moins généreusement, puisque c'est à cette occasion qu'un empiètement est consacré. Aussi, on pourrait, à tout le moins considérer, que l'acte de partage de 1992 émane bien du véritable propriétaire, du moins pour la portion litigieuse.

Ensuite, l'arrêt de cour d'appel est tout autant contestable quand il retient le caractère translatif de l'acte de partage de 1992. En effet, ce dernier, faisant suite au décès de l'auteur de la donation de partage, ne peut être que déclaratif -au sens de l'article 883 du Code civil (N° Lexbase : L0023HPK)- et non translatif de propriété, la propriété ayant été transférée dès la donation-partage de 1984. En définitive, pour ces deux raisons, la Cour de cassation casse, à juste titre, l'arrêt d'appel. Cependant, cette analyse pourrait être plus complexe qu'il n'y paraît si nous envisageons le problème au regard de la délimitation de la propriété litigieuse.

En effet, le coeur du problème pourrait résider davantage dans la délimitation de la propriété litigieuse puisque son assiette diffère selon que l'on envisage la donation-partage de 1984 ou l'acte de partage de 1992. En 1984, l'assiette semble comprendre la portion sur laquelle l'empiètement sera consacré tandis qu'elle se restreint en 1992 et partant, révèle ledit empiètement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'auteur de l'empiètement invoque la prescription acquisitive abrégée. Dans la mesure où la Cour de cassation ne répond qu'aux moyens soulevés, il n'est guère étonnant qu'elle refuse la qualité de juste titre à l'acte de partage de 1992, celui-ci ne pouvant, en tout état de cause, être translatif de propriété. En revanche, la solution est beaucoup plus critiquable quant à la condition d'un juste titre a non domino puisque le défunt à l'origine du partage avait déjà transféré la propriété par la donation-partage de 1984. Aussi, on pourrait soutenir que l'acte de partage de 1992 est finalement a non domino sauf à considérer que la nouvelle délimitation de l'assiette de la propriété opérée par cet acte -à partir du document d'arpentage de 1990- revient à transférer une nouvelle propriété et partant, le défunt à l'origine du partage pourrait revêtir la qualité de véritable propriétaire. On sent bien la limite de ce raisonnement parce qu'il reste difficile de nier, quand bien même l'assiette n'est pas parfaitement identique, que la propriété n'a pas été transférée dès 1984. C'est donc bien le changement de l'assiette de la propriété transférée qui rend l'appréciation du juste titre plus délicate, voire plus contestable...

Séverin Jean

III - Qualifier l'action consécutive à un empiètement

  • L'action tendant à la remise en état des lieux par la suppression d'un empiètement est une action immobilière non soumise à la prescription de dix ans (Cass. civ. 3, 11 février 2015, n° 13-26.023, FS-P+B N° Lexbase : A4378NBR)

La radicalité de la sanction de l'empiètement, qui consiste en sa suppression pure et simple, appellerait peut-être un régime plus subtil que son régime actuel, qui n'implique que de réagir à son constat. Modèle pourrait alors être pris sur l'article 555 du Code civil, qui encadre la construction sur le terrain d'autrui. En attendant, puisque tel n'est pas encore le cas et ne le sera sans doute jamais, ceux qui empiètent s'obstinent à saisir la Cour de cassation pour lui proposer de leur accorder davantage de clémence. C'est toujours en pure perte, comme le démontre, parmi d'autres, cet arrêt rendu le 11 février 2015.

En l'espèce, dans le cadre de l'exploitation d'une carrière de calcaire, une société a empiété sur le sous-sol du fonds qui la jouxte. Elle est donc condamnée à remettre les lieux en état par la suppression de l'empiétement. La société tente alors de faire requalifier l'empiètement en trouble de voisinage ou, moins précisément, en action personnelle, afin de bénéficier de la prescription décennale. Sans aucune surprise, la Cour de cassation s'y oppose, constatant simplement que "le front de la carrière exploitée par la société [...] débordait sur la propriété [des voisins]". Dès lors, "la cour d'appel, qui a justement énoncé qu'une activité d'extraction industrielle au-delà de la limite séparative d'une propriété constituait un empiétement par appropriation du sous-sol, en a déduit à bon droit que l'action tendant à la remise en état des lieux par la suppression de l'empiétement était une action immobilière non soumise à la prescription de dix ans".

Guillaume Beaussonie

IV - Appréhender le tiers de l'article 555 du Code civil

  • Le droit à indemnisation du tiers évincé au sens de l'article 555 du Code civil n'est pas attaché à la propriété (Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-26.680, FS-P+B N° Lexbase : A8651NHU)

On croyait tout savoir sur l'article 555 du Code civil qui organise les solutions applicables en matière de construction sur le terrain d'autrui. Pourtant, il faut bien constater que cette disposition appelle encore des précisions à l'image de l'arrêt commenté du 13 mai 2015 qui vient délimiter encore plus précisément la notion de "tiers".

Dans cette affaire, à la suite d'un bornage amiable entre des époux propriétaires d'une parcelle et un groupement forestier propriétaire de terrains entourant celui des époux, il fut constaté que des arbres avaient été plantés par les auteurs-vendeurs du groupement forestier sur la parcelle des époux. A l'occasion d'une action en réparation intentée par les époux, le groupement demanda reconventionnellement -sur le fondement de l'article 555 du Code civil- le paiement d'une indemnité correspondant à la valeur des plantations subsistant sur la parcelle des époux. Le tribunal de Limoges, par un jugement du 8 juillet 2013, fit droit à la demande du groupement en lui reconnaissant la qualité de tiers au sens de l'article 555 du Code civil en raison de la transmission des droits et actions attachés à la cession. Les époux formèrent alors un pourvoi en cassation poussant alors les magistrats du Quai de l'Horloge à se demander si le groupement pouvait être qualifié de tiers au sens de l'article 555 du Code civil alors même qu'il n'était pas à l'origine des plantations litigieuses. La Cour de cassation, en se fondant sur les articles 551 (N° Lexbase : L1057ABR) et 555 du Code civil, cassa le jugement sur ce point en estimant que "le droit à indemnisation du tiers évincé n'est pas attaché à la propriété du fonds mais à la personne qui a accompli l'acte de planter".

Cet arrêt mérite notre attention pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il convient de rappeler que la situation doit être observée différemment selon que l'on envisage le propriétaire du fonds sur lequel des plantations ont été réalisées ou le tiers qui est à l'origine des plantations. Du côté du propriétaire du fonds, les articles 551 et 552 (N° Lexbase : L3131ABL) du Code civil règlent facilement la question de la propriété des plantations puisque le propriétaire du sol est réputé propriétaire desdites plantations en vertu de l'adage supercifies solo cedit. En d'autres termes, du point de vue du propriétaire du fonds, la question qui se pose est celle de la propriété. Du côté du tiers à l'origine des plantations, la question est très différente puisqu'il ne s'agit pas de savoir s'il peut conserver la propriété des plantations mais de savoir s'il peut en obtenir l'indemnisation. Cette différence de positionnement permet alors de comprendre la solution rendue par les magistrats du Quai de l'Horloge. En effet, au-delà du fait que le tiers, au sens de l'article 555 du Code civil, est finalement toute personne autre que le propriétaire du fonds sur lequel des plantations ont été effectuées, le tiers est celui qui est à l'origine des plantations et qui cherche alors, au nom de l'équité consacrée par l'article 555 du code précité, à se faire indemniser. Par conséquent, il n'est guère étonnant que la Cour de cassation énonce que le droit à indemnisation n'est pas attaché à la propriété, précisément parce qu'il n'est pas question de propriété mais d'une forme de réparation qui invite à n'envisager comme bénéficiaire de l'action que celui qui, d'une certaine manière, subit un préjudice. Pourtant, l'argument de la cour d'appel n'est pas inintéressant.

En effet, et en second lieu, les magistrats du fond, pour octroyer le droit à indemnisation à l'acquéreur, arguaient du fait qu'en raison de la vente, l'acquéreur bénéficiait des droits et actions attachés à la propriété vendue. On fait, semble-t-il, référence à l'article 1615 du Code civil (N° Lexbase : L1715AB7) puisque ce dernier dispose que "l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel". Si la jurisprudence a eu l'occasion de préciser que les accessoires juridiques -à l'image des droits réels (3)- devaient aussi être délivrés tout comme les actions en dommages et intérêts (4), encore faut-il rappeler que ces accessoires visent la chose elle-même et non celle d'un autre propriétaire, celle sur laquelle des plantations ont été réalisées. En d'autres termes, pas plus que les garanties légales attachées à la vente (5), tous les droits et actions transmis à l'acquéreur ne visent qu'à assurer la jouissance paisible de la propriété cédée. Dès lors, l'action en indemnisation de l'article 555 du Code civil a une nature personnelle, attachée à l'auteur des plantations sur le terrain d'autrui, détachée de la propriété vendue par l'auteur desdites plantations. Sans doute, la cour d'appel pensait-elle pouvoir procéder par parallélisme avec la jurisprudence selon laquelle l'action fondée sur l'article 555 du Code civil doit être dirigée contre le propriétaire et non contre le précédent propriétaire (6) ; mais ce serait oublier que l'on parle de deux choses différentes : d'un côté le droit de propriété, d'un autre le droit à indemnisation. La solution de la Cour de cassation s'entend donc parfaitement.

Reste à préciser un dernier point : les conséquences d'une telle décision. Si l'acquéreur ne bénéficie pas du droit à indemnisation fondé sur l'article 555 du Code civil, cela signifie-t-il que le vendeur en soit toujours investi alors même qu'il n'est plus propriétaire ? A fortiori, et sous réserve de prescription, il y a tout lieu de le penser dans la mesure où l'action lui est personnelle. La nature personnelle de cette action explique d'autant plus le refus de l'octroyer au nouvel acquéreur dans la mesure où s'il était en droit de l'exercer, il s'agirait, d'une certaine manière, d'une forme d'enrichissement sans cause dont l'appauvri serait le vendeur, c'est-à-dire celui qui a réalisé les plantations litigieuses.

Séverin Jean

V - Prouver la propriété du dessous

  • La présomption de propriété du dessous au profit des propriétaires du sol n'est susceptible d'être combattue que par la preuve contraire résultant d'un titre, quel qu'en soit le titulaire, ou de la prescription acquisitive (Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-27.342, FS-P+B N° Lexbase : A8728NHQ)

En vertu de l'article 552 du Code civil, "la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous". La figure impérative de la formule, en apparence conforme à l'esprit hégémonique de la propriété, cache en réalité une règle de fond simplement supplétive que, pour cette raison, une règle de preuve complète : le propriétaire du sol ne sera que présumé propriétaire du dessus et du dessous. Autrement dit, sa propriété du dessous -c'est lui seul qui nous intéresse- n'est pas inéluctable, à condition qu'un tiers parvienne à démontrer son propre droit. C'est ce qu'exprime, assez obscurément, l'article 553 du Code civil (N° Lexbase : L3132ABM), selon lequel "toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l'intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si le contraire n'est prouvé ; sans préjudice de la propriété qu'un tiers pourrait avoir acquise ou pourrait acquérir par prescription soit d'un souterrain sous le bâtiment d'autrui, soit de toute autre partie du bâtiment". Il reste à savoir comment cette démonstration du droit d'un autre que le propriétaire du sol sur le dessous doit être effectuée. C'était précisément l'objet de l'arrêt commenté.

En l'espèce, était en cause la propriété d'une cave, que se disputaient le propriétaire du sol qui la supportait et celui qui, seul, pouvait matériellement y accéder, l'entrée se trouvant sur son propre terrain. Après confrontation des divers titres produits aux débats, les juges du fond tranchaient en faveur de la porte plutôt que du plafond. Le propriétaire du sol saisissait conséquemment la Cour de cassation, d'une manière néanmoins assez confuse. Selon lui, il s'inférerait de l'article 552 du Code civil que la présomption de propriété du dessous au profit du propriétaire du sol n'est susceptible d'être combattue que par la preuve contraire résultant d'un titre ou de la prescription acquisitive. Dès lors, qui se prétend propriétaire du dessous devrait établir non seulement que celui-ci n'appartient pas au propriétaire du dessus, mais qu'il en est lui-même propriétaire, soit pour l'avoir prescrit par lui-même ou par ses auteurs, soit pour en avoir acquis la propriété en vertu d'un titre translatif auquel il est partie ou auquel était partie l'un de ses auteurs. Or, en se fondant exclusivement sur les titres de son adversaire et de ses auteurs, auxquels n'étaient parties ni le propriétaire du sol ni ses propres auteurs, la cour d'appel aurait méconnu la règle.

La réponse de la Cour de cassation est presque aussi confuse : "la présomption de propriété du dessous au profit des propriétaires du sol n'est susceptible d'être combattue que par la preuve contraire résultant d'un titre, quel qu'en soit le titulaire, ou de la prescription acquisitive ; [...] la cour d'appel, qui a confronté les divers titres produits aux débats, en a souverainement déduit que les [autres] étaient propriétaires de la cave litigieuse". L'essentiel, qui apparaît mal, ne réside alors pas tant dans le choix, classique bien que contesté (7), qui est ainsi fait pour restreindre les modes de preuve aux titres et à la prescription -ce qui exclut les simples circonstances de fait-, que dans l'indifférence envers la titularité des titres produits.

Il s'agissait, bien sûr, de répondre au pourvoi, qui n'incitait finalement qu'à obliger à prendre en compte les titres émanant du propriétaire du sol et de ses auteurs -en plus des autres ou à l'exclusion des autres ?-. Rien ne l'imposait pourtant, dans le texte pertinent -l'article 553 et non, comme le soutenait le pourvoi, l'article 552-, même si l'on ne peut s'empêcher de remarquer que la solution de la Cour de cassation apparaît comme un pas franchi vers l'idée que la preuve de la propriété du dessous, comme celle de toute autre, pourrait être totalement libre. Il est vrai que, quant à elle, la rédaction de l'article 553 ne l'implique pas.

Guillaume Beaussonie

VI - Comprendre le bornage

La lecture combinée des deux arrêts retenus permet de retenir comme enseignement que seul le bornage délimite la propriété, sans pour autant l'attribuer !

Dans la première espèce du 19 mai 2915, une propriétaire assignait ses voisins en revendication d'une bande de terrain qui aurait été prélevée sur sa propriété à l'occasion de l'édification d'une clôture. Dans la seconde, en date du 10 février 2015, des propriétaires assignaient le propriétaire de la parcelle contiguë en bornage et en démolition d'un mur. Quant à l'action en revendication, la cour d'appel de Toulouse la rejeta au motif que l'édification de la clôture était le résultat concret d'un accord des deux propriétaires pour fixer les limites de leurs fonds respectifs, peu important la discordance entre la surface mesurée à l'intérieur de ces limites et la surface portée au cadastre. Les magistrats du fond concluaient alors à l'idée selon laquelle cet accord valait bornage amiable définitif. Quant à la demande de démolition, la cour d'appel, après délimitation des parcelles, fit droit à la demande en démolition dans la mesure où le mur avait été édifié au-delà de la limite de propriété. La Cour de cassation saisie, celle-ci devait se demander pour la première espèce -mai 2015- si l'accord des parties sur la délimitation des fonds valait bornage amiable définitif et si, pour la seconde espèce, l'action judiciaire en bornage permettait d'obtenir la démolition d'une construction en raison d'un empiètement. Dans ces deux espèces, les magistrats du Quai de l'Horloge statuaient au visa des articles 544 (N° Lexbase : L3118AB4) et 646 (N° Lexbase : L3247ABU) du Code civil. A la première question, la Cour de cassation répondait que l'accord des parties sur la délimitation des fonds n'implique pas à lui seul leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses. En d'autres termes, cet accord ne vaut pas bornage amiable définitif. A la seconde question, il est rappelé que l'action en bornage judiciaire a seulement pour effet de fixer les limites des fonds contigus sans pour autant attribuer la propriété de la portion de terrain sur laquelle le mur a été édifié. En définitive, le premier arrêt nous apprend que seul un "véritable bornage", qu'il soit amiable ou judiciaire, permet de délimiter la propriété tandis que le second opère une distinction entre délimitation de la propriété et détermination du droit de propriété. Quelques remarques s'imposent.

En premier lieu, le visa des deux arrêts n'est guère étonnant puisque l'article 544 du Code civil vise la propriété tandis que l'article 646 du même code renvoie à la possibilité d'obliger son voisin à borner leurs propriétés contiguës. En revanche, si l'on sait qu'il ne peut y avoir de bornage qu'amiable ou judiciaire, on pouvait se demander si l'accord concret de deux propriétaires pour fixer les limites de leurs fonds respectifs dont la construction en commun d'une clôture en était le résultat pouvait valoir bornage amiable. La réponse est claire : aucunement. La raison en est que le bornage suppose, en tout état de cause, d'une part une opération juridique consistant à déterminer la surface des terrains, leur arpentage et l'établissement d'un plan et d'autre part, une opération matérielle tendant à l'implantation de bornes stables et apparentes qui matérialisent la ligne divisoire. Par ailleurs, et c'est là sans doute le plus important, si l'accord des parties semble respecter le principe du contradictoire, il n'en demeure pas moins que la volonté des parties doit être recueillie dans un procès-verbal d'abornement dressé généralement par les géomètres-experts. Ce n'est qu'à cette condition que le procès-verbal d'abornement, qui a la valeur d'une transaction au sens de l'article 2052 du Code civil (N° Lexbase : L2297ABP), acquiert autorité de la chose jugée. Or, en l'espèce, comme le rappelle la Cour de cassation, l'accord des parties "n'implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses", encore faut-il que cet accord soit avalisé dans un procès-verbal d'abornement.

En second lieu, l'objet du bornage est une question récurrente et la réponse de la Cour de cassation demeure inflexible : le bornage ne fait que fixer les limites entre deux fonds, il ne détermine pas le droit de propriété. L'arrêt du 10 février 2015 en est une parfaite illustration puisque, encore une fois, les magistrats du Quai de l'Horloge refusent de donner une autre fonction au bornage. Au-delà de cet arrêt, la jurisprudence l'a récemment encore rappelé en considérant que l'accord des parties sur l'implantation des bornes ne signifie aucunement qu'il y ait accord des parties sur la propriété de la parcelle litigieuse (8). Pourtant, le signataire avoue ne pas vraiment comprendre pourquoi, à plus forte raison en matière de bornage amiable, la fixation des limites des fonds n'emporte pas détermination des droits de propriétés respectifs. Après tout, rien n'interdit à la volonté de déterminer l'assiette du droit et donc le droit ! En d'autres termes, déterminer l'objet de propriété ne revient-il pas à déterminer incidemment le droit de propriété ? Y a-t-il un droit de propriété indépendamment de son objet ? Nous ne le croyons pas ! Dès lors, rien ne s'opposerait, et certainement pas la compétence exclusive du tribunal d'instance -d'autant que ce dernier peut connaître d'une action pétitoire par le truchement d'un moyen de défense (9)-, à ce que le bornage, en déterminant l'objet de la propriété, déterminer l'assiette du droit de propriété.

Séverin Jean


(1) DDHC, art. 17 (N° Lexbase : L6813BHS).
(2) L'ancien article 2265 du Code civil (N° Lexbase : L2551AB4) disposait que "celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la cour d'appel dans l'étendue de laquelle l'immeuble est situé ; et par vingt ans, s'il est domicilié hors dudit ressort".
(3) CA Limoges, 13 juin 1990.
(4) Sous réserve toutefois d'une clause expresse : en ce sens, v. Cass. civ. 3, 4 décembre 2002, n° 01-02.383 (N° Lexbase : A1932A4C) ; Cass. civ. 3, 17 novembre 2004, n° 03-16.988 (N° Lexbase : A9375DDL).
(5) Garantie d'éviction, de délivrance conforme ou encore la garantie des vices cachés.
(6) Cass. civ. 3, 30 octobre 1968, Bull. civ. III, n° 437.
(7) V. JCl. Civil Code, Art. 551 à 553, "Propriété - Acquisition de la propriété par union ou incorporation - Propriété du dessus et du dessous du sol", par W. Dross, n° 58-59.
(8) Cass. civ. 3, 23 mai 2013, n° 12-13.898, FS-P+B (N° Lexbase : A9095KD9).
(9) Cass. civ. 3, 23 février 2005, n° 03-17.899, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8709DGN).

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Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

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Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.