La lettre juridique n°811 du 30 janvier 2020

La lettre juridique - Édition n°811

Construction

[Brèves] Action récursoire d’un constructeur contre un autre constructeur soumise à la prescription quinquennale de droit commun

Réf. : Cass. civ. 3, 16 janvier 2020, n° 18-25.915, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A17433B8)

Lecture: 4 min

N1908BYC

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par Manon Rouanne

Le 29 Janvier 2020

► A la suite de la condamnation des constructeurs à indemniser le maître de l’ouvrage des préjudices résultant des malfaçons affectant l’immeuble, objet du contrat de construction, l’action récursoire engagée par un constructeur contre un autre constructeur ayant pour objet de déterminer la charge définitive de la dette que devra supporter chaque responsable, ne peut être fondée sur la garantie décennale réservée aux actions en responsabilité intentées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs mais relève, dès lors, du droit commun de la responsabilité civile et se prescrit, ainsi, par cinq ans à compter du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Tel est le droit applicable déterminé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 16 janvier 2020 (Cass. civ. 3, 16 janvier 2020, n° 18-25.915, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A17433B8, sur la détermination de la prescription applicable en fonction de la nature de l’action engagée par un tiers à l’opération de construction, Cass. civ. 3, 16 janvier 2020, n° 18-21.895, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A17343BT et Cass. civ. 3, 16 janvier 2020, n° 16-24.352, FS-P+B+I N° Lexbase : A17333BS).

En l’espèce, dans le cadre de la construction d’un immeuble, sont intervenus à l’opération de construction un architecte et un carreleur. Postérieurement à la réception des travaux intervenue le 23 décembre 1999, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble, alléguant l’absence de dispositif d’évacuation des eaux pluviales sur la terrasse d’un appartement et l’existence de traces sur certaines façades de l’immeuble, a engagé une action en responsabilité à l’encontre de ces derniers. L’architecte, assigné en référé-expertise le 17 décembre 2009, s’est, ensuite, retourné contre le carreleur en l’assignant, lui et son assureur, en garantie.

Sur le fondement de l’article 1792-4-3 du Code civil (N° Lexbase : L7190IAK) consacrant, dans les contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, un délai de prescription spécial de dix ans à compter de la réception des travaux, la cour d’appel (CA Riom, 5 mars 2018, n° 16/01610 N° Lexbase : A0953XGE), considérant que cette prescription, dérogatoire au droit commun, s’applique aux recours entre constructeurs fondés sur la responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle, a, ainsi, déclaré l’action prescrite, dans la mesure où les travaux avaient été réceptionnés le 23 décembre 1999 et que l’architecte avait assigné en garantie le carreleur et son assureur les 10 et 12 juin 2014, soit postérieurement à l’expiration du délai décennal. Dès lors, l’architecte a formé un pourvoi en cassation.

Contestant l’application, par les juges du fond, de la prescription décennale à l’action engagée par un constructeur à l’encontre d’un autre constructeur, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel. Après avoir rappelé la nature contractuelle ou quasi-délictuelle de l’action récursoire engagée par un constructeur à l’encontre d’un autre constructeur pour définir la répartition finale de la charge de la dette entre eux, la Haute cour affirme que la prescription de cette action, qui ne peut être fondée sur la garantie décennale, ne relève pas de la prescription spéciale consacrée à l’article 1792-4-3 du Code civil réservée aux actions en responsabilité exercées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs. Aussi, la Cour de cassation décide que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur relève de la prescription quinquennale de droit commun, consacrée à l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), dont le délai commence à courir à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, de sorte qu’en l’espèce, l’action récursoire engagée par l’architecte n’est pas prescrite.

newsid:471908

Contrôle fiscal

[Brèves] Absence de faculté de transmettre les renseignements obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 22 janvier 2020, n° 421012, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A25943C3)

Lecture: 3 min

N2007BYY

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par Marie-Claire Sgarra

Le 17 Février 2020

Les renseignements recueillis dans le cadre d’une procédure judiciaire ne peuvent être transmis à l’administration fiscale que dans le cadre d’une instance civile ou commerciale lorsqu’une information judiciaire a été ouverte par un juge d’instruction.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 22 janvier 2020 (CE 9° et 10° ch.-r., 22 janvier 2020, n° 421012, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A25943C3).

En l’espèce, une société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à la suite de laquelle l’administration fiscale a exercé le droit de communication près du tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir communication des informations recueillies dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte contre cette société. Des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, assorties de pénalités, ont été mises à la charge de la société au titre des exercices clos au cours des années 2008 à 2012. Le tribunal administratif de Paris rejette la demande de la société tendant à la décharge de ces impositions. Cette dernière fait appel de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris (CAA de Paris, 28 mars 2018, n° 17PA02734 N° Lexbase : A6494XL4).

Pour rappel, aux termes de l’article L. 101 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9500IYI), « l'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ».

En jugeant que l'autorité judiciaire avait pu, en application de ces dispositions, dans sa rédaction alors en vigueur, communiquer à l'administration fiscale des renseignements obtenus dans le cadre d'une enquête préliminaire ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur l'application du délai spécial de reprise en cas d'omissions ou d'insuffisances révélées par une instance devant les tribunaux (CE 10° et 9° ssr., 30 décembre 2014, n° 371652, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8549M87). Le Conseil d’Etat juge que pour les tribunaux répressifs, seul l’engagement des poursuites doit être regardé comme ouvrant l’instance et en déduit que l’enquête préliminaire et l’examen des poursuites par le ministère public n’ont pas pour effet d’ouvrir l’instance au sens de l’article L. 188 C du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L3941ALK) (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X7880ALG).

 

newsid:472007

Douanes

[Brèves] Conformité à la Constitution de l’obligation de fourniture des équipements nécessaires à l’authentification des produits du tabac

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-821 QPC du 24 janvier 2020 (N° Lexbase : A28323CU)

Lecture: 3 min

N1997BYM

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par Marie-Claire Sgarra

Le 29 Janvier 2020

Les dispositions de l’article L. 3512-25 du Code de la Santé publique (N° Lexbase : L6030LMB), relatives à l’obligation de fourniture des équipements nécessaires à l’authentification des produits du tabac sont conformes à la Constitution.

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 24 janvier 2020 (Cons. const., décision n° 2019-821 QPC du 24 janvier 2020 N° Lexbase : A28323CU).

Pour rappel, ces dispositions imposent aux fabricants et importateurs de produits du tabac d'imprimer ou d'apposer sur les unités de conditionnement de ces produits un dispositif de sécurité infalsifiable, composé d'au moins cinq types d'éléments authentifiant. En application des dispositions contestées, ces fabricants et importateurs sont tenus de fournir gratuitement les équipements nécessaires à la détection de ces éléments aux agents des administrations chargées de les contrôler.

En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir l'authenticité des produits du tabac mis sur le marché pour lutter contre leur commerce illicite. D'une part, il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique et de sauvegarde de l'ordre public, qui inclut la lutte contre la fraude. D'autre part, la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac n'est pas sans lien avec les activités des entreprises qui les fabriquent ou les importent, qui ont au demeurant un intérêt à la mise en œuvre de la mission de contrôle, par l'Etat, des dispositifs de sécurité apposés sur les unités de conditionnement de ces produits.

En deuxième lieu, d'une part, les entreprises assujetties à l'obligation critiquée sont celles qui, en fabriquant ou en important des produits du tabac, mettent ces produits sur le marché. Ces entreprises ne sont ainsi pas placées dans la même situation que celles qui distribuent ou commercialisent ces produits. La différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la loi. D'autre part, les dispositions contestées n'instituent aucune différence de traitement entre les fabricants et importateurs de produits du tabac selon la date de leur entrée sur le marché. Tout nouvel entrant est donc soumis à l'obligation de fourniture contestée, laquelle peut notamment être mise en œuvre en cas de remplacement ou de renouvellement des équipements de contrôle ou d'adaptation de ces derniers aux modifications apportées aux dispositifs de sécurité.

En dernier lieu, d'une part, les dispositions contestées limitent l'obligation de fourniture aux seuls équipements « nécessaires » à la détection des éléments authentifiant des dispositifs de sécurité par l'administration des douanes. D'autre part, l'exercice de cette mission de contrôle dépend du volume de produits mis sur le marché. Il s'en déduit que chaque fabricant ou importateur doit contribuer à cette obligation à proportion des unités de conditionnement de produits du tabac qu'il met sur le marché.

Pour toutes les raisons précitées, le Conseil constitutionnel déclaré les dispositions au litige conformes à la Constitution.

newsid:471997

Droit des étrangers

[Brèves] Période d’appréciation des conditions de recevabilité d’une demande en relèvement d’une interdiction du territoire

Réf. : Cass. crim., 21 janvier 2020, n° 19-83.852, F-P+B+I (N° Lexbase : A99583BG)

Lecture: 2 min

N1992BYG

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par Marie Le Guerroué

Le 29 Janvier 2020

►Les conditions de recevabilité de la demande en relèvement d’une interdiction du territoire énoncées à l’article L. 541-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (N° Lexbase : L7222IQK) doivent être remplies depuis le dépôt de la requête jusqu’au moment où celle-ci est examinée par la juridiction saisie.

Telle est la précision apportée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2020 (Cass. crim., 21 janvier 2020, n° 19-83.852, F-P+B+I N° Lexbase : A99583BG).

Procédure. Le demandeur au pourvoi avait été condamné, des chefs d’outrages, menaces de mort, apologie du terrorisme, exhibition sexuelle, vol et contrefaçon de chèque, notamment à dix mois d’emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire français, par arrêt du 1er mars 2017 de la cour d’appel de Caen, devenu définitif. Le 13 avril 2018, il avait formé une requête en relèvement de l’interdiction du territoire français. Il critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la requête irrecevable, alors que le demandeur était détenu au moment où la cour d’appel l’a examinée, date à laquelle le respect des conditions de recevabilité doit être, selon lui, apprécié.

Cour d’appel. Pour déclarer la requête irrecevable, l’arrêt attaqué énonce, en substance, que le requérant était libre et résidait en France, sans être assigné à résidence, et que sa situation ne correspond donc à aucune des exceptions légales.

Rejet. En l’état de ces seules énonciations, pour la Cour de cassation, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article L. 541-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, les conditions de recevabilité de la demande en relèvement d’une interdiction du territoire énoncées par cet article doivent être remplies depuis le dépôt de la requête jusqu’au moment où celle-ci est examinée par la juridiction saisie. La Cour de cassation rejette, par conséquent, le pourvoi.

newsid:471992

Droit pénal des mineurs

[Jurisprudence] Détermination de la minorité : rappel bienvenu par la Cour de cassation des modalités de recours aux examens osseux et de la portée de leurs conclusions

Réf. : Cass. crim., 11 décembre 2019, n° 18-84.938, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1517Z8P)

Lecture: 11 min

N1835BYM

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par Catherine Marie, Professeur émérite de La Rochelle Université, Membre du CEJEP (EA 3170), Assesseur près du tribunal pour enfants de La Rochelle

Le 29 Janvier 2020


Mots-clés : minorité • mineurs non accompagnés • évaluation de l’âge • examens osseux

Résumé : la Cour de cassation censure la décision qui retient la majorité d’un jeune et rejette l’exception d’incompétence du tribunal correctionnel au profit du tribunal pour enfants sur le fondement des conclusions d’un examen radiologique osseux sans respecter les conditions ni appliquer les garanties prévues par les alinéas 2 et 3 de l’article 388 du Code civil (N° Lexbase : L0260K7R).

Contexte : sur les conditions de l'article 388 du Code civil, v. déjà : Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 18-19.442, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4074X8E) ; sur la portée des examens osseux, v. déjà : Cass. civ. 1, 22 mai 2019, n° 18-22.738, F-D (N° Lexbase : A6004ZCD)


 

Dans un contexte de volonté de contrôler les flux migratoires, de limiter le nombre de mineurs étrangers non accompagnés [1] pris en charge au titre de la protection sociale mais aussi de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, la question de la preuve de la minorité, abordée par l’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 décembre 2019, est éminemment sensible, complexe et actuelle.  Pour de nombreux jeunes étrangers, démunis, en déshérence et qui relèvent pour la Cour européenne des droits de l’Homme de la « catégorie des personnes les plus vulnérables de la société » [2], les conséquences de l’estimation de leur âge sont lourdes, que ce soit au regard du droit au séjour (CESEDA, art. L. 311-1 N° Lexbase : L2011LMG), de la protection de l’enfance (C. act. soc. fam., art. L. 112-3 N° Lexbase : L0222K7D et C. civ., art. 375 N° Lexbase : L0243K77) ou encore du système de responsabilité pénale spécifique aux mineurs (ord. 2 févr. 1945 N° Lexbase : L4662AGR).

S’agissant de l’estimation de l’âge des jeunes migrants, les autorités nationales se trouvent face à une tâche délicate lorsqu’elles doivent évaluer l’authenticité d’actes d’état civil, en raison des difficultés résultant parfois du dysfonctionnement des services de l’état civil de certains pays d’origine des migrants et des risques de fraude qui y sont associés. Venant compléter les entretiens psychosociaux et les investigations pluridisciplinaires, les examens radiologiques de maturité osseuse [3], diversement utilisés en Europe [4], pourtant objet de critiques récurrentes de nombreuses instances nationales et internationales [5] tant au regard de leur caractère humiliant, contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant que de leur manque de fiabilité dénoncée unanimement par les scientifiques [6], ont été légalisés et encadrés par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant (N° Lexbase : L0090K7H) (C. civ., art. 388, al. 2 et 3). Le législateur, à la recherche d’un équilibre entre la nécessité de pouvoir déterminer l’âge d’un individu et le respect de son intégrité, a subordonné le recours aux examens radiologiques osseux [7] à la réunion de plusieurs conditions, tout en limitant leur portée. De son côté, le Conseil constitutionnel a validé dans sa décision du 21 mars 2019 [8] les alinéas 2 et 3 de l’article 388 du Code civil en estimant que ces dispositions présentaient toutes les garanties nécessaires pour la préservation de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant [9]. Décevant nombre de défenseurs des droits des mineurs non accompagnés, il a ainsi validé le recours aux examens radiologiques osseux, tout en reconnaissant leur manque de fiabilité. Il a veillé cependant à préciser l’étendue des garanties légales entourant ces examens.

C’est dans ce contexte qu’a été rendu l’arrêt du 11 décembre 2019 important à plusieurs titres. D’une part, à la suite de la « légalisation » des tests osseux, peu nombreux sont encore les arrêts de la Cour de cassation rendus en matière pénale sur le sujet au sein d’un contentieux bien fourni mais qui concerne essentiellement le droit des étrangers ou encore celui de la protection sociale. D’autre part, à la suite de décisions rendues par la première chambre civile de la Cour de cassation [10] et en écho aux recommandations du Conseil constitutionnel auxquelles il donne plein effet [11] ; l’arrêt du 11 décembre 2019 rappelle le strict respect par les juges du fond des conditions et des garanties légales du recours à ces examens.

M. F. a été déféré devant le procureur de la République, incarcéré par le juge des libertés et de la détention et traduit devant le tribunal correctionnel selon la procédure de comparution immédiate. Il a soulevé l’incompétence de cette juridiction au profit de celle du tribunal pour enfants au motif de sa minorité. Cette exception d’incompétence a été rejetée par le tribunal correctionnel qui, en le reconnaissant majeur, l’a déclaré coupable et l’a condamné à un an d’emprisonnement. L’intéressé a interjeté appel en invoquant la production d’un acte de naissance ainsi qu’une ordonnance de placement rendue par le juge des enfants attestant tous les deux de sa minorité. La cour d’appel a également rejeté l’exception d’incompétence en affirmant que la détermination de l’âge osseux du prévenu était de 19 ans selon l’examen radiologique osseux réalisé, ce qu’elle n’était pas en mesure de combattre, et qu’il devait donc être jugé comme un majeur. M. F. a alors formé un pourvoi en cassation en reprochant à la cour d’appel d’avoir retenu sa majorité et donc rejeté l’exception d’incompétence sur le fondement d’un examen osseux dont il critique tant les conditions de mise en œuvre que la façon dont ses résultats ont pesé dans la décision. La Chambre criminelle accueille le pourvoi et prononce la cassation de l’arrêt de la cour d’appel au visa des articles 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC), 388 du Code civil et 1er l’ordonnance du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante. Reprenant la démarche déjà suivie dans plusieurs arrêts récents [12], la Chambre criminelle après avoir rappelé la règle de droit, telle que posée par l’article 388 du Code civil, a vérifié que les conditions posées par ce texte pour user des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge étaient bien remplies en l’espèce, ce qui ne s’est pas avéré être le cas. Le reproche fait à la cour d’appel est double : d’une part, elle n’a pas veillé au respect des conditions de recours aux tests osseux et d’autre part, elle a ignoré les garanties les encadrant.

Le caractère subsidiaire du recours à l’examen non rapporté. L’alinéa 2 de l’article 388 du Code civil affirme le caractère subsidiaire d’un examen osseux qui ne peut être ordonné que si la personne en cause n’a pas de documents d’identité valables et si l’âge qu’elle allègue n’est pas vraisemblable [13]. Il est donc nécessaire de recourir à un entretien et à une vérification des documents d’état civil étrangers, ces derniers bénéficiant selon l’article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) [14] d’une présomption simple d’authenticité, avant d’envisager un recours aux tests osseux en cas de doute persistant [15]. Un document d’identité que les juges du fond estiment valable suffit à prouver la minorité d’une personne étrangère [16]. Pour éventuellement renverser cette présomption, les juges doivent préciser la nature exacte des anomalies de l’acte d’état civil qui peuvent concerner les actes eux-mêmes [17] mais aussi des éléments extérieurs [18] et respecter le principe du contradictoire [19]. Ce n’est donc qu’une fois la présomption d’authenticité écartée et l’âge allégué jugé non vraisemblable que le juge peut avoir recours aux examens osseux, qui sont alors justifiés [20], la Cour de cassation reprochant même parfois aux juges de ne pas les avoir ordonnés [21]. En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir, pour retenir la majorité de l’intéressé, pris en considération un examen médical qui ne pouvait être pratiqué qu’en l’absence de documents valables, sans s’expliquer sur le moyen du demandeur qui soutenait avoir prouvé sa minorité par la production, devant le tribunal correctionnel, d’un document d’état-civil, traduit en français et par une décision du juge des enfants rendue dans une procédure d’assistance éducative ayant retenu sa minorité. Les juges devaient donc dans un premier temps faire expertiser le document d’identité produit afin de renverser éventuellement la présomption d’authenticité avant de recourir à un examen osseux.

Les garanties de forme du recours aux tests osseux non respectées. Une double autorisation est un préalable nécessaire à l’examen médical (C. civ., art. 388, al. 2). Il doit être autorisé par une autorité judiciaire, magistrat du siège ou du parquet [22], qui devra préalablement contrôler que les conditions de recours à l’examen médical sont réunies. En l’espèce, la Cour de cassation reproche à l’arrêt de ne pas avoir précisé quelle autorité judiciaire avait autorisé l’examen. Ensuite, le recours à ces examens exige le consentement de l’intéressé qui ne doit pas nécessairement prendre une forme écrite [23]. Son accord ou désaccord doit avoir été recueilli au préalable, dans une langue qu’il comprend et après avoir disposé des informations nécessaires à la compréhension de ce type d’examen et de ses conséquences [24]. Le Conseil constitutionnel a précisé de manière opportune, au regard de certaines pratiques, que le refus de se soumettre à un tel examen ne doit pas être interprété comme un aveu de majorité [25]. En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir retenu les résultats de l’examen osseux sans avoir constaté que l’intéressé, qui l’avait d’abord refusé, ait donné son accord à sa réalisation et de ne pas avoir répondu au moyen dans lequel il soutenait qu’il ne résultait pas de cet examen qu’il y ait consenti.

L’inapplication des garanties relatives à la portée des examens osseux. Face aux difficultés probatoires liées à la détermination de l’âge et afin de limiter le recours aux examens osseux peu fiables [26], le législateur a entouré la portée donnée à leurs résultats de plusieurs garanties (C. civ., art. 388, al. 3), garanties non respectées en l’espèce. D’abord, les juges n’ont pas indiqué la marge d’erreur dans les résultats de l’examen alors que cette mention est imposée par la loi et qu’elle constitue une précaution indispensable au regard de leur manque de fiabilité [27]. Ensuite, cet examen ne doit être qu’un indice parmi d’autres tels que l’évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l’enfance, ce qui entraîne la censure des arrêts qui se fondent uniquement sur les conclusions des tests osseux pour déterminer l’âge d’une personne [28]. Enfin, si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d’appréciation et que le doute persiste au vu de l’ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l’intéressé [29] mais uniquement dans le cas d’un examen ordonné sur le fondement de l’article 388 du Code civil [30]. En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir précisé les éléments qui justifiaient d’écarter le doute existant sur l’âge du demandeur. La corrélation faite par les juges entre le résultat de l’examen indiquant l’âge de 19 ans et les variations du prévenu sur les éléments de son identité au cours des procédures était donc insuffisante pour dissiper tout doute. Au contraire, plusieurs éléments plaidaient en faveur de sa minorité, notamment un acte de naissance ainsi qu’une procédure d’assistance éducative. En l’état d’un doute avéré, la qualité de mineur du jeune homme devait être retenue ce qui le rendait justiciable du tribunal pour enfants.

Cet arrêt montre que la protection due au mineur reste fragile en la matière. En se penchant sur les conditions concrètes d’application de l’article 388 du Code civil, la Cour de cassation vient opportunément attirer l’attention des juges du fond sur le risque d’arbitraire découlant d’une mise en œuvre défectueuse des conditions et garanties légales entourant le recours aux tests osseux. L’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours s’opposer à ce qu’un mineur soit indûment considéré comme un majeur.
 

[1] L’expression « mineurs non accompagnés » (MNA) désigne depuis 2016 les personnes étrangères âgées de moins de dix-huit ans privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille (nouvelle dénomination des mineurs isolés étrangers, conforme à la définition des organisations européennes et internationales). Selon le rapport annuel d’activité 2018 de la Mission mineurs non accompagnés (juin 2019), consultable [en ligne], 17 022 personnes ont été déclarées mineures non accompagnées entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018. Leur prise en charge constitue aujourd’hui un défi majeur pour les pouvoirs publics et notamment les départements.

[2] CEDH, 28 février 2019, Req. 19951/16, H. A. et autres c/ Grèce (N° Lexbase : A2087YZC). La CEDH aura bientôt à se prononcer sur la procédure qui encadre les tests osseux en Italie : Req. 57/97/17 Darboe et Camara c/Italie, introduite le 18 janvier 2017.

[3] Il existe deux types d’examens, souvent pratiqués cumulativement : la radiographie de la main et du poignet et celle de la clavicule. Des examens dentaires peuvent également être pratiqués.

[4] En Europe, en l'absence de toute directive européenne, quasiment tous les États européens ont recours aux tests osseux avec des modalités diverses. Cependant, ils sont interdits dans certains pays comme au Royaume-Uni ou encore en Espagne.

[5] Par ex. le Comité consultatif national d’éthique (CCNE, avis n° 88, 23 juin 2005) consultable [en ligne], la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH, avis du 26 juin 2014), consultable [en ligne], le Défenseur des droits (décision n° 2018-100 du 25 avril 2018), consultable [en ligne].

[6] La marge d’erreur serait d’environ 18 mois. Selon l’Académie de médecine, « les tests sont particulièrement imprécis entre 16 et 18 ans ».

[7] Ce sont les seuls autorisés. Les examens du développement pubertaire des caractères sexuels et secondaires sont désormais interdits (C. civ., art. 388, al. 3).

[8] Cons. const., décision n° 2018-768 QPC, du 21 mars 2019 (N° Lexbase : A3247XYW), D., 2019. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam., 2019. 222, obs. A. Bouix ; P. de Corson, Examens radiologiques osseux : quand le Conseil constitutionnel fait rimer absence de fiabilité avec conformité, Rev. DH, 21 juin 2019.

[9] Pour une réaffirmation de cette exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant à propos du fichier AEM, v. Cons. const., décision n° 2019-797 QPC, du 26 juillet 2019 (N° Lexbase : A7354ZKL), Dalloz Actualité, 30 juill. 2019, obs. J.-M. Pastor.

[10] Par ex., Cass. civ. 1, 21 novembre 2019, n° 19-17.726, F-P+B+I (N° Lexbase : A0239Z3A) et n° 19-15.890 (N° Lexbase : A0237Z38).

[11] Le Conseil constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises dans sa décision du 21 mars 2019 que les autorités administratives et judiciaires doivent non seulement respecter les garanties prévues par la loi mais aussi les faire respecter (§ 9, 11 et 12).

[12] Cass. civ. 1, 5 septembre 2018, n° 17-22.100, F-D (N° Lexbase : A7186X3K) ; Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 18-19.442, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4074X8E) ; V. Ph. Bonfils et A. Gouttenoire, Panorama droit des mineurs, D., 2019, p. 1732.

[13] Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019 (préc.) a rappelé solennellement le nécessaire respect de cette condition en ajoutant qu’ « il appartient à l’autorité judiciaire de s’assurer du caractère subsidiaire de cet examen » (§ 9).

[14] La présomption peut être renversée si la preuve est rapportée de l’irrégularité de l’acte, de sa falsification ou si les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

[15] On constate des pratiques hétérogènes tant en ce qui concerne l’analyse des documents d’état civil produits par les jeunes migrants qu’en ce qui concerne les procédures d’évaluation socio-éducatives (Défenseur des droits, déc. n° 2018-296, 3 décembre 2018, consultable [en ligne]).

[16] Cass. civ. 1, 21 novembre 2019, n° 19-17.726, préc.

[17] Par ex. une contradiction entre eux (Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 18-19.442, AJ fam., 2018. 676, obs. L. Gebler), une falsification (Cass. civ. 1, 7 mars 2019, n° 18-23.376, F-D N° Lexbase : A0228Y3T), ou encore des irrégularités de forme au regard de la loi étrangère (Cass. civ. 1, 14 juin 2019, n° 18-24.747, F-D N° Lexbase : A5736ZE8).

[18] Contradiction entre le contenu de l’acte et les déclarations du mineur (Cass. civ. 1, 17 octobre 2018, n° 18-19.427, F-D N° Lexbase : A0019YH8), élément extérieur (Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 18-19.442, préc).

[19] Cass. civ. 1, 14 février 2019, n° 19-10.336, F-D (N° Lexbase : A3309YXT) ; Cass. civ. 1, 15 mai 2019, n° 18-17.719, F-D (N° Lexbase : A8566ZBU), Dr. fam., 2019, comm. 153, H. Fulchiron.

[20] Cass. civ. 1, 21 novembre 2019, n° 19-15.890, préc. Cass. crim., 27 juin 2018, n° 18-80.019, F-D (N° Lexbase : A5526XU9).

[21] Cass. crim. 27 juin 2018, n° 18-80.019, préc.

[22] Pour la Cour de cassation, le procureur de la République est une autorité judiciaire compétente pour ordonner les examens radiologiques osseux : Cass. civ. 1, 21 novembre 2019, n° 19-15.890, préc.

[23] Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 18-19.442, précité, Dr. fam. 2018, comm. 288, I. Maria.

[24] Précision apportée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019 (§ 10). C’est une même exigence de consentement éclairé qui a conduit à la censure de l’audition libre des mineurs (Cons. const., décision n° 2018-762 QPC, du 8 février 2019 N° Lexbase : A6193YWB) ; J.-B. Perrier, Audition «libre» des mineurs et rappel des principes constitutionnels, Lexbase Pénal, mars 2019 (N° Lexbase : N7970BXH).

[25] Cette formulation a été reprise postérieurement par le Conseil constitutionnel à propos de la validation du fichier biométrique des MNA : Cons. const., décision n° 2019-797 QPC, du 26 juillet 2019, préc, Dalloz Actualité, 30 juillet 2019, obs. J.-M. Pastor.

[26] D’autres moyens sont offerts aujourd’hui au juge pour prouver que la personne sans papier d’identité ou qui produit des documents douteux n’est pas mineure : consultation des fichiers nationaux (FAEB et Visabio) et fichier AEM (assistance à l’évaluation de la minorité), CESEDA, art. L. 611-6-1 (N° Lexbase : L1806LPL). 

[27] La marge d’erreur peut être de deux ou trois ans et les tests sont particulièrement imprécis entre 16 et 18 ans, selon l’Académie de médecine.

[28] Cass. civ. 1, 22 mai 2019, n° 18-22.738, F-D (N° Lexbase : A6004ZCD) ; Cass. civ. 1, 20 septembre 2019, n° 19-15.262, F-D (N° Lexbase : A3125ZPG).

[29] En ce sens, v., CA Lyon, 27 octobre 2016, n° 15/00503 (N° Lexbase : A87293AK).

[30] Cass. civ. 1, 20 mars 2019, n° 18-16.261, F-D (N° Lexbase : A8855Y4Q) : doute et minorité confortée par la carte d’identité scolaire.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Le rejet d’une créance irrégulièrement déclarée entraîne son extinction, laquelle peut être opposée par la caution : la Cour de cassation persiste et signe !

Réf. : Cass. com., 22 janvier 2020, n° 18-19.526, FS-P+B (N° Lexbase : A60003C9)

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N2016BYC

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Membre du CERDP (EA 1201), Avocate au barreau de Nice

Le 29 Janvier 2020

La Chambre commerciale de la Cour de cassation persiste et signe ! Faisant fi des critiques de la doctrine, par arrêt du 22 janvier 2020, elle confirme sa jurisprudence en jugeant que «la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est une décision de rejet de la créance, qui entraîne, par voie de conséquence, son extinction».

Les Hauts magistrats jugent également que, même si la décision de condamnation de la caution à exécuter son engagement est passée en force de chose jugée, la caution peut opposer l’extinction de la créance garantie pour une cause postérieure à la décision qui la condamne.

La première de ces positions, qui assimile le rejet d’une déclaration de créance irrégulière et le rejet de la créance elle-même est critiquable (I). En revanche, la seconde, permettant à la caution, pourtant condamnée par décision définitive, de se prévaloir de l’extinction de la créance pour une cause postérieure à cette décision, doit être saluée (II).

I - La critiquable assimilation entre le rejet d'une déclaration de créance irrégulière et le rejet de la créance

Reprenant une solution unanimement critiquée en doctrine [1], la Chambre commerciale considère à nouveau qu’une décision retenant qu’une créance a été irrégulièrement déclarée est une décision de rejet qui entraîne son extinction.

La solution, même si elle n’est que la reprise de celle précédemment adoptée par la Chambre commerciale [2], n’en demeure pas moins surprenante tant les critiques portées à l’encontre de cette prise de position jurisprudentielle avaient été virulentes [3].

Rappelons en effet que la doctrine avait très vivement critiqué la position de la Chambre commerciale et exhorté celle-ci à opérer une distinction entre l'inopposabilité de la créance non déclarée régulièrement et l'extinction de la créance rejetée pour motif de fond.

Or, pour la Cour de cassation, il existe une équivalence entre la décision du juge qui retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et une décision de rejet de la créance pour motif de fond : toutes deux constituent une décision de rejet de la créance, laquelle doit conduire à l’extinction de la créance. Pour les Hauts magistrats, la solution est justifiée par la rédaction de l’article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9) qui ne fait pas de distinction entre les différents motifs de rejet d'une créance déclarée.

Cependant, la doctrine [4], évoquant «un faux pas de la Cour de cassation» [5], avait objecté que l'irrégularité de la déclaration de créance n'était pas un motif de rejet mais seulement un motif d’irrecevabilité de la déclaration de créance assimilée en jurisprudence à une demande en justice.

Seule la discussion sur le fond de la créance déclarée doit conduire au rejet de la créance et à l'extinction de la créance rejetée. En revanche, dès lors que la question concerne la forme de la déclaration de créance, le caractère irrégulier de la déclaration ne devrait conduire qu’à l’irrecevabilité de la déclaration de créance. La demande, alors irrecevable, ne doit pas être examinée au fond.

L’irrecevabilité de la déclaration de créance irrégulièrement déclarée doit logiquement avoir les mêmes conséquences que l’absence pure et simple de déclaration de créance. Ainsi, l’irrégularité formelle de la déclaration de créance doit-elle conduire, comme l’absence de déclaration de créance, à une inopposabilité de la créance et non à son extinction.

La Cour de cassation juge, au contraire, que la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est une décision de rejet de la créance, qui entraîne, par voie de conséquence, son extinction.

Comme l’ont relevé des auteurs [6], l’application des règles de procédure civile, auxquelles le Code de commerce ne déroge nullement, doivent conduire à une toute autre solution.

En présence d’une déclaration de créance irrégulière, le juge-commissaire se trouve confronté à une fin de non-recevoir, laquelle, selon l’article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47), «tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée». Le juge-commissaire doit donc juger la déclaration de créance irrecevable et ne pas se prononcer sur le fond.

Cette irrecevabilité doit conduire à l’inopposabilité de la créance comme si la déclaration n’avait pas eu lieu, et non au rejet de la créance elle-même, conduisant à son extinction, et ne pouvant intervenir qu’après un examen au fond de la créance. Ainsi, l’arrêt du 22 janvier reflète-t-il une confusion entre la forme et le fond. Cette confusion est regrettable car ses conséquences sont des plus délétères.

Tout d’abord, il apparait avec évidence que la solution conduit à traiter mieux le créancier qui n’a pas déclaré sa créance que le créancier qui a déclaré sa créance de façon irrégulière (par exemple, pour défaut de pouvoir ou pour non-respect de la procédure de déclaration en deux temps imposée en matière de déclaration de créances sociales et fiscales -cf. C. com., art. L. 622-24, al. 4-). Le premier conservera son droit de créance, lequel ne sera qu’inopposable à la procédure collective. Le second sera frappé par une extinction de sa créance.

La distorsion de traitement est patente pour le créancier lorsque celui-ci est titulaire d’un cautionnement.

La créance non déclarée est inopposable à la procédure collective et, si un plan est adopté, au débiteur, pendant l’exécution du plan et après complète exécution du plan. En revanche, cette créance demeure opposable aux garants (à l’exception du garant personne physique si le plan est un plan de sauvegarde car l’article L. 622-26, alinéa 2 (N° Lexbase : L8103IZ7), précise que la créance non déclarée est inopposable au garant personne physique pendant la seule exécution du plan de sauvegarde). Aussi, le créancier qui n’a pas déclaré sa créance peut-il systématiquement poursuivre la caution personne morale ainsi que, dès lors que le débiteur ne fait pas l’objet d’un plan de sauvegarde, la caution personne physique. Ces dernières pourront cependant lui opposer l’exception de non-subrogation posée à l’article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP) si l’absence de déclaration de créance les prive, par subrogation, de répartitions ou de dividendes dans le cadre de la procédure.

Si, cette fois, le créancier a déclaré sa créance mais de façon irrégulière, la solution de la Cour de cassation conduit à le sanctionner par une extinction de sa créance et donc par l’impossibilité de poursuivre la caution -qu’elle soit personne morale ou personne physique- qui pourra, en application de l’article 2313 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN), se prévaloir de cette extinction dès lors que cette exception est considérée comme inhérente à la dette. Pourtant, la Cour de cassation, statuant à propos de l’inopposabilité de la créance non déclarée avait considéré qu’il ne s’agissait pas là d’une exception inhérente à la dette [7].

Cette jurisprudence de la Cour de cassation doit conduire le créancier qui n’a rien à espérer dans le cadre de la procédure collective, à bien se garder de déclarer sa créance au passif afin de ne pas risquer une extinction pour cause de déclaration irrégulière…

A assimilation abusive, conséquence absurde !

Gageons que la cour d’appel de renvoi fasse de la résistance et considère que la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée est une décision d’irrecevabilité de la déclaration de créance qui conduit à l’inopposabilité de la créance.

II - L’opposabilité par la caution de l’extinction de la créance

En l’espèce, une caution avait été condamnée par arrêt du 9 avril 2013 à payer le créancier. Postérieurement à cette condamnation, une décision rendue le 27 juin 2013 avait déclaré irrecevable la déclaration de créance. Par arrêt du 15 mai 2018, la cour d’appel de Lyon [8] a ordonné l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision à laquelle faisait partie la caution en retenant que «l’irrecevabilité de la déclaration de créance, qui n’entraîne plus l’extinction de la créance, laisse subsister l’obligation de la caution, de sorte que l’arrêt de condamnation, qui était devenu irrévocable, ne pouvait plus être remis en cause».

Par l’arrêt du 22 janvier 2020, la Chambre commerciale a cassé l’arrêt d’appel et, de façon éminemment critiquable (v. supra), a considéré que la décision par laquelle le juge retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise est une décision de rejet de la créance qui entraîne par voie de conséquence son extinction. Il restait à déterminer l’impact, pour la caution, de cette extinction.

Au visa de l’article 2313 du Code civil, la Chambre commerciale juge que «la décision de condamnation de la caution à exécuter son engagement, serait-elle passée en force de chose jugée, ne fait pas obstacle à ce que la caution puisse opposer l’extinction de la créance garantie pour une cause postérieure à cette décision».

Cette solution se situe dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation [9].

Elle est justifiée, d’une part, parce que l’extinction de la créance est une exception inhérente à la dette, dont peut se prévaloir la caution, en application de l’article 2313 du Code civil au visa duquel est rendu l’arrêt du 22 janvier 2020.

D’autre part, l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de condamnation de la caution ne fait pas obstacle à la possibilité pour la caution de se prévaloir de cette extinction dès lors que l’extinction intervient pour une cause postérieure à la décision de condamnation [10], en l’espèce, la survenance de l’arrêt du 27 juin 2013 ayant déclaré irrecevable la déclaration de créance (et entraînant, selon la Cour de cassation, extinction de la créance).

En revanche, si la condamnation de la caution était intervenue postérieurement à la cause de l’extinction de la créance (extinction résultant, au regard de la position critiquable de la Cour de cassation, de la décision ayant déclaré irrecevable la déclaration de créance), la caution n’aurait pas pu s’en prévaloir. En effet, l’autorité de chose jugée n’existe que par rapport à ce qui a été précisément jugé, de sorte que des causes postérieures à la décision rendue à l’encontre de la caution permettraient d’obtenir une décision différente de celle primitivement rendue [11].

 

[1] Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-24.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5282WBA) ; D., 2017, pan. 1941, note P.-M. Le Corre ; D., 2017, 2001, note P. Crocq ; Gaz. Pal., 27 juin 2017, n° 24, p. 60, note P.-M. Le Corre ; BJE, 2017, 268, crit. J.-E. Degenhardt ; Act. proc. coll., 2017/11, comm. 167, note Ph. Le Bars ; JCP éd. E, 2017, chron. 1460, n° 13, note crit. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2017, 1434, note approb. T. Stéfania ; RTDCom., 2017, 687, n° 2, note A. Martin-Serf et 704, n° 13, note crit. J.-L. Vallens ; JCP éd. E, 2017, chron. 1667, n° 21, note Ph. Delebecque ; Lexbase, éd. Affaires, 2017, n° 510, note P.-M. Le Corre (N° Lexbase : N8225BWK).

[2] Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-24.854, préc..

[3] V. not. P.-M. Le Corre, Lexbase, éd. Affaires, préc. et D., 2017, préc. ; P. Crocq, D., 2017, préc. ; J.-E. Degenhardt, BJE, 2017, préc. ; Ph. Pétel, JCP éd. E 2017, préc. ; J.-L. Vallens, RTDCom., 2017, préc. ; Ph. Delebecque, JCP éd. E, 2017, préc..

[4] V. la doctrine précitée.

[5] C. Saint-Alary-Houin, F. Macorig-Venier et J. Théron, Irrégularité de la déclaration et extinction de la créance : un faux pas de la Cour de cassation !, Act. proc. coll., n° 10, mai 2018, alerte 140.

[6] V. not. P.-M. Le Corre, Lexbase, éd. Affaires, préc. et D., 2017, préc. ; J.-L. Vallens, RTDCom., 2017, préc. ; Ph. Delebecque, JCP éd E, 2017, préc. ; P. Cagnoli, La portée des décisions en matière d'admission au passif dans la procédure collective et au-delà, Rev. proc. coll., 2019/6, dossier 45.

[7] Cass. com., 12 juillet 2011, n° 09-71.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0184HWQ) ; D., 2011, Actu. 1894, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 15, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2011/14, comm. 219, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2011, 1628, note N. Disseaux ; RTD civ., 2011, 782, n° 1, obs. P. Crocq ; RDBF, septembre/octobre 2011, 37, obs. A. Cerles ; RLDC, octobre 2011, 32, obs. J.-J. Ansault ; Banque et droit, septembre/octobre 2011, n° 139, 42, obs. F. Jacob ; RDBF, septembre/octobre 2011, comm. 162, note A. Cerles ; Gaz. Pal., 26 octobre 2011, jur. 8, note Juillet ; Gaz. Pal., 28 octobre 2011, jur. 38, note S. Reifegerste ; JCP éd. E, 2011, Chron. 1000, n° 7, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2011, 625, n° 13, obs. D. Legeais ; JCP éd. E, 2012, Chron. 1052, n° 7, obs. Ph. Simler ; RTDCom., 2012, 407, n° 6, obs. A. Martin-Serf ; LPA, 27 janvier 2012, n° 20, p. 7, note L. Bernheim-Van de Casteele ; Lexbase, éd. Affaires, 2011, n° 264, note P.-M. Le Corre (N° Lexbase : N7636BSM). V. également, Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-19.040, F-D (N° Lexbase : A8398MWX). Adde, Y. Picod, Le sort de la caution en cas de défaut de déclaration de la créance au passif de l’entreprise en difficulté : retour sur l’avènement d’une jurisprudence annoncée, RLDA, janvier 2012, n° 67, p. 71 ; B. Brignon, Sort des créances non déclarées et cautionnement solidaire, Rev. proc. coll., 2011, ét. 25. Adde, CA Toulouse, 6 mars 2012, n° 10/00724, Gaz. Pal., 27 avril 2012, n° 118, p. 10, nos obs..

[8]  CA Lyon, 15 mai 2018, n° 17/02038 (N° Lexbase : A8467XMK).

[9] Cass. com., 5 décembre 1995, n° 94-14.793, publié (N° Lexbase : A1419AB8) ; Quot. Jur., 1er février 1996, p. 6, note P.-M. Le Corre ; Rev. proc. coll., 1996, 226, n° 2, obs. E. Kerckhove ; JCP éd. E, 1996, I, 554, n° 18, obs. M. Cabrillac ; RD banc. et bourse, 1996, 210, obs. M. Contamine-Raynaud ; D., 1996, Somm. 268, obs. L. Aynès ; Cass. com., 25 février 1997, n° 95-14.914, inédit (N° Lexbase : A9679CZI), RD banc. et bourse, 1997. 126, n° 2, obs. M.-J. Campana et J.-M. Calendini ; Cass. com., 6 juin 2000, n° 97-14.672, inédit (N° Lexbase : A2280AZH), Act. proc. coll., 2000, n° 181 ; RD banc. fin., 2000, n° 201, obs. F.-X. Lucas ; Cass. com., 10 décembre 2002, n° 97-16.055, FS-D (N° Lexbase : A4432A4W), Act. proc. coll., 2002, n° 45 ; Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-17.708, F-D (N° Lexbase : A0859C9P), RD banc. fin., 2004, n° 30, obs. F.-X. Lucas ; Cass. com., 15 juin 2011, n° 10-17.209, F-D (N° Lexbase : A7386HTQ), BJE, 2011, 316, note P. Nabet.

[10] V. not. sur la question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 10ème éd., Dalloz action 2019/2020, n° 723.161.

[11] J.-Cl. proc., R. Perrot et N. Fricero, fasc. 554, [Autorité de la chose jugée - Autorité de la chose jugée au civil sur le civil], n° 152 et s..

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Procédure administrative

[Le point sur...] Rétrospective du contentieux administratif de l’année 2019

Lecture: 28 min

N2014BYA

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

Le 02 Mars 2020

Contentieux administratif - référé-liberté - décret «JADE» - expression des courants de pensée et d’opinion - procès équitable - recours de plein contentieux et écouter le podcast sur Lexradio

Au programme de cette rétrospective 2019 en contentieux administratif, les différentes évolutions et différents changements survenus à proprement parler dans la procédure administrative. Seront mentionnées aussi, dans une même logique, les décisions les plus significatives prises par le Conseil d’Etat tout au long de l’année. En 2019, comme peut le noter le Professeur Olivier Le Bot, «l'heure n'est plus à la fermeture du prétoire et à la multiplication des chausse-trapes contentieuses» [1] mais au «retour à un plus grand libéralisme de la procédure administrative contentieuse» [2]. On peut citer, en particulier, la régularisation en cours d'instance, la production de pièces-jointes par Télérecours, la généralisation de la pleine juridiction dans les contentieux sociaux, l’élargissement du contrôle normal en excès de pouvoir, l’inapplication de la jurisprudence «Czabaj» aux recours en responsabilité, la sanction des usages abusifs du mécanisme de désistement d'office pour perte d'intérêt supposé de la requête.

D’autres éléments ou affaires touchant le contentieux administratif ont marqué les esprits comme l’épilogue contrasté de l’affaire «Vincent Lambert» après une application très critiquée de l’hypothèse de la voie de fait par la Cour d’appel de Paris. On peut citer aussi la prise de position assez critiquée du Conseil d’Etat dans une décision qui a fait beaucoup parler concernant l’affaire du rapatriement des femmes et enfants dans les camps en Syrie et la persistance du refus de contrôler les actes de gouvernement ou ceux considérés comme tel.

Dans le même sens, et de façon plus justifiée, le Conseil d’Etat s’est aussi prononcé sur le refus de France Télévisions de convier, à un débat public télévisé sur les européennes certains candidats à l’élection (Benoît Hamon, François Asselineau et Florian Philippot) en rappelant qu’il n’y avait pas d’atteinte grave et manifeste au principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion. Enfin, le Conseil d’Etat a également fait acte, en toute fin d’année, d’une évolution attendue et assez inévitable en reconnaissant désormais le principe de la responsabilité de l’Etat du fait des lois inconstitutionnelles.

Pour finir, il faudra aborder les perspectives nouvelles susceptibles de survenir en contentieux administratif en ce début d’année 2020, perspectives qui ont déjà été sous-jacentes en 2019 et qui devraient déboucher sur de nouveaux types de contentieux en 2020, contentieux dont les réponses sont très attendues et qui pourraient encore donner une nouvelle dimension à l’office du juge administratif. Je pense, par exemple, aux recours contentieux climatiques engagés en 2019 et dont la réponse devrait arriver courant 2020.

1 - La premièère innovation majeure de l’année 2019 est la généralisation, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, de la rédaction en style direct des décisions contentieuses. L’objectif est d'enrichir la motivation et d’améliorer la lecture des décisions, de les rendre mieux compréhensibles à un public plus large, sans rien sacrifier de leur qualité. C’est la disparition notamment du marqueur rédactionnel «considérant que», remplacé par la formule «considérant ce qui suit», placée au début de la décision. Parmi les autres changements de vocabulaire, on peut citer la préférence à l’expression «agir en justice» plutôt qu’«ester en justice», on remplace «interjeter appel» par «faire appel». Les paragraphes ne doivent plus excéder une demi-page et une phrase ne doit pas, en principe, excéder quelques lignes. Il faut éviter les anglicismes et privilégier, aux termes étrangers ou latins (comme l’infra ou l’ultra petita), des équivalents dans la langue française tout en évitant les citations trop longues.

2 - Interviennent ensuite trois décisions significatives prises le même jour par le Conseil d’Etat (CE, 1er février 2019, n° 427390 N° Lexbase : A6462YUU, n° 427386 N° Lexbase : A6461YUT, n° 427418 N° Lexbase : A6463YUW) dans le cadre du référé liberté où le juge des référés du Conseil d’Etat refuse d’interdire le recours par les forces de l’ordre, lors de manifestations, des lanceurs de balle de défense (LBD). Leur utilisation était, pourtant, très controversée et pouvait être susceptible de provoquer des blessures graves. L’usage du LBD ne peut être regardé, en l’état, comme de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Dans le cadre de la procédure administrative, il faut évoquer l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat apporte des précisions pratiques concernant l'envoi des pièces jointes par Télérecours (CE, 6 février 2019, n° 415582 N° Lexbase : A6204YWP). Dans une décision précédente (CE, 5 octobre 2018, n° 418233 N° Lexbase : A5187YET), le Conseil d’Etat avait rappelé l'obligation, pour le requérant, de dresser un inventaire ou une liste des pièces jointes et de choisir entre le fichier unique ou le fichier par pièces. Le Conseil ajoute, dans la décision du 6 février, la possibilité de regrouper dans un seul fichier et un numéro unique des pièces nombreuses et homogènes telles que les factures sans les répertorier forcément. Dans une décision du 14 juin 2019, le Conseil d’Etat est venu préciser le mode d'emploi de cette technique (CE, 14 juin 2019, n° 420861 N° Lexbase : A6066ZEE) en fournissant un critère d'identification de la «série homogène» (elle s'apprécie «eu égard à l'objet du litige»), en donnant un exemple de cette série homogène (comme les «documents visant à établir la résidence en France d'un étranger au cours d'une année donnée») et en précisant les modalités de production des pièces en clarifiant la formule employée dans la décision du 6 février.

Une décision concernant le pouvoir offert au juge d'exiger des parties la production d'un mémoire récapitulatif à peine, depuis le décret «JADE» (décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, portant modification du Code de justice administrative (partie réglementaire) N° Lexbase : L9758LAN), de désistement d'office (CJA, art. R. 611-8-1 N° Lexbase : L2814LPW). Pour le juge, la production de ce mémoire récapitulatif peut être exigée postérieurement à la clôture de l'instruction (CE, 8 février 2019, n° 418599 N° Lexbase : A6225YWH). Le 13 février, des recours, présentés notamment par le Syndicat de la juridiction administrative et le Conseil national des barreaux, à l’encontre du décret «JADE» sont rejetés, sans surprise, par le Conseil d’Etat (CE, 13 février 2019, n° 406606 N° Lexbase : A9100YWX). Les règles prises pour adapter l’office du juge administratif à l’accroissement continu du contentieux sont justifiées par l’objectif de respect du délai raisonnable de jugement et ne portent pas atteinte au droit au recours et aux droits de la défense. Toujours à propos du décret «JADE» et même si la décision a été prise au mois de mars, on peut encore citer, dans le même ordre d’idée la décision de la section du contentieux du 27 mars 2019 qui contredit l’interprétation couramment admise des dispositions de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2809LPQ) (issues du décret «JADE») et admet la régularisation d’une requête indemnitaire par une demande adressée à l’administration après l’introduction de l’instance (CE, Sect., avis, 27 mars 2019, n° 426472 N° Lexbase : A1661Y7N) . On peut parler de retour de la liaison du contentieux en cours d’instance. Les obligations que ce texte impose en matière de liaison du contentieux en matière indemnitaire sont moins drastiques que ne le pensaient les commentateurs. C’est en tout cas ce que décide la section du contentieux.

3 - Au mois de mars, c’est le législateur qui intervient, ensuite, à travers la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (loi n° 2019-222 N° Lexbase : L6740LPC, JO, 24 mars 2019, texte n° 2) en modifiant à la marge et quelque peu certaines dispositions relatives à la justice administrative. Les mesures proposées par ce texte visent d’abord à permettre au juge administratif d’alléger la charge croissante du contentieux auquel il doit faire face. Ainsi, l'expérimentation prolongée de la médiation préalable obligatoire dans certains litiges de la fonction publique et divers litiges sociaux, l’élargissement de la possibilité de recours aux magistrats honoraires, le recrutement de juristes assistants pour aider dans les contentieux de masse. On acte la possibilité désormais de statuer en formation collégiale dans les contentieux économiques souvent complexes pour le juge des référés précontractuel et contractuel et l’extension du caractère suspensif du recours dirigé contre une ordonnance d’une pièce couverte par le secret des affaires quelle que soit le type du litige. Il est enfin aussi possible désormais pour le juge de prononcer des injonctions d’office sans avoir forcément été saisi de conclusions en ce sens. Concernant spécifiquement la question des référés et l’impartialité des juges, le Conseil d’Etat a mis en avant le fait qu’un juge ayant rejeté une requête de référé-liberté peut statuer comme juge du référé-suspension dans la même affaire (CE, 13 mars 2019, n° 420514 N° Lexbase : A6916Y3K). Il applique en cela la décision «Commune de Rogerville» (CE, Sect., avis, 12 mai 2004, n° 265184 N° Lexbase : A2214DCY, Rec. CE, p. 223) en l’étendant au référé liberté. Celle-ci avait établi, concernant un magistrat ayant statué comme juge du référé-suspension puis comme juge du fond, que les interventions successives d'un magistrat administratif sur une même affaire ne sont exclues qu'à la double condition de porter sur le même acte et d'avoir donné lieu, lors de sa première décision, à un préjugement de celui-ci.

4 - Au mois d’avril, le Conseil d’Etat rappelle que le principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT). L’affaire concernait le refus de France Télévisions de convier à un débat public télévisé sur les européennes certains candidats et têtes de liste à l’élection (en l’occurrence Benoît Hamon, François Asselineau et Florian Philippot) parce que pas assez représentatif. En revanche, le juge du Palais-Royal se sépare des juges du fond sur l’existence d’une atteinte grave et manifeste à cette liberté. Il rappelle que ne s’appliquent pas, à la date du débat en cause, les règles qui régissent la communication audiovisuelle en période électorale (CE, ord., 4 avril 2019, n° 429370 N° Lexbase : A0084Y8M). Le Conseil d’Etat a pu se prononcer sur un thème toujours aussi récurent et toujours soumis à débat, celui des «actes de Gouvernement» toujours insusceptibles de recours en contentieux administratif. La pression se fait de plus en plus forte quant à la mise en place d’un contentieux subjectif et une approche différente du juge en la matière, plus respectueuse des droits de l’homme et traitant les problèmes au cas par cas. En témoigne les commentaires sur une décision qui a fait beaucoup parler concernant l’affaire du rapatriement des femmes et enfants dans les camps en Syrie (CE, 23 avril 2019, n° 429668 N° Lexbase : A6824Y9M).

Autre matière toujours en perpétuelle discussion, celle de la soumission du juge administratif aux règles du procès équitable et plus particulièrement au principe d’impartialité. Deux affaires au mois d’avril sont intéressantes à relever et on peut en rajouter une au mois de juin prise dans le même ordre d’idée. La première affaire concerne une décision rendue le 8 avril 2019 par laquelle le Conseil d’Etat juge que le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce qu’un magistrat qui a rejeté une demande d’annulation se prononce à nouveau, après cassation, sur un référé visant à suspendre la même décision (CE, 8 avril 2019, n° 426820 N° Lexbase : A8882Y8H). Plus précisément, la circonstance que le magistrat d’un tribunal administratif, qui a statué en qualité de juge des référés sur la demande de l'association tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté municipal a, auparavant, siégé dans la formation de jugement ayant rejeté la requête de cette association tendant à l'annulation de cette décision, jugement qui a entretemps été annulé par le Conseil d'Etat, n'est pas de nature à entacher cette ordonnance d'irrégularité. La décision a été prise dans la droite ligne de la décision «Commune de Meudon» (CE, Sect., 11 février 2005, n° 258102 N° Lexbase : A6735DGK). En l’absence de dispositions législatives et réglementaires, un juge de première instance peut être amené à procéder à un second examen en tant que juge des référés tant qu’il n’a pas pris parti lors du premier recours. La seconde affaire concerne une décision rendue par le juge européen qui légitime le Conseil d’Etat dans le traitement de l’affaire «Bonnemaison», du nom de cet urgentiste bayonnais qui avait été radié de l’ordre des médecins pour actes d’euthanasie. Aucun manquement au procès équitable ni aucun défaut d’impartialité n’a été relevé par le juge européen (CEDH, 19 mars 2019, Req. 32216/15 N° Lexbase : A0799ZNW). La troisième affaire concerne le cas particulier d’un président de formation de jugement dont les propos racistes, tenus publiquement, en matière de droit des réfugiés, ont fait naitre un doute légitime sur l’impartialité de la juridiction (CE, 14 juin 2019, n° 427510 N° Lexbase : A2667ZIM). De façon assez rare, c’est «l’impartialité subjective» qui est mise cause ici par le Conseil d’Etat. Les juges traitent le plus souvent de la question de «l’impartialité objective», celle qui vise à contrôler l'organisation même de l'institution judiciaire qui doit inspirer confiance au justiciable. Dans l'arrêt d’espèce, c’est l’autre type d’impartialité qui est invoquée, celle qui oblige le juge à pénétrer dans la psychologie de la personne mise en cause et à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est toujours présumée, jusqu'à preuve du contraire et la preuve apportée doit être flagrante. C’est le cas en l’espèce, comme a pu le relever la presse généraliste, il s’agissait de «tweets ouvertement racistes» témoignant d'une xénophobie décomplexée.

5 - Le 20 mai 2019, contre toute attente, la cour d’appel de Paris s’est déclarée compétente dans l’interminable affaire «Vincent Lambert» (CA Paris, pôle 1, ch. 3, 20 mai 2019, n° 19/08858 N° Lexbase : A9710ZBA), tétraplégique en état végétatif depuis plus de dix ans et symbole du débat sur la fin de vie en France. Par une interprétation extensive des critères de la voie de fait, elle a ordonné à l’Etat français de suspendre l’arrêt de ses soins. Elle considère, pour justifier sa compétence, que l’Etat français a commis une voie de fait en refusant d’accéder à la demande du Comité international des personnes handicapées (CIDPH) de surseoir à l’arrêt des soins prodigués à Vincent Lambert depuis dix ans. Appelé à se prononcer pour la seconde fois sur le cas de Vincent Lambert, le Conseil d’Etat avait pourtant jugé, le 24 avril 2019, que la décision d’arrêt des traitements prise le 9 avril 2018 à l’issue d’une procédure collégiale portée par le docteur Vincent Sanchez du CHU de Reims était conforme à la loi (CE, 24 avril 2019, n° 428117 N° Lexbase : A7429Y9Z) validant pour une seconde fois les procédures mises en place. Le 30 avril, la CEDH avait aussi refusé de suspendre l’exécution de l’arrêt du Conseil d’État du 24 avril 2019 aux motifs que cette demande était en substance destinée à s’opposer une nouvelle fois à l’arrêt des traitements qui maintenaient le patient en vie. Le 30 mai, la CEDH a refusé à la famille de Vincent Lambert l’application immédiate des mesures provisoires réclamées par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU en l’absence d’élément nouveau (CEDH, 30 avril 2019, Req. 21675/19). La Cour de cassation a cassé, en assemblée plénière, l’arrêt du 28 juin tout en rappelant à l’ordre les juges de la Cour d’appel de Paris (Ass. plén., 28 juin 2019, P-B+R+I, n° 19-17.330 et n° 19-17.342 N° Lexbase : A2188ZHI).

A noter aussi à la fin de mois la précision apportée, dans un avis rendu le 29 mai, selon laquelle les recours relatifs à une subvention relèvent du contentieux de l'excès de pouvoir.  Le législateur prévoit, en effet, que l'autorité administrative qui attribue une subvention doit, lorsque celle-ci dépasse un seuil défini par décret (23 000 euros) conclure une convention avec l'organisme de droit privé qui en bénéficie (Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, art. 9-1 N° Lexbase : L0420AIE). L'existence de cette convention ne fait pas basculer les litiges relatifs à une subvention dans le champ du plein contentieux.

6 - Par quatre décisions du 3 juin 2019 (CE, Sect., 3 juin 2019, n° 423001 N° Lexbase : A1483ZDB, n° 415040 N° Lexbase : A1474ZDX, n° 419903 N° Lexbase : A1480ZD8 et n° 422873 N° Lexbase : A1482ZDA), le Conseil d’Etat harmonise l’office du juge administratif dans les contentieux sociaux en généralisant le recours de plein contentieux à l’égard des requêtes relevant de l’article R. 772-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0819IYY), ç’est-à-dire celles relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi. Ces contentieux représentent en volume près de 10 % du contentieux administratif. A noter aussi une décision du Conseil d’Etat par laquelle il met fin aux abus du désistement d'office pour perte d'intérêt supposé de la requête issu du décret «JADE» du 2 novembre 2016 (CJA, art. R. 612-5-1 N° Lexbase : L2820LP7) (CE, 17 juin 2019, n° 419770 N° Lexbase : A6646ZEU). Ce mécanisme a largement été utilisé depuis son instauration. Le Conseil d’Etat a posé la règle selon laquelle le juge d'appel ou de cassation contrôle le respect de la procédure mais n'exerce aucun contrôle sur le bien-fondé ou la pertinence de sa mise en œuvre (CE, 19 mars 2018, n° 410389 N° Lexbase : A2857XHB). Cette solution est abandonnée dans l’arrêt du 17 juin 2019 qui revient sur la formule antérieure en admettant la possibilité de censurer les abus dans l'utilisation de ce mécanisme. Enfin, il faut évoquer, au titre, toujours, du développement des pouvoirs des juges et notamment du développement du contrôle normal, une décision du 14 juin 2019 (CE, 14 juin 2019, n° 424326 N° Lexbase : A6068ZEH) où le juge choisit d'exercer désormais un contrôle normal sur les nominations dont les textes confèrent un large pouvoir d'appréciation aux autorités de nomination. Le juge administratif avait fait le choix, jusqu'à présent, d'exercer un contrôle restreint sur ces nominations (CE, 26 janvier 2018, n° 401796 N° Lexbase : A7188XBT).

7 - Le 31 juillet a été rendue une décision remarquée concernant l’illégalité de certaines dispositions (CESEDA, art. L. 744-7 N° Lexbase : L1927LMC et L. 744-8 N° Lexbase : L1926LMB) du décret n° 2018-1359 du 28 décembre 2018 (N° Lexbase : L6275LNQ, JO texte n° 93) relatif aux conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile (CE, 31 juillet 2019, n° 428530 N° Lexbase : A7426ZKA). Pour le Conseil d’Etat, l’inconventionnalité partielle de la loi «Asile et immigration» du 10 septembre 2018 (loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie N° Lexbase : L9696LLP) emporte l’illégalité des dispositions du décret. Les cas de refus et de retrait de plein droit des conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile excluent toute appréciation des circonstances particulières et, dans le cas du retrait, toute possibilité de rétablissement de ces conditions et sont, de ce fait, incompatibles avec les objectifs de la Directive «Accueil» (Directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 N° Lexbase : L9264IXE). Dans l’attente de la modification des articles L. 744-7 et L. 744-8 par le législateur, le Conseil d’État organise un régime supplétif. Dans un autre contexte, il faut noter qu’à la toute fin des vacances d’été a été publié le décret du 28 août 2019 (n° 2019-897 N° Lexbase : L8632LR7, JO, 30 août 2019, texte n° 20) qui créé un réseau de médiateurs pour les personnels hospitaliers Sont concernés les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux qui pourront désormais en cas de conflit avec leur hiérarchie ou avec un autre agent se tourner vers un médiateur régional ou interrégional.

8 - Le 29 novembre 2019 (CE, 29 novembre 2019, n° 426372 N° Lexbase : A0451Z4H, n° 411145 N° Lexbase : A0445Z4A, n° 429248 N° Lexbase : A0452Z4I) le Conseil d’État consacre, en se fondant sur le même considérant de principe que la décision «Czabaj», un nouveau délai raisonnable spécial de trois ans à l’occasion de contentieux relatifs à la perte de nationalité. Pour mémoire, l’Assemblée du contentieux, dans la décision «Czabaj», avait consacré un délai de forclusion d’un an, qualifié de délai raisonnable, commandé par le principe de sécurité juridique (CE, Ass., 13 juillet 2016, n° 387763 N° Lexbase : A2114RXL, Rec. CE, p. 340, concl. O. Henrard). Les décisions administratives dont la notification n'informe par leurs destinataires des voies et délais de recours ne peuvent ainsi plus être contestées indéfiniment même si la règle prévue par le Code de justice administrative est contraire (CJA, art. R. 421-5 N° Lexbase : L3025ALM). Ce délai prétorien a depuis lors été étendu ou opposé aux recours administratifs préalables obligatoires (CE, 31 mars 2017, n° 389842 N° Lexbase : A0457UT4), aux titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, n° 401386 N° Lexbase : A6313XGW et CE, 16 avril 2019, n° 422004 N° Lexbase : A3550Y9D), aux décisions pécuniaires (CE, 9 mars 2018, n° 405355 N° Lexbase : A6316XGZ), aux décisions en matière de travaux publics (CE, 9 novembre 2018, n° 409872 N° Lexbase : A6383YKM), aux décisions implicites de rejet (CE, 18 mars 2019, n° 417270 N° Lexbase : A1779Y4N). A noter cependant que la jurisprudence «Czabaj» ne s’applique pas aux actions en responsabilité (CE, 17 juin 2019, n° 413097 N° Lexbase : A6638ZEL). Le Conseil d’Etat a mis un coup de frein à l’extension qui semblait devoir être pourtant infinie. Il a estimé que le recours n'est pas dirigé contre une décision mais sur la responsabilité de la puissance publique et la sécurité juridique est déjà assurée, en ce domaine, par la règle de la déchéance des dettes publiques.  

Dans un arrêt rendu aussi le 29 novembre, le Conseil d’Etat complète son édifice jurisprudentiel en matière de contentieux de la démolition des ouvrages publics. Il reconnait que le juge du plein contentieux peut être saisi directement d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté (CE, 29 novembre 2019, n° 410689 N° Lexbase : A0444Z49). Le refus de démolition d’un ouvrage public irrégulièrement implanté bascule ainsi, en un seul bloc, dans le plein contentieux ce qui évite les affres du choix entre REP ou indemnisation ou la succession entre l’un et l’autre, qui, avant, alourdissait et rendait confuse la matière. Les contentieux relatifs aux ouvrages publics irrégulièrement construits («mal plantés») sont regroupés dans une seule catégorie de contentieux ce qui met fin à une certaine confusion pour les requérants et ce qui devrait rendre plus simple les actions en démolition. Néanmoins, si cela confirme le fait que l’adage «ouvrage public mal planté ne se détruit pas» a, a priori, disparu, il faut néanmoins noter qu’en pratique il ne sera pas aisé d’obtenir la démolition d’un tel ouvrage.

8 - En toute fin d’année, enfin, le 19 décembre 2019, le Conseil d’Etat a jugé légal le décret révoquant le maire d’une commune du Pas-de-Calais en raison de manquements graves et répétés aux obligations de sa fonction (CE, 19 décembre 2016, n° 434071 N° Lexbase : A4766Z8Z). La révocation d’un maire par décret en conseil des ministres est une procédure très rare. Le Conseil d’Etat a estimé que deux des trois agissements reprochés étaient incompatibles avec l’autorité morale qu’exige la fonction de maire. L’intéressé ayant utilisé des ressources municipales pour lancer sa campagne pour les élections législatives et ayant méconnu les règles budgétaires, comptables et commis des manquements aux principes fondamentaux et règles de la commande publique. Par trois décisions rendues la veille de Noël, soit le 24 décembre, le Conseil d’Etat juge, dans sa formation la plus solennelle, qu’une personne peut obtenir réparation des préjudices qu’elle a subis du fait de l’application d’une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel (CE, 24 décembre 2019, n° 425981, n° 425983 et n° 428162 N° Lexbase : A2870Z98). La décision était inévitable et attendue depuis l’instauration de la QPC et l’abrogation possible des lois par ce biais. Cela fait depuis 2007 qu’il est possible d’engager la responsabilité de l’Etat pour obtenir réparation des dommages subis du fait de l’application d’une loi contraire aux engagements internationaux de la France (CE, Ass., 8 février 2007, n° 279522 N° Lexbase : A2006DUT). Désormais, si des personnes ont subi des dommages (pertes financières, préjudices de toutes sortes, etc.) directement du fait de l’application d’une loi et qu’elle a été abrogé par la suite, elles pourront en obtenir réparation en saisissant le juge administratif. La responsabilité de l’Etat est, cependant, ouverte sous plusieurs conditions (les dommages subis doivent trouver leur cause directe dans l’application de la loi inconstitutionnelle, la responsabilité est possible dans les limites fixées par la décision du Conseil constitutionnel et la demande doit être faite dans les quatre années suivant la date à laquelle les dommages subis peuvent être connus dans toute leur étendue).

9 - Enfin, pour terminer cette rétrospective il faut évoquer les perspectives nouvelles qui s’ouvrent dans le contentieux administratif. Le 3 juillet 2019 a été présenté le rapport public 2019 du Conseil d’Etat. Brunon Lasserre, nouveau vice-président, a évoqué certaines perspectives après sa première année à la tête de l’institution. Il veut faire face à la méconnaissance de l’institution par le grand public afin que les actions du Conseil d’Etat soient mieux comprises. La rédaction des arrêts en style direct, le développement de Télérecours citoyen voire même le développement de la médiation administrative sont des premières étapes mais l’idée est d’aller encore plus loin en expérimentant une procédure orale dans les audiences au fond comme elle peut exister en référé.  Au-delà de ces futures évolutions, il faut évoquer l’avènement en 2019 des recours contentieux climatiques. Le contentieux climatique de la légalité repose sur deux types de recours.

Le premier contentieux est fondé sur la mise en avant de la carence de l’Etat dans son obligation à respecter ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour, par le biais d’un recours pour excès de pouvoir, lui enjoindre de respecter ces mêmes objectifs. C’est le type de recours qui a été formé par la commune de Grande-Synthe et son maire en son nom personnel, commune remarquée comme capitale française de la biodiversité pour l’année 2010 et défendue par l’avocat Corinne Lepage.

Le second type de contentieux concerne les autorisations administratives «climaticides». Par exemple, un recours a été introduit par le Collectif pour le triangle de Gonesse et d’autres associations contre un arrêté du préfet de Val d’Oise autorisant la création de la zone d’aménagement concerté dite du «Triangle de Gonesse». Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l’arrêté, notamment pour l’insuffisance de l’étude d’impact du projet quant à l’estimation des émissions de gaz à effet de serre (TA Cergy-Pontoise, 6 mars 2018, n° 1610910 et n° 1702621 N° Lexbase : A1287XGR). Un référé suspension a été déposé, dans le cadre d’un second recours et devant le même tribunal, contre l’autorisation d’ouverture de travaux (AOT) de cinq forages d’exploration pétrolière de Total en Guyane. Les doutes sérieux quant à la légalité de l'autorisation de travaux qui ont été soulevés n'ont pas emportés la conviction du juge administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 1er février 2019, n° 1813215 N° Lexbase : A0318YX3) dont le bien-fondé de l'ordonnance a ensuite été contesté devant le Conseil d'Etat. Ce dernier a mis en avant qu’il n’y avait plus de lieu d’y statuer dans la mesure où «les conclusions des associations requérantes tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté et, par suite, celles tendant à l'annulation de l'ordonnance du juge des référés refusant d'y faire droit, ont perdu leur objet» puisqu’il a été mis fin aux effets de l’arrêté dont la suspension de l’exécution est demandée (CE, 21 août 2019, n° 428054 N° Lexbase : A0736ZM9). Au niveau du contentieux de la responsabilité, le 18 décembre 2018, quatre associations ont adressé à plusieurs membres du Gouvernement français une demande préalable indemnitaire fondée sur la carence fautive de l’Etat français en matière de lutte contre le changement climatique. Appelée «l'Affaire du siècle», cette démarche a très rapidement bénéficié d’un énorme plan de communication puisqu’elle a notamment été accompagnée très rapidement d’une pétition de plus de deux millions de signatures. Le 15 février 2019, le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, a rejeté expressément la demande. Les associations ont alors saisi le tribunal administratif de Paris le 14 mars 2019 d’une requête sommaire complétée, le 20 mai 2019, par un mémoire complémentaire. Reste à attendre les réponses aux requêtes, réponse qui, comme on a déjà pu l’évoquer pourrait faire passer le juge administratif dans une dimension nouvelle concernant son office ou pas.  

 

[1] O. Le Bot, Procédure contentieuse - Chronique de contentieux administratif, JCP éd. A, 2019, n° 2222.

[2] Ibid.

newsid:472014

Propriété intellectuelle

[Brèves] Affaire «Kenny Clarke» : la Cour de cassation entérine la validité du régime dérogatoire de l’INA pour l’exploitation des prestations des artistes-interprètes constituant son fonds

Réf. : Cass. civ. 1, 22 janvier 2020, n° 17-18.177, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A14933CB)

Lecture: 4 min

N1995BYK

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par Vincent Téchené

Le 29 Janvier 2020

► En exonérant l’INA de prouver par un écrit l’autorisation donnée par l’artiste-interprète, l’article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 modifiée (N° Lexbase : L8240AGB), ne supprime pas l’exigence de ce consentement mais instaure une présomption simple d’autorisation qui peut être combattue et ne remet pas en cause le droit exclusif de l’artiste-interprète d’autoriser ou d’interdire la reproduction de sa prestation ainsi que sa communication et sa mise à la disposition du public.

Tel est le principe énoncé par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 janvier 2020, mettant ainsi un terme à l’affaire «Kenny Clarke» (Cass. civ. 1, 22 janvier 2020, n° 17-18.177, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A14933CB).

L’affaire. Reprochant à l’INA de commercialiser sur son site internet, sans leur autorisation, des vidéogrammes et un phonogramme reproduisant les prestations notamment d’un batteur de jazz décédé en 1985, ses ayants droit, l’ont assigné pour obtenir réparation de l’atteinte ainsi prétendument portée aux droits d’artiste-interprète dont ils sont titulaires, en invoquant l’article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2484K9U), aux termes duquel sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image. La Spedidam est intervenue volontairement à l'appel, en sollicitant la condamnation de l’INA à lui payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice collectif subi par la profession d’artiste-interprète. Déboutés par un arrêt d’appel (CA Versailles, 10 mars 2017, n° 15/07483 N° Lexbase : A2375T3D), rendu sur renvoi après cassation (Cass. civ. 1, 14 octobre 2015, n° 14-19.917, FS-P+B+I N° Lexbase : A2713NTN ; lire N° Lexbase : N9597BUY), les ayants droit de l’artiste-interprète ont formé un nouveau pourvoi en cassation.

Dans un arrêt du 11 juillet 2018, la Cour de cassation (Cass. civ., 1, 11 juillet 2018, n° 17-18.177, FS-P+B N° Lexbase : A9537XXI ; lire N° Lexbase : N5089BXR) a rejeté le premier moyen du pourvoi dirigé contre l’arrêt déclarant irrecevable l’intervention de la Spedidam et a saisi la CJUE d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 2, sous b), 3, paragraphe 2, sous a), et 5 de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 (N° Lexbase : L8089AU7), au regard de l’article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée par l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 (N° Lexbase : L8240AGB), instaurant, au profit de l’INA, un régime dérogatoire pour l’exploitation des prestations des artistes-interprètes constituant son fonds.

La décision. La Cour de cassation reprend la réponse apportée par la CJUE dans son arrêt du 14 novembre 2019 (CJUE, 14 novembre 2019, aff. C-484/18 N° N° Lexbase : A9066ZX3 ; lire N° Lexbase : N1231BYA) : l’article 2, sous b), et l’article 3 § 2, sous a), de la Directive 2001/29/CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui établit, en matière d’exploitation d’archives audiovisuelles par une institution désignée à cette fin, une présomption réfragable d’autorisation de l’artiste-interprète à la fixation et à l’exploitation de sa prestation, lorsque cet artiste-interprète participe à l’enregistrement d’une œuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion.

Or, selon l’arrêt d’appel, l’INA a une mission particulière donnée par les lois successives de conserver et de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national, qu’il assure la conservation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme et contribue à leur exploitation, qu’il détient seul les archives de son fonds et qu’il est seul titulaire des droits de leur exploitation. Il ajoute que les vidéogrammes et phonogrammes litigieux sont soumis au régime dérogatoire dont bénéficie l’INA. Il en résulte ainsi que l’artiste-interprète avait participé, en l’espèce, à la réalisation de ces œuvres aux fins de leur radiodiffusion par des sociétés nationales de programme et qu’il avait, d’une part, connaissance de l’utilisation envisagée de sa prestation, d’autre part, effectué sa prestation aux fins d’une telle utilisation. Ainsi, énonçant la solution précitée, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

newsid:471995

Représentation du personnel

[Brèves] CSE : impossibilité pour un salarié de siéger simultanément comme membre élu et représentant syndical

Réf. : Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-13.269, F-P+B (N° Lexbase : A60243C4)

Lecture: 2 min

N2025BYN

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par Charlotte Moronval

Le 29 Janvier 2020

► Un salarié ne peut siéger simultanément dans le même comité social et économique en qualité à la fois de membre élu, titulaire ou suppléant, et de représentant syndical auprès de celui-ci, dès lors qu'il ne peut, au sein d'une même instance et dans le même temps, exercer les fonctions délibératives qui sont les siennes en sa qualité d'élu et les fonctions consultatives liées à son mandat de représentant syndical lorsqu'il est désigné par une organisation syndicale sans qu'un accord collectif puisse y déroger ;

Ayant constaté l'absence de disparité de traitement entre organisations syndicales par une recherche faite au sein de la même unité économique et sociale, le tribunal, peut enjoindre au salarié, élu membre suppléant au comité social et économique, d'opter entre cette fonction et celle de représentant syndical à ce même comité et dire qu’à défaut, son mandat de représentant syndical sera caduc.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 22 janvier 2020 (Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-13.269, F-P+B N° Lexbase : A60243C4 ; voir déjà Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 18-23.764, FS-P+B N° Lexbase : A4725ZNC).

Dans les faits. Un salarié est désigné par un syndicat en qualité de représentant syndical au comité social et économique de l’établissement d’une société. Celle-ci a saisi le tribunal d'instance pour contester cette désignation en invoquant l'incompatibilité avec le mandat d'élu suppléant détenu par le salarié au sein du même comité social et économique.

La position des juges du fond. Le tribunal d’instance estime que le salarié doit opter pour l'un de ses deux mandats et, qu'à défaut, son mandat de représentant syndical au sein du comité social et économique de l'établissement sera caduc. Le salarié et le syndicat forment un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation rejette le pourvoi (sur Les représentants syndicaux au comité social et économique, cf. l'Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E0183ZR9).

newsid:472025

Responsabilité administrative

[Brèves] Pas d’incidence sur la qualification d'usager de la non-utilisation de l'ouvrage public au moment de la survenance du dommage

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 17 janvier 2020, n° 433506, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A89793B8)

Lecture: 3 min

N2063BY3

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par Yann Le Foll

Le 29 Janvier 2020

Est sans incidence sur la qualification d'usager la non-utilisation de l'ouvrage public au moment de la survenance du dommage.

 

Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 17 janvier 2020 (CE 2° et 7° ch.-r., 17 janvier 2020, n° 433506, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A89793B8).

 

Faits. L'Etat a concédé à EDF l'aménagement et l'exploitation de la chute de la Siagne pour l'installation et le fonctionnement d'une usine hydroélectrique sur le cours d'eau de la Siagne dans les départements des Alpes-Maritimes et du Var. Le canal d'amenée d'eau, qui surplombe le chemin des sources, voie communale, est au nombre des ouvrages concédés et comprend un système de drainage des eaux de fuite du canal, ainsi que des eaux pluviales et de fonte.

 

La Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB), établissement public local à caractère industriel ou commercial auquel a été transférée la compétence de la commune de Saint-Vallier-de-Thiey en matière de production et de distribution d'eau, a réalisé en 2013 une canalisation d'adduction d'eau dans l'emprise du chemin des sources jusqu'à l'usine de traitement en eau potable. L'effondrement d'une partie de la voie communale dans la nuit du 12 au 13 février 2016 a entraîné un glissement de terrain et la rupture de la canalisation d'adduction d'eau exploitée par la RECB.

 

Décision attaquée. La cour administrative d’appel (CAA Marseille, 23 juillet 2019, n° 19MA01328 N° Lexbase : A1968ZMT) a estimé que la Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB) avait la qualité de tiers par rapport au canal d'amenée exploité par EDF, au motif qu'elle ne prélevait pas d'eau dans ce canal au moment où le dommage s'est produit.

 

Rappel. La qualification d'usager de l'ouvrage public est subordonnée à la condition que la victime utilise effectivement l'ouvrage et qu'elle ait été exposée à subir le dommage du fait de cette utilisation. Les régimes de responsabilité appliqués en cas de dommages provenant de voies publiques confirment le caractère déterminant de l'utilisation de l'ouvrage : lorsque la victime subit le dommage du seul fait qu'elle est riveraine de la voie, elle est qualifiée de tiers (CE Sect, 18 mai 1973, n° 82672 N° Lexbase : A2312B87), alors qu'elle est usager lorsqu'elle le subit au cours de l'utilisation qu'elle en fait. Dans ses conclusions sur l’arrêt rapporté, le rapporteur public indique que «la circonstance qu'elle ne prélevait pas d'eau au moment du dommage nous semble effectivement, comme le soutient le pourvoi, sans incidence sur cette qualification, dès lors que les biens endommagés avaient directement ou indirectement pour fonction de permettre l'utilisation de l'ouvrage».

 

 

Solution. En exigeant ainsi, pour reconnaître la qualité d'usager d'un ouvrage public, l'utilisation de l'ouvrage au moment de la survenance du dommage, le juge des référés a commis une erreur de droit. En outre, il a inexactement qualifié les faits dès lors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que la RECB bénéficiait de ce canal d'amenée, dans lequel elle était autorisée à prélever de l'eau pour alimenter la canalisation d'adduction d'eau qu'elle exploitait, et l'utilisait effectivement.

newsid:472063

Retraite

[Brèves] Réforme des retraites : les projets de loi publiés

Lecture: 4 min

N2011BY7

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par Laïla Bedja

Le 29 Janvier 2020

Le projet de loi organique relatif au système universel de retraite et le projet de loi instituant un système universel de retraite ont été présentés par la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn et le secrétaire d’Etat auprès de cette dernière, chargé des retraites, Laurent Pietraszewski, lors du Conseil des ministres le 24 janvier 2020.

Ces projets ont pour objet de créer un système universel destiné à se substituer aux 42 régimes de retraite existants et représentent ainsi une réforme de grande ampleur de l’assurance vieillesse et des régimes complémentaires obligatoires de retraite conduisant à la mise en place d’un « système universel de retraite » (« SUR »). Ce nouveau régime de fonctionnera en points, comme de nombreux régimes existants. La génération 2004, qui aura 18 ans en 2022, sera la première à intégrer le système universel de retraites, qui ne concernera pas toutes les personnes à moins de 17 ans de leur retraite et régira, pour tous les autres Français, uniquement les années travaillées à partir de 2025.

Le projet de loi organique comprend cinq articles qui ont pour objet, d’une part, de fixer le cadre général de la gouvernance et du pilotage financier du système universel de retraite (« SUR ») et, d’autre part, d’organiser l’affiliation des parlementaires, des membres du Conseil constitutionnel et des magistrats judiciaires à l’un des régimes d’assurance vieillesse constitués dans le cadre du « SUR ».

Le projet de loi ordinaire comprend, quant à lui, 64 articles répartis en cinq titres. Son titre 1er définit les principes du nouveau système universel de retraite. Le titre II traite des retraites progressives et des situations professionnelles obéissant à des règles de retraite spécifiques. Le titre III est consacré aux mécanismes de solidarité et aux droits dérivés de la pension de retraite : pension minimale de retraite, prise en compte des interruptions de carrière, des études et des incidences liées à la naissance d’enfants, pension de réversion. Le titre IV définit l’organisation et la gouvernance du nouveau système. Quant au titre V, il est relatif aux dispositions transitoires et d’entrée en vigueur.

Le Conseil d’Etat, saisi le 3 janvier 2020, a vu son avis rendu public par le Gouvernement. Ainsi, le Conseil juge l’étude d’impact initiale accompagnant les projets, insuffisante. Rappelant les prescriptions de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 (N° Lexbase : L0275IEW), il dit que les documents d’impact doivent répondre aux exigences générales d’objectivité et de sincérité des travaux procédant à leur élaboration et que chaque document élaboré pour un article ou groupe d’articles doit exposer avec précision tous les points énumérés à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Cette étude a par la suite été complétée et approfondie mais le Conseil la juge lacunaire concernant les projections financières de la mise en œuvre de la réforme, indispensables pour apprécier la nécessité et la pertinence des mesures proposées et vérifier que cette réforme est financièrement soutenable.

Le Conseil d’Etat déplore une saisine trop tardive des organismes qui doivent émettre un avis, après que le projet de loi lui a été remis et la plupart du temps selon les procédures d’examen d’urgence. Si ces délais conviennent pour un avis portant sur un nombre limité de dispositions, il en est autrement lorsque la consultation porte sur un projet de loi aux dispositions nombreuses et concernant une réforme de grande ampleur.

Le Conseil d’Etat souligne qu’eu égard à ces conditions de saisine et face aux nombreuses modifications des textes pendant la période d’examen, la volonté du Gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l'examen auquel il a procédé. Cette situation est d’autant plus « regrettable que les projets de loi procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l'une des composantes majeures du contrat social ».

newsid:472011

Santé

[Brèves] Refus d’exportation d’embryons en vue d’une implantation post-mortem en Espagne

Réf. : CE réf.., 24 janvier 2020, n° 437328 (N° Lexbase : A83163CY)

Lecture: 3 min

N2066BY8

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par Laïla Bedja

Le 29 Janvier 2020

► En principe, la conservation d’embryons ne peut être autorisée en France qu’en vue de la réalisation d’une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du Code de la santé publique et qu’il n’est pas possible de recourir à l’assistance médicale à la procréation à l’aide des embryons conservés par un couple dont l’homme est décédé ; de plus, les déplacements d’embryons sont exclusivement destinés à permettre la poursuite du projet parental du couple et sont soumis à l’autorisation de l’Agence de la biomédecine ; ainsi, l’interdiction posée par l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7144IQN) de procéder, en cas de décès du mari, à un transfert d’embryon au profit de sa veuve, relève de la marge d’appréciation dont chaque Etat dispose pour l’application de la CESDH et elle ne porte pas, par elle-même, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est garanti par les stipulations de l’article 8 de cette convention (N° Lexbase : L4798AQR), ni au droit de propriété en l’absence de droit patrimonial sur le corps humain, ses éléments et ses produits ; il en est de même concernant l’interdiction de déplacement vers l’étranger d’embryons conservés en France pour un usage qui méconnaîtrait les principes bioéthiques de la loi française (CSP, art. L. 2141-9 N° Lexbase : L9036GTT).

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans son ordonnance de référé datée du 24 janvier 2020 (CE réf., 24 janvier 2020, n° 437328 N° Lexbase : A83163CY)

Les faits. Des époux ont fait procéder, en 2018, à la conservation d’embryons conçus à partir de leurs gamètes. A la suite du décès du mari, son épouse a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, d’une part, d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du 22 août 2019, par laquelle le centre hospitalier universitaire de Brest a refusé de prendre les mesures permettant un transfert d’embryons post-mortem et, d’autre part, d’enjoindre au directeur du centre hospitalier universitaire de Brest de prendre, dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance, toutes mesures utiles pour permettre le déplacement de ses embryons vers le centre de reproduction assistée de l’hôpital de Barcelone en Espagne. Ce juge ayant rejeté sa requête, la veuve décida alors de porter sa requête devant le Conseil d’Etat.  

Solution. Enonçant la solution précitée, le Conseil d’Etat rejette la requête.

Remarque. La prohibition de l’insémination post-mortem n’est pas surprenante et la jurisprudence était déjà venue confirmer cette prohibition. En effet, la finalité de l’assistance médicale à la procréation étant de donner naissance à un enfant au sein d’une famille constituée, le recours à celle-ci ne peut être autorisé en cas de décès brutal du mari avant implantation des embryons (Cass. civ. 1, 9 janvier 1996, n° 94-15.998 N° Lexbase : A9900ABB).

La présente décision entre, en revanche, en contraste avec celle du Conseil d’Etat prise en assemblée le 31 mai 2016 qui avait autorisé l’exportation de gamètes en vue d’une insémination post-mortem en Espagne (CE Ass., 31 mai 2016, n° 396848 N° Lexbase : A2628RRR et le comm. de P. Tifine N° Lexbase : N3293BWU)

Enfin, il convient d’ajouter que le projet de loi « Bioétique », actuellement en cours de discussion, rappelle que la dissolution du couple fait obstacle au transfert de l'embryon ainsi qu'à l'insémination. La porte du transfert post-mortem d'embryons n'est donc pas ouverte (cf. l’Ouvrage « Droit médical », Les règles générales encadrant le recours à une AMP N° Lexbase : E9883EQ4).

newsid:472066

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