La lettre juridique n°432 du 17 mars 2011

La lettre juridique - Édition n°432

Éditorial

Des SoFra aux BoFra : quelle solidarité au coeur de la réforme du financement de l'autonomie ?

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N7439BRX

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Une question prioritaire de constitutionnalité sur la journée de solidarité active pourrait passer pour une provocation en plein débat sur le financement de l'autonomie, la dépendance ayant été déclarée grande cause nationale de l'année et à l'aube de la probable création d'un cinquième risque, si la question ainsi transmise par le conseil des prud'hommes d'Angers à la Cour de cassation, en ce 28 février 2011, n'était pas, du même coup, l'occasion pour les politiques et responsables sociaux, de repenser le concept de solidarité dans le cadre d'un besoin de financement croissant de l'allocation personnalisée autonomie (APA) et d'un regain, non moins pressant, de cohésion sociale.

Le requérant considérait que le texte de 2004 était contraire au principe d'égalité devant la loi, devant l'impôt et devant les charges publiques, en ce que seuls les salariés sont concernés par le paiement de cet impôt en imposant une journée de travail non rémunérée en excluant de cet impôt les professions libérales, les commerçants, les agriculteurs, les rentiers, les élus de la République, de cette journée de solidarité. Or, en présence d'une inégalité participative et financière à la solidarité des personnes âgées et handicapées, la question de conformité à la Constitution des articles L. 3133-7 à L. 3133-12 du Code du travail et de l'article L. 14-10-4 du Code de l'action sociale et des familles devait, selon les juges prud'homaux, être transmise à la Cour de cassation. Et, ce faisant, cette QPC, qui pourrait apparaître comme la manifestation anti-solidarité d'un salarié contribuable en quête d'une exonération sociale, donne l'occasion de repenser la solidarité, telle qu'elle est actuellement envisagée par les sociétés occidentales : c'est-à-dire grandement coercitive.

Certes, si "le discours politique est destiné à donner aux mensonges l'accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l'apparence de la solidarité à un simple courant d'air", interpelle Georges Orwell, pour mémoire, la journée de solidarité a été instituée à la suite de la "canicule de 2003", phénomène climatologique aux conséquences funestes, révélant le peu de considération de la société et des familles pour leurs aînés les plus fragiles ; les SoFra, pour seniors fragilisés (par la dépendance physique, mentale ou économique), selon la nomenclature de Serge Guérin dans L'invention des seniors. Et, c'est en réaction que la loi de 2004 a instauré cette journée de solidarité qui, il est vrai et en tant que telle, n'est imposée qu'aux salariés privés et publics ; excluant de la solidarité envers les personnes âgées dépendante une frange importante de la société active et inactive -mais attributaire de revenus de remplacement-.

Mais, il n'y a qu'à lire le dispositif de l'article 2 de la loi du 30 juin 2004 pour comprendre qu'il n'a pas été simple d'imposer cette nouvelle solidarité et qu'il a fallu prendre en compte toutes les situations afin d'anticiper le rejet, par les salariés et leurs employeurs, de cette journée caractérisée par l'abandon d'un jour férié -à l'origine, le lundi de Pentecôte- puis d'un jour de congé -permutation autorisée afin de calmer l'opposition des associations culturelles, cultuelles et sportives de tout poil-. Et si l'instauration de cette journée de travail supplémentaire permet de récolter une contribution de 0,3 % acquittée par tous les employeurs, privés et publics, en contrepartie de la suppression d'un jour férié ou équivalent, pour simplifier son prélèvement, cette contribution est assise et recouvrée comme le sont les cotisations patronales affectées au financement des régimes de base de l'assurance maladie... D'où il suit que la simplification du recouvrement de cette contribution risque bien d'avoir justifié, grandement, que la charge publique repose essentiellement sur les salariés et fonctionnaires, mais, du même coup, risque d'être également à l'origine d'une déclaration de non-conformité aux droits et garanties de la Constitution.

Mais, il est à noter que cette même loi de 2004 instaure, aussi, une contribution de 0,3 % portant sur les revenus du patrimoine et sur les revenus des placements, définie comme une contribution additionnelle au prélèvement social de 2 % portant sur ces mêmes revenus, au bénéfice de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Par conséquent, si la journée de solidarité n'est pas partagée par tous, le produit financier de celle-ci trouve son équivalent dont les inactifs percevant un revenu sont débiteurs. Reste que les professions libérales et les entrepreneurs individuels ne sont pas concernés par cette action de solidarité ; mais, peut-être tout simplement, parce que leur retirer le bénéfice d'un jour férié ou d'un jour de congé n'aurait aucun sens ; ces derniers n'étant ni bénéficiaires, ni soumis, au même quantum de congés que les salariés.

Du même coup, c'est le lien moral entre individus d'une communauté qui pourrait être repensé à l'occasion de l'examen de cette QPC, dont l'attendu de la Cour de cassation ou le considérant du Conseil constitutionnel fournirait de précieuses indications pour l'élaboration du projet de réforme du financement de l'autonomie des personnes âgées fragilisées. Selon Durkheim, pour qu'une société existe, il faut que ses membres éprouvent de la solidarité les uns envers les autres. Mais, force est de constater que cette solidarité n'est pas des plus naturelles, auquel cas elle s'apparenterait à de l'altruisme, et il s'agirait alors d'aider autrui sans empathie particulière, sans attendre de contrepartie directe ou indirecte. Or, la charité n'est pas la meilleure garante de la cohésion sociale, à la faveur de la répartition des richesses comme du partage des risques sociaux. C'est pourquoi la solidarité mécanique, fruit de l'homogénéité d'une société qui se sent connectée par un mode de vie similaire, se traduit par un devoir de solidarité plus efficace que le seul élan du coeur...

Car, en toile de fond, se profile, conformément aux voeux présidentiels, rien de moins que le chantier du financement de la dépendance. D'aucuns prévoient, dès lors, la création d'une nouvelle branche de la Sécurité sociale, "le cinquième risque" en sus de la santé, de la vieillesse, de la famille, et de l'accident du travail ; mais, la réalité pourrait être toute autre et opérer un rééquilibrage entre la solidarité collective et la solidarité familiale, afin de ne pas réduire la question de la dépendance de nos "vieux" à une ligne supplémentaire sur le bulletin de paie des Français. Et, la prise en charge de la dépendance pourrait, ainsi, reposer sur trois piliers : un financement public, la mise à contribution de la famille, et le recours à des assurances privées. En effet, si l'allocation personnalisée d'autonomie, dont il convient de renforcer le financement par l'instauration d'une deuxième journée de solidarité ou une augmentation de la CSG à la charge des seuls retraités, assure d'ores et déjà le pilier public, donc collectif, reste à organiser la solidarité familiale et la solidarité financière -par l'intermédiaire de produits financiers productifs proposés par le secteur privé-. Ce faisant, la solidarité qui commande, dans son acceptation la plus exacte, une réciprocité aux intérêts biens compris serait à nouveau au coeur du débat et reposerait non plus sur le seul "altruisme coercitif" des cotisations. La recherche d'une cohésion sociale, très fragile en temps de crise, ne suffit plus à assurer l'ensemble des actions en faveur d'une mutualisation des risques sociaux ; il convient d'en appeler à la raison et au coeur pour ce qui est de la solidarité familiale, et au portefeuille pour ce qui relève de la solidarité financière. Il s'agit d'être certain que le chantier de la dépendance ne tourne pas court, faute de marge de manoeuvres budgétaires. Mais, en plaçant le principe même de "solidarité" au coeur de la lutte contre la dépendance, la future réforme risque bien, paradoxalement, d'affaiblir, un peu plus, celui de "cohésion sociale" en relativisant son bras armé, jusque là seule réponse omniprésente aux besoin de solidarités : les cotisations sociales.

Tel est donc l'équation à résoudre pour que nos SoFra deviennent des BoFra, pour boomers fragilisés, des personnes de grand âge mais qui cherchent à rester des acteurs de leur vie, car "tout le monde voudrait vivre longtemps, mais personne ne voudrait être vieux" (Jonathan Swift) ; une équation dont la solution risque bien, à l'avenir, de servir de mètre étalon pour financer tous les risques sociaux dont le partage collectif est en manque de deniers...

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Jean W. Wiesel, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Strasbourg

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N7526BR8

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 21 Mars 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Jean W. Wiesel, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Strasbourg.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous expliquer votre choix de vous être présenté au bâtonnat ?

Jean W. Wiesel : Ayant prêté serment le 19 décembre 1973, je suis depuis cette date avocat au barreau de Strasbourg.

J'ai exercé la fonction de Bâtonnier une première fois il y a onze ans, en 2000-2001.

Auparavant, j'avais siégé pendant 16 ans, je crois au conseil de l'Ordre du barreau et j'ai été un temps trésorier de la Carpa. Après mon bâtonnat, j'ai présidé ce qui était alors le CRFPAA, le Centre de formation professionnelle des avocats d'Alsace, et j'ai préparé la fusion pour la création de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE). Enfin, j'ai présidé durant les trois premières années de sa création le conseil régional de discipline des avocats du ressort de la cour d'appel de Colmar. Mon parcours ne me semble pas présenter d'autres particularités, en dehors du fait donc que je suis Bâtonnier pour la seconde fois, depuis le 1er janvier 2010.

La situation était un peu inhabituelle, puisque j'ai été amené au dernier moment à me présenter contre le dauphin élu.

Je crois toutefois que les circonstances étaient suffisamment exceptionnelles à Strasbourg pour que cette élection ne signifie pas la remise en question du système du dauphinat. Il y avait véritablement ici des raisons particulières, mais sur lesquelles je ne souhaite pas revenir.

En même temps, cela s'inscrivait dans un contexte général très difficile.

Beaucoup de confrères étaient en effet déconcertés, et avaient peur pour leur avenir professionnel -un Président de la République avide de réformes qui pouvaient paraître parfois irréfléchies et dangereuses, et une Garde des Sceaux brutale dans la mise en oeuvre de ces réformes- et ils avaient l'impression, je crois, que l'Ordre, dans sa configuration et son fonctionnement actuels ne permettait pas de les protéger de cet avenir incertain.

En plus de cela, nous avions à Strasbourg un problème d'immobilier de la justice. Il faut savoir que notre Palais de Justice aurait dû être rénové il y a plusieurs années déjà, mais le processus avait été brutalement interrompu.

Nous avons été pourtant déplacés vers un tribunal provisoire -Algeco- placé à l'autre bout de la ville, sans moyen de transport direct et sans parking. Et non seulement le tribunal a été déplacé, mais ses activités ont été scindées ; le pénal restant au vieux Palais, le civil et le commercial au tribunal provisoire.

Aujourd'hui, ce problème est partiellement en voie de règlement, puisque l'Etat a enfin consenti à mettre en oeuvre un chantier de rénovation important ; nous allons avoir un Palais de Justice rénové, même si ce n'est qu'à l'horizon 2017 !

En attendant, ce sont surtout les jeunes collaborateurs qui font la navette et qui se sentent systématiquement pris entre l'enclume et le marteau, à courir d'un lieu à l'autre, entre des magistrats qui n'ont pas toujours fait preuve de compréhension devant cette difficulté, et des "patrons" toujours plus exigeants..

Cela a dégradé considérablement leurs conditions de travail, et cela explique sans doute aussi qu'ils aient opté un moment pour un vote de rupture...

Cette élection du dauphin d'abord, puis la mienne, avait réellement marqué une fracture, et tous les efforts du Conseil tendent aujourd'hui à la réduire, la combler.

Et je pense qu'avec l'élection de mon successeur, Maître Armand Marx, Bâtonnier désigné qui prendra ses fonctions au 1er janvier 2012, notre barreau va retrouver une certaine "normalité".

Lexbase : Quel bilan de votre action pouvez-vous dresser à mi-parcours de votre mandat ?

Jean W. Wiesel : Aujourd'hui, être Bâtonnier à Strasbourg, c'est une activité prenante, un bon deux-tiers de temps au moins, mais là encore je suis un peu atypique car je suis Bâtonnier presque à plein temps ! En effet, j'ai pu céder la majorité des parts de mon cabinet à un jeune confrère, qui prend aujourd'hui ce cabinet en charge, et à la fin de mon mandat je serai à la retraite !

Un mandat de deux ans pour un Bâtonnier c'est très court, même s'il est vrai qu'un mandat plus long serait probablement incompatible avec notre métier, puisqu'il ne permettrait pas ensuite la reprise d'une activité professionnelle normale. Seuls les très gros cabinets pourraient mettre en disponibilité un de leurs associés pendant un période plus longue ; pour les autres, l'effet sur la clientèle serait dévastateur.

Mais en deux ans, on ne peut presque rien faire de sérieux ; on peut initier des projets mais on ne les terminera pas. Cela procure parfois une certaine frustration, une impatience aussi devant certaines lenteurs parce que le temps nous est compté.

Alors ce qu'ai-je fait jusqu'à présent, ou plutôt qu'avons-nous fait, le Conseil et moi :

- Nous avons d'abord essayé de recoller les morceaux...

- Puis, nous avons initié des travaux d'amélioration dans la Maison de l'Ordre, qui verront aussi la création d'une nouvelle salle du conseil, dans laquelle j'espère que nous pourrons siéger dès la fin du printemps.

Je laisserai à mon barreau une maison modernisée, rénovée et offrant au personnel de l'Ordre et de la Carpa de meilleures conditions de travail, gages d'efficacité.

- Nous avons également entrepris des efforts en ce qui concerne la mutualisation de l'information juridique.

Aujourd'hui, le coût de la documentation et de son actualisation est prohibitif pour les petites et moyennes structures.

C'est la raison pour laquelle notre Ordre offre aux confrères à partir de ce mois un accès direct et gratuit à Lexbase, par le biais de l'intranet du site de notre barreau.

D'autres abonnements, sur papier ou en ligne, sont conservés via la bibliothèque de l'Ordre.

Ainsi, tout le monde aura accès à l'information juridique et à la documentation, et ceux qui ont besoin de sources complémentaires, trop onéreuses pour eux, les trouveront à la bibliothèque de l'Ordre.

Cela me semble une mutualisation utile, et permet de recréer l'égalité des possibilités d'accès aux sources d'information, même pour les cabinets plus modestes.

- Nous avons aussi signé un contrat avec une centrale d'achats qui permet aux avocats et à leurs secrétaires de bénéficier de tarifs préférentiels pour les voyages, les loisirs, le cinéma, etc..

- Enfin, nous nous préparons à mettre sur le site dans les jours prochains quelque chose que nous pensons très innovant ; nous appelons cela "le pool de compétences", qui va être une sorte de bourse de compétences pour des avocats qui chercheraient l'aide de confrères pour des taches précises. Par exemple, un avocat a, dans l'un de ses dossiers, un problème de droit fiscal ou autre avec lequel il n'est pas à l'aise, mais il peut être gêné d'envoyer ce dossier directement à un confrère, de crainte de perdre son client ; en revanche, il y aurait peut être un confrère fiscaliste qui accepterait de travailler pour lui en sous-traitance sur ce dossier.

Ils pourront entrer en contact par le pool de compétence.

De même, un avocat pourrait passer une annonce sur ce pool pour préciser qu'il a des compétences particulières en matière de brevets, par exemple, et qu'il se tient à la disposition de ses confrères.

Il sera également possible à un avocat ayant un dossier à plaider à Nanterre, ou ailleurs, de proposer à un confrère de son barreau, qu'il connaît et dont il peut apprécier les compétences, de le substituer au lieu de recourir à un correspondant que l'avocat ne connaît pas.

Ainsi, l'idée est de proposer des échanges de services avec un contrat-cadre : donc mutualiser aussi les compétences, après avoir mutualisé l'information. Cela oeuvrera au renforcement de la cohésion au sein du barreau.

- Par ailleurs, et c'est hélas tout à fait révélateur de la situation de crise, le Conseil de l'Ordre a reconnu la nécessité de mettre en place un fonds social pour venir en aide aux avocats en difficulté.

J'ai convaincu mon Conseil de mettre en place ce fonds, en lui expliquant qu'il me devenait difficile de voir dans mon bureau des confrères de tous âges "craquer", sans pouvoir leur donner autre choses qu'une tape amicale sur l'épaule et des bonnes paroles réconfortantes.

Ce fonds est doté et garanti pour les trois prochaines années.

L'idée est là aussi de trouver une nouvelle forme de solidarité.

Il faut préciser que ce n'est pas le seul Bâtonnier qui va distribuer ces fonds, mais une commission sociale, en veillant au juste équilibre entre neutralité, efficacité et une certaine confidentialité.

- Enfin, comme tous les barreaux du "Grand Est", nous avons négocié avec l'assureur RCP une police d'assurance particulière. En fait, c'est plutôt l'oeuvre de mon prédécesseur, Madame le Bâtonnier Ruetsch. Bien que nous soyons conscients de cette relative atteinte portée à la solidarité professionnelle, nous ne sommes pas assurés en responsabilité civile professionnelle par la Société de courtage des barreaux. La raison en est toute simple : nous payons 100 euros de cotisation de moins par avocat par an, et surtout notre franchise est réduite à 5 % avec un plafond à 1 050 euros, là ou les autres supportent une franchise jusqu'à 3 000 euros. Cela est d'autant plus important qu'aujourd'hui les confrères sont de plus en plus exposés à la vindicte de leurs clients, et que nul n'est plus à l'abri d'une mise en cause de cette responsabilité.

- Dans les réalisations effectuées, nous sommes également engagés dans une extension des services de consultations juridiques et gratuites, dans le cadre d'un partenariat avec le Comité départemental d'accès au droit, avec les "Restos du Coeur", sur place, chez eux.

Le but est d'essayer de toucher une population qui souvent ne sait même plus qu'elle a des droits, et dont nous pensons qu'elle ne viendrait pas dans les lieux de consultations traditionnels et institutionnels où nous assurons nos consultations gratuites régulières.

- Enfin, dans les réalisations à venir, j'éprouve une certaine fierté de vous annoncer que nous recevons à Strasbourg pour le week-end de l'Ascension 2011, le Deutsche Anwaltstag 2011, dit DAT 2011, organisé par le Deutscher Anwaltsverein, une association allemande d'avocats équivalente à nos syndicats mais sans l'aspect politique, et surtout qui regroupe sur la base du volontariat près de 80 % des avocats allemands.

Cette association tiendra donc son congrès annuel à Strasbourg, capitale de l'Europe.

Il s'agit d'un congrès de travail qui va s'étaler sur trois jours, et qui sera d'ailleurs ouvert à tous les avocats français aux mêmes conditions financières que pour les adhérents.

Il sera placé sous le thème "des Avocats en Europe - Partenaires sans frontières", et en coopération avec notre barreau jumeau de Stuttgart, nous espérons accueillir près de 2 000 participants (toutes informations sous www.anwaltstag.de).

Lexbase : Quel regard portez vous sur le contrat de collaboration libérale ?

Jean W. Wiesel : Nous courrons un vrai risque aujourd'hui de perdre le statut de la collaboration libérale, et je crains que les jeunes avocats en soient les premiers responsables.

Ils nous ont en effet entraîné, en toute bonne foi, dans un système d'extension progressive des droits des collaborateurs qui peut être en soi souhaitable, voire nécessaire, mais qui amène de plus en plus ce contrat de collaboration libérale vers le contrat de salariat ( cf. par exemple le congé paternité). Nous rencontrons déjà des demandes de requalification de plus en plus fréquentes, et les juridictions n'hésitent plus à y faire droit !

Cela représente à mes yeux un véritable danger auquel nous devons rester attentifs, car s'il n'y avait plus de contrat de collaboration libérale, les jeunes avocats n'auraient plus accès à la profession : parce que, lorsque vous êtes collaborateur salarié, au bout de dix ans, vous ne pourrez toujours pas vous établir, car vous en serez toujours au même point, sans avoir pu développer de clientèle personnelle.

La seule solution pour la plupart des jeunes avocats de se constituer une clientèle est de passer par le contrat de collaboration libérale, car il leur permet de se constituer cette clientèle progressivement, d'être protégé d'un certain nombre d'aléas, et de bénéficier de l'expérience des aînés, notamment au regard des questions de responsabilité professionnelle.

Et cette évolution, si elle se poursuivait, risquerait encore d'aggraver une forme de concentration, et de faire disparaître les petits cabinets au profit des grands.

Lexbase : On ne peut passer outre les actualités du moment et notamment la réforme de la garde à vue. Quelle est la position du barreau de Strasbourg sur ce point ?

Jean W. Wiesel : Je suis particulièrement peu objectif, ou plutôt extrêmement critique, à l'égard de la politique actuelle, même s'il apparaît que c'est depuis très longtemps que notre système judiciaire ne fonctionne plus convenablement.

D'une façon générale, il serait temps que l'on donne à la justice les moyens dont elle a besoin, au lieu de réduire la justice aux moyens qu'on veut bien lui donner !

Le Sénat a accepté en deuxième lecture un texte médiocre sur la garde à vue, même s'il apporte des progrès significatifs, et d'ailleurs indéniables.

Mais ce texte prévoit toujours notamment deux choses : une intervention limitée de l'avocat et un contrôle de la garde à vue par le Parquet, sans réforme du statut de ce Parquet.

Il nous est expliqué que comme le juge des libertés interviendra au bout de 48 heures, priver quelqu'un de sa liberté pendant deux jours "seulement", cela n'est pas très grave... C'est une aberration !

Et pourtant, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme est parfaitement claire : pour qu'il y ait respect des libertés fondamentales, il faut la présence de l'avocat, et que celui-ci puisse jouer pleinement son rôle. Cela veut dire qu'il doit avoir accès au dossier, qu'il doit pouvoir conseiller son client, qu'il doit pouvoir intervenir lors de l'interrogatoire...

Et la privation de liberté ne peut être imposée que sous le contrôle d'une autorité judiciaire indépendante.

Le texte reste donc sinon mauvais, du moins largement insuffisant !

Si le Conseil constitutionnel est cohérent, il va "le retoquer". Et même si, par extraordinaire, le texte échappait à sa censure, il entraînerait nécessairement une nouvelle condamnation de la France par la CEDH.

C'est pourquoi, déjà lors de l'examen du texte par l'Assemblée, nous sommes allés apporter une motion au Président de la CEDH et nous avons symboliquement interpellé la presse et l'opinion publique depuis le parvis de la Cour en disant "nous avocats français en avons assez de voir notre pays condamné par cette Cour pour non respect des libertés fondamentales et non respect de la CESDH".

Mais si ce texte était néanmoins adopté dans sa rédaction actuelle, nous devrions faire face à deux problèmes : la question du financement et celle de l'organisation matérielle.

Nous exerçons dans un petit ressort, mais avec un nombre invraisemblable de lieux de garde à vue. Il est évident que le système ne pourra pas fonctionner, et nous ne pourrons pas à long terme assurer la présence effective de l'avocat, sans regroupement de ces lieux de garde à vue.

Matériellement, si la garde à vue n'est pas mieux encadrée, le système ne pourra pas fonctionner, même si l'Etat a généreusement programmé de réduire leur nombre de 800 000 à 400 000 "seulement".

Et le second problème, c'est que notre pays va aussi se faire condamner à nouveau par la CEDH parce que l'Etat doit fournir au justiciable qui n'a pas les moyens de payer son avocat l'assistance gratuite d'un avocat.

Or, et à l'évidence, avec le budget actuel, le ministère de la Justice ne pourra pas financer cette réforme.

Mais en attendant, et pour "rassurer" ceux qui espèrent que toute réforme de la garde à vue sera enterrée parce que le barreau n'aura pas su assumer ses responsabilités, je peux assurer que nous ferons face, malgré les difficultés.

Nous avons la chance, j'ai la fierté en tant que Bâtonnier, d'avoir une équipe de volontaires, jeunes surtout, décidés et pleins de bonne volonté.

Sur 800 avocats, ils sont 189 volontaires pour intervenir en garde à vue, 160 pour la défense pénale, 150 volontaires en droit des étrangers.

Ce sera peut-être difficile, mais je sais déjà que grâce à leur formidable engagement le Barreau de Strasbourg sera en mesure de relever le défi !

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Avocats/Statut social et fiscal

[Focus] Le statut fiscal de l'avocat/entrepreneur individuel à responsabilité limitée : un nouveau "sac d'embrouilles" ?

Lecture: 17 min

N7500BR9

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 17 Mars 2011

Chacun sait la révolution juridique opérée par la loi du 15 juin 2010 créant le statut d'entreprise individuelle à responsabilité limité (EIRL) aux articles L. 526-6 (N° Lexbase : L2770IPB) et suivants du Code de commerce (loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 N° Lexbase : L5476IMR). L'EIRL est un statut qui permet à tout entrepreneur individuel d'affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale. Nous laisserons aux privatistes le soin de décortiquer le régime juridique de ce bénéfique statut applicable aux professionnels libéraux, y compris les avocats, l'avocat restant donc propriétaire des biens qu'il a affectés à son activité professionnelle ; ceux-ci constituant la garantie des créanciers intervenant dans le cadre professionnel ; et la responsabilité de l'entrepreneur étant limitée à l'actif ainsi affecté. Ce régime est avant tout un régime juridique, qui existe et s'applique indépendamment du régime fiscal applicable à l'entrepreneur individuel. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2011. Et, l'on sait qu'à compter du 1er janvier 2013, un même entrepreneur individuel pourra même constituer plusieurs patrimoines affectés. Si le Gouvernement avait pris soin de publier, in extremis, le principal décret d'application de la loi du 15 juin 2010 (décret n° 2010-1706 N° Lexbase : L0045IPD) au Journal officiel du 31 décembre 2010, l'administration fiscale n'aura pas usé du même zèle à publier une instruction afin d'expliciter plus avant les dispositions elliptiques de l'article 1655 sexies du CGI (N° Lexbase : L0432IPP) relatives au statut fiscal de l'EIRL. Un projet d'instruction opposable a été mis à la consultation publique le 22 février 2011 ; l'administration attendant de recueillir l'avis des professionnels, une fois n'est pas coutume, pour amender son projet et publier une version définitive dans les meilleurs délais. Et, à l'heure de ces quelques lignes, chacun conviendra que le régime fiscal du statut d'EIRL est perfectible et suscite même le doute chez les fiscalistes eux-mêmes (cf. Sébastien Jambort, Les lacunes du régime fiscal de l'EIRL, Bull. Joly Soc., mars 2011, n° 3, p. 261). D'abord, l'article 1655 sexies du CGI crée donc un principe d'assimilation de l'EIRL soumise au régime du réel normal à l'EURL (au-delà de 32 600 euros HT de recettes) -les EIRL soumises à un régime forfaitaire d'imposition n'ayant pas d'existence fiscale, ces dernières ne seront pas envisagées dans la présente étude-. Ensuite, la liquidation de l'EIRL emporte les mêmes conséquences fiscales que la cessation d'entreprise et l'annulation des droits sociaux d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Et, de sa constitution à sa liquidation, en passant par l'affectation et la désaffectation des biens privés ou professionnels au patrimoine de l'EIRL, force est de constater que, malgré l'absence de création d'une personne morale nouvelle, la taxation des plus-values latentes est de rigueur.
I - Le régime d'imposition de l'avocat/entrepreneur individuel à responsabilité limitée relevant d'un régime réel d'imposition

A - L'assimilation au régime de l'EURL à associé unique

Du fait de son assimilation, sur le plan fiscal, à une EURL à associé unique, l'avocat/entrepreneur individuel à responsabilité limitée soumis à un régime réel d'imposition est imposé comme une société de personnes, dans les conditions prévues à l'article 8 du CGI (N° Lexbase : L2311IB9), c'est-à-dire suivant le régime de la transparence fiscale. Les résultats de l'EIRL sont, ainsi, en principe imposés à l'impôt sur le revenu au nom de l'avocat qui l'a constituée, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux -les profits réalisés par les avocats non salariés ayant le caractère de BNC, sauf exception-.

Et, le fait que l'EIRL soit soumise à une obligation de tenue de comptes particulière est sans incidence sur la détermination de son résultat imposable : lorsque l'activité relève de la catégorie des BNC, le résultat imposable doit être déterminé selon les règles de la comptabilité de caisse et dans les conditions et limites posées par les articles 92 (N° Lexbase : L7147ICP) et suivants du CGI, quand bien même cette activité ferait, par ailleurs, l'objet d'un suivi selon les règles de la comptabilité d'engagement.

Par conséquent, et premier écueil de ce régime fiscal, non seulement l'avocat /entrepreneur individuel à responsabilité limité devra tenir deux comptabilités distinctes, l'une pour son exercice, l'autre pour son patrimoine d'affectation professionnelle, mais les règles de comptabilité pourront différer entre les deux. Pour ce qui est de la simplicité et de la cohérence, le régime comptable fait faux bon.

B - L'option pour le régime de l'impôt sur les sociétés

Dès lors qu'elle est assimilée, sur le plan fiscal, à une EURL, l'avocat/entrepreneur individuel à responsabilité limitée soumis à un régime réel d'imposition peut opter pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés en application des e et f du 3 de l'article 206 du CGI (N° Lexbase : L0111IKC). L'option, irrévocable, est exercée dans les conditions et délais prévus à l'article 239 (N° Lexbase : L4947HLS), en particulier avant la fin du troisième mois de l'exercice au titre duquel elle s'applique. Si l'option pour l'impôt sur les sociétés est effectuée avant la fin du deuxième mois qui suit celui au cours duquel a été créée l'EIRL, celle-ci est alors assujettie à l'impôt sur les sociétés dès le jour de sa création.

En revanche, si l'option pour l'impôt sur les sociétés est réalisée postérieurement à cette période, l'EIRL ayant d'abord été redevable de l'impôt sur le revenu, ce changement de régime fiscal emporte les conséquences de la cessation fiscale prévue à l'article 202 ter (N° Lexbase : L2487HNG), c'est-à-dire l'imposition de tous les bénéfices non encore imposés à la date de ce changement, y compris les plus-values latentes à cette date.

Toutefois, le projet d'instruction prévoit que l'EIRL peut échapper à cette fiscalisation immédiate en application du mécanisme de l'atténuation conditionnelle prévu à ce même article 202 ter, à la double condition que l'EIRL n'apporte aucune modification à ses écritures comptables à l'occasion de ce changement de régime fiscal et que l'imposition des bénéfices en sursis d'imposition, plus-values latentes et profits non encore imposés sur les stocks demeure possible à l'impôt sur les sociétés.

Lorsque cette option est exercée, l'avocat est alors redevable de l'impôt sur les sociétés à raison du bénéfice imposable de l'EIRL, lequel est déterminé dans les conditions de droit commun applicables en matière d'impôt sur les sociétés. Ainsi, les sommes que l'avocat s'attribue en rémunération de son activité professionnelle sont traitées comme des rémunérations allouées à un associé d'une EURL ayant opté pour le régime des sociétés de capitaux, soumises conformément à l'avant dernier alinéa de l'article 62 (N° Lexbase : L2354IBS) à l'impôt sur le revenu selon les règles prévues en matière de traitements et salaires, et déductibles du bénéfice imposable de l'EIRL en application du I de l'article 211 (N° Lexbase : L2355IBT).

De la même façon, lorsque cette option est exercée, les sommes que se verserait l'avocat à d'autres titres que la rémunération de son activité professionnelle et qui devraient dès lors être assimilées à des dividendes ne sont pas déductibles des résultats imposables de l'EIRL et sont par ailleurs imposables à l'impôt sur le revenu entre ses mains dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en application des articles 108 (N° Lexbase : L2059HLT) à 115 du CGI.

Les dividendes ainsi imposables entre les mains de l'avocat dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sont, en principe, soumis à l'impôt sur le revenu au barème progressif après application d'un abattement de 40 % puis d'un abattement fixe et annuel égal à 1 525 euros pour les célibataires et 3 050 euros pour les couples mariés ou liés par un pacte civil de solidarité. Toutefois, l'avocat peut opter pour l'application du prélèvement forfaitaire libératoire au taux de 19 % prévu à l'article 117 quater (N° Lexbase : L0659IP4), applicable au montant brut de ses dividendes. Quel que soit leur mode d'imposition à l'impôt sur le revenu, ces revenus de capitaux mobiliers sont, par ailleurs, soumis aux prélèvements sociaux (CSG, CRDS et prélèvement social et ses contributions additionnelles) pour leur montant brut, aux taux fixés en fonction de la qualification retenue au plan social conformément aux articles L. 131-6-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1998IPP).

L'avocat doit être en mesure de justifier que le traitement fiscal qu'il applique aux sommes qu'il prélève sur le patrimoine affecté est conforme aux règles rappelées ci-dessus. A cet effet, il doit opérer un suivi, d'une part, des sommes qu'il s'attribue en rémunération de son activité professionnelle et, d'autre part, des dividendes qu'il se verse. En pratique, ces prélèvements, qui sont en principe enregistrés au débit du compte 108 "compte de l'exploitant" (ou de tout autre compte destiné à enregistrer les apports et retraits de l'avocat), pourront être ventilés dans des sous comptes dédiés.

II - Règles fiscales applicables aux affectations de biens à une EIRL

Dès lors que l'EIRL soumise à un régime réel d'imposition est assimilée, sur le plan fiscal, à une EURL, la création d'une EIRL à partir d'un cabinet (entreprise individuelle préexistante) entraîne :

- d'une part, un transfert des biens inscrits au patrimoine affecté, du patrimoine du cabinet d'avocat à celui de l'EIRL, qui doit fiscalement être traité de la même façon que l'apport de ces mêmes biens du patrimoine du cabinet d'avocat à celui d'une EURL ;

- d'autre part, la cessation du cabinet d'avocat, totale dans le cas où toutes les activités du cabinet sont désormais exercées en EIRL, partielle lorsque certaines activités préalablement exercées dans le cadre du cabinet d'avocat sont désormais exercées en EIRL tandis que d'autres activités, distinctes de celles exercées dans le cadre de l'EIRL, continuent d'être exercées en cabinet d'avocat.

Le transfert des biens inscrits au patrimoine affecté, du patrimoine du cabinet d'avocat à celui de l'EIRL, entraîne la constatation de plus-values ou de moins-values professionnelles, imposables ou déductibles dans les conditions de droit commun ; le cas échéant, les plus-values professionnelles dégagées à cette occasion sont susceptibles de bénéficier des exonérations et abattements prévus aux articles 151 septies (N° Lexbase : L7200ICN) et 151 septies B (N° Lexbase : L1142IEZ) du CGI, lorsque les conditions qui y sont posées sont satisfaites. Lorsque le bien affecté à l'EIRL a d'abord figuré dans le patrimoine privé de l'avocat puis été inscrit à son patrimoine professionnel avant d'être transféré dans le patrimoine de l'EIRL, la fraction de la plus-value acquise pendant la période où le bien a figuré au patrimoine privé est immédiatement imposable selon les règles applicables aux plus-values des particuliers, conformément aux dispositions de l'article 151 sexies (N° Lexbase : L0662IP9).

Corrélativement, la valorisation des biens inscrits au patrimoine affecté se fait dans les conditions de droit commun, conformément à l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L3750HZW), c'est-à-dire pour leur valeur d'origine. En ce qui concerne l'application des règles fiscales et la détermination des résultats de l'EIRL, la valeur du bien déclarée par l'avocat lors de la constitution de son EIRL est donc sans incidence : seule est prise en compte la valeur réelle du bien au jour de son entrée dans le patrimoine affecté.

Enfin, la cessation, totale ou partielle, du cabinet d'avocat emporte quant à elle taxation immédiate, totale ou partielle, des bénéfices non encore imposés, conformément aux dispositions des articles 201 (N° Lexbase : L1704HNG) et 202 (N° Lexbase : L3715HL8) du CGI.

Toutefois, lorsque la constitution de l'EIRL à partir des biens inscrits au patrimoine professionnel de l'avocat, déjà assimilée à l'apport de ces biens à une EURL, peut, en réalité, au vu des circonstances de fait, être assimilée à l'apport d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité à une EURL ou à une EARL, les reports d'imposition des plus-values et les sursis d'imposition des profits sur stocks prévus à l'article 151 octies (N° Lexbase : L2463HNK) sont susceptibles d'être appliqués et ce que l'EIRL soit imposée selon le régime des sociétés de personnes ou ait opté pour son imposition à l'impôt sur les sociétés. Si elle en remplit les conditions, l'EIRL peut toutefois préférer appliquer aux plus-values professionnelles dégagées à cette occasion les exonérations et abattements prévus aux articles 151 septies et 151 septies B.

En ce qui concerne les biens du cabinet d'avocat non transférés dans le patrimoine de l'EIRL, la constitution d'une EIRL est sans incidence pour les titulaires de BNC, dès lors que pour ces derniers, les règles fiscales d'inscription au patrimoine professionnel sont identiques aux règles de composition du patrimoine affecté : les biens non-utilisés à l'activité professionnelle ne peuvent faire partie du patrimoine professionnel du contribuable imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et ne peuvent être affectés au patrimoine de celle-ci. Il se peut, cependant, que ce contribuable choisisse de ne pas inscrire au bilan de l'EIRL des biens utilisés mais non nécessaires à l'exercice de l'activité, qu'il avait préalablement considérés comme faisant partie de son patrimoine professionnel.

Les biens antérieurement inscrits dans le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel, qu'il n'a pu affecter ou qu'il a décidé de ne pas affecter au patrimoine de l'EIRL, reviennent dans son patrimoine privé. Ce retour dans le patrimoine privé est constitutif d'un fait générateur de la taxation des plus-values ou moins-values latentes sur ces biens, imposables ou déductibles dans les conditions de droit commun ; le cas échéant, les plus-values professionnelles dégagées à cette occasion sont susceptibles de bénéficier des exonérations et abattements prévus aux articles 151 septies et 151 septies B, lorsque les conditions qui y sont posées sont satisfaites. En revanche, le retrait du bien dans le patrimoine privé ne rend pas immédiatement imposable la plus-value qui aurait été acquise pendant la période où le bien a figuré au patrimoine privé de l'entrepreneur individuel, si tel avait été le cas avant l'inscription du bien à son patrimoine professionnel.

L'avocat peut, en outre, compléter son patrimoine affecté de biens qu'il avait jusque-là laissés dans son patrimoine privé, pour autant que ceux-ci soient utilisés à l'exercice de l'activité. Ces biens sont réputés être apportés du patrimoine privé à une EIRL (EURL par assimilation), ce qui constitue une cession à titre onéreux. La plus-value résultant de cet apport est par conséquent immédiatement imposable entre les mains de l'entrepreneur suivant le régime des plus-values des particuliers, dans les conditions prévues aux articles 150-0 A (N° Lexbase : L0663IPA) à 150 VH, et peut bénéficier, le cas échéant, des exonérations prévues par ce même régime.

Et l'on entrevoit, ici, le deuxième écueil de ce régime fiscal : alors que le statut de l'EIRL n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle, l'administration fiscale entend passer outre et opérer une taxation immédiate des créances acquises, comme si l'activité de l'avocat était cédée à autrui ou transférée à une personne morale distincte. Mieux, les biens professionnels non affecté au patrimoine de l'EIRL font l'objet d'une imposition sur les plus-values latentes ; il en va de même des biens privés, désormais, affectés au patrimoine professionnel de l'EIRL.

III - Règles fiscales applicables aux désaffectations de biens d'une EIRL

A - La désaffectation isolée d'un bien figurant au patrimoine de l'EIRL

Dès lors que l'avocat/entrepreneur individuel à responsabilité limitée est assimilé, sur le plan fiscal, à une EURL, la désaffectation d'un bien figurant au patrimoine affecté et sa reprise dans le patrimoine privé de l'avocat doivent être traitées comme le serait la sortie de ce bien du patrimoine social d'une EURL. Cette désaffectation est donc équivalente à la cession du bien suivie de la distribution des sommes réputées perçues en rémunération de cette cession.

Lorsque les résultats de l'EIRL sont imposés dans les conditions de l'article 8 du CGI, la désaffectation du bien est donc génératrice d'une plus-value ou moins-value, imposée dans les conditions de droit commun applicables à l'impôt sur le revenu aux plus-values ou moins-values professionnelles. La plus-value ou moins-value devra être calculée à partir de la valeur d'origine du bien désaffecté dans le patrimoine de l'EIRL et pourra bénéficier, le cas échéant, des exonérations et abattements prévus aux articles 151 septies et 151 septies B.

Du fait de l'assimilation à une structure soumise au régime des sociétés de personnes, la distribution des sommes réputées perçues en rémunération de cette cession n'est pas imposée.

Lorsque l'EIRL a opté pour son imposition à l'impôt sur les sociétés, la désaffectation du bien est génératrice d'une plus-value ou moins-value, imposée dans les conditions de droit commun applicables à l'impôt sur les sociétés. En outre, les sommes réputées avoir été perçues par l'EIRL en rémunération de cette cession puis distribuées à l'avocat sont imposées à l'impôt sur le revenu, entre les mains de ce dernier, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et soumises aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine. Toutefois, conformément au 1° de l'article 112 du CGI (N° Lexbase : L2650HNH), n'est pas assimilable à une distribution, la répartition correspondant à un remboursement d'apports ou de primes d'émission : à hauteur de ce remboursement, les sommes réputées distribuées ne sont donc soumises à aucune imposition. Il est, par ailleurs, rappelé qu'en application des dispositions combinées des articles 112 et 113 (N° Lexbase : L2079HLL), les réserves incorporées au capital ainsi que les bénéfices incorporés directement au capital ne sont pas considérés comme des apports, et qu'une répartition ne peut présenter le caractère de remboursement d'apports qu'à la condition que tous les bénéfices et réserves autres que la réserve légale aient été auparavant répartis.

Aussi, dès lors que conformément à l'article 441/12 du plan comptable général, l'EIRL doit systématiquement virer le résultat de l'exercice au compte de capital, la désaffectation d'un bien de l'EIRL ne pourra être, en tout ou partie, assimilée à un remboursement d'apport que si tous les bénéfices, incorporés ou non au capital, ont été auparavant prélevés par l'entrepreneur individuel.

Lorsque le bien désaffecté du patrimoine de l'EIRL avait figuré, préalablement à son inscription au patrimoine de l'EIRL, dans le patrimoine professionnel de l'avocat et que son affectation avait généré une plus-value professionnelle dont l'imposition avait été reportée en application de l'article 151 octies, sa désaffectation met fin à ce report, dans les conditions prévues à cet article.

B - La liquidation de l'EIRL

Conformément aux articles L. 526-15 (N° Lexbase : L1990IPE) et L. 526-16 (N° Lexbase : L1989IPD) du Code de commerce, la déclaration d'affectation cesse de produire ses effets, sur le plan juridique, en cas de renonciation de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou en cas de décès de celui-ci, sauf si l'un de ses héritiers ou ayants droit manifeste son intention de poursuivre l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine était affecté.

En application de l'article 1655 sexies du CGI, la liquidation de l'EIRL emporte les mêmes conséquences fiscales que la cessation d'entreprise et l'annulation des droits sociaux d'une EURL, à savoir :

- l'imposition immédiate des résultats non encore imposés à la date de cette cessation, y compris les éventuelles plus-values latentes, avec application, lorsque l'EIRL est imposée selon le régime des sociétés de personnes prévu à l'article 8 et, sous réserve du respect des conditions d'éligibilité, des exonérations et abattements prévus aux articles 151 septies et 151 septies B ;

- lorsque l'EIRL est imposée selon le régime des sociétés de personnes prévu à l'article 8, l'imposition de la plus-value ou moins-value d'annulation des "parts" de l'EIRL que l'entrepreneur individuel est réputé détenir, déterminée en fonction des règles posées par la jurisprudence "Quemener" (CE Contentieux, 16 février 2000, n° 133296 N° Lexbase : A0346AUD) ;

- lorsque l'EIRL est imposée à l'impôt sur les sociétés, l'imposition entre les mains de l'entrepreneur individuel du "boni de liquidation" de l'EIRL, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; par boni de liquidation, il convient d'entendre la différence entre le montant de l'actif net réel de l'EIRL à la date de sa liquidation et les sommes correspondant, par assimilation, à des apports dans l'EIRL.

La cessation fiscale de l'EIRL peut également entraîner l'imposition immédiate de plus-values en report, sur le fondement de l'article 151 octies ou 151 nonies (report portant sur les "parts" de l'EIRL que l'entrepreneur individuel est réputé détenir, par exemple dans le cas où il en a hérité ou dans le cas où l'EIRL, d'abord imposée selon le régime des sociétés de personnes prévu à l'article 8, a opté pour son imposition à l'impôt sur les sociétés, entraînant le retrait de ces "parts" de son patrimoine professionnel à son patrimoine privé N° Lexbase : L1201IE9).

Dès lors que l'EIRL est assimilée, sur le plan fiscal, à une EURL, le décès de l'avocat n'emporte pas en soi cessation fiscale de l'EIRL. En effet, de la même façon que le décès de l'associé d'une EURL ou d'une EARL n'emporte la cessation fiscale de la société que dans le cas où celle-ci est par la suite liquidée, le décès de l'avocat n'entraîne la cessation de l'EIRL que si celle-ci est liquidée, c'est-à-dire que si son héritier ou ayant droit ne manifeste pas son intention de poursuivre l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine était affecté. En revanche, lorsque celui-ci manifeste l'intention de poursuivre l'activité, le décès de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée n'emporte pas cessation fiscale de l'EIRL. Lorsque l'EIRL était imposée chez le défunt selon les modalités prévues pour les sociétés de personnes défini à l'article 8, il y a alors lieu de constater une plus-value ou une moins-value afférente à la transmission des "parts" que ce dernier était réputé détenir sur l'EIRL, dont l'héritier ou l'ayant droit pourra reporter l'imposition en application de l'article 151 nonies.

La renonciation à l'affectation emporte également cessation fiscale de l'EIRL ; tel est également le cas lorsque le patrimoine affecté est cédé à une personne morale ou apporté en société (ce qui, en application du dernier alinéa du II de l'article L. 526-17 du Code de commerce N° Lexbase : L1988IPC, entraîne renonciation à l'affectation).

Outre les cas où la cessation fiscale de l'EIRL intervient du fait de sa disparition sur le plan juridique, la cessation fiscale de l'EIRL peut également intervenir pour des motifs purement fiscaux : cessation totale ou partielle de l'activité, changement réel d'activité, changement de régime d'imposition.

C - La transmission d'une EIRL

La transmission d'une EIRL soumise à un régime réel d'imposition doit être assimilée à la transmission d'une EURL. Plus précisément :

- dans les cas où la transmission de l'activité emporte liquidation de l'EIRL, la transmission de l'EIRL doit être assimilée à la transmission de l'activité par l'EURL ;

- dans les cas où la transmission de l'activité n'emporte pas liquidation de l'EIRL, la transmission de l'EIRL doit être assimilée à la transmission des parts d'une EURL.

Lorsque l'assimilation ainsi pratiquée aboutit à une situation où le contribuable serait éligible à un régime de faveur (CGI, art. 150-0 D ter N° Lexbase : L4706ICB, 151 septies A N° Lexbase : L8863ICA ou 238 quindecies N° Lexbase : L3104HNB), le même régime de faveur est applicable à la transmission de l'EIRL.

Ici encore, troisième écueil de ce régime fiscal de l'EIRL : la taxation en cas de cession ou de cessation de l'activité d'avocat, exercée par l'intermédiaire d'une EIRL, est lourde. L'acquéreur doit, quant à lui, supporter, outre le prix de l'acquisition de la clientèle, le coût fiscal supplémentaire soit d'une liquidation soit d'une cession de parts sociales.

IV - Autres impôts et taxes

A - La contribution économique territoriale

La loi de finances pour 2010 (loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 N° Lexbase : L1816IGD) a supprimé la taxe professionnelle à compter du 1er janvier 2010, laquelle a été remplacée par la contribution économique territoriale (CET) composée de la cotisation foncière des entreprises (CFE), fondée sur les bases foncières et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dont le taux est fixé au niveau national selon un barème progressif. Dans une telle hypothèse, l'EIRL et le cabinet d'avocat font l'objet de deux impositions distinctes. Les déclarations, avis d'imposition et pièces de procédure relatifs à l'imposition de l'EIRL sont adressés à l'avocat sous la dénomination qu'il a choisie pour son EIRL ; ce qui n'est pas fait pour simplifier les obligations fiscales des avocats souhaitant affecter une partie de leur patrimoine à une EIRL.

B - La taxe sur les véhicules des sociétés

Dès lors que l'EIRL est assimilée, sur le plan fiscal, à une EURL, elle est soumise à la taxe sur les véhicules des sociétés prévue à l'article 1010 du CGI (N° Lexbase : L0679IPT), à raison des véhicules de tourisme qu'elle utilise en France, quel que soit l'Etat dans lequel ils sont immatriculés, ou qu'elle possède et qui sont immatriculés en France.

On comprend, dès lors, que toute la contrariété que peut susciter l'adoption de ce statut d'EIRL par les avocats, comme par les autres entrepreneurs individuels et professionnels libéraux, tient en ce que, par mesure de simplicité apparente, le service de la législation fiscale a entendu assimiler EIRL et EURL, alors que la loi dispose clairement d'une absence de création d'une personne morale nouvelle et que son dispositif avait simplement pour but de protéger le patrimoine des professionnels exerçant individuellement et non de permettre aux bénéficiaires de ce nouveau régime une quelconque évasion fiscale. Et, le caractère hybride conféré à l'EIRL sur le plan fiscal, en tant qu'entreprise individuelle dépourvue de la personnalité morale soumise, sur option, à l'impôt sur les sociétés ne fait qu'entretenir le doute, à l'heure où l'adoption d'un tel patrimoine d'affectation nécessite de la clarté et de la praticité. Voulant écarter tout risque d'abus de droit, l'administration fiscale a, peut-être, péché par excès de zèle avec cette assimilation sans point de concordance juridique entre EIRL et EURL ; un excès de zèle qui pourrait bien entraîner, avant l'heure, la mort de ce nouveau-né juridique tant attendu par les professionnels individuels.

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Concurrence

[Questions à...] Ciseau tarifaire et pratique anticoncurrentielle : quand la cour d'appel de Paris annule les sanctions pécuniaires infligées à France Télécom et SFR Cegetel - Questions à Frédérique Dupuis-Toubol, avocat associée, Bird & Bird AARPI

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 17 Mars 2011

En 2004, le Conseil de la concurrence avait infligé de très lourdes sanctions pécuniaires aux deux principaux opérateurs de téléphonie que sont France Télécom et SFR, condamnés respectivement à 18 millions d'euros pour France Télécom et 2 millions d'euros pour SFR (Cons. conc., décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004 N° Lexbase : X5324AC8). Plus précisément, le Conseil avait retenu des pratiques de "ciseau tarifaire" ou de compression des marges. Aux termes d'une procédure particulièrement complexe (1), puisque sont intervenus dans ce dossier, outre la décision de sanction du Conseil de la concurrence, deux arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation et trois arrêts de la cour d'appel de Paris, cette dernière, le 27 janvier 2011, se rangeant à la position de la Cour régulatrice, a annulé les sanctions infligées aux opérateurs (CA Paris, Pôle 5, 5ème et 7ème ch., 27 janvier 2011, n° 2010/08945 N° Lexbase : A7276GSB). Afin de faire le point sur cette décision emblématique qui marque une victoire contentieuse importante à l'issue de cette longue bataille judiciaire, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré Maître Frédérique Dupuis-Toubol, avocat associée, Bird & Bird AARPI, qui représentait la société SFR Cegetel dans ce dossier.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les termes du litige ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 janvier 2011, dans lequel vous représentiez la société SFR Cegetel?

Frédérique Dupuis-Toubol : A l'origine de cette affaire, il y a une plainte d'une association d'opérateurs, qui a disparu depuis lors, sur la tarification par France Télécom et SFR Cegetel des appels fixe vers mobile pour les grands comptes et les entreprises de taille moyenne. Cette plainte a donné lieu à une décision du Conseil de la concurrence (désormais Autorité de la concurrence) du 14 octobre 2004 qui a écarté la plupart des griefs faits à SFR Cegetel mais a retenu une qualification de ciseau tarifaire à l'encontre de France Télécom et de SFR Cegetel au motif que le niveau de prix pratiqué par ces deux opérateurs sur la charge de terminaison d'appel sur leurs réseaux respectifs ne laisserait pas un espace économique suffisant à des opérateurs de téléphonie non intégrés verticalement pour proposer des services de téléphonie fixe vers mobile en direction de ces deux réseaux mobiles. SFR Cegetel et France Télécom ont formé un recours contre cette décision devant la cour d'appel de Paris qui l'a annulée une première fois en 2005 (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 12 avril 2005, n° 2004/21342 N° Lexbase : A9308DH9). Le ministre chargé de l'Economie de l'époque s'est pourvu en cassation et la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris (Cass. com., 10 mai 2006, n° 05-14.501, FS-P+B+I N° Lexbase : A3290DPK). Celle-ci a alors statué de nouveau par un arrêt qui, cette fois, a rejeté les prétentions de SFR Cegetel et de France Télécom (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 2 avril 2008, n° 2007/05604 N° Lexbase : A8040D7W). C'est alors SFR Cegetel et France Télécom qui ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation pour obtenir de nouveau une cassation totale et un nouveau renvoi devant la cour d'appel de Paris (Cass. com., 3 mars 2009, n° 08-14.435, FS-P+B N° Lexbase : A6421ED8). C'est dans ce contexte procédural bien particulier que la cour d'appel de Paris a été amenée à statuer pour la troisième fois dans cette affaire par l'arrêt du 27 janvier 2011 qui est entièrement satisfaisant de mon point de vue puisqu'il conclut au caractère non fondé des griefs retenus par le Conseil de la concurrence contre SFR Cegetel et France Télécom et en tire toutes les conséquences de droit, notamment la restitution par l'administration de la sanction pécuniaire de 2 millions d'euros pour SFR Cegetel.

Lexbase : La cour d'appel n'a pas retenu votre définition du marché pertinent. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?

Frédérique Dupuis-Toubol : La cour d'appel de Paris s'est concentrée sur les pratiques alléguées de ciseau tarifaire et sur la question de savoir si elles pouvaient être considérées comme abusives ou non car c'est la question de droit qui avait provoqué la cassation et le renvoi de l'affaire à nouveau devant la cour d'appel de Paris. Cela étant, dès lors que la cour d'appel de Paris dit que les pratiques imputées à tort à SFR Cegetel et à France Télécom ne sont pas établies, il va de soi que les définitions de marchés pertinents retenues par le Conseil de la concurrence sont de peu d'intérêt puisqu'elles ne permettent pas de conclure à un abus de position dominante, ni sur le marché prétendument dominé de la charge de terminaison d'appel -ce que d'ailleurs le Conseil de la concurrence n'avait pas fait- ni sur le marché connexe non dominé par SFR Cegetel des appels fixe vers mobile SFR pour les entreprises où le Conseil de la concurrence avait cru pouvoir identifier des pratiques de ciseau tarifaire.

Lexbase : Elle a toutefois confirmé en tous points votre analyse pour exclure le caractère anticoncurrentiel des pratiques litigieuses...

Frédérique Dupuis-Toubol : Absolument. La cour d'appel de Paris s'en tient scrupuleusement au régime de la preuve en matière de ciseau tarifaire tel que rappelé très précisément par la Cour de cassation dans son arrêt du 3 mars 2009. L'effet anticoncurrentiel d'une pratique de ciseau tarifaire peut être présumé par l'autorité de poursuite seulement dans le cas où la prestation intermédiaire est indispensable pour les concurrents désireux d'être présents sur le marché de détail. En revanche, si des solutions alternatives permettent de "contourner" l'achat de cette prestation intermédiaire, l'autorité de poursuite doit apporter la preuve concrète que les concurrents ne pouvaient pas entrer sur le marché de détail sans subir de pertes. La cour d'appel de Paris a appliqué ce régime de preuve posé par la Cour de cassation. Elle a conclu que l'effet anticoncurrentiel ne pouvait pas être présumé dès lors que le reroutage international permettait aux opérateurs concurrents de contourner l'interconnexion directe. Dès lors, l'effet anticoncurrentiel devait être concrètement démontré par le Conseil de la concurrence et la cour d'appel a constaté la carence totale du Conseil de la concurrence dans l'administration de cette preuve.

Lexbase : La cour d'appel de Paris précise également que les pratiques en cause doivent être examinées à la lumière d'une guerre de prix à laquelle se sont livrés l'opérateur historique et les nouveaux opérateurs dont votre client, SFR Cegetel. Diriez-vous que cette "solution" est originale ?

Frédérique Dupuis-Toubol : Cette solution est tout simplement de bon sens. La guerre commerciale que SFR Cegetel a livrée à l'époque à France Télécom n'était pas véritablement contestée par le Conseil de la concurrence, ce qui n'a pourtant pas empêché celui-ci de conclure à l'objet anticoncurrentiel par nature de la pratique de ciseau tarifaire prétendument mise en oeuvre par SFR Cegetel. La cour d'appel de Paris rappelle tout simplement qu'une pratique de ciseau tarifaire ne peut pas être considérée comme ayant un objet anticoncurrentiel dès lors que son auteur était engagé dans une guerre des prix très rude contre l'opérateur historique. C'était d'ailleurs bien le paradoxe de cette affaire que de voir sanctionné SFR Cegetel pour abus de position dominante alors que SFR Cegetel était un nouvel entrant sur le marché de la téléphonie fixe ayant fort à faire pour contester la position ultra-dominante de France Télécom sur ce marché.

Lexbase : Peut-on considérer que la cour d'appel a rendu une décision "emblématique" ?

Frédérique Dupuis-Toubol : C'est un juste rappel à la loi pour l'Autorité de la concurrence. Les cas d'abus de position dominante ont de très lourdes implications pour le fonctionnement et l'organisation du marché. Ils ne peuvent donc pas souffrir d'approximations pouvant conduire au cas présent jusqu'à sanctionner une entreprise pour abus de position dominante alors qu'elle est en réalité un nouvel entrant. Le régime de la preuve en matière de ciseau tarifaire est exigeant et d'interprétation stricte comme la Cour de cassation l'a rappelé. En outre, la jurisprudence la plus récente du Tribunal de première instance de la Communauté européenne (depuis devenu le TPIUE) et de la Cour de justice de l'Union européenne a opté exactement pour le même régime de preuve à l'occasion de l'affaire "Deutsche Telekom" (2). La convergence entre le droit national et le droit communautaire de la concurrence, qui est absolument nécessaire dès lors que de nombreuses infractions au droit de la concurrence sont qualifiées simultanément sur une base légale nationale et sur une base légale communautaire, constituait donc un motif supplémentaire pour la cour d'appel de Paris pour annuler cette décision du Conseil de la concurrence !


(1) La décision du Conseil de la concurrence (Cons. conc., décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004 N° Lexbase : X5324AC8) a fait l'objet d'un premier arrêt d'appel (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 12 avril 2005, n° 2004/21342 N° Lexbase : A9308DH9) cassé le 10 mai 2006 par la Cambre commerciale (Cass. com., 10 mai 2006, n° 05-14.501, FS-P+B+I N° Lexbase : A3290DPK) qui a renvoyé devant la cour d'appel de Paris (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 2 avril 2008, n° 2007/05604 N° Lexbase : A8040D7W), dont l'arrêt a été une nouvelle fois cassé, le 3 mars 2009 (Cass. com., 3 mars 2009, n° 08-14.435, FS-P+B N° Lexbase : A6421ED8) et renvoyé une dernière fois devant la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 5ème et 7ème ch., 27 janvier 2011, n° 2010/08945 N° Lexbase : A7276GSB).
(2) TPICE, 10 avril 2008, aff. T-271/03 (N° Lexbase : A8069D7Y) et CJUE, 14 octobre 2010, aff. C-280/08 (N° Lexbase : A7319GBP) qui confirment l'amende de 12,6 millions d'euros imposée par la Commission à Deutsche Telekom pour avoir abusé de sa position dominante sur les marchés de téléphonie fixe en Allemagne

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Conflit collectif

[Jurisprudence] Droit de grève : touche pas à mon intérimaire !

Réf. : Cass. soc., 2 mars 2011, n° 10-13.634, FP-P+B+R (N° Lexbase : A3457G4S)

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N6452BRE

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 17 Mars 2011

La grève constitue un puissant moyen juridique de pression économique sur l'entreprise en cherchant à la priver de son oxygène. Le droit français n'a pas consacré la théorie de l'égalité des armes et officiellement l'employeur ne dispose pas de véritable droit de riposte, même si le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre l'autorise à faire dans son entreprise tout ce qui n'est pas interdit par le Code du travail. C'est précisément l'une de ces interdictions qui se trouve mise en lumière dans un arrêt, en date du 2 mars 2011, qui fait de l'interdiction de recourir à l'intérim pour remplacer un salarié gréviste (I) une application très large (II).
Résumé

L'entreprise qui fait accomplir à des travailleurs temporaires, en plus de leur travail habituel, celui de salariés grévistes, ce qui se traduit par une augmentation de leur amplitude horaire, viole l'article L. 1251-10, 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L1534H9P) qui a pour objet d'interdire à l'employeur de recourir au travail temporaire dans le but de remplacer des salariés en grève et de priver leur action d'efficacité.

Commentaire

I - L'interdiction de recourir à l'intérim pour remplacer un gréviste

Problématique. Le Code du travail interdit à l'employeur "de recourir au travail temporaire [...] pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un conflit collectif de travail" (1), tout comme, d'ailleurs, il lui interdit de "conclure" un CDD dans le même cas de figure.

Mais si le texte interdit à l'évidence de faire appel à l'intérim après le début d'un conflit, interdit-il, également, à l'employeur d'utiliser les ressources déjà présentes dans l'entreprise avant le conflit pour faire face au surcroit temporaire de travail induit par la grève ?

Position de la Chambre criminelle. La Chambre criminelle de la Cour de cassation avait eu l'occasion de se prononcer sur cette question, mais dans une décision vieille de 30 ans et dans le sens d'une interprétation stricte, nécessaire en matière pénale pour assurer l'effectivité du principe de légalité de l'interdiction, n'excluant pas le recours à des intérimaires recrutés avant le début du conflit, "l'article L. 124-2 (N° Lexbase : L5598ACC) précité n'a d'autre objet que d'interdire à l'employeur de faire appel a une entreprise de travail temporaire dans le but de remplacer des salaries en grève et de priver leur action d'efficacité ; que ses termes ne sauraient être interprétés, de façon extensive, comme lui faisant défense d'employer, dans leur qualification professionnelle, des travailleurs temporaires embauches antérieurement à tout conflit" (2).

Position contraire de la Chambre sociale. C'est à cette même question inédite pour la Chambre sociale de la Cour de cassation que celle-ci devait répondre, ce qu'elle fait en prenant, dans cet arrêt en date du 2 mars, le contrepied de la position adoptée autrefois par la Chambre criminelle et dans le sens d'une protection accrue du droit de grève (3).

L'affaire. Dans cette affaire, un employeur avait eu recours pendant des grèves au sein de son entreprise en mars 2007 à des salariés intérimaires déjà présents à l'effectif depuis le mois d'octobre 2006. Estimant que la société avait porté atteinte au droit de grève des salariés, la Fédération nationale des transports et de la logistique force ouvrière fédération (le syndicat FO) avait saisi, avec succès, la juridiction civile de demandes indemnitaires.

Pour obtenir la cassation de la décision rendue en appel, l'entreprise faisait valoir que le texte ne lui faisait nullement interdiction d'utiliser des intérimaires embauchés avant le conflit puisque dans cette hypothèse l'employeur ne pouvait pas avoir voulu porter atteinte au droit de grève.

L'argument n'a pas convaincu la Haute juridiction qui rejette le pourvoi. Après avoir indiqué que "l'article L. 1251-10, 1er, du Code du travail a pour objet d'interdire à l'employeur de recourir au travail temporaire dans le but de remplacer des salariés en grève et de priver leur action d'efficacité", la Chambre sociale de la Cour de cassation relève "qu'ayant constaté que la société avait fait accomplir aux salariés temporaires, en plus de leur travail habituel, celui de salariés grévistes, leur amplitude horaire ayant été augmentée, la cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur avait eu recours au travail temporaire en violation de l'article L. 1251-10, 1er, du Code du travail".

II - Une conception très (trop ?) extensive de l'interdiction

Une solution discutable. Le moins que l'on puisse dire est que la solution n'a rien d'évidente.

La lettre. Il n'est en premier lieu pas certain que la lettre de l'article L. 1251-10 du Code du travail puisse justifier la solution, surtout si on veut bien l'interpréter à la lumière de l'article L. 1242-6 du Code du travail (N° Lexbase : L1437H94) qui contient l'exposé de la même interdiction pour les salariés sous CDD.

L'article L. 1251-10 vise, en effet, l'interdiction de "recourir" au travail temporaire. Or, le Code du travail vise la notion de "recours" au travail temporaire pour désigner les conditions préalables à la conclusion du contrat de mise à disposition et du contrat de mission, ces conditions s'appréciant nécessairement au moment du recrutement du salarié, et non plus tard. Les termes de l'article L. 1242-6 du Code du travail, qui porte la même interdiction, pour des raisons identiques, en matière de CDD, sont d'ailleurs plus clairs encore en visant l'interdiction de "conclure" ce type de contrat.

L'esprit. Il n'est pas non plus certain que la solution puisse se réclamer de l'esprit des textes. Comme le faisait remarquer le demandeur dans le cadre du pourvoi, et comme d'ailleurs l'avait indiqué la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 1980, l'interdiction vise à protéger les salariés contre des manoeuvres "anti-grève", ce qui suppose que l'employeur ait eu cette intention, et donc qu'il utilise du personnel extérieur à l'entreprise pour réaliser les tâches des grévistes. Or, pareille intention fait nécessairement défaut si les recrutements ont été réalisés avant le conflit et bien entendu que l'employeur n'a pas cherché à anticiper sur celui-ci en prenant de vitesse les grévistes (4).

L'égalité de traitement pour les salariés régulièrement entrés dans l'effectif. Par ailleurs, d'autres règles et principes pouvaient commander la confirmation de la solution retenue par la Chambre criminelle en 1980.

Dans l'arrêt des "Laiteries Entremont", rendu en 2001, la Chambre sociale avait, en effet, interprété restrictivement les interdictions qui pèsent sur l'employeur pendant la durée du conflit en affirmant que "sous réserve des prohibitions prévues par les articles L. 122-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5455ACZ), en ce qui concerne les contrats à durée déterminée, et L. 124-2-3 du même code (N° Lexbase : L5601ACG), en ce qui concerne les contrats de travail temporaire, il n'est pas interdit à l'employeur, en cas de grève, d'organiser l'entreprise pour assurer la continuité de son activité" (5). On sait, par ailleurs, que la Cour de cassation autorise le glissement de non-grévistes sur le poste de grévistes (6). Or, une fois régulièrement intégrés à l'effectif de l'entreprise et à l'activité de celle-ci, les salariés en CDD ou les intérimaires font partie intégrante de l'effectif, ils ont les mêmes droits que les salariés en CDI et peuvent d'ailleurs parfaitement se mettre en grève avec eux, la Cour de cassation ayant admis que des intérimaires puissent faire grève pour des revendications intéressant le personnel de l'entreprise dans laquelle ils sont mis à disposition, pour des revendications qui les concernent également (7).

Une solution justifiée au regard des conditions de recours à l'intérim. Le seul argument qui puisse être utilement invoqué au soutien de la décision tient aux termes de l'article L. 1251-5 du Code du travail (N° Lexbase : L1525H9D) qui dispose qu'"il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire [...] et seulement dans les cas" visés par la loi.

Or, et comme l'avait relevé la cour d'appel, et comme le souligne d'ailleurs explicitement la Chambre sociale dans cette décision pour prononcer le rejet du pourvoi ("la cour d'appel en a exactement déduit"), "la société avait fait accomplir aux salariés temporaires, en plus de leur travail habituel, celui de salariés grévistes, leur amplitude horaire ayant été augmentée, la cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur avait eu recours au travail temporaire en violation de l'article L. 1251-10, 1er, du Code du travail".

En d'autres termes, ce n'est pas tant le fait que l'employeur ait fait accomplir aux intérimaires les tâches des grévistes qui semble pris en compte, mais bien l'accroissement de leurs charges au-delà des tâches pour lesquelles ils avaient été recrutées. En poussant un peu le raisonnement, on pourrait même considérer que leur activité était partiellement licite par l'accomplissement des tâches pour lesquelles le contrat de mission avait été valablement conclu avant le conflit, et partiellement illicite pour les tâches supplémentaires accomplies pendant la durée du conflit et dont l'augmentation de leur amplitude de travail témoignait.

Il faut d'ailleurs remarquer, ici, qu'il n'est pas certain que cette analyse soit si éloignée de celle de la Chambre criminelle dans l'arrêt qu'elle avait rendu en sens contraire en 1980. Dans cette décision, la Chambre criminelle avait, certes, justifié son analyse par le désir d'interpréter strictement la loi pénale, ce qui était tout à son honneur, mais elle avait, également, relevé que l'argument tiré d'un accroissement des tâches des salariés n'avait pas été invoqué en appel et se trouvait donc irrecevable devant la Cour de cassation, suggérant en creux que celui-ci aurait éventuellement pu modifier l'appréciation faite par la Cour (8).

Une portée incertaine. Reste à déterminer la portée exacte de la décision, et singulièrement le droit qu'aurait l'employeur de réaffecter les intérimaires et CDD recrutés avant le conflit aux tâches des non-grévistes, sans modification de leur amplitude horaire. Compte tenu de l'orientation prise par la Chambre sociale de la Cour de cassation, et même si une interprétation littérale de la solution pourrait être discutée, il nous semble plus prudent de laisser les salariés en CDD et les travailleurs intérimaires en dehors du conflit et de ne pas les mobiliser à l'occasion de la réorganisation de la production.

D'autres situations liées à la réorganisation de la production pendant une grève demeurent problématiques, et se trouvent potentiellement menacées par le fondement affirmé de la solution (garantir l'efficacité de la grève). Qu'en est-il, en effet, de la possibilité pour des entreprises extérieures, vers lesquelles tout ou partie de l'activité bloquée par le conflit aurait été redirigée, de recruter des salariés en CDD ou des intérimaires pour faire face au surcroit temporaire d'activité lié à cette nouvelle "commande" ? Qu'en est-il des établissements de l'entreprise, non touchés par la grève, vers lesquels la production aurait été redirigée : peuvent-ils recourir à des CDD ou des intérimaires (a priori non), ou affectés leurs CDD ou intérimaires recrutés avant le conflit (a priori non, compte tenu des termes de l'arrêt) ?


(1) C. trav., art. L. 1242-6 (CDD N° Lexbase : L1437H94) et L. 1251-10 (intérim N° Lexbase : L1534H9P).
(2) Cass. crim., 2 décembre 1980, n° 80-90.149, publié (N° Lexbase : A1772ABA).
(3) Dans certaines décisions antérieures la Chambre avait toutefois suggéré cette solution, Cass. soc., 15 février 1979, n° 76-14.527, publié (N° Lexbase : A1634AB7), Bull. civ. V, n° 143, Dr. ouvr., 1980, p. 338, note M. Petit : "la grève des chauffeurs n'interdisait pas à la société Descours et Cabaud d'user et de disposer de ses véhicules et de recourir, sinon à du personnel d'entreprise de travail temporaire, ce qu'interdit en pareil cas l'article L. 124-2 du Code du travail, du moins à tout autre salarié ou à d'autres entreprises de transports".
(4) Pour un exemple d'employeur condamné pénalement pour avoir recruté le matin des intérimaires dans la perspective de la grève annoncée l'après-midi, Cass. crim., 8 décembre 2009, n° 09-83.273, F-D (N° Lexbase : A7773EQX).
(5) Cass. soc., 11 janvier 2000, n° 97-22.025, publié (N° Lexbase : A4722AGY), D., 2000, p. 369, note Ch. Radé.
(6) Cass. soc., 15 février 1979, préc..
(7) Dans cette affaire, les conditions de travail et les modalités de l'exercice du mandat des délégués du personnel, Cass. soc., 17 décembre 2003, n° 01-46.251, FS-P (N° Lexbase : A4852DAX), Dr. soc., 2004, p. 327, obs. Ch. Radé.
(8) Cass. crim., 2 décembre 1980, préc. : "la partie civile n'ayant pas allégué, devant les juges du fond, que les salaries concernés aient été affectés a des tâches étrangères à celles prévues par le contrat d'embauche, le moyen, en ce qu'il soutient que leurs changements d'affectations n'auraient pu résulter que d'une modification du contrat initial, donc d'un nouvel appel' à l'entreprise du travail temporaire, est nouveau et, a ce titre, irrecevable devant la cour de cassation".

Décision

Cass. soc., 2 mars 2011, n° 10-13.634, FP-P+B+R (N° Lexbase : A3457G4S)

Rejet (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009 N° Lexbase : A6378EPW)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1251-10 (N° Lexbase : L1534H9P)

Mots-clés : grève, remplacement, intérim

Liens base : (N° Lexbase : E2544ETE)

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Droit de la famille

[Panorama] La filiation et ses effets : panorama de jurisprudence (février 2011)

Lecture: 14 min

N7470BR4

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 17 Mars 2011

Le lien parent-enfant revêt plusieurs aspects. Il se traduit en premier lieu par la reconnaissance juridique d'un lien de famille qu'est la filiation. De ce lien découlent diverses conséquences dont le nom de l'enfant et l'exercice de l'autorité parentale dans ses différentes modalités. La jurisprudence relative à ses différentes questions est particulièrement riche et abondante et permet de préciser les dispositions législatives issues des réformes récentes. I. Le contentieux relatif à la filiation

A. Les expertises

Actions aux fins de subsides. L'un des éléments essentiels du contentieux relatif à la filiation se situe dans l'accès aux expertises biologiques qui constituent désormais la clé de tout procès en cette matière. La règle selon laquelle "l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder" posée par la Cour de cassation dans un arrêt du 28 mars 2000 (1) a été étendue peu après aux actions aux fins de subsides (2). Un arrêt du 9 février 2011 (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-72.009, F-D N° Lexbase : A7293GWZ) rappelle que "l'expertise biologique est de droit en matière d'action à fins de subsides, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder" et casse logiquement l'arrêt d'appel qui, pour déclarer l'action aux fins de subsides mal fondée, retient que les témoignages produits divergent sur les périodes durant lesquelles la mère et le père prétendu ont été vus ensemble et qu'ils ne se situent pas pour la majorité d'entre eux dans la période légale de conception. Cette décision s'inscrit dans une jurisprudence (3) qui permet en réalité d'établir les relations entre la mère de l'enfant et le père prétendu par l'existence d'une filiation entre l'enfant et ce dernier...

Refus de se soumettre à l'expertise. Si le principe de l'inviolabilité du corps humain, conjugué au droit au respect de la vie privée, exclut que l'on puisse imposer à une personne une expertise génétique, comme l'affirme d'ailleurs très clairement l'article 16-11 alinéa 2 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M), la jurisprudence admet que le refus de se soumettre à une expertise puisse être interprété au détriment de son auteur (4). Un arrêt du 9 février 2011 (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 10-14.144, F-D N° Lexbase : A7372GWX) en fournit une illustration. La cour d'appel a, en effet, établi la filiation de l'enfant en se fondant sur le fait que le père prétendu, qui avait épousé religieusement la mère, et vécu avec elle pendant la période légale de conception de l'enfant, ne présentait aucun motif sérieux légitimant son refus de se soumettre à l'expertise génétique. Cette affirmation permet de rappeler que ce refus pourrait, en théorie, ne pas être interprété dans un sens défavorable au défendeur si celui-ci justifiait son refus, lequel est soumis à l'appréciation souveraine des juges du fond (C. proc. civ., art. 11 N° Lexbase : L1126H4H). Toutefois, l'évolution des techniques d'analyse permettant que l'expertise soit réalisée en ne portant qu'une atteinte infime au corps de la personne concernée, rend difficile la justification du refus (5). Ainsi, la cour d'appel de Bordeaux a refusé de considérer comme légitime le refus de se prêter à une expertise fondé sur l'appartenance à la religion musulmane de l'intéressé (6). Un tel refus peut cependant être justifié ou insuffisant lorsqu'il est confronté à d'autres éléments de preuve fournis par son auteur (7).

B. La possession d'état

Après la réforme de la filiation de 2005 (ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 N° Lexbase : L8392G9P), la possession d'état devrait devenir un élément essentiel du procès relatif à la filiation, particulièrement s'agissant des actions en contestation de filiation. L'existence d'une possession d'état de cinq ans corroborant la filiation établie par un titre constitue en effet désormais un obstacle infranchissable pour contester la filiation (C. civ., art. 333 N° Lexbase : L5803ICW). Il est donc probable que le débat se concentre sur la question de l'existence de la possession d'état. De ce point de vue, un arrêt du 9 février 2011 (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-71.691, F-D N° Lexbase : A7286GWR) apporte des précisions intéressantes sur les éléments susceptibles d'entrer en ligne de compte, ou non, dans la caractérisation d'une possession d'état. Il s'agissait d'une action en contestation d'état intentée par une femme de cinquante ans dans le but de faire établir sa filiation à l'égard d'un homme proche de sa mère, dix ans après le décès de celui-ci. L'action était dirigée contre les héritiers de ce dernier. A l'appui de la demande de constatation d'une possession d'état, plusieurs circonstances étaient avancées : la présence de l'homme concerné au mariage de la demanderesse, sa présence aux obsèques de la mère de celle-ci et le fait qu'il était enterré auprès de cette dernière. Toutefois, la cour d'appel d'Amiens, approuvée par la Cour de cassation, a considéré que ces éléments "ne suffisaient pas à caractériser la possession d'état dont elle se prévalait dès lors, d'une part qu'elle avait été élevée seule par sa mère avant d'être placée par les services sociaux en famille d'accueil entre le 6 août 1966 et le 18 septembre 1972 de sorte que la preuve n'était pas rapportée que M. Y l'eût élevée ou eût pourvu à son entretien et à son éducation, d'autre part, qu'il n'était pas établi que M. Y l'eût traitée comme sa fille, ni que cette dernière l'eût traitée comme son père". Cette décision met l'accent sur l'importance de la contribution à l'entretien de l'enfant pour caractériser la possession d'état ainsi que sur les liens réciproques que doivent entretenir l'enfant et son père prétendu. Les éléments avancés pour caractériser la possession d'état en l'espèce établissaient la réalité des liens entre l'homme concerné et la mère de l'enfant sans véritablement démontrer de liens directs entre l'enfant et cet homme. Le fait que celui-ci n'ait pas participé à la prise en charge de l'enfant au moment où sa propre mère était visiblement défaillante semble en outre avoir lourdement pesé dans l'appréciation de la cour d'appel. Cette analyse s'inscrit plutôt dans une appréciation stricte de la possession d'état qui pourrait, si elle se confirme, limiter les effets restrictifs de la fin de non-recevoir de l'article 333 du Code civil.

II. Les conséquences de la filiation

A. Le nom de l'enfant

Application dans le temps de la réforme du nom. La loi n° 2002-304 du 4 mars 2002, relative au nom de famille (N° Lexbase : L7970GTD), modifiée par la loi du 18 juin 2003 (loi n° 2003-516, relative à la dévolution du nom de famille N° Lexbase : L6497BH4), puis par l'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759, préc.) ont réformé en profondeur la question de l'attribution du nom de l'enfant en admettant pour la première fois que la volonté individuelle et égalitaire des parents joue un rôle essentiel dans le choix du nom de l'enfant. Il n'est pas étonnant que les parents qui se voient priver, pour des raisons liées à l'application dans le temps de la réforme, de cette possibilité de choisir le nom de leur enfant, tentent de recourir aux droits fondamentaux pour contourner les limites temporelles du nouveau dispositif. C'est à travers une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation a été saisie de cette question. Toutefois, elle refuse logiquement, dans sa décision du 24 février 2011 (Cass. QPC, 24 février 2011, n° 10-40.067, FS-D N° Lexbase : A5779G3G) de transmettre cette question au Conseil constitutionnel au motif difficilement contestable que "la question posée ne présente pas un caractère sérieux dès lors, d'une part, qu'aucun texte de valeur constitutionnelle n'impose au législateur de laisser aux parents le choix du nom dévolu à leur enfant, d'autre part, que les règles différentes de dévolution du nom prévues par les articles 311-21 (N° Lexbase : L8864G98) et 311-23 (N° Lexbase : L5824ICP) du Code civil selon la date d'établissement de la filiation ne sont pas constitutives d'une rupture d'égalité dans la mesure où la dévolution du nom de famille est déterminée par l'établissement du lien de filiation et que les textes contestés ont pour objet de concilier la possibilité donnée à tous les parents de choisir conjointement le nom attribué à leur enfant et la nécessité de préserver la stabilité du nom, répondant ainsi à un objectif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi".

On voit mal, en effet, quel texte constitutionnel ou d'ailleurs plus largement quelle disposition supra-législative -l'auteur de la QPC avait évidemment sans succès tenté d'invoquer la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme- permettrait de consacrer le droits des parents à choisir le nom de leur enfant. Le droit au nom fondé par la Cour européenne des droits de l'Homme sur le droit à la vie privée et familiale de l'article 8 de la Convention européenne (N° Lexbase : L4798AQR), et directement consacré par l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), implique le droit d'avoir un nom et de préserver ce nom (CIDE, art. 8). La Cour de cassation a considéré dans une décision du 6 janvier 2010 (8), qu'on ne saurait déduire de l'article 8 de la CIDE un droit de l'enfant à un double nom. La Cour européenne des droits de l'Homme a par ailleurs clairement reconnu le pouvoir réglementaire de l'Etat en matière de nom, notamment pour limiter les changements de nom volontaires (9). Quant à considérer que des prérogatives parentales doit découler un droit de choisir le nom de son enfant, il semble là encore que le droit au respect de la vie familiale constitue un fondement peu solide, la Cour européenne ne l'ayant jamais admis. Il est en outre probable qu'elle refuse de le faire compte tenu des pouvoirs de l'Etat en cette matière.

L'absence de droit fondamental à choisir le nom de son enfant n'empêche pas d'invoquer l'argument de l'inégalité dès lors que ledit droit est consacré par le droit positif interne. Les parents concernés se plaignaient en effet du fait que, compte tenu de la date d'établissement de la filiation de leur enfant, ils n'avaient pas pu bénéficier de la possibilité de choisir le nom de leur enfant en vertu du nouveau dispositif légal. Il faut préciser, à cet égard, que le législateur avait partiellement répondu à cette critique en permettant pendant dix-mois après l'entrée en vigueur de la réforme du nom au 1er janvier 2008, aux parents de modifier par déclaration conjointe le nom de leur enfant en utilisant les nouvelles dispositions de l'article 311-21 du Code civil dès lors qu'il était âgé de moins de treize ans (10). En tout état de cause et si les parents n'ont pas profité de cette possibilité, il est tout à fait compréhensible, qu'une fois cette période transitoire écoulée, on n'admettre plus la modification du nom de l'enfant en raison de la nécessité de préserver la stabilité de son identité, ce qui constitue sans nul doute un droit fondamental...

Etablissement judiciaire de la filiation et changement du nom de l'enfant. Lorsqu'il établit la filiation de l'enfant, le tribunal de grande instance est compétent pour décider de modifier le nom. Cette compétence qui relève des textes antérieurs à la réforme a été maintenue par la Cour de cassation qui, dans un avis du 13 septembre 2010 (n° 10-00.004), a affirmé que "le tribunal de grande instance, saisi par les parties d'une demande de changement de nom d'un enfant, formée à l'occasion d'une action aux fins d'établissement judiciaire d'un second lien de filiation [...] est compétent, sur le fondement de l'article 331 du Code civil (N° Lexbase : L8833G9Z), pour statuer sur l'attribution du nom de l'enfant en cas de désaccord entre les parents et peut décider, en considération de l'ensemble des intérêts en présence et plus particulièrement de celui supérieur de l'enfant, soit de la substitution du nom du parent à l'égard duquel la filiation est établie judiciairement en second lieu, au nom jusque-là porté par l'enfant, soit de l'adjonction de l'un des noms à l'autre".

Un arrêt de la première chambre civile du 9 février 2011 (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 10-14.144, F-D N° Lexbase : A7372GWX) vient toutefois opportunément rappeler que la substitution du nom de l'enfant, au profit du nom du père dont la filiation est établie judiciairement, ne saurait répondre à la seule demande de la mère. La Cour de cassation rappelle, en effet, que "pour statuer sur la demande de changement de nom d'un enfant naturel, le juge doit prendre en considération les intérêts en présence". Elle casse en conséquence l'arrêt d'appel qui, pour accueillir la demande de la mère tendant à substituer le nom du père de son enfant au sien, n'énonce aucun motif particulier ; en se déterminant sans se prononcer sur les intérêts en présence, et notamment sur l'intérêt de l'enfant, la cour d'appel n'a, en effet, pas donné de base légale à sa décision. Le changement de nom de l'enfant n'est donc pas -et il faut s'en féliciter- une conséquence automatique de l'établissement d'une nouvelle filiation de l'enfant ; il doit être justifié par des motifs particuliers fondés sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette affirmation conforte le principe de stabilité du nom de l'enfant qui découle de son droit à préserver son identité (CIDE, art. 8). La filiation est certes indispensable pour que le nom correspondant puisse être attribué ou maintenu, la disparition d'un lien de filiation entraîne immanquablement la perte par l'enfant du nom correspondant (11) ; à l'inverse le lien de filiation n'est pas suffisant pour que le nom correspondant soit attribué à l'enfant au moment de sa naissance -le nom de l'un ou l'autre parent peut désormais être choisi- ou au moment de l'établissement judiciaire de la filiation, encore faut-il que l'attribution de ce nom, qui implique un changement d'identité, soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant.

B. Les relations personnelles de l'enfant avec ses parents

La filiation entraîne l'attribution et, en principe, l'exercice de l'autorité parentale dont l'une des modalités consiste dans les relations personnelles de l'enfant avec ses deux parents. Lorsque les parents sont séparés, ces relations prennent en général la forme d'un droit de visite et d'hébergement au profit du parent avec qui les enfants ne vivent pas.

Un arrêt du 9 février 2011 (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-12.119, F-D N° Lexbase : A7220GWC) constitue l'une des rares décisions relatives à la réduction d'un droit de visite et d'hébergement dans le cadre d'un exercice en commun de l'autorité parentale.

Absence de disposition légale. La loi a été longtemps muette sur la question du droit de visite et d'hébergement dans le cadre d'un exercice en commun de l'autorité parentale. Pas plus que les lois n° 87-570 du 22 juillet 1987 et n° 93-22 du 8 janvier 1993 (N° Lexbase : L8449G8G), la loi du 4 mars 2002 n'avait en effet réglé cette question. En pratique, les magistrats fixaient quasi systématiquement les droits de visite et d'hébergement du parent avec lequel les enfants n'avaient pas leur résidence habituelle. La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 (N° Lexbase : L5932HUA) a mis les textes en conformité avec la pratique en indiquant dans l'article 373-2-9 du Code civil (N° Lexbase : L7189IM9) que : "Lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent". Cette nouvelle disposition ne prévoit cependant pas l'exclusion du droit de visite en cas de motifs graves mais seulement la possibilité d'organiser le droit de visite dans un lieu neutre si l'intérêt de l'enfant le commande. Il semble cependant que ce texte ne contredise pas l'arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2006 (12), selon lequel le parent qui n'a pas la résidence de l'enfant peut se voir refuser un droit de visite et d'hébergement pour des motifs graves tenant à son intérêt supérieur. Dans un arrêt du 17 juin 2009 (13), la Cour de cassation rejette un pourvoi tendant à la réduction du droit de visite et d'hébergement du père au motif "qu'après avoir exactement énoncé que la mère ne faisait état d'aucun motif grave justifiant de restreindre les droits d'accueil du père qui exerçait avec elle l'autorité parentale sur l'enfant, la cour d'appel a souverainement estimé qu'il était de l'intérêt de l'enfant d'être hébergé les fins de semaine par son père afin de maintenir des liens entre le père et sa fille".

Conditions d'hébergement. L'arrêt du 9 février concerne le droit de visite d'un père exerçant l'exercice de l'autorité parentale conjointement avec la mère à l'égard de ses deux enfants. Les arguments utilisés par les juges pour réduire ses droits diffèrent selon qu'il s'agit de l'un ou l'autre des enfants. Pour ce qui concerne sa fille, âgée de 14 ans, le père voit son droit de visite et d'hébergement réduit à un simple droit de visite, ce qui implique que l'enfant ne peut dormir chez lui. Cette réduction importante du droit du père d'entretenir des relations avec sa fille est motivée par l'inadéquation des conditions d'hébergement de l'adolescente chez son père et les discours négatifs et méprisants que celui-ci tenait devant elle et qui la bouleversaient. En l'espèce, le père vivait dans un studio de 30 m² ce qui obligeait l'adolescente qui avait émis le souhait de revenir dormir chez sa mère, à dormir dans la même pièce que son père.

Motif grave tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant. La Cour de cassation estime que "dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation", la cour d'appel a pu estimer que ces circonstances constituaient des motifs graves tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant justifiant la limitation du droit de visite et d'hébergement du père à l'égard de sa fille. La Cour confirme ainsi, après l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, la possibilité de réduire ou supprimer le droit de visite et d'hébergement d'un parent dans le cadre l'exercice en commun de l'autorité parentale, à condition que cette atteinte aux droits parentaux soient fondée sur un motif grave tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Fondement de la compétence du juge. Une analyse similaire, mais plus précisément fondée, permet de supprimer totalement le droit de visite et d'hébergement du père à l'égard de son fils poli-handicapé. La Cour relève, en effet, que le père n'a pas exercé son droit de visite à l'égard de son fils depuis 2000 et que les conditions de logement du père ne permettaient pas un hébergement adapté de l'enfant. Il était difficile de ne pas qualifier de motifs graves tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant pour supprimer le droit de visite des circonstances qui combinaient désintérêt du père et inadaptation du lieu où il prétendait accueillir l'enfant. Mais la Cour de cassation précise également, dans cette partie de l'arrêt, le fondement de la compétence du juge du fond pour prendre une telle décision. Elle affirme en effet que celui-ci tire son pouvoir souverain d'appréciation des circonstances permettant de supprimer le droit de visite "des articles 371-1, 372 et 373-2-8 du Code civil". La Cour de cassation supplée ainsi le vide législatif en considérant que la définition de l'autorité parentale combinée avec le principe de l'exercice en commun de l'autorité parentale, et l'affirmation générale selon laquelle le juge peut être saisi "à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et sur la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant", confère au juge aux affaires familiales le pouvoir de supprimer le droit de visite d'un parent exerçant conjointement l'autorité parentale.


(1) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806 (N° Lexbase : A8717AHC), Bull. civ. I, n° 103 ; JCP éd. G, 2000, II, n° 10409, concl. C. Peite, note M.-C. Monsallier Saint-Mleux ; JPC éd. G., 2000, II, 10410, obs. T. Garé ; D., 2000 p. 731, note T. Garé ; D., 2001 p. 2868, note C. Desnoyer ; D., 2001 p. 976, obs. F. Granet ; RJPF, 2000-5/38, obs. J. Hauser ; RTDCiv., 2000 p. 304, obs. J. Hauser ; Defrénois, 2000, art. 37194, p. 769, obs. J. Massip ; Dr. fam., 2000, comm. n° 72, obs. P. Murat.
(2) Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 03-12.641, FS-P+B (N° Lexbase : A7993DIU), Dr. fam., 2005, comm. n° 182, note P. Murat ; Cass. civ. 1, 9 janvier 2007, n° 06-10.998 (N° Lexbase : A4842DTI), D., 2007 p. 1460, obs. F. Granet.
(3) Cass. civ. 1, 14 février 1995, n° 93-13.369 (N° Lexbase : A6343AHE), Bull. civ. n° 81, D., 1995, somm. comm. p. 225, obs. F. Granet ; D., 1996, p. 111, note J. Massip, somm. p. 111, obs. F. Dekeuwer-Defossez ; JCP éd. G., 1996, II, 22569, obs. C. Pugelier.
(4) Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 02-10.665, F-D (N° Lexbase : A8877DCR) ; Cass. civ. 1, 31 janvier 2006, n° 03-13.642, F-D (N° Lexbase : A6450DMT), AJFam., 2006, p. 168, obs. F. Chénedé ; Cass. civ. 1, 23 janvier 2007, n° 06-10.461, F-D (N° Lexbase : A6929DTS), D., 2007, pan. Obs. F. Granet-Lambrecht.
(5) P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz action 2010-2011, n° 211-57.
(6) CA Bordeaux, 2 avril 2003, RTDCiv., 2004, p. 73, obs. J. Hauser.
(7) Cass. civ. 1, 17 septembre 2003, n° 01-13856, FS-D (N° Lexbase : A5332C9D), Dr. fam., 2004, comm. n° 3, obs. P. Murat ; Cass. civ. 1, 3 janvier 2006, n° 03-19.737, F-D (N° Lexbase : A1703DMZ), D., 2006, pan. 11143, obs. F. Granet-Lambrecht.
(8) Cass. civ. 1, 6 janvier 2010, n° 08-18.871, FS-P+B (N° Lexbase : A2105EQZ), cf. nos obs., Le double nom n'est pas un droit fondamental, Lexbase Hebdo n° 380 du 28 janvier 2010 - édition privée (N° Lexbase : N9774BMX).
(9) CEDH, 25 novembre 1994, Req. 38/1993/433/512 N° Lexbase : A6643AWX). Dans cette affaire, le requérant contestait le refus des autorités finlandaises de l'autoriser à changer son patronyme au bénéficie d'un nom porté par un de ses ancêtres. La Cour, même si elle affirme que le nom conserve un rôle déterminant pour l'identification des personnes, admet que des restrictions légales à la possibilité de changer de nom peuvent être justifiées par l'intérêt public. Elle constate qu'il n'existe pas de consensus dans ce domaine dans la législation des Etats membres et en conclut qu'il dispose d'une large marge d'appréciation en la matière.
(10) Loi n° 2003-516 du 18 juin 2003, art. 11 (N° Lexbase : L6497BH4).
(11) Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 08-14.619, M. Guy Largeault, FS-P+B (N° Lexbase : A8037ETT), cf. nos obs., L'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas de conserver un nom qui ne correspond pas à sa filiation, Lexbase Hebdo n° 391 du 15 avril 2010 - édition privée (N° Lexbase : N7504BNA).
(12) Cass. civ. 1, 14 mars 2006, n° 05-13.360, F-P+B (N° Lexbase : A6183DNC), Bull. civ. I, n° 161 ; Dr. fam., 2006, comm. n° 157, obs. p. Murat.
(13) Cass. civ. 1, 17 juin 2009, n° 08-17.139, F-D (N° Lexbase : A3066EIE).

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mars 2011

Lecture: 17 min

N7432BRP

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Le 17 Mars 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus pas la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 15 février 2011, la Chambre commerciale pose le principe de l'absence d'exigence de la déclaration de créance au passif d'un agent immobilier détenant à titre précaire des fonds pour le compte de son client, alors que dans le second, soumis à la plus large publicité, la même formation de la Cour régulatrice censure, le 8 mars 2011, dans l'emblématique affaire "Coeur Défense", l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 février 2010 qui avait rétracté le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de la bailleresse de la célèbre tour et de sa holding.
  • L'absence d'exigence de la déclaration de créance au passif d'un agent immobilier détenant à titre précaire des fonds pour le compte de son client (Cass. com., 15 février 2011, n° 10-10.056, F-P+B N° Lexbase : A1599GXI)

L'effet réel de la procédure collective a encore frappé, serait-on tenté d'écrire.

Plusieurs arrêts, commentés ont permis, au cours de l'année 2010, d'apercevoir l'acclimatation que la Cour de cassation a faite d'une analyse doctrinale, selon laquelle l'ouverture d'une procédure collective produit un effet de saisie collective des biens du débiteur. Un premier arrêt a porté sur la succession de procédures collectives atteignant deux époux communs en biens (1). Un second arrêt a concerné le sort des rémunérations perçues par le débiteur pendant sa liquidation judiciaire (2).

Les biens du débiteur, soumis à l'effet réel de la procédure collective, sont confisqués aux créanciers soumis à la discipline collective, les créanciers antérieurs, de manière classique, mais aussi, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), les créanciers postérieurs non éligibles au traitement préférentiel, c'est-à-dire les créanciers non visés au I de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD), autrement dénommés "créanciers postérieurs non méritants".

Cette analyse admise, il importe de bien délimiter le périmètre de l'effet réel de cette saisie collective, car de celui-ci dépend le corps de règles applicables, la discipline collective, au centre de laquelle il faut placer l'obligation de déclarer la créance au passif, corollaire immédiat de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles.

En l'espèce, un bailleur avait confié à un agent immobilier le soin de percevoir les loyers d'un bail. L'agent immobilier, mandataire, avait été placé en liquidation judiciaire. Le mandant avait déclaré sa créance de restitution de sommes détenues à titre précaire au passif du mandataire et avait été admis à ce passif. Le liquidateur contestait cette admission, qui avait été prononcée, en dernier ressort, par le juge-commissaire, le montant en cause étant en dessous du taux du ressort.

La question qui se posait donc, en l'espèce, était de savoir si les fonds détenus par un agent immobilier, au nom et pour le compte de son client, doivent faire l'objet, de la part de ce client, d'une déclaration de créance au passif, lorsque l'agent immobilier est placé sous sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.

A cette question, la Cour de cassation répond, de la plus nette des manières, en cassant l'ordonnance attaquée, que "le mandant d'une agence immobilière en liquidation judiciaire n'a pas à déclarer sa créance de restitution résultant des dispositions de la loi du 2 janvier 1970 [oi n° 70-9, réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce N° Lexbase : L7536AIX] au passif de la procédure, celle-ci échappant par sa nature aux dispositions de la procédure collective obligeant les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture à déclarer leurs créances au liquidateur".

La stricte observation des textes régissant le domaine d'application de la déclaration de créance ne permet pas de parvenir à une telle solution. L'article L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX) énonce, en effet, que "à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire". Cette formulation est très générale et n'introduit pas de distinction. On pourrait donc s'arrêter à la généralité du domaine d'application de la déclaration de créance au passif, qui s'évince des textes, et soumettre le mandant d'un agent immobilier, comme tout créancier, à cette obligation.

Ce serait méconnaître la nature des rapports juridiques unissant le client d'un agent immobilier à ce dernier. Lorsque, en application des dispositions de la loi du 2 janvier 1970, l'agent immobilier reçoit des sommes de la part de ses clients, c'est au titre d'un mandat, qui l'oblige, comme tout mandataire fidèle, à restituer lesdites sommes. Il doit d'ailleurs obligatoirement contracter une garantie, permettant à ses clients d'être assurés de pouvoir obtenir paiement de ce qui leur est dû, dans l'hypothèse où l'agent immobilier serait défaillant. Cette garantie n'est pas un cautionnement, mais a la nature d'une garantie autonome, d'où il résulte que sa mise en oeuvre est absolument indépendante d'une déclaration de créance de la part du mandant, le client, au passif du mandataire, l'agent immobilier. La solution a été posée, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR) (3), à une époque où l'absence de déclaration de la créance au passif entraînait son extinction. Elle est évidemment reconductible sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, alors surtout que, on le sait, la créance non déclarée n'est plus éteinte, mais seulement inopposable à la procédure collective.

Ainsi, l'agent immobilier ne s'approprie jamais les sommes encaissées pour le compte de ses clients. Elles n'entrent pas dans son patrimoine réel.

La solution n'est pas sans précédent. En effet, dans une espèce, il avait été relevé que "les fonds transitant par le compte réseau n'étaient pas la propriété de la société, intervenant comme simple mandataire, mais celle des franchisés, l'arrêt en déduit que, ces derniers n'étant pas créanciers de la société, les règles gouvernant l'admission des créances et leur paiement dans le cadre des procédures collectives sont inapplicables à la restitution des fonds ; qu'en l'état de ses seules constatations et appréciation dont il résulte que le juge-commissaire [...] n'a pas excédé ses pouvoirs, la cour d'appel a également justifié sa décision" (4).

La Cour de cassation, comme elle le fait, au moins implicitement, dans l'arrêt commenté, appuie sa solution sur la propriété des fonds qu'elle reconnaît aux mandataires, ce qui conduit à une exclusion du périmètre de la procédure collective, de son effet réel, des sommes en question. Logiquement, les propriétaires de ces sommes ne sont pas traités comme des créanciers, soumis comme tels à devoir déclarer leur créance au passif, mais comme des propriétaires.

Mais, peut-être est-il alors possible de soutenir qu'elles entrent dans son patrimoine apparent. La solution aurait pour conséquence d'obliger le mandant à revendiquer, sous les formes et dans les délais classiques, ces sommes d'argent dans la procédure collective de l'agent immobilier.

Dans un premier temps, la jurisprudence avait admis que la revendication puisse porter sur une somme d'argent. Il fallait, pour cela, que le revendiquant soit bien propriétaire, non simple créancier (5). L'exigence était en conséquence posée en ces termes : l'argent ne devait pas être confondu dans le patrimoine du débiteur, ce qui n'était pas sans poser des difficultés de preuve.

Une difficulté se présentait spécialement si l'obligation de restitution était détenue sur un banquier. La solution décrite cadrait assez mal avec l'analyse selon laquelle l'obligation du banquier de restituer à son client les sommes déposées par celui-ci chez lui relevait d'un quasi-dépôt, le banquier devenant en réalité propriétaire des sommes déposées à charge pour lui de rendre l'équivalent à son client quand ce dernier en fera la demande. L'idée avait cependant été avancée en doctrine de revendiquer non une somme d'argent, mais le compte bancaire, en tant qu'universalité (6).

A la suite d'une évolution (7), la Cour de cassation considère désormais, sous la forme d'un principe, qu'"une demande de restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication, la seule voie ouverte au créancier d'une somme d'argent étant de déclarer sa créance à la procédure collective de son débiteur" (8). Toute demande portant sur une somme d'argent oblige donc à considérer l'intéressé comme un créancier, soumis comme tel à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et corrélativement astreint à devoir déclarer sa créance antérieure au passif.

Après avoir posé ce principe de solution, la Cour de cassation le tempère immédiatement : la déclaration de créance ne s'impose que si la personne en redressement ou en liquidation judiciaire -en l'occurrence le franchiseur- est débitrice personnelle des franchisés, ce qui n'est pas le cas en présence de facturation et d'encaissement par le franchiseur de sommes déposées en banque sur un compte réseau, le franchiseur ne jouant alors que le rôle d'un mandataire chargé d'encaisser pour le compte des franchisés les créances détenues sur des tiers par ces derniers (9).

Ainsi, dès lors que la somme d'argent est détenue par la personne sous procédure collective à titre précaire, et qu'elle a l'obligation de la restituer, son bénéficiaire n'est pas un créancier, soumis comme tel à la procédure collective.

La même solution avait aussi été posée en matière de séquestre. Il résulte de l'article 1956 du Code civil (N° Lexbase : L2179ABC) que le dépositaire, dans le cadre d'un séquestre, même sous procédure collective, a l'obligation de rendre la chose contentieuse à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir, sans qu'il y ait place à concours entre les créanciers de ce dépositaire (10). Le super privilège des salaires ne peut donc l'emporter (11). En conséquence, le bénéficiaire des sommes séquestrées n'a pas à déclarer sa créance au passif du séquestre (12).

Ainsi, le client de l'agent immobilier, lequel détient des sommes à titre de mandat de la part de son client, est traité non comme un créancier, astreint à devoir déclarer sa créance au passif, mais plutôt comme un propriétaire, dispensé de revendiquer, puisque sa propriété porte sur une somme d'argent. En somme, c'est un propriétaire de meuble émancipé de toute discipline collective.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • La consécration de la sauvegarde comme outil de gestion par l'arrêt "Coeur Défense" (Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0445G7M)

Du "Coeur de la Défense" se sera écoulé beaucoup d'encre doctrinale et judiciaire. Rien d'étonnant à cela eu égard à l'importance juridique et aux enjeux financiers de cette spectaculaire affaire "Heart Of La Défense" (HOLD), plus connue des praticiens des procédures collectives sous l'appellation "Coeur Défense".

La société par actions simplifiée HOLD, dont le capital est entièrement détenu par une holding (la société Dame Luxembourg), est propriétaire, par l'intermédiaire d'une société civile immobilière dont elle est la seule associée, d'un ensemble immobilier à usage de bureaux destinés à la location appelé "Coeur Défense". Le financement de l'acquisition de cet ensemble immobilier a été fait au moyen d'emprunts à taux variable, consentis par la société Lehman Brothers Bankhaus AG (Allemagne), et remboursables in fine. Jusqu'à l'échéance du terme, seuls étaient payables les échéances trimestrielles d'intérêt. Les emprunts étaient garantis par une hypothèque, par la cession des créances de loyers des baux consentis par la société HOLD et par le nantissement assorti d'un pacte commissoire de la totalité des actions de la société HOLD détenues par la holding Dame Luxembourg. Pour répondre aux exigences prévues par les contrats de prêt, la société HOLD avait également fourni des contrats de couverture du risque de variation des taux d'intérêt, lesquels avaient été conclus avec la société Lehman Brothers international (Royaume-Uni) en qualité de contrepartie, elle-même garantie par la société Lehman Brothers Inc (Etats-Unis). Dans le cadre d'une opération de titrisation, la créance du prêteur a été cédée à un fonds commun de titrisation représenté par la société de gestion Eurotitrisation. En raison de l'ouverture de procédures collectives à l'encontre des sociétés du groupe Lehman Brothers (contrepartie pour les contrats de couverture, et garante), la société de gestion Eurotitrisation a exigé qu'un autre établissement garantisse désormais le risque de variation des taux d'intérêt dans la mesure où les contrats de couverture n'étaient plus conformes aux critères de notation prévus aux contrats de prêt, menaçant de prononcer, à défaut, la déchéance du terme des prêts. Soutenant essentiellement qu'il était impossible, dans le contexte de crise financière de l'automne 2008, de trouver une nouvelle contrepartie pour les contrats de couverture, la société HOLD et sa holding Dame Luxembourg ont demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

Cette demande a été accueillie par le tribunal de commerce de Paris le 3 novembre 2008 (13) lequel a, par jugement du 9 septembre 2009 (14), arrêté un plan de sauvegarde. Exerçant une tierce-opposition, la société Eurotitrisation avait sollicité la rétractation des jugements d'ouverture des procédures de sauvegarde. Le recours, déclaré recevable par le tribunal de commerce de Paris, a cependant été rejeté. Sur appel interjeté par la société Eurotitrisation, tiers opposant, la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 25 février 2010 (15), a confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré recevable la tierce-opposition mais l'a infirmé, rétractant ainsi les jugements d'ouverture des procédures de sauvegarde.

Sur les pourvois exercés à l'encontre de cet arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 8 mars 2011, un très riche et important arrêt (FS-P+B+R+I) faisant état d'une quintuple cassation. Nous nous attarderons ici uniquement sur les trois points qui nous semblent les plus fondamentaux.

Le premier apport de l'arrêt se situe sur un terrain procédural : celui de la recevabilité de la tierce-opposition formée par un créancier à l'encontre du jugement statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde. Sur ce point, la Cour de cassation est en parfait accord avec la cour d'appel. Elle considère qu'"il résulte des articles L. 661-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L4168HBY), dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT), et 583, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6740H7R), que la tierce-opposition est ouverte à l'encontre du jugement statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde à tout créancier invoquant des moyens qui lui sont propres". En l'occurrence, la Cour de cassation considère que la société Eurotitrisation faisait état de moyens propres dès lors qu'"elle alléguait que la procédure de sauvegarde avait pour but exclusif de permettre aux sociétés HOLD et Dame Luxembourg d'échapper, au moins temporairement, à l'exécution de leurs obligations contractuelles envers le seul fonds commun de titrisation, qu'elle représentait, ou de la contraindre à négocier leur aménagement".

Sur le fond, la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à plusieurs questions dont deux nous semblent essentielles.

1°) Les difficultés insurmontables rencontrées par le débiteur doivent-elles, pour conduire à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, avoir une incidence sur la poursuite de son activité ? Autrement formulé : au titre des conditions d'ouverture de la procédure, faut-il prendre en considération l'objectif de la procédure de sauvegarde qui est de permettre de poursuivre l'activité économique ?

Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 620-1 (N° Lexbase : L4125HBE), applicable en la cause, qu'"il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur [...] qui justifie de difficultés, qu'il n'est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements (16). Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif". Se focalisant sur la seconde de ses deux phrases, la cour d'appel de Paris avait considéré que, pour pouvoir être prises en considération et conduire à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, les difficultés insurmontables devaient affecter la poursuite de l'activité du débiteur dans la mesure où, précisément, la sauvegarde a pour objectif de permettre cette poursuite. Cette position de la cour d'appel de Paris était saluée par une partie de la doctrine (17). Ainsi, la cour d'appel avait rétracté les jugements ayant ouvert les procédures de sauvegarde des sociétés HOLD et Dame Luxembourg en retenant que la société HOLD n'invoquait pas l'existence de difficultés pouvant affecter son activité de bailleresse et que la société Dame Luxembourg n'avait pas prétendu éprouver de difficultés à poursuivre son activité de gestion de son portefeuille de titres.

Prenant le contre-pied la position adoptée par la cour d'appel, la Chambre commerciale considère, au contraire, que, "si la procédure de sauvegarde est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin, notamment, de permettre la poursuite de l'activité économique, il ne résulte pas de ce texte [C. com., art. L. 620-1, al. 1er] que l'ouverture de la procédure soit elle-même subordonnée à l'existence d'une difficulté affectant cette activité [...]. En statuant [...comme elle l'a fait], la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte [de l'article L. 620-1, alinéa 1er, du Code de commerce]".

Est ainsi consacrée la position du Professeur Le Corre (18) qui, critiquant l'arrêt d'appel, considérait qu'"il importe peu que ces difficultés [que le débiteur ne peut surmonter] soient relatives à l'activité de l'entreprise débitrice. La cour d'appel semble ici avoir ajouté à la loi, même s'il ne nous échappe pas que l'objectif de la sauvegarde est d'assurer la poursuite de l'activité".

2°) Dans l'arrêt "Coeur Défense", la Chambre commerciale répond à une autre question fondamentale : est-ce que le but que souhaite atteindre le débiteur grâce à l'ouverture de la procédure de sauvegarde -consistant à imposer à ses cocontractants une atteinte à l'exécution du contrat- doit entrer en ligne de compte ?

En l'espèce, la cour d'appel de Paris avait mis en évidence le but recherché par les sociétés HOLD et Dame Luxembourg lorsqu'elles avaient sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde :
- la société HOLD avait cherché à porter atteinte à la force obligatoire de la clause des contrats de prêts lui imposant une obligation de couverture répondant à certains critères de notation. L'ouverture de la procédure de sauvegarde lui permettait ainsi d'éviter que ne survienne la déchéance du terme en l'absence de fourniture d'une nouvelle couverture de la variation de taux d'intérêt conforme, en termes de notation, aux exigences contractuelles ;
- de son côté, la société Dame Luxembourg, qui avait affecté en nantissement au profit du prêteur l'intégralité des actions de la société HOLD qu'elle détenait, comptait, grâce à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à son égard, échapper à l'exécution du pacte commissoire qui confère au créancier le droit de s'approprier la chose objet de la sûreté (ici, les actions HOLD) en cas de défaillance du débiteur (HOLD). Rappelons, en effet, que le pacte commissoire -interdit jusqu'à l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH)- est désormais autorisé (19) mais qu'il ne peut être constitué ou réalisé après jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

La cour d'appel de Paris a considéré que les buts poursuivis par les débiteurs qui sollicitaient l'ouverture de procédures de sauvegarde, consistants à porter atteinte à la force obligatoire des contrats de prêt ainsi qu'à l'exécution du pacte commissoire, devaient fermer l'accès à la procédure de sauvegarde. La position de la cour d'appel était partagée par une partie de la doctrine considérant que la procédure de sauvegarde "n'est pas destinée à arranger la situation d'agents économiques en faisant couvrir par l'autorité judiciaire des effets restrictifs des droits des créanciers" (20) ou que cette procédure "ne doit pas être conçue comme un moyen détourné d'obtenir un délai de grâce ou de suspension de certains effets d'un contrat" (21) ou enfin qu' "il n'est pas admissible que la sauvegarde soit détournée de ses finalités par un débiteur qui chercherait seulement à échapper à ses obligations contractuelles" (22).

La question "éthico-juridique" qui se posait à la Chambre commerciale de la Cour de cassation était donc celle de savoir si la procédure de sauvegarde pouvait légitimement être utilisée tel un outil de gestion ayant pour seul objet de porter atteinte à la force obligatoire des contrats.

Suivant en cela la position adoptée par une partie de la doctrine faillitiste, la Chambre commerciale accepte clairement de ranger la procédure de sauvegarde dans la boîte à outils du gestionnaire d'entreprise en considérant que "hors le cas de fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur, au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie, par ailleurs, de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements".

La solution doit être saluée, d'une part, parce que, comme le relève la Cour de cassation, exiger que le seul but du débiteur ne soit pas de porter atteinte à la force obligatoire des contrats, c'est ajouter à la loi une condition qu'elle ne comporte pas. Il ne faut pas voir là un dévoiement de la procédure de sauvegarde dont la doctrine (23) souligne qu'elle a précisément pour vocation de méconnaître la force obligatoire du contrat. La règle de l'interdiction des poursuites, celle de l'arrêt du cours des intérêts de certaines créances, celle de l'interdiction des paiements, ainsi que l'imposition de délais du plan en sont d'évidentes illustrations.

D'autre part, il est flagrant que, dans l'esprit du législateur, la procédure de sauvegarde est bel et bien un outil de gestion ayant pour objet de permettre au chef d'entreprise de surmonter les difficultés qu'il n'est pas parvenu à aplanir sur le terrain de la négociation avec ses partenaires. Cette conception instrumentaliste de la sauvegarde est encore plus nette dans la procédure dernière-née : la sauvegarde financière accélérée (loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, de régulation bancaire et financière, art. 57 et 58 N° Lexbase : L2090INQ). La SFA est une menace planant sur ceux qui ne sont pas disposés à négocier, un outil-épouvantail au service du chef d'entreprise qui doit conduire des créanciers financiers à accepter la négociation avec le débiteur dans le cadre d'un accord de conciliation pour éviter l'ouverture d'une SFA dans le cadre de laquelle des sacrifices leur seront imposés. La sauvegarde "classique" doit également être perçue comme un outil d'incitation à la négociation partenariale.

La façon dont le législateur appréhende la procédure collective a changé. Les mentalités doivent changer également : la procédure de sauvegarde doit être parfaitement appréhendée par le débiteur comme un outil, une technique de gestion, accessible au débiteur qui rencontre des difficultés insurmontables. De facto, ces difficultés insurmontables le sont en réalité du fait d'un refus de négociation conventionnelle (suffisante) de la part des partenaires, de sorte qu'il faudra leur forcer la main en utilisant le droit des procédures collectives qui, par essence, porte atteinte à l'effet obligatoire du contrat.

En conclusion, l'accès à la procédure de sauvegarde est particulièrement large. La suppression de la référence à la cessation des paiements par l'article L. 620-1 du Code de commerce ainsi que la création de la sauvegarde financière accélérée en sont les témoins. Il faut, mais il suffit, que le débiteur justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter, peu important que le but poursuivi par le débiteur -sous réserve de la fraude de ce dernier- soit d'échapper à la force obligatoire des contrats qui le lient à ses partenaires.

Cette consécration, par l'arrêt "Coeur Défense", de la procédure de sauvegarde comme outil de gestion doit être saluée car tel semblait être l'objectif du législateur. Désormais, ainsi que le relève M. Alain Lienhard, "rien ne s'oppose à ce que la procédure profite à des holdings, à des sociétés ad hoc, simples véhicules d'acquisition, peu importe que, derrière l'entreprise, soient protégés les actionnaires, ce qui ouvre grand la voie de la sauvegarde aux holdings d'acquisition dans les opérations de LBO" (24).

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


(1) Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-13.147, FS-P+B (N° Lexbase : A8033ETP) ; D., 2010, AJ p. 825, note A. Lienhard ; D., 2010, 1112, note M.-L. Bélaval ; D., 2010, pan. com. 1828, nos obs. ; Gaz. pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 13, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll., 2010/8, n° 122, note J. Vallansan ; Rev. proc. coll., 2010/6, comm.. 248, note G. Berthelot ; JCP éd. E, 2010, chron. 1742, n° 6, obs. M. Cabrillac.
(2) Cass. com., 13 avril 2010, n° 08-19.074, FS-P+B (N° Lexbase : A0473EWG) ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2010, Lexbase Hebdo n° 395 du 20 mai 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N1927BP3).
(3) Ass. plén., 4 juin 1999, n° 96-18.094 (N° Lexbase : A8184AHL), Bull. Ass. plén., n° 4, Act. proc. coll., 1999/12, n° 162, obs. M. Béhar-Touchais, RTDCiv., 1999, 665, obs. M. Bandrac et P. Crocq, D. Affaires, 1999, 1082, obs. A. L., LPA, 27 décembre 1999, n° 257, p. 9, note F. Lemaitre-Basset et J. B. Schroeder, Rev. proc. coll., 2000, 56, n° 4, obs. E. Kerckhove, LPA, 10 février 2000, no 29, p. 16, note C.-I. Féviliyé-Dawey, RTDCom., 2000, 175, obs. A. Martin-Serf ; Cass com. 23 mai 2000, n° 97-19.403 (N° Lexbase : A1571CZ9), Act. proc. coll., 2000/12, no 147 ; Cass. civ. 1, 12 décembre 2000, n° 98-10.224, inédit (N° Lexbase : A2940CSP), RD banc. et fin., 2001/3, p. 161, n° 113 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 9 décembre 2003, n° 2003/06150 (N° Lexbase : A8886DAD).
(4) Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-17.330, FS-D (N° Lexbase : A9129DC4).
(5) Cass. com., 25 mars 1997, n° 94-18.337 (N° Lexbase : A1529ACM), Bull. civ. IV, n° 84 ; Cass. com., 10 mai 2000, n° 97-16.726 (N° Lexbase : A3448AUA), Bull. civ. IV, n° 98, D., 2000, AJ 277, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2000, chron. 1566, n° 11, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 2001, jur. 521, note L. Courtot et F. Marmoz, RD banc. et fin. 2000/4, n° 161, obs. F.-X. Lucas.
(6) F.-X. Lucas, obs. RD banc. et fin., 2003/4, p. 218, n° 154.
(7) V. déjà, Cass. com., 10 mai 2000, préc. et les obs. préc. ; adde, F.-X. Lucas, obs. RD banc. et fin. 2003/4, préc..
(8) Cass. com. 4 février 2003, n° 00-13.356, F-D (N° Lexbase : A9194A4B) ; D., 2003, AJ 1230, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2003/10, n° 128, obs. C. Régnaut-Moutier ; RD banc. et fin., 2003/4, p. 218, n° 154, obs. F.-X. Lucas ; JCP éd. E, 2003, jur. 1363, p. 1536, note D. Robine ; Defrénois, 2003, art. 37810, p. 1163, note R. Lichbaber ; RTDCom., 2003, 572, n° 9, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2003, p. 306, n° 2, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Dr et proc., 2003/5, p. 292, nos obs..
(9) Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-17.330, FS-D (N° Lexbase : A9129DC4).
(10) Cass. com., 13 novembre 2001, n° 97-16.652, FS-P (N° Lexbase : A0861AX8), Bull. civ. IV, n° 177, JCP éd. E, 2002, jur. 641, p. 666, note F. Barrière, Rev. proc. coll., 2003/1, p. 14, n° 13, obs. Ch. Lebel ; CA Paris, 3ème ch., sect. C, 2 juillet 2003, n° 2001/13673 (N° Lexbase : A4273C97).
(11) Cass. com., 13 novembre 2001, préc. et et les obs. préc..
(12) CA Montpellier, 1ère ch., sect. D, 27 février 2008, JCP éd. E, 2008, 2182.
(13) T. com. Paris, 3 novembre 2008, deux jugements, aff. n° 2008077996, SARL Dame Luxembourg (N° Lexbase : A8599EB4) et n° 2008077997, SAS Heart of le Défense (N° Lexbase : A4438EBY).
(14) T. com. Paris, 9 septembre 2009, aff. n° 2009044625 (N° Lexbase : A2424ELD).
(15) CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 25 février 2010, n° 09/22756 (N° Lexbase : A9371ESU) ; D., 2010, AJ p. 579, note G. Podeur et R. Dammann ; Gaz. pal., 16 et 17 avril 2010, n° 106 et 107, p. 13, note P.-M. Le Corre ; Bull. Joly sociétés, 2010, p. 211, note F.-X. Lucas ; Act. proc. coll., 2010/8, n° 112, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 2010, chron. 1742, n° 1, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2010, 1475, note B. Saintourens ; RDBF, 2010/3, § 94, note A. Cerles ; Rev. proc. coll., 2010/4, § 152, p. 46, note B. Saintourens ; LPA, 9 mars 2010, n° 48, p. 12, note G. Teboul ; Dr. et patrimoine 2010, n° 196, p. 85, note C. Saint-Alary Houin et M.-H. Monsérié-Bon ; adde M. Menjucq, Affaire Heart of La Défense : incertitude sur le critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde, Rev. proc. coll., 2010/3, § 11, p. 13.
(16) La mention "de nature à le conduire à la cessation des paiements" a été supprimée par l'ordonnance du 18 décembre 2008.
(17) B. Saintourens, Act. proc. coll., 2010/8, n° 112 ; Ph. Pétel, JCP éd. G, 2010, p. 1807.
(18) P.-M. Le Corre, Gaz. pal., 16 et 17 avril 2010, préc..
(19) C. civ., art. 2365 (N° Lexbase : L1192HIY), en matière de nantissement ; C. civ., art. 2348 (N° Lexbase : L1175HID) en matière de gage.
(20) B. Saintourens, préc..
(21) G. Podeur et R. Dammann, D., 2010, AJ, p. 579.
(22) M. Menjucq, préc...
(23) F.-X. Lucas, Bull. Joly sociétés, 2010, p. 211.
(24) D., 2011., Actu. 743.

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Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Le dispositif de l'article 209 B-1 du CGI désormais compatible avec la Convention fiscale franco-suisse - Neutralisation de l'article 7 § 1 de la Convention par son article 25 A § 1

Réf. : CAA Paris, 5ème ch., 23 décembre 2010, n° 09PA00497, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6968GQ7)

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 17 Mars 2011

Dans un arrêt du 23 décembre 2010, qui devrait être publié au recueil Lebon ou du moins mentionné aux tables, la cour administrative d'appel de Paris, tout en reprenant le raisonnement adopté par la décision d'Assemblée du 28 juin 2002, "Schneider Electric" (CE Assemblée, 28 juin 2002, n° 232276, publiée au Recueil p. 233 N° Lexbase : A0219AZ7), en particulier en ce qu'il impose au juge de l'impôt de procéder, d'abord, à la qualification des revenus en cause au regard du droit interne, et lui permet de faire prévaloir cette qualification dès lors que la Convention fiscale ne s'y oppose pas expressément, a néanmoins retenu une solution inverse. En effet, la cour a jugé que la Convention fiscale franco-suisse (N° Lexbase : L6752BHK) ne s'opposait pas à l'application des dispositions de l'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L3313IGS) alors que, dans la décision précitée, le Conseil d'Etat avait jugé que l'article 7 § 1 y faisait obstacle. La cour s'est, en effet, fondée sur l'article 25 A § 1 de la Convention issu de l'avenant du 22 juillet 1997 à cette Convention. L'on peut donc dire que l'article 25 A § 1 de la Convention fiscale franco-suisse s'oppose à ce que l'article 7 § 1 de cette même Convention fasse obstacle à l'application des dispositions de l'article 209 B-1 du CGI. La solution retenue par la cour, relative à un pays non membre de l'Union européenne, et donc aux filiales non "communautaires" de sociétés françaises, doit être mise en perspective avec la solution qui prévaudrait pour les filiales "communautaires" de telles sociétés. I - Le constat d'un régime fiscal privilégié suffit à justifier l'application des articles 209 B et 238 A du CGI aux sociétés françaises disposant de filiales à l'étranger

A - Objet et mode d'emploi de la notion de régime fiscal privilégié

Rappelons, d'abord, que les dispositions de l'article 209 B du CGI, applicables en l'espèce (N° Lexbase : L3874HL3), constituent, entre les mains de l'administration française, un instrument de lutte contre l'évasion fiscale internationale. L'imposition prévue au I de cet article, qui s'applique aux opérations effectuées avant le 30 septembre 1992, vise l'ensemble des entreprises françaises passibles de l'impôt sur les sociétés, qui détiennent directement ou indirectement 25 % au moins des actions ou parts d'une société établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France, et qui sont soumis à un régime fiscal privilégié, au sens de l'article 238 A du CGI, dans sa rédaction applicable à l'espèce (N° Lexbase : L4756HLQ). L'imposition qui est instituée au I bis du même article s'applique aux opérations effectuées à compter du 30 septembre 1992. Elle concerne les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, qui exploitent une entreprise hors de France, ou détiennent, directement ou indirectement, 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une société ou un groupement, établi hors de France, ou détiennent dans une telle société ou un tel groupement une participation dont le prix de revient est égal ou supérieur à 150 millions de francs (devenu 22 800 000 euros en 2002 N° Lexbase : L3875HL4, cette condition de montant ayant disparu en 2006 N° Lexbase : L3877HL8), si cette entreprise, cette société ou ce groupement est soumis à un régime fiscal privilégié.

Précisément, cette notion de régime fiscal privilégié est définie par l'article 238 A du CGI, auquel renvoie l'article 209 B, comme un territoire où les sociétés ne sont pas imposables ou sont soumises à un taux d'imposition notablement moins élevé qu'en France. Aux termes de cet article : "les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré".

Ainsi que l'indiquait Olivier Fouquet dans ses conclusions sous une décision du Conseil d'Etat du 21 mars 1986 (CE 7° et 9° s-s-r., 21 mars 1986, n° 53002, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3855AMQ ; RJF, 1986, n° 470, conclusions p. 267), la portée de cet article est double. En premier lieu, les conventions qui servent de support juridique au versement de sommes à une société établie dans un pays étranger, où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, sont présumées fictives. Le contribuable doit apporter la preuve, négative et donc toujours difficile à établir, du caractère non fictif de la convention. En deuxième lieu, la rémunération versée est présumée revêtir un caractère anormal ou exagéré. Le contribuable, qui aura réussi à écarter la présomption légale de déguisement de l'opération, devra, en outre, démontrer que la rémunération versée est proportionnée à la contrepartie obtenue. En résumé, si une société française veut déduire de ses résultats les sommes versées à une société étrangère, établie dans un pays étranger, où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, elle devra successivement démontrer la matérialité des opérations retracées par la convention passée avec la société étrangère, et justifier de l'importance réelle des avantages retirés du contrat. Toutefois, soulignons que c'est tout de même à l'administration, qui invoque l'existence d'un régime fiscal privilégié, d'apporter au juge les justifications nécessaires. Le terme de justification signifie d'ailleurs que le juge se déterminera à partir de l'instruction, sans mettre le "fardeau" de la preuve à la charge de l'une ou l'autre partie.

Les dispositions de l'article 238 A du CGI imposent donc, dans un premier temps, de déterminer la charge fiscale effectivement supportée par la société ayant perçu les sommes litigieuses à l'étranger, ou par une société établie au même endroit, et présentant les mêmes caractéristiques en ce qui concerne l'importance du capital et des réserves et le niveau des bénéfices puis, dans un second temps, d'évaluer la charge fiscale que supporterait la même société si elle était établie en France, et de comparer les résultats obtenus (lire sur ce point les conclusions précitées d'Olivier Fouquet et les conclusions de Pierre Collin sous CE 3° et 8° s-s-r., 2 avril 2003, n° 237751, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1987DEC ; RJF, 2003, n° 693 ; BDCF, 2003, n° 75). Le juge doit, ainsi, se livrer à une appréciation et à une comparaison in concreto : en effet, pour pouvoir valablement déterminer si un régime fiscal est plus favorable dans un pays que dans un autre, il convient de faire abstraction des termes nationaux employés, pour faire prévaloir les réalités juridiques et économiques. En présence d'une structure juridique qui n'aurait pas d'exact équivalent en France, le juge devrait donc rechercher le régime fiscal qui serait appliqué à une entreprise comparable, du point de vue de son activité et de sa nature économique et juridique.

B - L'existence en l'espèce d'un régime fiscal privilégié

Dans l'affaire qui était soumise à la cour administrative d'appel de Paris, la société anonyme française, qui exerçait une activité de holding, détenait 100 % du capital de sa filiale, domiciliée en Suisse dans le canton de Bâle-Ville, où elle y bénéficiait, selon l'administration fiscale française, d'un régime fiscal privilégié. Cette dernière avait donc assujetti la société française à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution à cet impôt, assises sur le montant des résultats bénéficiaires de la filiale, au titre des années 1998 et 1999, sur le fondement des dispositions de l'article 209 B-1 du CGI. Le litige entre la société française et l'administration s'était ensuite cristallisé autour de la question de savoir si ces dispositions étaient compatibles avec les stipulations du 1° de l'article 7 de la Convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, ainsi qu'avec celles du 1 du A de l'article 25, modifié par l'avenant du 22 juillet 1997 à cette Convention.

L'article 7-1° de la Convention stipule que "les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé". Quant à l'article 25, dans sa rédaction issue de l'avenant du 22 juillet 1997, il stipule que : "nonobstant toute autre disposition de la présente Convention, les revenus qui sont imposables ou ne sont imposables qu'en Suisse conformément aux dispositions de la Convention, et qui constituent des revenus imposables d'un résident de France, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsqu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt suisse n'est pas déductible de ces revenus, mais le résident de France a droit, sous réserve des conditions et limites prévues aux a et b, à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt est égal : [...] b) [...] pour les revenus soumis à l'impôt sur les sociétés visés à l'article 7 [...] au montant de l'impôt payé en Suisse, conformément aux dispositions de cet article ; toutefois, ce crédit d'impôt ne peut excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus".

Dans cette affaire, la cour a d'abord constaté que la société requérante ne contestait nullement que sa filiale bénéficiait en Suisse, dans le canton de Bâle-Ville, d'un régime fiscal privilégié, et que les dispositions de l'article 209 B-1 du CGI lui étaient ainsi applicables à raison de la totalité des bénéfices d'exploitation réalisés en Suisse par sa filiale.

II - La compatibilité de l'article 209 B du CGI avec la Convention fiscale franco-suisse et le droit communautaire

A - Compatibilité du dispositif avec la Convention fiscale franco-suisse

La question posée à la cour administrative d'appel de Paris était essentiellement d'examiner la compatibilité du dispositif avec les stipulations de l'article 25 de la Convention, dès lors que sa non-compatibilité avec l'article 7-1° a été affirmée par la célèbre décision d'Assemblée "Schneider Electric", du 28 juin 2002 (CE Assemblée, 28 juin 2002, n° 232276, publiée au Recueil, p. 233). Dans cette décision, le Conseil d'Etat a d'abord affirmé que les "bénéfices" auxquels fait référence l'article 7 de la Convention sont ceux déterminés selon les règles fixées par le CGI et qu'il y a en conséquence identité de nature entre les bénéfices d'exploitation d'une société établie en Suisse, dont l'imposition est attribuée à la Suisse par le 1° de l'article 7 de la Convention fiscale franco-suisse, et les résultats bénéficiaires de cette même société, imposés en France au nom de sa société mère sur le fondement de l'article 209 B du CGI. En conséquence, le Conseil d'Etat a jugé que les stipulations de l'article 7 de la Convention fiscale franco-suisse s'opposaient à l'application des dispositions de l'article 209 B du CGI. Ainsi, au titre de l'article 7-1° de la Convention franco-suisse, les bénéfices de la filiale, dépourvue d'établissement stable en France, auraient dû être imposés en Suisse.

Toutefois, la cour administrative d'appel de Paris a fait application des stipulations du nouvel article 25 A de la Convention, pour confirmer le droit de l'administration fiscale française de les imposer en France. Cet article fonctionne en deux temps.

Dans un premier temps, il est affirmé, d'une part, que les revenus imposables en Suisse, conformément à la Convention, et qui constituent des revenus imposables d'un résident de France, sont inclus dans la base imposable de ce résident, d'autre part, que sont expressément visés les revenus soumis à l'impôt sur les sociétés de l'article 7-1° et, enfin, que l'article 25 A prime sur "toute autre disposition de la Convention". Dans un second temps, il est affirmé que le résident de France peut bénéficier d'un crédit d'impôt, pour tenir compte de l'impôt qu'il a acquitté en Suisse. Les stipulations du nouvel article 25 A de la Convention franco-suisse écartent donc, tout d'abord, toute autre stipulation de la Convention, y compris et expressément les stipulations du 1° de l'article 7.

Certes, la société requérante soutenait, devant la cour, que même si l'article 25 A constituait une stipulation expresse, il ne pouvait concerner l'article 209 B du CGI, dans la mesure où le § 1 de cet article 25 A visait "les revenus d'un résident de France", ce qui n'était pas le cas de l'article 209 B qui visait les "résultats bénéficiaires de la société étrangère". Toutefois, on sait, en vertu d'un principe constant d'interprétation des Conventions fiscales de type OCDE, qu'en l'absence de définition sur ce point, il convient de se référer au principe énoncé au paragraphe 2 de l'article 3 de cette Convention, aux termes duquel : "pour l'application de la Convention par un Etat contractant, toute expression qui n'est pas autrement définie a le sens qui lui est attribué par la législation dudit Etat régissant les impôts faisant l'objet de la Convention".

La cour a, en conséquence, estimé "qu'en l'absence d'élément exigeant une interprétation différente, les 'revenus imposables d'un résident de France' [article 25 A] étaient ceux déterminés selon le CGI", plus particulièrement par l'article 209 B-1 du CGI, et se confondaient ainsi, contrairement à ce que soutenait la société requérante, avec la notion de "résultats bénéficiaires de la société étrangère". Ainsi, les bénéfices résultant de l'exploitation d'une société suisse sont soumis à une imposition due par la société mère française, établie en proportion des droits sociaux qu'elle détient, et constituent, dès lors, des revenus imposables d'un résident de France au sens des stipulations du paragraphe 1 du A de l'article 25 de la Convention franco-suisse, tel qu'il résulte de l'avenant du 22 juillet 1997.

Ces stipulations permettent donc, explicitement, d'écarter l'application du 1er alinéa de l'article 7 de cette Convention et de faire, au contraire, application de la loi fiscale nationale. En l'espèce, l'administration fiscale française pouvait donc, sans méconnaître la Convention fiscale franco-suisse, comprendre dans les bases imposables à l'impôt sur les sociétés de la société Nord-Est, sur le fondement de l'article 209 B-1 du CGI, les résultats bénéficiaires de sa filiale suisse au prorata de sa participation dans cette dernière.

B - Compatibilité de ce dispositif avec le droit communautaire

On sait que les dispositions de l'article 49 du TFUE (ex-article 43 du Traité instituant la Communauté européenne ; N° Lexbase : L2697IPL) interdisent les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre. Cette interdiction s'étend, également, aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre, établis sur le territoire d'un autre Etat membre. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, la lutte contre l'évasion fiscale n'est en principe pas un motif suffisant pour justifier une discrimination ou une entrave à une liberté garantie par le Traité, et notamment la liberté d'établissement. La Cour réserve, toutefois, le cas où des restrictions à la liberté communautaire auraient pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation nationale, et d'éluder l'impôt national normalement dû (CJCE 16 juillet 1998, aff. C-264/96 N° Lexbase : A0410AW4 ; RJF, 11/98, n° 1382, point 26 ; plus récemment, CJCE 12 septembre 2006, aff. C-196/04 N° Lexbase : A9641DQ7). Dès lors, dans le cas où la filiale ou sous-filiale étrangère d'une société française est établie dans un Etat membre de l'Union européenne et y bénéficie d'un régime fiscal privilégié, il y a lieu, avant de faire application des dispositions combinées des articles 209 B et 238 A du CGI, d'examiner si cette filiale ou sous-filiale exerce bien une activité économique réelle dans cet Etat membre. En effet, si tel est le cas, les dispositions de l'article 209 B ne peuvent trouver à s'appliquer puisqu'elles sont alors contraires au principe de liberté d'établissement.

A cet égard, dans l'arrêt "Cadburry Schweppes" du 12 septembre 2006, la CJCE affirme avec force que le fait qu'un ressortissant communautaire, personne physique ou morale, ait entendu profiter de la fiscalité avantageuse, en vigueur dans un autre Etat membre, ne permet pas, à lui seul, de le priver de la possibilité d'invoquer les dispositions du Traité. En conséquence, la circonstance qu'une filiale ait été créée dans un Etat membre dans le but de bénéficier d'une législation plus avantageuse n'est pas, à elle seule, suffisante pour conclure à l'existence d'un usage abusif de la liberté d'établissement. La jurisprudence communautaire adopte, ainsi, une conception objective, et non subjective, de l'entrave justifiée au principe de liberté d'établissement : peu importe l'intention, de la part de la société mère, d'établir une filiale à l'étranger dans le but avoué de bénéficier du régime fiscal favorable que procure un tel établissement ; seul l'examen, en ce qui concerne cette filiale, de l'existence ou non d'une activité économique réelle importe pour caractériser une restriction justifiée au principe de liberté d'établissement. La seule raison impérieuse d'intérêt général, susceptible de s'opposer à l'application pleine et entière de ce principe, réside ainsi dans le constat d'un montage purement artificiel opéré par la société mère, à travers sa filiale ou sous-filiale étrangère. Ajoutons que la jurisprudence de la CJCE est non seulement objective, mais aussi finaliste, puisqu'elle est fondée sur le but de la liberté d'établissement qui est de permettre à un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un Etat membre autre que son Etat d'origine et d'en tirer profit (voir, déjà, CJCE 30 novembre 1995, aff. C-55/94, point n° 25 N° Lexbase : A0166AW3). La notion d'établissement implique, ainsi, l'exercice effectif d'une activité économique au moyen d'une installation stable, pour une durée indéterminée, et elle suppose donc une implantation réelle de la société concernée dans l'Etat membre d'accueil et l'exercice sur place d'une activité économique effective.

Une société française qui dispose de filiales ou sous-filiales "communautaires" bénéficiant d'un régime fiscal privilégié (établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui accorde un tel régime), ne peut donc se voir appliquer les dispositions combinées des articles 209 B et 238 A du CGI, si ses filiales ou sous-filiales exercent une activité économique réelle ou effective dans le ou les Etat(s) membre(s) concerné(s). Selon l'arrêt précité "Cadburry Schweppes", cette constatation doit reposer sur des éléments objectifs et vérifiables par des tiers, relatifs, notamment, au degré d'existence physique de la filiale en termes de locaux, de personnel et d'équipements.

Terminons en indiquant que si, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2005, l'article 209 B du CGI était directement contraire au principe de liberté d'établissement, puisque la France appliquait le principe de territorialité mais y apportait une entorse en imposant spécifiquement la remontée des bénéfices de certaines exploitations ou filiales hors de France, tout en refusant l'imputation et donc la remontée des pertes des mêmes implantations extraterritoriales, ce n'est plus le cas depuis que l'article 104 de la loi de finances pour 2005 (loi n° 2004-1484, de finances pour 2005, du 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5203GUA) a prévu que ces dispositions n'étaient pas applicables dans le cas où l'entreprise ou l'entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de l'Union européenne, à condition que l'exploitation de l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de l'entité juridique, par la personne morale passible de l'impôt sur les sociétés, ne puisse être regardée comme constitutive d'un montage artificiel, dont le but serait de contourner la législation fiscale française. L'on voit donc que, désormais, l'article 209 B est en principe inapplicable aux sociétés françaises disposant de filiales ou sous-filiales "communautaires", ce principe ne connaissant qu'une exception, qui est l'existence, à travers ces filiales et sous-filiales, d'un montage purement artificiel, révélant l'absence d'activité économique effective de celles-ci.

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Fonction publique

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Mars 2011

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N6453BRG

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de la fonction publique de Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour. Sera étudié, tout d'abord, un décret du 20 janvier 2011 (décret n° 2011-82 du 20 janvier 2011) aux termes duquel les agents publics pourront dorénavant plus facilement cumuler plusieurs activités. Sera, ensuite, étudié un arrêt rendu le 9 février 2011 par le Conseil d'Etat (CE 4° et 5° s-s-r., 9 février 2011, n° 332627, publié au recueil Lebon) qui énonce que l'annulation d'une décision de révocation n'est pas toujours de nature à engager la responsabilité de l'administration. Cette première chronique de l'année se conclura par une analyse d'une décision rendue par la Haute juridiction administrative, le 4 février 2011 (CE 1° et 6° s-s-r., 4 février 2011, n° 335098, mentionné aux tables du recueil Lebon), selon laquelle un changement d'affectation impliquant la perte d'un complément de rémunération n'est pas une mesure d'ordre intérieur.
  • Cumul d'activités des fonctionnaires : une ouverture supplémentaire (décret n° 2011-82 du 20 janvier 2011 N° Lexbase : L2350IPQ, modifiant le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007, relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'Etat N° Lexbase : L3911HX7)

Le cadre juridique des cumuls d'activités des fonctionnaires et agents publics a été profondément modifié depuis quelques années. L'article 25 du titre I du statut général de la fonction publique (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L2677E3K) pose, en principe, que les agents publics consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux fonctions qui leur sont confiées par l'administration. Pendant très longtemps, les dérogations admises étaient régies par un décret du 29 octobre 1936 ; ces dérogations étaient peu nombreuses. La loi n° 2007-148 du 2 février 2007, de modernisation de la fonction publique (N° Lexbase : L2882HUB), a opéré un assouplissement du système jusqu'à lors en vigueur, modifiant, ainsi, l'article 25 précité. Pris sur le fondement de cette loi, le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007, relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (N° Lexbase : L3911HX7), a fixé la liste des emplois et activités publics ou privés susceptibles d'être occupés par des agents publics en surplus de leur emploi principal, ainsi que les modalités de contrôle des cumuls par l'administration (via l'autorisation de cumuls et, dans certaines hypothèses, l'avis de la commission de déontologie de la fonction publique). Le décret du 20 janvier 2011 modifie certaines hypothèses de cumul instituées par le texte de 2007. Les apports de ce texte illustrent la volonté des pouvoirs publics d'adapter toujours plus le cadre statutaire aux réalités économiques et sociales, tout en corrigeant quelques imperfections du décret de 2007.

Le premier intérêt du décret du 20 janvier 2011 est d'assouplir le sacro-saint principe d'exclusivité, confirmant, ainsi, la réforme de 2007. Tirant les leçons des trois dernières années, le Gouvernement procède à quelques ajouts. L'article 1er du décret du 2 mai 2007 modifié dispose, désormais, de manière explicite, que les fonctionnaires et agents publics peuvent être autorisés à exercer une ou plusieurs activités accessoires qui peuvent être exercées auprès d'une personne publique ou privée. La nouvelle rédaction permet de comprendre qu'un agent est fondé à solliciter l'autorisation d'exercer plusieurs activités accessoires (un cumul de cumuls en quelque sorte), dans la mesure où celles-ci ne portent pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service. De même, afin de clarifier les termes du décret de 2007, le décret du 20 janvier 2011 indique que toutes les activités susceptibles d'être autorisées peuvent être exercées tant dans le secteur privé que dans le secteur public (décret du 2 mai 2007, art. 2 et 3) (l'on pense, notamment, aux enseignements et formations). Le décret commenté indique, également, que les agents recrutés sur des emplois à temps non complet dont la durée du travail est inférieure à 70 % (loi n° 83-634, art. 25-IV) peuvent non seulement exercer les activités accessoires mentionnées par le décret du 2 mai 2007, mais encore une (ce qui prévoyait déjà le décret de 2007) ou plusieurs (ce qui est nouveau) activités privées lucratives ne portant pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service

Autre précision, qui ne s'imposait peut être pas, tant elle relève de l'évidence, l'article 6 modifié du décret du 2 mai 2007 dispose, désormais, que "l'activité accessoire ne peut être exercée qu'en dehors des heures de service de l'intéressé" (ajout, également, valable pour les activités exercées auprès de personnes publiques, comme le précise l'article 10 du décret du 20 janvier 2011). Cette exigence a déjà été rappelée par la jurisprudence (1). Elle découle aussi de l'article 1er du décret de 2007, qui soumet l'exercice d'une activité accessoire au fait qu'elle ne porte pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance, ou à la neutralité du service.

- Elargissement des activités autorisées :

Le décret du 20 janvier 2011 vient allonger la liste des activités susceptibles d'être autorisées ; il étend, également, le champ d'application d'activités déjà visées dans la version de 2007. S'agissant des premières, il est, tout d'abord, ajouté les "activités à caractère sportif ou culturel, y compris encadrement et animation dans les domaines sportif, culturel, ou de l'éducation populaire". Il s'agit là d'une hypothèse de premier plan car, notamment pour les personnels de l'enseignement, ce type de cumul est fréquent, mais n'étant pas envisagé par la version antérieure du décret, les agents présentaient leur projet sous la forme d'une demande d'autorisation pour création d'entreprise (loi n° 83-634, art. 25 II-1°, et art. 11 et suivants du décret du 2 mai 2007). Ensuite, les agents publics peuvent réaliser dans un but lucratif des services à la personne ou la vente de biens qu'ils ont personnellement fabriqués, sous réserve que ces activités soient exercées sous le régime de l'auto-entrepreneur.

Par certains aspects, le décret de 2011 aménage, le plus souvent dans un sens favorable aux agents, des hypothèses de cumuls existantes (à son article 2). C'est ainsi qu'au titre des consultations et expertises (qui, lorsqu'elles se déroulent dans les litiges intéressant toute personne publique, ne peuvent avoir lieu qu'au profit de l'administration), il est désormais rappelé que l'application du régime de droit commun, issu du décret de 2007, ne porte pas préjudice à celle du concours scientifique que les personnels de recherche peuvent apporter aux entreprises privées de valorisation des travaux de recherche qu'ils ont réalisés dans l'exercice de leurs fonctions (C. rech., art. L. 413-8 N° Lexbase : L3557HN3 et suivants). Concernant les activités agricoles, le texte de 2011 permet aux agents publics d'occuper des fonctions de gérant au sein d'exploitations créées sous forme de société civile ou commerciale (le décret de 2007 interdisait aux agents d'exercer les fonctions de gérant, de directeur général, ou de membre du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance, à moins qu'il ne s'agisse de gérer leur patrimoine familial). S'agissant de l'accès au statut de conjoint collaborateur, il est désormais possible lorsque le conjoint du fonctionnaire souhaite exercer une activité libérale ; jusqu'à présent, seules les activités commerciales ou artisanales étaient visées. Enfin, les travaux de faible importance réalisés chez des particuliers ne sont plus cantonnés à ceux qui ont un caractère "ménager".

Les agents occupant des emplois à temps non complet bénéficient eux aussi d'un régime plus favorable qu'en 2007. Le décret du 20 janvier 2011 confirme l'idée que les activités publiques ou privées qu'ils peuvent exercer sont soumises à une simple déclaration et au respect du fonctionnement normal, de la neutralité et de l'indépendance du service (décret du 2 mai 2007, art. 15 et suivants). Afin de favoriser la pluriactivité de ces agents, le décret vient, également, supprimer le plafond applicable à la durée du travail imposé jusqu'à présent en cas de cumul d'emplois publics.

- Les modifications du cumul "création ou reprise d'entreprise" :

Plusieurs dispositions du décret sont consacrées au cumul dit "création d'entreprise", mis en place par la loi du 2 février 2007. Cette hypothèse est, sans nul doute, l'une des plus grandes innovations de ces dernières années dans le domaine du cumul. L'article 25-II du titre I du statut général des fonctionnaires dispose, en effet, que l'obligation d'exclusivité est inapplicable "au fonctionnaire ou agent non titulaire de droit public qui, après déclaration à l'autorité dont il relève pour l'exercice de ses fonctions, crée ou reprend une entreprise. Cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale de deux ans à compter de cette création ou reprise et peut être prolongée pour une durée maximale d'un an". Ce type de cumul (à durée déterminée) est, également, soumis à l'avis de la commission de déontologie de la fonction publique.

Le décret du 20 janvier 2011 vient, tout d'abord, circonscrire le champ d'application de la réglementation spécifique applicable à ce type de cumul (contenu de la déclaration, procédure devant la commission de déontologie). Ne sont pas concernés les agents qui envisagent d'exercer une activité accessoire de service à la personne ou de vente de biens fabriqués personnellement par l'agent sous le statut d'auto-entrepreneur (décret du 2 mai 2007, art. 2-II modifié). Dans cette hypothèse, l'exercice du cumul n'est soumis qu'à la décision de l'administration. De même, la procédure particulière instituée au profit des personnels de recherche souhaitant créer une entreprise au titre de la valorisation de leurs travaux (C. rech., art. L. 413-1 N° Lexbase : L3555HNY et suivants) ne peut être remplacée par les dispositions du décret du 2 mai 2007 modifié.

Lorsque la procédure spécifique de contrôle est applicable, le décret du 20 janvier 2011 modifie quelque peu les conditions d'intervention de la commission de déontologie, notamment pour tenir compte de l'augmentation sensible de nombre de saisines (près de 550 dossiers en 2009). La commission, qui dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis, peut, désormais, proroger ce délai d'un mois. Mais surtout, le décret étend aux cumuls d'activités la possibilité, pour la commission, de rendre des avis tacites, déjà mise en place dans le cadre du contrôle du "pantouflage". Ainsi, l'absence d'avis de la commission à l'expiration des délais réglementaires (un mois ou deux en cas de prorogation) vaut avis favorable. Par ailleurs, les pouvoirs d'instruction de la commission sont accrus : elle peut entendre l'agent soit à sa demande, soit sur convocation si elle le juge nécessaire. Dans ce cas, l'agent peut se faire assister par toute personne de son choix. En outre, la commission peut recueillir auprès des personnes publiques et privées toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission.

Enfin, le décret du 20 janvier 2011 crée un délai de carence que le fonctionnaire doit respecter avant de solliciter une seconde autorisation de cumuler son emploi public avec une entreprise qu'il crée ou qu'il reprend. Désormais, pour éviter des cumuls à répétition, l'article 14 du décret du 2 mai 2007 modifié dispose que "l'agent ayant bénéficié des dispositions du présent chapitre ne peut solliciter l'exercice d'un nouveau cumul au titre de la création ou de la reprise d'une entreprise avant l'écoulement d'un délai de trois ans à compter de la date à laquelle a pris fin le cumul précédent". L'on rappellera, à cet égard, que, depuis la loi dite "mobilité" du 3 août 2009 (loi n° 2009-972, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique N° Lexbase : L6084IE3), ce type de cumul peut avoir une durée maximale de deux ans avec possibilité de renouvellement durant une année supplémentaire.

  • L'annulation d'une décision de révocation n'est pas toujours de nature à engager la responsabilité de l'administration (CE 4° et 5° s-s-r., 9 février 2011, n° 332627, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5259GWP)

A l'occasion d'une affaire dans laquelle un membre de l'Education nationale avait été révoqué après avoir été reconnu coupable, par un jugement pénal définitif, de l'infraction d'atteintes sexuelles sur une personne mineure sans violence, contrainte, menace, ni surprise, et avait fait l'objet, pour ces faits, d'une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie d'une interdiction d'exercer les fonctions d'enseignant auprès de mineurs pendant cinq ans, le Conseil d'Etat a admis que l'annulation judiciaire de cette révocation pour erreur de droit ne peut ouvrir droit à réparation du préjudice subi que si ce dernier est direct est certain.

L'agent avait été évincé une première fois, puis, cette décision ayant été annulée pour erreur de droit, une seconde fois, l'administration ayant régularisé la situation. Fort de l'annulation de la mesure initiale, le fonctionnaire avait formé une demande indemnitaire et, en l'absence de réponse favorable, un recours de plein contentieux afin d'obtenir réparation du préjudice subi. Pour rejeter la demande relative aux conséquences financières de la révocation initiale, le Conseil d'Etat juge que l'illégalité de "l'arrêté du 30 novembre 1998 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain". Cette rédaction rappelle, à elle seule, quelques règles cardinales de la détermination du préjudice réparable en droit de la responsabilité administrative.

Si, comme en droit civil, la responsabilité repose sur l'existence d'une faute (en principe), un préjudice et un lien de causalité, il convient de souligner que la jurisprudence administrative est très attentive au caractère effectif du préjudice dont la réparation est sollicitée (2). L'effectivité du préjudice (que l'arrêt commenté qualifie de "direct et certain") n'est pas démontrée lorsque, naturellement, le requérant ne subit aucun appauvrissement, ou lorsqu'il se trouve dans une situation qui n'est pas juridiquement protégée. Tel n'était pas le cas en l'espèce, puisqu'il ne pouvait être nié que le fonctionnaire s'était trouvé illégalement évincé du service entre le 30 novembre 1998 et le 11 juin 2004, date de l'annulation de la révocation initiale par la cour administrative d'appel. Or, en application de la jurisprudence classique "Deberles" (3), l'agent illégalement évincé bénéficie d'une réintégration "juridique" qui se traduit par l'allocation d'une indemnité correspondant au traitement qu'il aurait dû percevoir. La position classique de la jurisprudence refuse, toutefois, d'accorder réparation lorsque la mesure a été annulée en raison d'une procédure irrégulière et que cette irrégularité n'a pas causé à l'agent de préjudice distinct de l'éviction (4). C'est d'ailleurs la solution retenue dans l'affaire commentée, s'agissant de la demande indemnitaire relative à la seconde éviction de l'agent ("s'il fait ainsi valoir que la procédure disciplinaire a été entachée de diverses irrégularités, il n'apporte, en tout état de cause, aucune précision permettant d'établir l'existence d'un lien de causalité entre les irrégularités qu'il allègue et les préjudices dont il fait état").

L'arrêt du 9 février 2011 va plus loin. Il considère qu'alors même que l'erreur de droit commise par l'administration constitue une illégalité fautive par nature (5), la victime, c'est-à-dire l'agent, ne justifie pas d'un préjudice direct et certain. Ainsi, même mal fondée, l'éviction n'ouvre pas droit à réparation, dès lors que l'administration aurait pu prendre la même décision en s'appuyant sur un autre motif, eu égard à la gravité des faits reprochés au fonctionnaire. En l'espèce, on notera que l'administration a pris une seconde décision d'éviction après l'annulation de la première par une cour administrative d'appel. L'arrêt commenté applique au contentieux des évictions d'agents publics une solution plus ancienne, dont il est fait application en droit public économique (6).

  • Un changement d'affectation impliquant la perte d'un complément de rémunération n'est pas une mesure d'ordre intérieur (CE 1° et 6° s-s-r., 4 février 2011, n° 335098, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2645GRE)

La fonction publique demeure l'un des rares secteurs dans lesquels la notion de mesure d'ordre intérieur jouit d'une certaine stabilité. Ce type de mesure se définit comme étant "à la fois généralement de peu d'importance en ce qu'elle n'a d'effet que sur les personnes qui participent au service, et exprime le très fort pouvoir d'appréciation constamment reconnu aux chefs de service pour l'organisation de leurs services" (7). Insusceptible de recours en annulation, les mesures d'ordre intérieur ont vocation, dans un état de droit, à être circonscrites de manière précise. Cette préoccupation se manifeste de manière particulièrement nette dans le courant jurisprudentiel relatif aux mesures touchant aux conditions de détention. Dans deux arrêts de principe du 17 février 1995 (8), le Conseil d'Etat a admis la recevabilité des recours exercés à l'encontre de décisions -jusqu'à présent qualifiées d'ordre "interne"- qui, eu égard à leur nature ou à leur gravité, portaient atteinte aux droits et libertés de leur destinataire ou modifiaient sa situation juridique ou ses conditions d'existence. L'arrêt du 4 février 2011 s'inscrit dans ce mouvement en admettant qu'une décision portant changement d'affectation d'un fonctionnaire puisse être considérée comme un acte faisant grief lorsqu'elle se traduit par une diminution des rémunérations accessoires perçues par l'agent. En l'espèce, le Conseil d'Etat retient qu'en jugeant que la nouvelle affectation de la requérante n'était pas susceptible d'être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir alors même qu'elle entraînait la perte de la nouvelle bonification indiciaire dont elle bénéficiait dans ses précédentes fonctions, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a entaché son jugement d'erreur de droit.

De manière traditionnelle, pour caractériser une mesure d'ordre intérieur, le juge doit rechercher si la décision en cause ne porte atteinte ni aux prérogatives qu'un fonctionnaire tient de son statut, ni à sa situation pécuniaire (9). Le changement d'affectation ne sera donc susceptible de recours que lorsqu'il se traduit par un amoindrissement des responsabilités confiées à l'agent, une atteinte aux garanties statutaires dont il jouissait auparavant, à ses avantages pécuniaires, ou même à ses perspectives de carrière (10).

Dans l'affaire jugée le 4 février 2011, la situation de la requérante avait ceci de particulier que son changement d'affectation au sein des services judiciaires impliquait, pour l'agent, la perte de la nouvelle bonification indiciaire. Cette dernière a été instituée par la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991, portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales (N° Lexbase : L3040AIG). Il s'agit d'une rémunération accessoire qui se traduit par l'allocation d'une majoration de l'indice de certains agents. Elle est attachée à divers emplois impliquant l'exercice d'une responsabilité ou la mise en oeuvre d'une technicité particulière. Liée aux fonctions effectivement exercées par les agents concernés, elle cesse d'être versée lorsque l'agent n'exerce plus les fonctions y ouvrant droit. L'absence, semble-t-il, de modification significative de la situation professionnelle de la requérante, en dehors de la perte de la nouvelle bonification indiciaire, pouvait-elle justifier la recevabilité de la requête ? La question était, à notre connaissance, inédite (11) et la solution n'apparaissait pas évidente car la nouvelle bonification indiciaire étant attachée à l'exercice de fonctions précises, il était logique de considérer que le changement d'affectation implique la perte de ce complément de rémunération sans modifier la nature juridique dudit changement, l'accessoire suivant, en quelque sorte, le principal.

Dans son arrêt, le Conseil d'Etat en juge autrement. Pour lui, au-delà du caractère accessoire de la rémunération, c'est le fait que l'agent subisse une diminution de ses revenus qui semble compter. Par suite, la perte de nouvelle bonification indiciaire exclut la qualification de mesure d'ordre intérieur, quelles que soient les autres circonstances qui entourent le changement d'affectation. De plus, celle-ci venant récompenser des responsabilités ou une technicité particulières, sa perte à la faveur d'un changement d'affectation démontre, au moins de manière implicite, que les nouvelles fonctions n'impliquent pas de telles qualités. Le critère de la perte de prérogatives (12) apparaît donc en filigrane.

Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour


(1) CE Contentieux, 10 mai 1996, n° 116290 (N° Lexbase : A8825AN8).
(2) CE 1° et 5° s-s-r., 2 avril 1971, n° 79277 (N° Lexbase : A1643B7Y), Rec. p. 273.
(3) CE Ass., 7 avril 1933, n° 04711 (N° Lexbase : A4938B7Z), Rec. p. 439.
(4) CE, 21 avril 1976, Rec. p. 173 ; CE Contentieux, 18 juin 1986, n° 49813 (N° Lexbase : A4760AMA), Rec. p. 166 ; CE 4° et 5° s-s-r., 6 janvier 2006, n° 265688 (N° Lexbase : A1857DMQ).
(5) CE Sect., 26 janvier 1973, n° 84768 (N° Lexbase : A7586B8H), Rec. p. 77.
(6) CE, 15 juillet 1964, Rec. p. 438 ; CE Sect., 25 juin 1999, n° 188458 (N° Lexbase : A5330AXP), Rec. p. 231 ; CE 3° et 8° s-s-r., 30 septembre 2002, n° 230154 (N° Lexbase : A9517AZI), Rec. p. 921.
(7) Lire G. Pélissier, La mesure d'ordre intérieur, Répert. Dalloz contentieux administratif.
(8) CE Contentieux, 17 février 1995, n° 107766 (N° Lexbase : A2385ANN) et n° 97754 (N° Lexbase : A2355ANK), Rec. p. 83, concl. Frydman.
(9) CE 3° s-s., 14 mai 2008, n° 290046 N° Lexbase : A6495D83).
(10) CE 1° et 6° s-s-r., 6 mai 2009, n° 304977 (N° Lexbase : A7715EGT) ; CAA Nancy, 19 mars 2009, n° 07NC01404 (N° Lexbase : A5895EHS) ; CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 294362, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8813EBZ).
(11) Pour un cas où la perte de la nouvelle bonification indiciaire était la conséquence d'une diminution sensible des responsabilités, voir CAA Nantes, 10 avril 2003, n° 01NT00109 (N° Lexbase : A8654DB7).
(12) Cf. CE 3° s-s., 14 mai 2008, n° 290046, précité.

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[Questions à...] Vers la mise en place d'une procédure de destitution du Président de la République - Questions à Philippe Houillon, député et rapporteur du projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution

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N7444BR7

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 17 Mars 2011

En ces temps troublés où un ancien Président de la République vient d'échapper (momentanément ?) à un procès devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits de financement occulte de parti politique s'étant (éventuellement) déroulés avant sa prise de fonction officielle en 1995, se pose la question de l'éventuelle mise en cause devant la justice du premier magistrat de France. La loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 (loi portant modification du titre IX de la Constitution N° Lexbase : L4654HUW) consacre, à la fois le principe de l'irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité et une procédure de destitution faisant intervenir le Parlement constitué en Haute Cour pour des actes aux termes desquels il serait considéré comme ayant manqué à ses devoirs de manière tellement grave et manifeste qu'il se rendrait, par là même, indigne de poursuivre l'exercice du mandat. Toutefois, les conditions d'application du dispositif devant être fixées par une loi organique, un projet de loi prévu à cet effet a été déposé devant l'Assemblée nationale le 22 décembre 2010, avec pour objectif de préciser, notamment, les conditions de présentation des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, ainsi que les conditions et la portée de leur examen par les commissions permanentes compétentes des deux assemblées. Pour faire le point sur cette nouvelle procédure qui touche au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et à la continuité de l'Etat, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Philippe Houillon, député de la première circonscription du Val d'Oise, et rapporteur du projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution. Lexbase : Comment se caractérisait la situation antérieure à la révision constitutionnelle du 23 février 2007 concernant le statut pénal du Président de la République ?

Philippe Houillon : Avant cette révision, les règles constitutionnelles applicables n'avaient jamais été modifiées depuis 1958. En effet, le statut pénal du Président de la République, défini aux articles 67 (N° Lexbase : L0896AHN) et 68 (N° Lexbase : L0897AHP) de la Constitution, était largement inspiré des lois constitutionnelles de 1875 (loi du 25 février 1875, relative à l'organisation des pouvoirs publics) et de la Constitution du 27 octobre 1946, notamment à son article 42. Le Président de la République pouvait être mis en accusation devant une Haute Cour de Justice pour "haute trahison", notion héritée des Républiques précédentes. Deux séries de difficultés sont apparues, motivant l'intervention du Constituant en 2007.

D'une part, quel était le champ exact de l'immunité constitutionnelle conférée au Président de la République ? Ne concernait-elle que des fautes commises dans l'exercice des fonctions présidentielles ? Ou bien autorisait-elle la poursuite du chef de l'Etat pour des actes extérieurs à ses fonctions (actes purement privés ou commis avant le mandat) ? Si oui, devant quelle juridiction ? A ces questions, la jurisprudence avait fourni des réponses partiellement divergentes : le Conseil constitutionnel avait conclu à un privilège de juridiction au bénéfice de la Haute Cour de Justice (Cons. Const, décision n° 98 408 DC du 22 janvier 1999 N° Lexbase : A8770ACS), tandis que la Cour de cassation avait limité la compétence de la Haute Cour au seul cas de haute trahison, les juridictions pénales de droit commun restaient compétentes pour tous les autres actes, tout en reconnaissant au chef de l'Etat une inviolabilité temporaire pendant son mandat (Ass. plén., 10 octobre 2001, n° 01-84.922 N° Lexbase : A1629AWA).

D'autre part, le mécanisme constitutionnel de mise en cause du Président antérieur à 2007 avait l'inconvénient de mélanger responsabilité pénale et responsabilité politique. Cela tenait d'abord aux ambiguïtés de la notion de haute trahison, sorte de "crime contre l'Etat". Par ailleurs, l'imprécision de cette notion, difficile à caractériser en temps de paix, et sa connotation exclusivement pénale rendaient inadéquates les conditions dans lesquelles le Président de la République était susceptible d'être traduit devant la Haute Cour de Justice. Les peines que cette dernière pouvait infliger et son caractère juridictionnel étaient, de surcroît, difficiles à déterminer. Cela tenait, également, à la composition et au mécanisme de fonctionnement de la Haute Cour de Justice : saisie par les deux assemblées, composée de parlementaires élus, elle faisait, cependant, intervenir des magistrats de la Cour de cassation (au sein d'une commission d'instruction et pour l'exercice du ministère public). En outre, d'après l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959, portant loi organique sur la Haute Cour de Justice (N° Lexbase : L5070IPH), son rôle consistait, non à porter une appréciation politique, mais à statuer "sur la culpabilité des accusés". 

La révision constitutionnelle de 2007 a mis fin à ce mélange de genres en supprimant la haute trahison et en remplaçant l'ancienne procédure par un mécanisme purement parlementaire de mise en cause du Président de la République. Cependant, cette procédure n'a pas pour objet de rendre le chef de l'Etat politiquement responsable devant le Parlement, le Gouvernement assumant seul cette responsabilité dans les conditions prévues aux articles 49 (N° Lexbase : L0876AHW) et 50 (N° Lexbase : L0877AHX) de la Constitution.

Lexbase : Quels sont les cas de figure dans le comportement du Président qui, selon vous, justifieraient que soit enclenchée la procédure de destitution ?

Philippe Houillon : Il ne pourrait naturellement s'agir que d'actes très graves, qui rendraient inconcevable la poursuite du mandat présidentiel. Le nouvel article 68 de la Constitution dispose, en effet, que "le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". Cette formulation est volontairement très large, afin de permettre de faire face à toute crise et à toute situation imprévisible. Les manquements en question pourraient donc résulter de violations graves de la Constitution (par exemple un usage abusif des pouvoirs exceptionnels de l'article 16 ou le refus de promulguer les lois), d'actes commis avant l'accession à l'Elysée mais révélés postérieurement, ou encore d'actes commis pendant le mandat sans lien avec les fonctions présidentielles. Peu importe, d'ailleurs, que ces actes soient pénalement répréhensibles ou non : la procédure de destitution ne vise pas à sanctionner une infraction, mais simplement à mettre fin au mandat de celui qui ne serait plus considéré digne de l'exercer. Si jamais les actes en question étaient susceptibles de poursuites devant les juridictions de droit commun, celles-ci pourraient avoir lieu une fois le Président redevenu simple citoyen.

En effet, le Président de la République demeure non responsable des actes accomplis en cette qualité et bénéficie d'un régime protecteur dans la mesure où, en vertu de l'article 67, toute action contre lui, devant une juridiction ou une administration, est prohibée pendant la durée de son mandat. Si elle ôte tout caractère pénal à la traduction du chef de l'Etat devant la Haute Cour sans préjuger d'éventuelles poursuites qui pourraient être entreprises à son encontre, elle n'institue pas, pour autant, la responsabilité politique du Président de la République devant le Parlement. La procédure de destitution a seulement pour objet d'organiser une issue à une situation de crise exceptionnelle dans laquelle le comportement du Président de la République serait de nature à porter une atteinte grave et manifeste à l'autorité de sa fonction et, partant, aux intérêts supérieurs de l'Etat.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter les principales étapes de son déroulement ?

Philippe Houillon : Dans l'esprit du Constituant de 2007, cette procédure doit être exceptionnelle et, lorsqu'elle est mise en oeuvre, elle doit trouver un dénouement rapide. L'article 68 de la Constitution prévoit un déclenchement de la procédure par les deux chambres, chacune devant donner son accord à la majorité des deux tiers de ses membres. Lorsqu'une première chambre a décidé du renvoi du chef de l'Etat devant la Haute Cour, la seconde chambre doit se prononcer dans les quinze jours. Après quoi, la Haute Cour, qui n'est rien d'autre que la réunion des deux assemblées parlementaires, dispose d'un mois pour se prononcer sur la destitution du Président de la République. Le projet de loi organique prévoit qu'elle est dessaisie si ce délai n'est pas strictement respecté. En effet, permettre que la Haute Cour poursuive ses travaux au-delà du délai d'un mois que lui a assigné le Constituant pour accomplir sa mission créerait une incertitude prolongée quant au sort du Président de la République, nuirait à son autorité et, par conséquent, porterait atteinte au bon fonctionnement des institutions dont le chef de l'Etat est le garant.

Cette procédure n'a pas pour objet de rendre le chef de l'Etat politiquement responsable devant le Parlement, le Gouvernement assumant seul cette responsabilité dans les conditions prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution. Il s'agit seulement pour la représentation nationale, dans le cadre de cette nouvelle procédure de destitution, d'apprécier si des actes ou des comportements reprochés au chef de l'Etat sont manifestement incompatibles avec l'exercice du mandat que lui a confié le peuple français, au point d'en rendre la poursuite impossible.

Lexbase : Comment éviter que ce mécanisme ne puisse être utilisé à des fins partisanes ?

Philippe Houillon : C'est l'un des enjeux de la future loi organique. Il faut à la fois permettre au mécanisme de destitution d'être opérationnel pour le jour où un manquement grave serait révélé, tout en évitant une banalisation de la procédure, qui résulterait soit d'une volonté du Parlement de rendre le chef de l'Etat politiquement responsable de l'action gouvernementale, soit de pratiques de "harcèlement" procédural par une minorité de parlementaires. Le Constituant a clairement indiqué qu'il n'entendait pas créer une prérogative à la discrétion des seuls parlementaires de l'opposition, à la différence, par exemple, des dispositions de l'article 61 (N° Lexbase : L0890AHG) permettant à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel des lois votées, avant leur promulgation.

En l'état actuel du projet de loi organique, plusieurs garanties permettraient d'éviter un usage abusif de la procédure : la proposition de résolution visant à réunir la Haute Cour devrait être motivée, signée par un dixième des membres de l'assemblée concernée et soumise à la commission des lois de la première chambre afin de vérifier que la proposition n'est "pas dénuée de tout caractère sérieux". Si elle devait constater que tel est le cas, la proposition de résolution ne pourrait être inscrite à l'ordre du jour de cette assemblée. En revanche, le Gouvernement a estimé qu'il n'y a pas lieu de limiter à une seule le nombre de propositions de résolutions qu'un membre du Parlement pourrait présenter au cours du même mandat présidentiel, comme le proposait le rapport "Avril", qui a servi de base à la réforme constitutionnelle de 2007. Cette prérogative des parlementaires doit pouvoir être mise en oeuvre à tout moment, la procédure de destitution ayant vocation à s'appliquer à une situation certes exceptionnelle mais nécessairement imprévisible.

Lexbase : De quelle manière devrait s'organiser la Haute Cour ? Quels seraient ses pouvoirs d'investigation ?

Philippe Houillon : L'appellation "Haute Cour" (et non plus "Haute Cour de Justice") désigne la réunion de l'ensemble des parlementaires des deux assemblées, à l'instar du Congrès chargé d'approuver une révision constitutionnelle. La procédure de destitution étant purement politique, on retrouvera une intervention en amont, afin d'éclairer les débats de la Haute Cour, d'une commission composée de façon pluraliste, à cette différence près avec le travail parlementaire habituel qu'elle sera bicamérale. Cette commission serait dotée de prérogatives identiques à celles des commissions d'enquête (auditions, contrôles sur pièces et sur place, etc.), et conclurait ses travaux par un rapport rendu public. Cette commission étant chargée de réunir toute information nécessaire à l'accomplissement, par la Haute Cour, de sa mission, il est nécessaire de la doter de prérogatives d'investigation étendues. A cet égard, comme le suggérait la commission "Avril", le projet de loi organique propose d'attribuer à la commission les pouvoirs confiés aux commissions d'enquête par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (N° Lexbase : L1125G88).

Après quoi, le Parlement réuni en Haute Cour se prononcera sur la destitution du chef de l'Etat, à bulletins secrets et à la majorité des deux tiers de ses membres. Le projet de loi organique précise que le vote doit intervenir dans les 48 heures suivant l'ouverture des débats. Devant la commission, comme devant la Haute Cour, le Président de la République pourra, à sa demande, être entendu (soit personnellement, soit en se faisant représenter). En effet, le Constituant a souhaité que le mandat ne soit pas suspendu du seul fait de la saisine de la Haute Cour, de sorte que l'exercice de ses fonctions, pendant toute la procédure devant elle, ne doit pas être contrarié par des convocations de la commission.

Lexbase : Quelles sont les différences notables avec la procédure d'impeachment aux Etats-Unis ?

Philippe Houillon : Aux Etats-Unis, la procédure d'impeachment peut viser à la fois, "le Président, le vice-président et tous les fonctionnaires civil", pour "trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits" (article 2, section III, de la Constitution du 17 septembre 1787). A l'instar de l'article 68 de notre Constitution, elle peut donc aboutir à la destitution (removal) du Président des Etats-Unis. Au-delà de ce point commun, les différences entre les deux procédures sont nombreuses. La plus évidente concerne les conséquences de la procédure : une destitution du Président américain (hypothèse qui ne s'est, d'ailleurs, jamais produite) n'entraîne pas de nouvelle élection, le mandat étant achevé par le vice-président des Etats-Unis. Lorsque le Président américain est mis en cause, les débats devant le Sénat sont présidés par le président de la Cour suprême (article 1er, section II et III). Le Sénat, s'il vote la culpabilité, peut destituer le Président ou lui interdire d'occuper tout poste officiel à l'avenir. Deux fois, la Chambre des représentants a voté la mise en accusation du Président des Etats-Unis, pour Andrew Johnson (en 1868) et Bill Clinton (1998). Tous deux ont été acquittés par le Sénat.

Dans le cas français, la destitution entraîne la vacance de la présidence de la République, l'intérim exercé par le Président du Sénat et l'organisation, dans les 35 jours au plus tard, d'une élection présidentielle anticipée. C'est donc le peuple français qui, in fine, dispose du dernier mot. Le président destitué peut, d'ailleurs, se présenter à l'élection, sauf s'il tombe sous le coup de l'interdiction d'exercer plus de deux mandats consécutifs, introduite à l'article 6 de la Constitution par la révision du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK). Par ailleurs, alors que la procédure française se veut désormais purement politique, la procédure d'impeachement est plus ambiguë, à mi-chemin entre le politique et le pénal. On peut le constater en se reportant à la Constitution des Etats-Unis, selon laquelle "le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des Etats-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs". L'interprétation très souple faite en pratique de ces "autres crimes et délits" aboutit à une responsabilité politico-pénale du Président américain. Ce caractère hybride se retrouve, également, dans la procédure de jugement, le Sénat étant, alors, présidé par le Président de la Cour suprême (Chief Justice).

Enfin, historiquement, les deux procédures ne répondent pas aux mêmes finalités. Le nouvel article 68 de la Constitution a été conçu comme une "soupape de sûreté" (l'expression émane du rapport "Avril"), susceptible de venir exceptionnellement compenser l'immunité conférée au Président de la République par l'article 67 de la Constitution. Aux Etats-Unis, l'impeachment a davantage été conçue par les Constituants de 1787 comme un tempérament à l'irresponsabilité politique du Président et donc, plus largement, à l'irresponsabilité de l'exécutif devant le Congrès.

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Pénal

[Textes] Loppsi 2 : présentation du volet de droit pénal

Réf. : Loi n° 2011-267, 14-03-2011, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5066IPC)

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N7499BR8

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 17 Mars 2011

A été publiée au journal officiel du 15 mars 2011, la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2), qui fixe les orientations de la politique de sécurité d'ici à 2013. Le texte est dense, puisqu'il compte pas moins de 142 articles (sachant qu'une dizaine d'articles a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 N° Lexbase : A2186G9T ; lire N° Lexbase : N7498BR7, pour le volet pénal et N° Lexbase : N7489BRS, pour le volet public). Les moyens sont importants puisque l'on rappellera qu'une enveloppe de 2,5 milliards d'euros est consacrée à la mise en oeuvre de cette loi. Les dispositions en matière pénale sont évidemment très nombreuses. Lexbase Hebdo - édition privée vous propose une présentation de ces dispositions déclinées selon six sections : la lutte contre la cybercriminalité, l'utilisation des nouvelles technologies, la protection des intérêts fondamentaux de la Nation, le renforcement de la lutte contre la criminalité et de l'efficacité des moyens de répression, et la sécurité quotidienne et prévention de la délinquance. Ne sont pas ici abordées les dispositions renforçant la lutte contre l'insécurité routière. 1. Lutte contre la cybercriminalité
  • Du délit d'usurpation d'identité

L'article 2 de la loi du 14 mars 2011 prévoit la création d'un délit d'usurpation d'identité, codifié à l'article 226-4-1 nouveau du Code pénal en vertu duquel le fait d'usurper l'identité d'un tiers ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu'elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne.

  • Obligation pour les fournisseurs d'accès à internet d'empêcher l'accès aux sites diffusant des images pédopornographiques

L'article 4 de la loi tend à compléter l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC) en instaurant, lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l'article 227-23 du Code pénal (N° Lexbase : L8751HWZ) le justifient, pour les fournisseurs d'accès à internet (FAI) une obligation d'empêcher l'accès aux sites diffusant des images pédopornographiques.

  • Extension du délit prévu à l'article 227-24 du Code pénal aux messages de nature "à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger"

L'article 5 de la Loppsi 2 étend l'incrimination prévue à l'article 227-24 du Code pénal (N° Lexbase : L8752HW3), qui punit la fabrication et la diffusion de messages à caractère violent ou pornographique lorsque ces messages sont susceptibles d'être vus ou perçus par un mineur, aux messages de nature "à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger".

Pour rappel, le délit est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

2. Utilisation des nouvelles technologies

2.1. Identification d'une personne par ses empreintes génétiques

  • L'adaptation des sanctions pénales prévues en cas d'utilisation des procédés d'identification par empreintes génétiques sans respecter les conditions légales ou en dehors des cas

L'article 6 de la loi prévoit l'extension de la possibilité d'identifier une personne par ses empreintes génétiques prévue à l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M) à la recherche de l'identité de personnes décédées.

Parallèlement, l'article 8 vient adapter les sanctions pénales prévues en cas d'utilisation des procédés d'identification par empreintes génétiques sans respecter les conditions légales ou en dehors des cas légaux, pour tenir compte de la création de ce nouveau cas d'identification par l'article 6 de la loi.

L'article 226-27 modifié du Code pénal punit ainsi d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait "de procéder à l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques à des fins médicales ou de recherche scientifique sans avoir recueilli son consentement dans les conditions prévues par l'article 16-11 du Code civil".

Par coordination avec les dispositions adoptées à l'article 5 du texte, qui prévoient la possibilité de recueillir, avec leur consentement, les empreintes génétiques de la parentèle d'une personne disparue, l'article 8 ajoute à cette incrimination le fait de procéder, sans son consentement, "au prélèvement de ses traces biologiques à titre d'ascendant, descendant ou collatéral aux fins de l'établissement, par ses empreintes génétiques, de l'identité d'une personne mentionnée au 3° du même article".

L'article 226-28 modifié du Code pénal concerne, quant à lui, le fait de rechercher l'identification par ses empreintes génétiques d'une personne en dehors des cas prévus à l'article 16-11 du Code civil (militaire décédé au cours d'une opération, recherche à des fins médicales ou scientifiques, ou mesure d'enquête ou d'instruction diligentée lors d'une procédure judiciaire) ou d'une procédure de vérification d'un acte de l'état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans le cadre des dispositions de l'article L. 111-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L0444IDS).

Dans le même souci de coordination que pour l'article 226-27 du Code pénal, l'article 8 prévoit de punir des mêmes peines la recherche de l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques lorsqu'il ne s'agit pas d'un des nouveaux cas visés au 3° de l'article 16-11 du Code civil dans sa nouvelle rédaction.

  • Enregistrement au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) des traces biologiques recueillies pour l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques

L'article 9 de la loi du 14 mars 2011 a pour objet de permettre l'enregistrement au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) des empreintes génétiques recueillies dans le cadre des nouvelles dispositions de l'article 16-11 du Code civil.

L'article 706-54 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7377IGC) est ainsi modifié afin de prévoir que le fichier contient les empreintes génétiques recueillies dans le cadre prévu par l'article 16-11 du Code civil pour l'identification des personnes décédées, et pas seulement les "empreintes génétiques issues des traces biologiques" recueillies dans ce cadre.

On relèvera que le texte adopté veille à renforcer les garanties nécessaires pour éviter l'utilisation des données enregistrées à une autre fin que celle pour laquelle elles ont été enregistrées. Alors que le projet de loi initial ne prévoyait un enregistrement distinct de celui des autres empreintes conservées dans le FNAEG que pour les empreintes génétiques des ascendants, descendants et collatéraux des personnes dont l'identification est recherchée, le Sénat a étendu le principe de cet enregistrement distinct à toutes les empreintes ou traces biologiques recueillies dans ce nouveau cadre.

Par ailleurs, le dispositif a été complété afin de prévoir que les empreintes ou traces conservées dans le cadre des nouvelles dispositions de l'article 16-11 du Code civil "sont effacées sur instruction du procureur de la République, agissant soit d'office, soit à la demande des intéressés, lorsqu'il est mis fin aux recherches d'identification qui ont justifié leur recueil".

2.2. Fichiers de police judiciaire

  • Modifications du cadre législatif des fichiers d'antécédents et des fichiers d'analyse sérielle

L'article 11 de la Loppsi 2 vient insérer dans le Code de procédure pénale un nouveau chapitre consacré aux fichiers de police judiciaire comportant deux sections. La première section est relative aux fichiers d'antécédents, la seconde aux fichiers d'analyse sérielle. Ces dispositions, qui créent les nouveaux articles 230-6 à 230-18 du Code de procédure pénale, codifient en les complétant pour partie les articles 21, 21-1 et le I de l'article 23 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9731A9B).

S'agissant des fichiers d'antécédents judiciaires, l'article 11 permet d'améliorer le contrôle de l'autorité judiciaire sur ces fichiers (STIC et JUDEX, bientôt remplacés par ARIANE). Ce texte prévoit l'instauration d'un magistrat référent chargé de suivre la mise en oeuvre et la mise à jour des fichiers d'antécédents judiciaires.

Par ailleurs, le texte adopté prévoit des garanties aux personnes susceptibles d'être inscrites dans ces traitements.

Le traitement des informations nominatives se fait sous le contrôle du procureur de la République qui peut demander qu'elles soient effacées, complétées ou rectifiées. La rectification pour requalification judiciaire est de droit, sans que la personne concernée n'ait à le demander.

Les décisions de relaxe, d'acquittement, de non-lieu ou de classement sans suite n'emportent pas les mêmes effets sur les informations nominatives contenues dans les fichiers :

- en cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien auquel cas la décision fait l'objet d'une mention ;

- le principe est inversé pour les décisions de non lieu et, lorsqu'elles sont motivées par une insuffisance de charges, de classement sans suite : ces décisions font l'objet d'une mention sauf si le procureur de la République ordonne l'effacement des données personnelles. Mais, en tout état de cause, elles ne peuvent faire l'objet d'une consultation dans le cadre d'une enquête administrative.

Le procureur de la République doit se prononcer dans un délai d'un mois sur les suites qu'il convient de donner aux demandes d'effacement ou de rectification.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a complété le texte initial du projet de loi afin d'obliger le procureur de la République, lorsqu'il décide le maintien des données personnelles touchant une personne ayant bénéficié d'une décision d'acquittement ou de relaxe devenue définitive, à aviser la personne concernée.

De même, elle a prévu la transmission des décisions d'effacement ou de rectification des informations nominatives prises par le procureur de la République aux responsables de tous les traitements automatisés pour lesquels ces décisions ont des conséquences sur la durée de conservation des données personnelles.

Les fichiers d'analyse sérielle ont pour objet de "rassembler les preuves et d'identifier les auteurs, grâce à l'établissement de liens entre les individus, les événements ou les infractions, des crimes et délits présentant un caractère sériel". Leur cadre juridique a été fixé par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales (N° Lexbase : L4971HDH).

En l'état du droit, ces traitements ne peuvent concerner que les crimes ou délits portant atteinte aux personnes passibles de plus de cinq ans d'emprisonnement ou portant atteinte aux biens et passibles de plus de sept ans d'emprisonnement. Le nouvel article 230-13 prévoit de déterminer un seuil de peine unique dont le quantum est fixé à cinq ans d'emprisonnement au moins.

Le magistrat référent prévu par le nouvel article 230-9 est également compétent pour la mise en oeuvre et la mise à jour des fichiers d'analyse sérielle.

L'article 11 prévoit également une extension des destinataires des informations contenues dans les fichiers. Actuellement, peuvent accéder aux fichiers les personnels spécialement habilités et individuellement désignés de police et de gendarmerie nationale ainsi que les magistrats du parquet et les magistrats instructeurs pour les recherches relatives aux infractions dont ils sont saisis. Le nouvel article 230-16 propose d'élargir cette liste aux agents des douanes spécialement habilités et individuellement désignés à l'occasion des enquêtes dans les différents domaines qui leur sont confiés par l'article 28-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0748IKW).

  • Création de logiciels de rapprochement judiciaire

L'article 14 de la Loppsi 2, qui crée de nouveaux articles 230-20 à 230-27 dans le Code de procédure pénale, autorise la création de logiciels de rapprochement judiciaire permettant aux enquêteurs d'opérer des rapprochements entre différentes affaires dont sont saisis les services de police judiciaire, afin d'améliorer le taux d'élucidation, notamment en matière de petite et de moyenne délinquance. Ces dispositions autorisent ainsi la mise en oeuvre, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, de logiciels d'aide à l'exploitation et au rapprochement d'informations sur les modes opératoires réunies par les services de police judiciaire au cours, d'une part, des enquêtes préliminaires, des enquêtes de flagrance ou des investigations exécutées sur commission rogatoire, d'autre part, des procédures de recherche des causes de la mort ou d'une disparition prévues par les articles 74 (N° Lexbase : L2348IEP) et 74-1 (N° Lexbase : L1637A7R) du Code de procédure pénale.

Le dispositif prévoit un certain nombre de garanties destinées à encadrer le recours aux logiciels de rapprochement, ayant trait, à la teneur des informations traitées, à la durée de conservation des données à caractère personnel révélées par l'exploitation des enquêtes et investigations, au contrôle du dispositif, et enfin aux utilisateurs des logiciels.

3. Protection des intérêts fondamentaux de la Nation

  • Protection des agents des services de renseignement

L'article 27 de la loi instaure un régime de protection juridique pour les agents de renseignement, leurs sources et leurs collaborateurs.

Ce texte autorise, notamment l'usage d'une identité d'emprunt par les agents des services de renseignement et vise à protéger l'identité de ces agents dans le cadre des procédures judiciaires.

Un nouvel article 413-13 introduit dans le Code pénal prévoit ainsi l'incrimination de la révélation d'une identité d'emprunt ou de l'identité réelle de l'agent de renseignement.

A noter que le Sénat a jugé préférable de ne pas pénaliser la simple "désignation" d'une personne comme appartenant aux services de renseignement. Il lui a semblé préférable de viser la "révélation" de toute information susceptible de conduire, directement ou indirectement, à l'identification réelle ou supposée d'une personne comme source ou collaborateur occasionnel d'un service spécialisé de renseignement.

4. Renforcement de la lutte contre la criminalité et de l'efficacité des moyens de répression

  • Nouvelle technique d'investigation contre les auteurs de messages faisant l'apologie d'actes terroristes sur internet

L'article 34 de la loi du 14 mars 2011 vise à étendre aux actes de provocation au terrorisme ou d'apologie d'actes terroristes le champ d'une forme d'investigation nouvelle, introduite par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3). Cette loi avait inséré dans le Code de procédure pénale les articles 706-35-1 (N° Lexbase : L8665HWT) et 706-47-3 (N° Lexbase : L8671HW3) autorisant la mise en oeuvre d'une nouvelle forme d'investigation pour certaines infractions commises par un moyen de communication électronique. Plus récemment, l'article 59 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (N° Lexbase : L0282IKN), a mis en place un dispositif analogue de "cyberpatrouilles" pour constater les infractions commises à l'occasion de paris ou de jeux d'argent ou de hasard en ligne et en rechercher les auteurs.

S'inspirant de ces deux modèles, l'article 34 de la loi introduit un nouvel article 706-25-2 au sein du Code de procédure pénale qui vise les infractions mentionnées au sixième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), et punit de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, notamment par tout moyen de communication au public par voie électronique, de provoquer directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du Code pénal ou d'en faire l'apologie.

Dans le but de constater une telle infraction lorsqu'elle est commise par un moyen de communication électronique, les officiers ou agents de police judiciaire affectés dans un service spécialisé à cet effet pourront procéder à un certain nombre d'actes sans être pénalement responsables, à la condition expresse que ces actes ne constituent pas une incitation à commettre ces infractions. Ces actes sont les suivants : participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques ; être en contact par un moyen de communication électronique avec les personnes susceptibles d'être les auteurs de ces infractions ;extraire, acquérir ou conserver par ce moyen les éléments de preuve et les données sur ces personnes.

  • Allongement de la durée des interceptions téléphoniques pour les infractions relevant de la criminalité organisée et possibilité de réaliser des écoutes pour une durée d'un mois renouvelable une fois

L'article 35 de la loi modifie l'article 706-95 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5776DYL) afin de prévoir l'allongement de la durée des interceptions téléphoniques pour les infractions relevant de la criminalité organisée et la possibilité de réaliser des écoutes pour une durée d'un mois renouvelable une fois.

  • Possibilité de recourir à la captation à distance de données informatiques dans les affaires de criminalité organisée

L'article 36 de la Loppsi 2, qui insère de nouveaux articles 706-102-1 à 706-102-9 dans le Code de procédure pénale, crée la possibilité de recourir à la captation à distance de données informatiques dans les affaires de criminalité organisée.

Le dispositif est basé sur une double autorisation : une autorisation de principe subordonnée, sur le fond, aux "nécessités de l'information" et, sur la forme, à une ordonnance motivée du juge d'instruction. Par ailleurs, des autorisations spéciales sont nécessaires afin de mettre en place le dispositif de captation dans un véhicule ou dans un lieu privé à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l'occupant des lieux ou de toute personne titulaire d'un droit sur celui-ci.

S'agissant des délais, les décisions du juge d'instruction tendant à la mise en place d'un dispositif de captation ne peuvent être prises que pour une durée maximale de quatre mois.

La captation est interdite dans le véhicule, le bureau ou le domicile d'un parlementaire, d'un avocat ou d'un magistrat, dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle ainsi que dans le cabinet d'un médecin, d'un notaire, d'un avoué ou d'un huissier.

Les opérations de mise en place du dispositif de captation ainsi que les opérations de captation des données informatiques font l'objet d'un procès-verbal dressé par le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui. Ces procès-verbaux mentionnent la date et l'heure auxquelles l'opération a commencé et celles auxquelles elle s'est terminée. Les enregistrements sont placés sous scellés fermés.

  • Peines minimales applicables aux auteurs de violences volontaires aggravées :

L'article 37, issu d'un amendement adopté par le Sénat, insère un nouvel article 132-19-2 dans le Code de procédure pénale qui a pour but d'étendre aux primo-délinquants ayant commis des violences aggravées, le dispositif des "pleines planchers", qui ne sont à l'heure actuelle applicables qu'en cas de récidive. Le seuil est de 18 mois, si le délit est puni de sept ans d'emprisonnement, et de deux ans, si le délit est puni de dix ans d'emprisonnement.

Le II de l'article 37 qui prévoyait d'étendre aux mineurs l'application de peines minimales "plancher", applicables aux primo-délinquants, a été censuré par le Conseil constitutionnel qui a jugé ces dispositions contraires aux exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs.

  • Allongement de la durée de période de sûreté pour les auteurs de meurtre ou d'assassinat à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique

Actuellement, aux termes de l'article 132-23 du Code pénal (N° Lexbase : L3750HGY), la période de sûreté peut être portée par décision spéciale de la cour d'assises ou du tribunal jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à 22 ans.

Toutefois, en vertu des articles 221-3 (N° Lexbase : L2148AMI) et 221-4 (N° Lexbase : L7211IMZ) du même code, lorsque le meurtre ou l'assassinat est précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie, et que la victime est un mineur de 15 ans, la cour d'assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu'à 30 ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, décider qu'aucun aménagement de peine ne pourra être accordé au condamné.

Le caractère incompressible de la peine connaît cependant un tempérament (C. pr. pén., art 720-4 N° Lexbase : L5647DYS). Lorsque la période de sûreté couvre la totalité d'une réclusion criminelle à perpétuité, le tribunal de l'application des peines peut accorder, après une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux, une mesure d'aménagement de peine si le condamné a subi une incarcération d'une durée au moins égale à trente ans.

L'article 38 de la loi du 14 mars 2011 prévoit désormais l'application des dispositions particulières des articles 221-3 et 221-4 du Code pénal aux meurtres ou assassinats commis à l'encontre d'un "magistrat, d'un fonctionnaire de la police nationale, d'un militaire de la gendarmerie, d'un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou de tout autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions".

  • Extension du champ d'application de la surveillance judiciaire et d'un placement sous surveillance électronique mobile aux personnes condamnées à une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure ou égale à cinq ans en état de nouvelle récidive

Depuis la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle (N° Lexbase : L6994IG7), le tribunal de l'application des peines peut, s'agissant d'une personne qui a été condamnée à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à sept ans pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, sur réquisitions du procureur de la République, ordonner à titre de mesure de sûreté et aux seules fins de prévenir une récidive dont le risque paraît élevé, qu'elle sera placée sous surveillance judiciaire dès sa libération et pendant une durée qui ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine et aux réductions de peines supplémentaires dont elle a bénéficié et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision de retrait. Le risque de récidive doit être constaté par une expertise médicale ordonnée par le juge de l'application des peines. En cas d'inobservation par le condamné des obligations et interdictions qui lui ont été imposées, ce magistrat peut retirer tout ou partie de la durée des réductions de peine dont a bénéficié le condamné et ordonner sa réincarcération. L'ensemble de ces dispositions ne sont pas applicables si la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire ou si elle fait l'objet d'une libération conditionnelle (C. pr. pén., art. 723-29 et s. N° Lexbase : L7498IGS).

L'article 40 de la loi du 14 mars 2011 élargit le champ de ces dispositions afin de permettre également de placer sous surveillance judiciaire une personne qui a été condamnée à une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure ou égale à cinq ans pour un crime ou un délit commis une nouvelle fois en état de récidive légale (c'est-à-dire commis pour une troisième fois). Ces personnes peuvent notamment être, désormais, placées sous surveillance électronique mobile (application de l'article 723-30 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7382IGI).

Lors de l'examen du texte en seconde lecture, la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité compléter dans le même sens les dispositions relatives au placement sous surveillance électronique mobile des personnes condamnées à une peine de suivi socio-judiciaire (qui est une peine complémentaire, à la différence de la surveillance judiciaire qui est une modalité d'exécution de la peine). Alors qu'un tel placement n'était à l'heure actuelle possible que lorsque la personne majeure a été condamnée à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à sept et dont une expertise médicale a constaté la dangerosité, il peut désormais l'être également lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit commis une nouvelle fois en état de récidive légale, d'une durée égale ou supérieure à cinq ans.

5. Sécurité quotidienne et prévention de la délinquance

  • Aggravation des peines encourues en cas de vol commis à l'encontre de personnes vulnérables et de cambriolage

L'article 47 de la Loppsi, qui résulte d'un amendement inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, tend à aggraver les peines encourues en cas de vol commis à l'encontre d'une personne vulnérable et en cas de cambriolage.

1. Les vols commis à l'encontre de personnes vulnérables

A l'heure actuelle, lorsque la victime est une personne particulièrement vulnérable, en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, et que cette vulnérabilité est apparente ou connue de l'auteur de l'infraction, le vol est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, en l'absence de circonstance aggravante supplémentaire (C. pén., art. 311-4 du Code pénal N° Lexbase : L6107IGB).

L'article 311-5 du Code pénal (N° Lexbase : L1776AMQ) punit quant à lui de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le vol précédé, accompagné ou suivi de violences sur autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours au plus.

L'article 47 de la loi tend à élever les peines encourues lorsque le vol est commis sur une personne vulnérable : désormais, une telle infraction, qui figure à l'article 311-5 du Code pénal, est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende.

2. Les cambriolages

A l'heure actuelle, le cambriolage, défini juridiquement comme un vol "commis dans un local d'habitation ou dans un lieu utilisé ou destiné à l'entrepôt de fonds, valeurs, marchandises ou matériels, en pénétrant dans les lieux par ruse, effraction ou escalade", est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, en l'absence de circonstance aggravante supplémentaire (C. pén., art. 311-4).

En revanche, lorsqu'il est accompli sans ruse, effraction ni escalade (par exemple, lorsque la porte du domicile était ouverte), le cambriolage est assimilé à un vol "simple".

L'article 47 de la loi modifie les articles 311-4 et 311-5 du Code pénal afin d'opérer une distinction entre les cambriolages opérés sans ruse, effraction ni escalade, et ceux opérés dans de telles circonstances : dans le premier cas, le vol commis dans un local d'habitation ou dans un lieu utilisé ou destiné à l'entrepôt de fonds, valeurs, marchandises ou matériels sans recours à un stratagème particulier pour pénétrer dans les lieux est désormais puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, tandis que le vol commis dans ces mêmes lieux en pénétrant dans les lieux par ruse, effraction ou escalade est quant à lui puni de sept ans d'emprisonnement, en application de dispositions insérées à l'article 311-5 du Code pénal.

Par ailleurs, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende en cas de cumul de deux circonstances prévues à l'article 311-5, ou lorsque le vol commis dans les conditions visées à l'article 311-5 du Code pénal l'est également dans l'une des circonstances prévues par l'article 311-4 du Code pénal.

Ainsi, par exemple, un cambriolage commis sans effraction à l'encontre d'une personne vulnérable serait désormais puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

3. Peine complémentaire d'interdiction de séjour

Enfin, l'article 311-14, 5° du Code pénal (N° Lexbase : L2478IBE) est modifié afin de prévoir que les personnes reconnues coupables d'un vol commis dans les conditions prévues à l'article 311-5 du Code pénal peuvent être également condamnées à une interdiction de séjour.

La peine d'interdiction de séjour, dont le régime est défini par l'article 131-31 du Code pénal (N° Lexbase : L2042AML), emporte défense de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction. Elle comporte également des mesures de surveillance et d'assistance. En matière délictuelle, elle est prononcée pour une durée de cinq ans au plus.

  • Report du point de départ de la prescription pour certaines infractions commises à l'encontre d'une personne vulnérable

L'article 48 de la loi du 14 mars 2011 tend à expliciter dans la loi les principes applicables en matière de prescription des délits commis contre des personnes vulnérables.

En matière de délits, la prescription de l'action publique est de trois ans révolus (C. pr. pén., art. 8 N° Lexbase : L2877HIE). La seule exception à ce principe concerne certains délits particulièrement graves commis contre des mineurs (violences graves, agressions sexuelles, prostitution, etc.), pour lesquels le délai de prescription a été porté à dix ou vingt ans selon le délit, le délai ne commençant à courir, en outre, qu'à partir de la majorité de la victime.

Toutefois, s'agissant des infractions occultes ou dissimulées, la jurisprudence considère que le point de départ du délai de prescription ne court qu'à partir du jour où l'infraction est révélée.

L'article 48 modifie l'article 8 du Code de procédure pénale afin d'inscrire cette jurisprudence dans la loi pour certains délits strictement énumérés (abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse, de vol, d'escroquerie, abus de confiance, de recel mais également détournement de gage) commis contre une personne vulnérable.

A noter que la modification, dans le même sens, des dispositions relatives à la prescription des crimes se traduisant par la disparition d'un enfant, n'a finalement pas été retenue.

  • Entrave aux débats d'une assemblée parlementaire ou de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale

L'article 49 de la loi étend le champ du délit d'entrave à l'exercice des libertés d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation, prévu à l'article 431-1 du Code pénal, aux faits d'entrave au déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale.

  • Délit de distribution d'argent à des fins publicitaires sur la voie publique

L'article 50 de la loi, qui résulte d'un amendement du Gouvernement inséré dans le projet de loi par la commission des lois de l'Assemblée nationale, crée deux nouveaux articles 431-29 et 431-30 dans le Code pénal instaurant un délit de distribution d'argent à des fins publicitaires sur la voie publique.

Le nouvel article 431-29 distingue deux hypothèses :

- la distribution sur la voie publique, à des fins publicitaires, de pièces de monnaie ou de billets de banque ayant cours légal, d'une part, qui est punie de six mois d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Cette dernière peine peut toutefois être portée au double des sommes ayant été distribuées ;

- le fait d'annoncer publiquement, par tout moyen, qu'il sera procédé sur la voie publique, à des fins publicitaires, à la distribution de pièces de monnaie ou de billets de banque ayant cours légal, d'autre part, qui est puni de trois mois d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Le nouvel article 431-30 dispose quant à lui que les personnes morales reconnues coupables de l'une de ces infractions encourent une amende d'un montant cinq fois supérieur à celle encourue par les personnes physiques (conformément au principe posé à l'article 131-38 du Code pénal) ainsi que l'affichage ou la diffusion de la décision de condamnation dans la presse écrite ou sur internet.

  • Correctionnalisation de l'infraction de "vente à la sauvette" et création d'un délit d'exploitation de la vente à la sauvette

Les articles 51 et 52 de la Loppsi 2, insérés par la commission des lois de l'Assemblée, tendent à mieux prévenir le phénomène des "ventes à la sauvette" en élevant au rang de délit l'infraction de vente à la sauvette et en créant un délit d'exploitation de vente à la sauvette.

Tout d'abord, l'article 51 qui crée de nouveaux articles 446-1 à 446-4 dans le Code pénal tend à correctionnaliser l'infraction de vente à la sauvette, qui est désormais punie de six mois d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros. Lorsqu'elle est accompagnée de voies de fait ou de menaces ou lorsqu'elle est commise en réunion, cette infraction est punie d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros. Les personnes physiques reconnues coupables de "vente à la sauvette" dans ces conditions peuvent voir confisquée ou détruite la chose qui est l'instrument ou le produit de l'infraction. Enfin, les personnes morales encourent quant à elles une amende d'un montant cinq fois supérieur à l'amende encourue par les personnes physiques ainsi que l'ensemble des peines prévues à l'article 131-39 du Code pénal (N° Lexbase : L7261IMU).

L'article 52 de la loi crée, ensuite, s'inspirant des dispositions relatives au proxénétisme et à l'exploitation de la mendicité, un délit d'exploitation de la vente à la sauvette, qui est défini comme "le fait par quiconque d'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de l'inciter à commettre l'une des infractions [de vente à la sauvette visées par l'article 446-1 nouveau du Code pénal], ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle commette l'une de ces infractions ou continue de le faire, afin d'en tirer profit de quelque manière que ce soit", et qui est prévu aux articles 225-12-8 à 225-12-10 nouveaux du Code pénal.

Est assimilé à l'exploitation de la vente à la sauvette le fait de recevoir des subsides d'une personne se livrant de façon habituelle à la vente à la sauvette.

Est également assimilé à l'exploitation de la sauvette le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en exerçant une influence de fait, permanente ou non, sur une ou plusieurs personnes se livrant de façon habituelle à la vente à la sauvette, ou en étant en relation habituelle avec cette ou ces dernières.

L'exploitation de la vente à la sauvette est punie de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 45 000 euros.

Ces peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque l'exploitation est commise à l'égard d'un mineur ; à l'égard d'une personne vulnérable ; à l'égard de plusieurs personnes ; à l'égard d'une personne qui a été incitée à se livrer à la vente à la sauvette soit hors du territoire de la République soit à son arrivée sur le territoire de la République ; par un ascendant du vendeur à la sauvette, ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; avec l'emploi de la contrainte, de violences ou de manoeuvres dolosives sur cette personne, sur sa famille ou sur une personne étant en relation habituelle avec elle ; par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteurs ou de complices, sans qu'elles constituent une bande organisée.

Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 1 500 000 euros d'amende lorsque l'exploitation de la vente à la sauvette est commise en bande organisée.

Les personnes reconnues coupables d'exploitation de vente à la sauvette dans les conditions précitées encourent également un certain nombre de peines complémentaires, énumérées à l'article 225-20 du Code pénal (N° Lexbase : L2496IB3).

Enfin, les personnes de nationalité étrangère reconnues coupables d'exploitation de la vente à la sauvette peuvent être condamnées à une interdiction du territoire français, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus.

  • Possibilité pour les enquêteurs de pénétrer dans un domicile pour l'exécution d'une demande d'extradition ou d'un mandat d'arrêt européen

L'article 54 de la loi du 14 mars 2011 a pour but de permettre aux agents chargés de l'exécution d'une demande d'extradition ou d'un mandat d'arrêt européen de pénétrer aux heures légales dans un domicile afin d'appréhender la personne concernée.

A l'heure actuelle, l'article 134 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5541DYU) autorise l'agent chargé de l'exécution d'un mandat d'amener, d'un mandat d'arrêt ou d'un mandat de recherche à s'introduire au domicile d'un citoyen entre six heures et vingt-et-une heures. Dans ce cas, cet agent peut se faire accompagner d'une force suffisante pour que la personne ne puisse se soustraire à la loi.

L'article 54 vient compléter le premier alinéa de l'article 134 afin d'étendre expressément ces dispositions à l'exécution des demandes d'extradition et des mandats d'arrêt européens, en vue d'éviter tout risque d'interprétation restrictive de la loi.

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Mars 2011

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N6458BRM

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III

Le 17 Mars 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en procédures fiscales réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III. Cette chronique traite, pour commencer, de deux questions prioritaires de constitutionnalité : la première concerne l'article 168 du CGI, qui donne à l'administration le droit de fixer la base d'imposition à l'impôt sur le revenu à une somme forfaitaire déterminée d'après certains éléments du train de vie, et qui est partiellement contraire à la Constitution (Cons. const., décision n° 2010-88 QPC du 21 janvier 2011) ; la seconde porte sur le point 3 du paragraphe V de l'article 1754 du CGI, relatif à la responsabilité solidaire des dirigeants pour le paiement d'une amende fiscale, déclaré conforme à la Constitution (Cons. const., décision n° 2010-90 QPC du 21 janvier 2011). Pour finir, elle aborde la question de la transmission d'informations recueillies par des administrations étrangères et frappées du sceau du secret, en vertu de la Convention fiscale, et sa relation avec les exigences du débat contradictoire (CE 8° et 3° s-s-r., 26 janvier 2011, n° 311808, publié au recueil Lebon).
  • Contrariété partielle à la Constitution de l'article 168 du CGI, donnant droit à l'administration de fixer la base d'imposition à l'impôt sur le revenu à une somme forfaitaire déterminée d'après certains éléments du train de vie (Cons. const., 21 janvier 2011, n° 2010-88 QPC N° Lexbase : A1521GQE)

Comment peut-on à la fois être propriétaire de yachts ou bateaux de plaisance à voiles avec ou sans moteur auxiliaire, jaugeant au moins trois tonneaux de jauge internationale, de chevaux de course âgés au moins de deux ans et autres chevaux de selle, détenir des participations dans des clubs de golf sans oublier quelques autres éléments du train de vie, sans avoir, au regard des déclaration souscrites par le contribuable, les revenus nécessaires à leur acquisition ?

Dans l'hypothèse d'une disproportion marquée entre le train de vie d'un contribuable et ses revenus, l'article 168 du CGI (N° Lexbase : L2378IPR) donne à l'administration le droit de fixer la base d'imposition à l'impôt sur le revenu à une somme forfaitaire déterminée d'après certains éléments du train de vie. Le législateur a prévu que la somme forfaitaire soit majorée de 50 % dès lors que celle-ci est supérieure ou égale aux limites fixées au 1er alinéa de l'article 168 et que le contribuable a disposé de plus de six éléments du train de vie figurant dans le barème.

Ce dispositif est un mécanisme de lutte contre la fraude fiscale, qui s'applique quand existe une disproportion marquée, et inexpliquée, entre le train de vie d'un contribuable possédant des éléments qui en sont constitutifs et les revenus déclarés par celui-ci. Pour la doctrine administrative, il s'agit d'un régime particulier d'imposition, à utiliser en cas de disproportion marquée entre le train de vie d'un contribuable et ses revenus déclarés, exonérés, taxés selon un taux proportionnel ou faisant l'objet d'un prélèvement libératoire (DB 5 B-521).

Le texte ne permet pas au contribuable de faire la preuve que ses revenus imposables réels étaient inférieurs aux bases d'imposition déterminées de façon indiciaire (CE Section, 25 avril 1984, n° 46943, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4356ALW ; RJF, 1984, 6, comm. 5354).

L'administration tient du législateur le droit de constater une disproportion marquée entre le train de vie d'un contribuable et ses revenus déclarés, puis de modifier la base d'imposition en mettant en oeuvre l'article 168 du CGI. Si le contribuable est en situation d'être taxé d'office pour défaut de déclaration (LPF, art. L. 66 N° Lexbase : L7601HEA), ou pour défaut de réponse à une demande de justification (LPF, art. L. 16 N° Lexbase : L5579G4E et L. 69 N° Lexbase : L8559AEQ), l'administration est fondée à évaluer le revenu du contribuable à partir du barème de l'article 168 précité, mais le Conseil d'Etat refuse l'application de la majoration de 50 % (CE 8° et 9° s-s-r., 15 octobre 1975, n° 93725, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7991AYM ; RJF, 1975, 12, comm. 574).

Le Conseil constitutionnel, saisi d'une question de constitutionnalité, condamne cette majoration du barème de 50 % et juge que l'article en cause ne saurait faire obstacle, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, à ce que le contribuable apporte la preuve que le financement des éléments de patrimoine qu'il détient n'implique pas la possession des revenus définis forfaitairement. A suivre le Conseil, la majoration de 50 %, est fondée sur un critère qui n'est ni objectif ni rationnel, et qui fait peser sur le contribuable une charge excessive au regard de ses facultés contributives. En conséquence, cette disposition a été déclarée contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.

Même s'il censure le dispositif de majoration et émet une réserve, retenons que le Conseil valide le principe de la taxation d'après les éléments du train de vie. En effet, le législateur, en retenant chacun des éléments du train de vie énoncés par l'article incriminé, et en attribuant à chacun d'eux une valeur forfaitaire, a souhaité lutter contre la fraude fiscale dans les seuls cas où une disproportion marquée entre le train de vie et les revenus déclarés est établie, et s'est ainsi fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but assigné.

Il ne faut pas oublier que le troisième alinéa de l'article précité permet au contribuable de faire échec à cette taxation forfaitaire en apportant la preuve que ses revenus, ou l'utilisation de son capital, ou les emprunts qu'il a contractés, lui ont permis de financer son train de vie. Le législateur, pour éviter une utilisation abusive de cet article, a consenti à accorder au contribuable la possibilité d'apporter la preuve que son revenu était constitué, en totalité ou en partie, de sommes expressément exonérées de l'impôt, comme des intérêts de bons de caisse (CE 8° et 9° s-s-r., 8 février 1984, n° 35004, mentionné au tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4812ALS ; RJF, 1984, 4, comm. 207), ou des intérêts de livrets de caisse d'épargne (CE 9° et 8° s-s-r., 9 décembre 1983, n° 28989, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2777AMS ; RJF, 1984, 2, comm. 55).

Il a été jugé qu'un contribuable peut contester l'évaluation, en justifiant avoir financé, totalement ou partiellement, son train de vie par l'emploi de revenus, par la réalisation d'un capital, ou bien encore par l'emprunt (CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2008, n° 294160, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0988EB9 ; BDCF, 2009, 1, concl. Glasser). Cette décision était contraire à la doctrine administrative (DB 5 B-15 88). On renoue avec la situation antérieure à 1958 dans laquelle la jurisprudence exigeait que le contribuable établisse l'utilisation effective des sommes alléguées et leur affectation au financement du train de vie (CE 5° et 3° s-s-r., 19 mars 1958, n° 39946, mentionné aux tables du recueil Lebon ; Actualité juridique de droit administratif, 1958, II, 338, note Drago).

Nous pouvons considérer que, lorsque le contribuable justifie de ressources couvrant partiellement la disproportion entre la base forfaitaire et les revenus déclarés, sans permettre, cependant, d'écarter l'application de l'article 168, cette base forfaitaire doit dorénavant être fixée sous déduction des ressources que le contribuable a justifiées.

  • Conformité à la Constitution de l'article 1754 du CGI relatif à la responsabilité solidaire des dirigeants pour le paiement d'une amende fiscale (Cons. const., décision n° 2010-90 QPC du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1523GQH)

L'article 1754-V-3 du CGI (N° Lexbase : L4624ICA) instaure une solidarité fiscale des dirigeants sociaux ou dirigeants de fait gestionnaires d'une société pour le paiement d'une amende visée à l'article 1759 (N° Lexbase : L1751HN8). La pénalité a pour fait générateur l'expiration du délai de trente jours, visé à l'article 117 du CGI (N° Lexbase : L1784HNE), dont dispose la société qui a distribué des revenus pour indiquer à l'administration les bénéficiaires de cette distribution (CE 8° s-s, 28 juin 1996, n° 142355, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9613AND ; Droit fiscal, 1996, comm. 1194), sachant que les stipulations de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ne sont pas applicables à la procédure administrative d'établissement de l'amende (CE 8° et 3° s-s-r., 27 mars 2000, n° 187703, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9290AG8 ; Droit fiscal, 2000, 985 ; RJF, 2000, 5, comm. 700).

Il a été jugé que le fait que la société conteste le bien-fondé du redressement envisagé par le vérificateur ne la dispense pas d'indiquer les bénéficiaires d'un excédent de distribution (CE 9° et 7° s-s-r., 27 juillet 1984, n° 16580, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2900ALY ; Droit fiscal, 1984, comm. 2202, concl. Racine).

Le Conseil d'Etat impose, depuis très longtemps, que la demande de désignation des bénéficiaires indique les conséquences d'un défaut de réponse, soit en exposant intégralement le contenu de l'article 117 précité, soit en se référant à cet article (CE 7° et 9° s-s-r., 16 février 1977, n° 93412, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1009B8U ; RJF, 1977, comm. 227).

Les gérants de droit sont, dans tous les cas, solidairement responsables, et ne peuvent utilement invoquer l'existence d'un gérant de fait, ni faire valoir qu'ils ne dirigeaient plus la société à la date d'expiration du délai imparti à la société pour désigner les bénéficiaires effectifs de la distribution (CE 9° et 10° s-s-r., 17 décembre 2003, n° 200890, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2033G3P ; RJF, 2004, 3, comm. 314). Autrement dit, l'administration est libre de rechercher en solidarité le dirigeant de droit, quand bien même il existe un dirigeant de fait.

Le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité (CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2010, n° 342925, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1112GDK ; Droit fiscal, 2010, 48, comm. 579, concl. Geffray), a eu à examiner la conformité à la Constitution du dispositif de l'article 1754 -V-3 du CGI.

Le contribuable faisait valoir que, de son point de vue, cet article violait les principes constitutionnels des droits de la défense et de la responsabilité personnelle en matière pénale.

Pour le juge constitutionnel, cette solidarité n'est pas une "punition", au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (N° Lexbase : L6813BHS). Par conséquent, le grief tiré de la non-conformité à ces articles de la solidarité des dirigeants pour le paiement d'une amende fiscale est inopérant. En réalité, cette solidarité est consécutive aux fonctions exercées par les dirigeants au moment du fait générateur de la sanction. Elle n'est pas subordonnée à la preuve d'une faute des dirigeants. Ce n'est qu'une garantie pour le recouvrement de la créance fiscale.

En outre, le dirigeant qui s'est acquitté du paiement de la pénalité n'est pas sans droits. Il peut exercer une action récursoire contre le débiteur principal et, éventuellement, contre les codébiteurs solidaires.

Toutefois, l'administration n'est pas tenue d'adresser au dirigeant solidairement responsable une proposition de rectification distincte (CAA Paris, 21 janvier 1992, n° 90PA00652, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9832A8N ; Droit fiscal, 1993, comm. 821). Elle n'est pas tenue, non plus, de motiver la pénalité fiscale aux contribuables solidairement responsables (CE 8° et 9° s-s-r., 6 mai 1996, n° 134415, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8930AN3 ; Droit fiscal, 1996, comm. 1130, concl. Arrighi de Casanova). En revanche, elle doit adresser au dirigeant, avant de lui notifier un commandement, la lettre de rappel prévue à l'article L. 125 du LPF (N° Lexbase : L8424AEQ ; CE 9° et 8° s-s-r., 5 janvier 1994, n° 82744, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0981AI8 ; Droit fiscal, 1995, comm. 249).

Par ces motifs, le Conseil constitutionnel juge, à juste titre, que cette solidarité n'a pas le caractère d'une "punition" au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

En outre, les dirigeants, de droit ou de fait, solidairement tenus au paiement de la pénalité infligée à la société, sont admis à contester, tant leur qualité de débiteur solidaire, que le bien-fondé et l'exigibilité de la pénalité. Ils peuvent s'opposer aux poursuites. Tout ceci a conduit le Conseil constitutionnel à considérer que le droit à exercer un recours juridictionnel, garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, est respecté.

Pour le Conseil d'Etat, la mise en oeuvre de la responsabilité solidaire n'est nullement subordonnée à la preuve de l'appréhension par le dirigeant de sommes retenues dans l'assiette de la pénalité (CE 8° et 9° s-s-r., 6 mai 1996, n° 134415, mentionné aux tables du recueil Lebon, précité).

Dans ces conditions, le 3 du paragraphe V de l'article 1754 du CGI ne pouvait qu'être déclaré conforme à la Constitution.

  • Transmission d'informations secrètes par une administration étrangère en vertu d'une Convention fiscale et débat contradictoire (CE 8° et 3° s-s-r., 26 janvier 2011, n° 311808, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7460GQD)

En se fondant sur des renseignements communiqués par l'administration fiscale de Grande-Bretagne et du Danemark, l'administration a établi, dans le cadre de vérifications de comptabilité, que le contribuable était le gérant de fait d'une société qui, jusqu'à sa liquidation intervenue en 2000, exerçait une activité de négoce de pneumatiques pour véhicules. Il en était le cadre administratif.

L'administration a engagé un examen de situation fiscale personnelle du contribuable, pour les années 1994 à 1996. Il en a résulté des redressements à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

La cour administrative d'appel de Nancy, le 25 octobre 2007 (CAA Nancy, 2ème ch., 25 octobre 2007, n° 05NC00953, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5474DZR), a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg, rendu le 24 mai 2005. Le contribuable se pourvoit en cassation.

Le contribuable conteste le fait que l'administration ait communiqué au juge des informations recueillies dans le cadre de l'assistance administrative internationale, prévue par les Conventions fiscales internationales, au motif que ces informations n'étaient destinées qu'à l'autorité compétente, au sens conventionnel, c'est-à-dire à l'administration fiscale. Pour le Conseil d'Etat, les renseignements recueillis par l'administration fiscale dans le cadre conventionnel peuvent fort bien être communiqués au juge.

Toutefois, rappellent les juges du Palais Royal, il doit être fait application des principes généraux de procédure selon lesquels le juge ne statue qu'au vu des seules pièces du dossier qui ont été communiquées aux parties. Lorsque l'administration choisit de lui adresser des informations et documents recueillis de la sorte, il lui appartient de les communiquer à la partie adverse.

Le Conseil d'Etat retient, d'une part, que les stipulations conventionnelles interdisaient que les informations obtenues des autorités britanniques et danoises puissent être communiquées à un tiers mais, d'autre part, que le tribunal administratif de Strasbourg, sept ans après la réception des informations par l'administration, avait fini par les lui communiquer. Pour le Conseil d'Etat, cette situation ubuesque n'est pas, en elle-même, de nature à violer le caractère contradictoire de la procédure contentieuse.

En outre, les documents communiqués par les autorités étrangères ne sont pas des pièces comptables, car ils se limitent à faire référence à des pièces comptables des sociétés clientes de la société concernée, au sein de laquelle le contribuable exerçait, de fait, la position de gérant.

Le Conseil d'Etat accepte l'idée que la demande de l'administration fiscale aux autorités étrangères n'est qu'un document préparatoire et ne fait pas droit à l'argument du contribuable qui considérait que l'administration s'était montrée "particulièrement rigoriste" à son endroit.

Le Conseil d'Etat écarte l'application des stipulations de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, mais aussi l'idée que le tribunal administratif ne pouvait fonder son jugement sur des documents dont la Convention franco-danoise (N° Lexbase : L6684BHZ) ne prévoyait pas expressément la transmission aux tribunaux, ainsi que la durée excessive de l'instance devant le tribunal administratif, car ces motifs n'ont pas été invoqués devant la cour administrative d'appel.

Celle-ci ne peut pas statuer sur des conclusions qui n'auraient pas été soumises au premier juge. Des conclusions tendant à la décharge d'impositions, relatives à des années non visées dans la demande soumise au tribunal administratif, sont irrecevables en appel (CE 7° et 9° s-s-r., 17 février 1982, n° 24342, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8784AKK ; RJF, 1982, 4, comm. 432). Un contribuable, qui a abandonné en première instance une partie de sa demande, est irrecevable à reprendre en appel ses conclusions. La solution est identique pour un contribuable qui entend prétendre, en appel, à un dégrèvement d'un montant supérieur à celui demandé dans sa réclamation (LPF, art. R. 202-2, al. 2 N° Lexbase : L4985AED).

L'article L. 199 C du LPF (N° Lexbase : L8352AE3) permet, au contribuable comme à l'administration, d'invoquer des moyens nouveaux devant le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, et ce jusqu'à la clôture de l'instruction. Par exemple, le contribuable qui, dans sa requête d'appel, n'a contesté que la régularité dans la forme du jugement, est irrecevable à présenter des conclusions en décharge d'une imposition après l'expiration du délai d'appel (CAA Lyon, 2ème ch., 18 mai 2004, n° 97LY21086 N° Lexbase : A5262DDA ; RJF, 2005, 1, 78).

Le Conseil d'Etat n'avait d'autre choix que de rejeter le pourvoi du contribuable.

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Motivation de la lettre de licenciement économique : exigence de faits précis et matériellement vérifiables

Réf. : Cass. soc., deux arrêts, 16 février 2011, n° 09-72.172, FS-P+B (N° Lexbase : A1576GXN) et n° 10-10.110, FS-P+B (N° Lexbase : A1621GXC)

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N7478BRE

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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole

Le 17 Mars 2011

La Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts, le 16 février 2011, portant sur des affaires relativement semblables : deux licenciements économiques individuels prononcés à l'encontre de salariés ayant chacun contesté la rupture de leur contrat de travail pour insuffisance des motifs figurant dans la lettre de licenciement (insuffisance au regard des exigences définies par les dispositions des articles L. 1233-2 (N° Lexbase : L8307IAW), L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1233-16 (N° Lexbase : L1135H9W) du Code du travail). Dans les deux cas, les cours d'appel de Colmar et de Rennes ont considéré les lettres de licenciement insuffisamment motivées et condamné les employeurs au paiement d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'insuffisance de motif équivalant en ce domaine à l'absence de motif. Le contrôle opéré par la Cour de cassation conduit, en revanche, à dissocier le sort des deux affaires et à considérer dans un cas que la lettre de licenciement fondée sur des faits précis et matériellement vérifiables est correctement motivée, alors que dans l'autre, où il est seulement fait état d'une "baisse significative d'activité entraînant l'obligation de supprimer le poste de travail", la rupture n'est pas validée. Ces deux arrêts du même jour sont un peu comme blanc et noir, ils donnent l'exemple et le contre-exemple, et permettent de mieux comprendre ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire lorsqu'on motive une lettre de licenciement pour motif économique. La jurisprudence selon laquelle la lettre de licenciement pour motif économique doit comporter l'énoncé précis des raisons économiques à l'origine de la rupture, mais aussi l'incidence de ces raisons sur l'emploi ou le contrat de travail, est connue depuis longtemps (Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-42.154, publié N° Lexbase : A4092AAS) et les avocats sont impardonnables de l'ignorer (Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-20.196, F-P+B N° Lexbase : A9489ECG). Les arrêts du 16 février 2011 s'inscrivent sur la même ligne, mais révèlent un degré d'exigence supplémentaire de la part des juges qui insistent surtout à cette occasion sur la nécessité pour les employeurs d'énoncer dans la lettre de licenciement économique "des faits précis et matériellement vérifiables" à défaut desquels le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Ces arrêts invitent à apporter plus de soin à la motivation des lettres de licenciement économique qui, loin d'être une simple considération de forme, répond au contraire, et le rappel n'est peut-être pas inutile, à deux objectifs essentiels : informer le salarié sur les raisons précises qui motivent la rupture de son contrat de travail (I) et fixer clairement les limites d'un éventuel litige (II).
Résumé

La lettre de licenciement pour motif économique, qui fixe les limites du litige, doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables. A défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

La lettre qui fait seulement état d'une baisse significative d'activité mettant l'employeur dans l'obligation de supprimer le poste de travail du salarié (manager commercial), sans autre précision, ne satisfait pas aux exigences légales de l'article L. 1233-16 du Code du travail (n° 09-72.172).

Celle en revanche qui fait état d'un ensemble de faits établissant la baisse d'activité significative et irrémédiable de l'employeur et précisant l'incidence de cette baisse d'activité sur l'emploi de la salariée (secrétaire d'avocat) est fondée sur des faits précis et matériellement vérifiables et répond aux exigences légales de motivation résultant des articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du Code du travail (n° 10-10.110).

Commentaire

I - L'exigence d'une motivation précise pour informer pleinement le salarié licencié

Exigence de fond et non de forme. L'obligation de motiver la lettre de licenciement ne constitue pas une simple exigence de forme. Elle traduit, au contraire, une véritable règle de fond qui repose sur des considérations d'ordre public de protection, notamment le droit pour le salarié d'être pleinement informé des raisons qui justifient la rupture de son contrat de travail. Le licenciement étant un acte grave, lourd de conséquences pour celui qui le subit, il est essentiel à la protection du travailleur qu'il ne puisse être licencié sans savoir pourquoi (1). L'insuffisance de motivation n'est d'ailleurs pas sanctionnée comme une irrégularité de procédure, mais comme une condition de fond dont le défaut prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (2).

Exigence de double motivation. Cette exigence de motivation a depuis longtemps été précisée par les magistrats de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui l'ont en quelque sorte "dédoublée" (ce "dédoublement" étant la conséquence directe de la définition du motif économique, donnée à l'article L. 1233-3 du Code du travail, qui est elle-même en deux temps) : "la lettre de licenciement donnée pour motif économique doit mentionner les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail".

C'est un arrêt du 30 avril 1997 qui a posé pour la première fois ce principe (3), confirmé depuis à de nombreuses reprises, soit pour sanctionner des lettres de licenciement indiquant uniquement les motifs économiques prévus par la loi, sans précision de leur incidence sur l'emploi du salarié, soit au contraire pour valider des licenciements reposant sur des motifs suffisamment détaillés (4). Dans deux arrêts du 11 juin 2002, la Chambre sociale a affirmé avec encore plus de force le contenu de la motivation exigée : la lettre de licenciement doit comporter non seulement l'énonciation des difficultés économiques, mutations technologiques ou de la réorganisation de l'entreprise, mais également, l'énonciation des incidences de ces éléments sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié (suppression ou transformation d'emploi, modification du contrat de travail) (5). En résumé, il ne suffit pas que le salarié connaisse les raisons économiques générales qui sont à l'origine de la cessation de son contrat de travail (baisse d'activité, réorganisation de l'entreprise...), encore faut-il lui indiquer avec suffisamment de précision pourquoi son propre emploi est affecté par ces considérations de nature économique.

Exigence de précision. Dans l'une des deux affaires jugées le 16 février 2011 (n° 09-72.172), l'employeur et/ou son conseil ont appliqué la règle, mais de façon superficielle : "suite à une baisse significative de l'activité en 2004, nous sommes dans l'obligation de supprimer le poste de manager commercial". Les deux temps de la motivation sont bien là : le motif économique d'abord, l'incidence sur l'emploi ensuite... mais de façon trop simpliste, minimaliste. L'explication pour le salarié est un peu courte.

L'employeur se borne, en effet, ainsi que l'indique l'arrêt d'appel, à faire état dans la lettre de licenciement d'une baisse significative d'activité sans même évoquer d'éventuelles difficultés économiques au niveau du secteur d'activité auquel appartient l'entreprise ; il ne justifie pas davantage de la nécessité de supprimer le poste du salarié concerné, notamment au regard de la baisse d'activité dont il fait état. La lettre de licenciement est donc logiquement considérée comme insuffisamment motivée : "mais attendu que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables ; que la cour d'appel qui a constaté que la lettre de licenciement ne faisait état que d'une baisse d'activité, sans autre précision, en a exactement déduit qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences légales de l'article L. 1233-16 du Code du travail".

Le moyen invoqué à l'appui du pourvoi est, également, intéressant à relever pour la méconnaissance qu'il contient : "pour répondre aux exigences de l'article L. 1233-16 du Code du travail, la lettre de licenciement pour motif économique, qui fixe les limites du litige, doit mentionner celle des raisons économiques légales par lesquelles l'employeur entend justifier le licenciement ainsi que l'incidence qu'a eu ce motif sur l'emploi ou le contrat de travail ; qu'en fixant ainsi les limites du litige, l'employeur n'est pas pour autant tenu de livrer, dès ce stade, l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de la validité du licenciement". L'employeur considère dès lors que les motifs indiqués dans sa lettre (baisse d'activité nécessitant suppression de poste) "sont suffisamment explicites pour être matériellement vérifiables et pour pouvoir se rattacher à l'un des motifs prévus par la loi"... à tort. Il méconnaît l'exigence de précision imposée par les juges, qui n'est pas tout à fait nouvelle (6) : dès la lettre de licenciement, l'employeur doit livrer des faits précis et matériellement vérifiables permettant d'informer pleinement le salarié des raisons de la mesure prise à son encontre, et de fixer les limites d'un éventuel litige en cas de désaccord.

II - L'exigence de faits précis et matériellement vérifiables pour fixer les limites d'un éventuel litige

Respect du contradictoire. Là encore, on est loin d'une simple contrainte de forme. En exigeant de l'employeur qu'il motive précisément la lettre de licenciement, c'est l'effectivité du droit au recours du salarié qu'il s'agit d'assurer, autrement dit le respect du contradictoire. La lettre de licenciement, si elle ne lie pas les parties ni le juge quant aux qualifications qu'elle contient, a, en revanche, pour effet de fixer les limites du litige quant aux faits (7). D'un point de vue procédural, la motivation de la lettre doit permettre au salarié de contester les raisons de la rupture, à condition qu'il en ait une connaissance écrite et précise. Elle oblige, également, l'employeur à expliciter les raisons de sa décision et de fait, à déterminer le terrain sur lequel pourra porter une éventuelle contestation. La fixation des limites du litige par la lettre de licenciement, dans la perspective d'une contradiction, suppose une motivation qui repose sur des faits suffisamment clairs et précis exprimés noir sur blanc dans ladite lettre.

Exemple. L'arrêt du 16 février 2011 (n° 10-10.110) offre de ce point de vue un exemple intéressant en ce sens que la lettre de licenciement pour motif économique y est motivée comme suit : "suppression définitive de votre emploi de secrétaire, motivée par les circonstances suivantes"... Fait suite à l'annonce principale, une série de développements prenant pour point de départ les tâches habituellement confiées à la salariée et indiquant un ensemble de faits établissant la baisse significative et irrémédiable de l'activité de l'employeur, précisant la nature et l'origine des circonstances économiques obligeant ce dernier à rompre définitivement le contrat de travail de l'intéressée (en l'occurrence, s'agissant d'un cabinet d'avocats, la perte définitive des affaires "crédits permanents" et des dossiers "pré-contentieux" dont était principalement chargée la salariée, confiés définitivement par les clients à d'autres auxiliaires de justice) (8).

Différences d'appréciation et contrôle. Intéressante à relever est aussi la différence d'appréciation de la même lettre de licenciement faite par les juges du fond et par ceux de la Cour de cassation. Sur la base des mêmes faits exprimés dans la lettre, là où la cour d'appel ne voit qu'une baisse du chiffre d'affaires n'induisant pas ipso facto une menace sur la compétitivité de l'entreprise et ne suffisant pas à établir la réalité des difficultés économiques, la Cour de cassation entrevoit une véritable baisse d'activité de nature à légitimer la rupture : "alors que la lettre de licenciement, qui faisait état d'une baisse d'activité résultant de la disparition d'un certain nombre de contentieux traités par le cabinet et de son incidence sur l'emploi de la salariée, était fondée sur des faits précis et matériellement vérifiables, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier l'existence de difficultés économiques résultant de cette baisse d'activité, a violé les textes susvisés" (décision rendue au visa des articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du Code du travail). Les juges du fond vont donc, également, devoir se mettre au diapason (les conclusions d'appel faisaient valoir en l'espèce que la réorganisation du cabinet, par la suppression du poste de cette secrétaire, était justifiée par la nécessité d'assurer la sauvegarde de sa compétitivité dans la mesure où la perte de clientèle entraînait une baisse de 40 % de son résultat... des faits aisément vérifiables).

Effectivité du droit au recours du salarié. Le contenu de la lettre de licenciement conditionne par conséquent l'effectivité du droit au recours du salarié. Pour que le salarié soit en mesure de se défendre et de préparer son argumentation en cas de contestation, encore faut-il que la lettre de licenciement lui donne suffisamment d'indications sur les raisons de la rupture de son contrat de travail. "A défaut, ce serait l'effectivité même de son droit au recours, au sens des articles 6§1 (N° Lexbase : L7558AIR) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui risquerait de s'en trouver affectée" (9).


(1) J. Savatier, Dr. civ., 1990, p. 101.
(2) Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, publié (N° Lexbase : A9329AAR).
(3) Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-42.154, publié (N° Lexbase : A4092AAS).
(4) V. les obs. de Ch. Radé, L'avocat doit être au fait de l'évolution de la jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 340 du 5 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7651BI9).
(5) Cass. soc., 11 juin 2002, n° 00-40.214 (N° Lexbase : A9089AYB) et n° 00-40.625 (N° Lexbase : A9094AYH), La lettre de licenciement pour motif économique doit comporter l'énoncé précis des difficultés économiques et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 28 du 20 juin 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N3240AAA).
(6) Cass. soc., 20 novembre 2001, n° 99-46.131, F-D (N° Lexbase : A2324AXD).
(7) Ph. Waquet, La lettre de rupture par l'employeur d'un contrat de travail, RJS, novembre 1993, p. 632.
(8) Une baisse d'activité ou de chiffre d'affaires ne constitue pas en elle-même une cause économique de licenciement lorsque la situation économique de l'entreprise est satisfaisante : Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-41.036, publié (N° Lexbase : A6341AGX).
(9) Avis de l'avocat général R. de Gouttes, Ass plén., 24 janvier 2003, n° 00-41.741, publié (N° Lexbase : A7381A47).

Décisions

Cass. soc., 16 février 2011, n° 09-72.172, FS-P+B (N° Lexbase : A1576GXN)

Rejet, CA Colmar, ch. soc., sect. B, 20 octobre 2009

Textes visés : C. trav. art. L. 1233-16 (N° Lexbase : L1135H9W)

Cass. soc., 16 février 2011, n° 10-10.110, FS-P+B (N° Lexbase : A1621GXC)

Cassation, CA Rennes, 8ème ch. prud., 5 novembre 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1233-16 (N° Lexbase : L1135H9W)

Mots-clés : licenciement pour motif économique, lettre de licenciement, motivation, faits précis et matériellement vérifiables.

Liens base : (N° Lexbase : E9401ESY)

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