La lettre juridique n°402 du 8 juillet 2010

La lettre juridique - Édition n°402

Éditorial

Du chasseur ou de l'ours, qui est le plus mal léché ?

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N6178BPI

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ; Mieux vaudrait un sage ennemi" - Jean de La Fontaine, L'ours et l'amateur des jardins.

Ah, l'Ours et l'Homme ! Un couple maudit parce que condamné à vivre au sein du même environnement ou même biotope -pour parler environnementaliste-. A l'origine, pourtant, le "petit de l'Homme" -pour reprendre la terminologie de Kipling- est blotti contre son nounours, qu'il s'appelle Paddington, Billy Bluegum, Michka, Rupert, Prosper ou Colargol... Puissance, renouveau, royauté, quel que soit le continent, l'ours en peluche de Madame Steiff rassure les coeurs et sèche les larmes des bambins, jusqu'au Rock-a-Bye Baby Bears de Dakin qui restitue les battements du coeur du foetus et apaise les bébés agités.

C'est que même divinisés à la Préhistoire, les peintures rupestres ne montrent les ours que chassés pas les hommes : le "cerveau reptilien" de l'hominidé lui commande bel et bien d'éliminer ce prédateur de son territoire de chasse. Et, Abélard d'interdire à ses moines de chasser l'ours plus de deux jours par semaine ; et les menus de Louis XIV de présenter 300 oursons farcis pour un seul banquet. La chasse aux ours, pour défendre le bétail certes, mais aussi pour sa chair ou pour le sport, sans parler de la pharmacopée chinoise ! Mais, Alfred Brehm dans Les Merveilles de la nature, parue en 1868, nous l'avait prédit : "Les beaux temps de l'ours sont passés. L'espèce ne peut plus demeurer que dans les lieux que l'homme n'a pas encore envahis [...] L'extension toujours croissante de l'homme sur la terre chasse l'ours et finira par le détruire complètement dans l'Europe centrale et méridionale".

Non, décidément, notre rapport à l'ours, tout Nicolas et Pimprenelle que nous sommes, est fort ambigu. Aussi ambigu que les explications de ce chasseur qui, en novembre 2004, a tué l'ourse Cannelle, dernière ourse de souche pyrénéenne, et qui vient d'être condamné, après une relaxe au pénal, à verser 10 000 euros à des associations de protection de l'environnement. C'est que le bonhomme avait été relaxé, en avril 2008, par le tribunal correctionnel de Pau, du chef de destruction d'espèce protégée. Le tribunal avait retenu l'état de légitime défense. Que dire ? L'agression était actuelle, le danger imminent ; l'agression était illégale, tout prédateur que le chasseur fut ; l'agression était réelle, à moins que la charge de Cannelle révélait le dessein d'un gros câlin... Et, la défense fut, du même coup, nécessaire, il n'y avait aucun autre moyen de se soustraire au danger ; la défense fut concomitante ; et la réaction proportionnée à l'agression, si tant est qu'il y ait d'autres options que d'ouvrir le feu face à un ours en position de charger. Dès lors, le Parquet n'a pas fait appel de cette décision et le chasseur pyrénéen n'encourait plus aucune sanction pénale, telle qu'une amende ou une peine de prison. Mais, des associations, irréductibles empêcheuses de tourner en rond, se sont constituées parties civiles au procès, et ont interjeté appel, et réclamé des dommages et intérêts. Le motif : bien que parti à la chasse au sanglier et au chevreuil avec l'association communale, le chasseur expérimenté, parfaitement au fait de la question de la protection de l'ours des Pyrénées, savait, avec ses compagnons depuis le début de la chasse, qu'ils étaient susceptibles de rencontrer l'ourse Cannelle et son ourson signalés récemment dans le secteur, ce qui aurait dû entraîner la suspension de toute battue. Autrement dit, et ce que retient la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui casse l'arrêt de la cour d'appel de Pau, mais sur le montant de l'indemnisation et non le principe déjà retenu en appel : s'il y a légitime défense, le chasseur jouait quelque peu de la provocation sur un terrain miné... et l'élément moral du délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques protégées se trouve caractérisé par une faute d'imprudence.

"Ah ! le vieux rêve des gens honnêtes : pouvoir tuer quelqu'un en état de légitime défense". Que nenni vieil Alphonse (Allais) ! "Pour bien tuer l'ours, vendez d'abord sa peau" ! (Jean Cocteau). Et, l'on connaît, désormais, le prix de l'extinction d'une race.

Mais, tout satisfaisant qu'il soit pour la protection des animaux en danger d'extinction, ce jugement n'emporte pas moins quelques questions d'ordre pratique. On ne transposera évidemment pas la solution dans le cadre de l'exercice de la légitime défense dans les zones de non droit à la criminalité retentissante ; en dehors de tout contexte animalier et environnemental, les éléments caractéristiques de la légitime défense associés à la parfaite connaissance de la dangerosité des lieux traversés ne conduirait sûrement pas à la même solution. En revanche, louons le ciel que le Président de la République ait, enfin, suspendu les chasses présidentielles ! Imaginez que notre "Illustre Défenseur des deniers publics" tire un renard roux dans la forêt de Chambord ! Il est certain qu'en France, nous sommes à l'abris d'un cas de figure analogue avec le grand pingouin, l'hippopotame nain, le loup gris, le lynx, le pélican blanc, le phoque moine et la tortue d'Hermann... bien que la jurisprudence de la Cour de cassation s'applique des Îles Kerguelen à la Guyane...

Mais, comme il est bien temps de promouvoir les bandes dessinées Petit ours brun ou autre Winnie l'ourson ! Ces livres pour enfants, bien que mièvres aux yeux des adultes, dépeignent avec anthropomorphisme des ours dans un quotidien qui nous les rend bien plus amicaux et intimes... plus que ce pauvre colon de Tintin qui part chasser le crocodile en plein Congo... D'où l'on voit bien que l'enfant est influencé par ces lectures de jeunesse... plus promptes à tuer le crocodile qu'à tirer l'ours !

"Beaucoup mieux seul qu'avec des sots" eut fi dire Jean de La Fontaine, à notre malheureuse ourse...

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Protection sociale

[Jurisprudence] L'imperméabilité du droit de l'inaptitude au droit des AT-MP en cas de rechute

Réf. : Cass. soc., 9 juin 2010, n° 09-41.040, Société GT Nord, F-P (N° Lexbase : A0183EZS)

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)

Le 07 Octobre 2010

Les règles du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale se complètent avec un certain bonheur pour assurer une protection aussi large que possible du salarié victime de risques professionnels. En effet, la protection économique pendant les périodes d'incapacité de travail (versement d'un revenu de remplacement) se double de garanties fortes d'emploi pendant et au terme de ces périodes. Pour autant, la complémentarité des dispositifs de protection ne prend pas appui sur une communauté de qualification de l'accident du travail et de la maladie professionnelle, ce qui induit une relative imperméabilité du droit de l'inaptitude (droit du travail) au droit des AT-MP (droit de la Sécurité sociale). Et il y a lieu de le regretter puisque cela s'avère source de complexité accrue pour toutes les parties prenantes, mais aussi d'insécurité juridique pour l'employeur, comme l'illustre l'arrêt rendu par la Chambre sociale le 9 juin dernier. En l'espèce, un salarié avait été victime d'un accident du travail en février 2002 et, après une très brève période de reprise du travail, avait fait une rechute non prise en charge au titre des AT-MP par la Caisse primaire d'assurance maladie. Consécutivement à cette rechute, il n'avait pas repris le travail et avait été licencié en mai 2004 pour inaptitude -constatée dans les conditions réglementaires (1)- et impossibilité de reclassement. Devant la cour d'appel de Bordeaux, il obtient le prononcé de la nullité du licenciement, les juges reprochant à l'employeur de ne pas avoir mis en oeuvre les règles protectrices de l'article L. 1226-10 du Code du travail applicables aux victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle (I). A l'appui de son pourvoi, l'employeur faisait valoir l'argument selon lequel c'est la qualification d'AT-MP faite par la Sécurité sociale qui, seule, déclenche la mise en oeuvre la procédure spécifique de reclassement prévue par l'article L. 1226-10 du Code du travail. La Chambre sociale ne fait pas droit au moyen par un attendu qui réaffirme la place centrale du constat d'inaptitude (II) sous réserve, spécialement en cas de rechute, qu'une double preuve soit apportée (III).
Résumé

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. Ainsi, l'application de l'article L. 1226-10 du Code du travail (N° Lexbase : L9617IEW) n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude. Enfin, l'absence de consultation des délégués du personnel en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1226-10 du Code du travail ouvre droit au salarié à l'indemnité prévue par l'article L. 1226-15 du même code (N° Lexbase : L1035H99).

I - Rappel des règles protectrices du droit du travail applicables aux salariés victimes de risques professionnels

En droit de la Sécurité sociale, le régime d'indemnisation des risques professionnels est substantiellement plus favorable que celui applicable aux salariés dont l'incapacité de travail, voire l'invalidité, ne peuvent être qualifiées de professionnelle. Cette différence notable est accentuée depuis le 1er juillet 2010 avec l'entrée en vigueur des règles permettant de rétablir les indemnités journalières pendant la période de reclassement consécutive au constat d'inaptitude et ce, pour les seuls salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (2).

En matière de droit du travail, les régimes de protection applicables sont assez proches, un alignement vers le haut ayant été effectué en 1992 (3) par l'extension de l'obligation de reclassement à tous les salariés déclarés inaptes, indépendamment de la cause de l'inaptitude. Des différences subsistent néanmoins. Ainsi, lorsque l'inaptitude est d'origine professionnelle, la procédure de reclassement suppose que l'employeur consulte les délégués du personnel (C. trav., art. L. 1226-10 N° Lexbase : L9617IEW). Certes, leur avis ne présente qu'un caractère consultatif (4) ; mais l'enjeu n'en est pas moins important puisque le non-respect de la formalité ouvre droit à l'indemnité d'au moins 12 mois de salaire prévue à l'article L. 1226-15 du Code du travail (N° Lexbase : L1035H99) (5) (à l'instar de la méconnaissance des autres éléments composant l'obligation de reclassement (6)). Par ailleurs, la méconnaissance de l'obligation de reclassement emporte la condamnation de l'employeur à verser des indemnités prévues à l'article L. 1226-14 (N° Lexbase : L1033H97) (indemnité compensatrice d'un montant au moins égal à l'indemnité compensatrice de préavis, indemnité spéciale de licenciement au moins équivalent au double de l'indemnité légale de licenciement). Les enjeux financiers sont donc conséquents.

Il convient, également, de préciser qu'une différence supplémentaire a été récemment ajoutée à l'occasion de la réforme de la formation professionnelle (7) et prend place au deuxième alinéa de l'article L. 1226-10 du Code du travail. Dorénavant (8), dans les entreprises d'au moins 50 salariés, à l'occasion de l'examen médical de reprise, le médecin du travail doit formuler des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté. L'obligation de reclassement suppose alors que l'employeur ne se contente plus de rechercher des postes disponibles sur lesquels le salarié serait immédiatement opérationnel ; il doit étendre ses recherches à des postes pouvant convenir à l'aptitude réduite du salarié et qu'il pourrait occuper après une nécessaire période de formation.

II - Le constat d'inaptitude, clé de voûte des règles protectrices du droit du travail en matière de risques professionnels

Un employeur mettant en oeuvre de bonne foi l'obligation de reclassement peut être lourdement sanctionné financièrement s'il ne s'est pas résolument situé dans le cadre de l'article L. 1226-10 spécifique à l'inaptitude ayant une origine professionnelle. En effet, alors même qu'il met tout en oeuvre pour trouver un emploi approprié aux capacités du salarié, il peut lui être valablement reproché de ne pas avoir consulté les délégués du personnel et, désormais, de ne pas avoir envisagé la pertinence d'une action de formation préalable à la prise d'un nouveau poste.

  • L'indifférence de principe de la reconnaissance du caractère professionnel de la rechute sur le droit à protection du salarié au titre des AT-MP dans les rapports avec son employeur

"L'application de l'article L. 1226-10 du Code du travail n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude". Par cet attendu, la Cour de cassation dissocie les règles de Sécurité sociale et celles du droit du travail. Surtout, elle ne fait pas dépendre la mise en oeuvre par l'employeur des règles protectrices des salariés victimes de risques professionnels d'une décision de la CPAM. Le déclenchement de la procédure spécifique et de l'obligation de reclassement "renforcée" (9) est conditionné par le constat d'inaptitude effectué par le médecin du travail et ce, "dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine [un accident du travail ou une maladie professionnelle]". En l'espèce, l'employeur ne pouvait donc pas valablement se "retrancher" derrière la décision de la CPAM de ne pas prendre en charge au titre des AT-MP la rechute que le salarié avait fait 5 mois après avoir repris le travail à la suite d'un accident du travail. La Cour de cassation rejette ainsi l'argument développé par le pourvoi qui affirmait que la qualification d'AT-MP rendant applicables les règles protectrices du droit du travail relève de la compétence exclusive de la CPAM. La Chambre sociale entend rappeler que, dans les relations employeur-salarié, c'est le constat d'inaptitude qui est déterminant des droits et obligations de chaque partie au contrat de travail.

La solution ne surprend guère et traduit une certaine imperméabilité des règles du droit du travail. Les garanties essentielles et d'ordre public accordées aux salariés victimes de risques professionnels afin de protéger leur situation d'emploi ne peuvent souffrir "d'interférences" qui pourraient en menacer l'effectivité. Ainsi, les aléas de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie dans la sphère du droit de la sécurité sociale sont jugés sans effet sur le droit pour le salarié de réclamer à son employeur l'application des règles protectrices de l'article L. 1226-10 du Code du travail (10).

  • Le caractère déterminant de l'origine de l'inaptitude

La détérioration de l'état de santé du salarié ayant précédemment été victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut, en effet, avoir plusieurs causes dont le traitement juridique n'est en principe pas identique. Trois situations peuvent se présenter :
- l'altération de la santé peut intervenir -parfois même dans un laps de temps assez proche de la date de survenance du risque professionnel- sans pour autant être causée par l'accident du travail ou la maladie professionnelle. Le salarié peut souffrir d'une pathologie qui en est entièrement détachable et qui constitue une cause totalement étrangère (11) au risque professionnel qu'il a subi précédemment. Les règles de l'article L. 1226-10 ne trouvent pas alors à s'appliquer dès que l'inaptitude ne provient pas aucunement de ce risque, une causalité partielle pouvant suffire à requalifier la situation ;
- les problèmes pathologiques du salarié peuvent résulter de l'évolution "normale" de son état de santé et constituer les séquelles de son accident du travail ou de la maladie professionnelle dont il souffre. Il y aurait donc lieu, en principe, de déclencher la procédure protectrice ;
- le salarié peut être victime d'une rechute (récidive). Le recours au terme de rechute induit nécessairement un lien de causalité avec un événement antérieur. Par conséquent, si cet événement avait été qualifié d'AT-MP, il doit être fait application de l'article L. 1226-10 du Code du travail.

III - L'objet de la preuve en cas de rechute : de l'ambiguïté de la situation

Sur un plan théorique, les trois situations précédemment évoquées sont aisées à distinguer. Il en va tout autrement lorsque l'on se place sur un plan pratique. La Cour de cassation précise, en effet, que le respect des règles protectrices s'imposent à une double condition : d'une part, que l'inaptitude ait au moins partiellement pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle ; d'autre part, que l'employeur ait eu connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. Il ne s'agit que d'une confirmation de jurisprudence sur ce point, la formulation retenue au cas d'espèce étant similaire à celle de certains arrêts antérieurs (12).

  • Inaptitude trouvant son origine au moins partiellement dans l'accident du travail

Cette première condition ne va pas s'en susciter des interrogations. D'évidence, c'est le médecin du travail qui est le mieux à même d'identifier l'éventuelle origine professionnelle des problèmes de santé déclarés par le salarié car il a en charge son suivi médical et connaît les conditions d'exercice du travail et les exigences des postes. Or, il n'a jamais à se prononcer officiellement sur la cause professionnelle de l'inaptitude hormis lorsque celle-ci intervient lors d'une reprise du travail faisant suite à un arrêt pour AT-MP. Cela souligne combien le cadre juridique d'exercice de la médecine du travail est paradoxal et, dans le même temps, cela renvoie la détermination de l'origine de l'inaptitude au cadre contentieux, situation particulièrement insatisfaisante puisqu'elle n'est pas à même de garantir l'effectivité de la protection que le droit du travail a instaurée au profit des victimes de risques professionnels.

Un espoir d'amélioration existe, cependant, en raison de l'entrée en vigueur, à compter du 1er juillet 2010, du dispositif de reprise du versement des indemnités journalières pendant la période de reclassement au profit des salariés victimes d'AT-MP. Aux termes du décret d'application du 9 mars 2010 (décret n° 2010-244 N° Lexbase : L6996IG9), il incombe au médecin du travail de remettre au salarié un formulaire de demande d'indemnisation lorsqu'il constate que l'inaptitude du salarié est susceptible d'être en lien avec un accident ou une maladie d'origine professionnelle (C. trav., art. D. 4624-47 N° Lexbase : L7499IGT) ; puis, il lui appartient de mentionner sur ledit document ce lien (CSS, art. D. 433-3 N° Lexbase : L7492IGL). Mais ce n'est que de façon indirecte que le médecin sera amené à "officialiser" l'origine professionnelle qu'il croit déceler. Nul doute, toutefois, que la mention portée par le médecin du travail sera un élément ayant une réelle force probante dans des contentieux de droit du travail relatifs au respect des règles protectrices de l'article L. 1226-10.

  • Connaissance par l'employeur de l'origine professionnelle

Preuve doit également être faite que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude au moment où survient le licenciement (13). Sur ce point, surgit de nouveau la situation paradoxale faite au médecin du travail qui, de fait, se trouve en "première ligne". Il n'a pas à mentionner l'éventuelle origine professionnelle de l'inaptitude lorsqu'il établit son constat. Or, ce serait là la voie privilégiée et explicite pour informer le salarié sur les droits dont il peut envisager la mobilisation (à l'égard de son entreprise mais également de la Sécurité sociale) et l'employeur sur ses obligations... sans pour autant que cela préjuge de la décision de la CPAM en matière de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

La solution de la Cour de cassation n'incite pas les employeurs à solliciter le médecin du travail sur l'origine de l'inaptitude. Et l'on peut penser que cette abstention ne pourrait leur être reprochée si le constat d'inaptitude intervient dans un temps éloigné de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle. Si l'employeur prend ce parti, encore faut-il qu'il ne sollicite pas -par prudence- l'avis des délégués du personnel lors de la procédure de reclassement car les juges du fond ne manqueraient pas d'en déduire qu'il ne pouvait ignorer un éventuel lien de causalité.


(1) C'est-à-dire après deux examens médicaux effectués à quinze jours d'intervalle par le médecin du travail conformément à l'article L. 4624-31 du Code du travail (N° Lexbase : L3891IAD).
(2) Dispositions prévues par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, art. 100) et complétées par le décret n° 2010-244 du 9 mars 2010, à l'indemnisation du salarié déclaré inapte à la suite d'un accident du travail ou à une maladie professionnelle (N° Lexbase : L6996IG9).
(3) Loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage (N° Lexbase : L0944AIS).
(4) Cependant, l'employeur peut être tenté par prudence de solliciter l'avis des délégués du personnel car il a été jugé qu'une application volontaire, mais non obligatoire, de la consultation n'emporte pas soumission aux règles de fond posées aux articles L. 1226-10 et suivants du Code du travail. Voir Cass. soc. 28 juin 2006, n° 04-47.190, Société Léon Grosse, F-D (N° Lexbase : A1072DQR).
(5) Voir Cass. soc. 17 décembre 1997, n° 95-41.437, M. José Rodriguez c/ Société GTM-BTP (N° Lexbase : A1429CWT).
(6) Pour une illustration, voir Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-44.428, Société Ed, F-D (N° Lexbase : A3537EPP), espèce dans laquelle il a été reproché à l'employeur de ne pas produire des courriers faisant état des recommandations du médecin du travail et des fiches de postes des emplois qu'il alléguait avoir proposés au salarié.
(7) Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie (N° Lexbase : L9345IET). Voir nos obs., L'indemnisation du salarié victime d'un AT-MP pendant la période de reclassement : une réalité au 1er juillet 2010, Lexbase Hebdo n° 387 du 19 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5909BN8)
(8) Les faits de l'espèce n'étaient pas concernés par cette règle car étant bien antérieurs à cette évolution législative.
(9) Terme utilisé en raison des exigences supplémentaires issues de la loi du 24 novembre 2009.
(10) Par exemple, en cas d'inopposabilité de la décision de reconnaissance par la CPAM à l'employeur (notamment en raison du non respect des règles procédurales), ce dernier n'est pas "exonéré" de ses obligations à l'égard du salarié victime d'un AT-MP.
(11) Terminologie "empruntée" au droit de la Sécurité sociale.
(12) Cass. soc., 9 mai 1995, M. Eguiguren c/ Entreprise JM Bertière (N° Lexbase : A0915ABI), Bull. civ. V, n° 148 ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-40.436, Mme Renée Garcia c/ Société Ikéa France, FS-P (N° Lexbase : A1152AZP), Bull. civ. V, n° 237.
(13) Par exemple, l'employeur avait eu information de la volonté du salarié de faire connaître le caractère professionnel de sa maladie par la CPAM.


Décision

Cass. soc., 9 juin 2010, n° 09-41.040, Société GT Nord, F-P (N° Lexbase : A0183EZS)

CA Bordeaux, 8 janvier 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 1226-10 (N° Lexbase : L9617IEW) et L. 1226-15 (N° Lexbase : L1035H99)

Mots clés : AT-MP ; licenciement ; inaptitude

Lien base : (N° Lexbase : E3131ET7)

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Avocats/Honoraires

[Questions à...] La réforme de l'aide juridictionnelle - Question à René Despieghelaere, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lille

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N6169BP8

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

Le pari n'était pas facile : grève nationale des transports, temps ensoleillé sur toute la France, festivité nationale et internationale du barreau de Paris... Et pourtant, il fut largement remporté par une présence massive des avocats et de leurs représentants les plus proches, les Bâtonniers, auprès de leurs confrères de Lille, sous la houlette du Bâtonnier René Despieghelaere, pour lancer, ni plus, ni moins que les Etats généraux de l'aide juridictionnelle, ce 25 juin 2010. Point de validation d'heures de formation continue au programme ; non, l'envie de se réunir afin de repenser l'aide légale au justiciable et son financement, au lendemain d'une déclaration du Président de la République des plus provocatrices, lorsque l'on connaît le problème crucial de la rémunération de l'avocat dans le cadre de l'accès au droit des plus nécessiteux : l'Etat ne mettra pas la main au porte-monnaie, il faudra trouver d'autres sources de financement, voire repenser l'enveloppe elle-même ! Alors, on comprendra que les débats de la journée furent riches de propositions à travers les différents ateliers de réflexion. Et, comme tous les Etats généraux, et parce que le barreau de Lille est coutumier du fait : il se pourrait bien que cette journée annonce, non plus une grogne, mais une révolte de la profession d'avocat ; non, Sire ! Une révolution du système de l'aide juridictionnelle. Initiateur de cette formidable journée, le Bâtonnier du barreau de Lille, René Despieghelaere, a bien voulu répondre à nos questions sur les ambitions d'une telle manifestation, mais également sur les questions afférentes à la profession d'avocat qui grève, désormais, l'actualité parlementaire quotidienne. Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer quelle fut la genèse de ces Etats généraux ?

René Despieghelaere : Elle est toute simple. Il y a 10 ans, le barreau de Lille a pris la tête d'un combat pour abandonner, enfin, le caractère indemnitaire de la rétribution des avocats dans le cadre de l'aide juridictionnelle, pour que leur soit reconnue une véritable rémunération. Le protocole du 18 décembre 2000 a bien abouti à une revalorisation de l'unité de valeur et à un engagement de l'Etat et des partenaires sociaux d'adopter le principe rémunératoire avec la promesse d'une loi en 2001, mais rien n'est venu... et cela fait 10 ans, donc, que le problème de la juste rémunération des avocats n'est pas réglé, pire : il semble s'aggraver à l'annonce de la réforme de la procédure pénale, à travers laquelle l'implication de l'avocat (garde à vue, enquête..) semble se renforcer et le problème rémunératoire, s'étoffer. Toutes les études sérieuses sur l'impact financier d'une telle réforme montrent les cruels manquements du financement de l'aide juridictionnelle à venir, alors qu'à périmètre d'action constant cette problématique est, d'ores et déjà, critique.

Et puis, à partir du moment où l'on ne peut que rejeter l'idée d'une taxe sur le chiffre d'affaires des avocats, comme le préconisait le rapport "Darrois", comme si les médecins devaient financer le régime de Sécurité sociale, il convenait d'aller au-delà des idées reçues, de se réunir et d'être rapidement une force de proposition auprès, d'abord, de nos instances nationales (CNB et Conférence des Bâtonniers), ensuite, des pouvoirs publics. D'aucuns, comme le Bâtonnier Castelain, proposent d'adopter le régime du pro-bono selon lequel l'avocat consacre une partie de son temps de travail pour abonder un fond ; la solution comporte les mêmes travers que les préconisations du rapport "Darrois" et revient à faire payer les avocats pour financer l'aide juridictionnelle, avec une injustice patente entre les gros et les petits cabinets.

La réponse au financement ne peut pas être le désengagement de l'Etat ; l'aide juridictionnelle est un service public ; il est, certes, nécessaire de trouver des sources complémentaires, mais lesquelles et pour quelle aide juridictionnelle ? Tels sont les enjeux de cette journée de "mobilisation cérébrale".

Lexbase : En quoi la question de l'aide juridictionnelle relève-t-elle d'une question beaucoup plus philosophique dans nos sociétés démocratiques, celle de l'accès au droit ?

René Despieghelaere : L'un des problèmes du champ d'application de l'aide juridictionnelle et, plus globalement, de l'accès au droit est constitué par le moment où l'on recourt aux services de l'avocat : le plus souvent en phase contentieuse ! Or, bien entendu, l'intervention des avocats doit intervenir en amont : en phase de conseil. Et, il appartient à l'aide juridictionnelle de prendre en charge une partie de frais afférents à cette phase de conseil et de rédaction d'acte ; d'autant que les avocats disposent d'un nouvel outil à valeur probante et garant de moindre contentieux, et donc d'économies structurelles : l'acte d'avocat. C'est un acquis pour la profession qui aura montré combien l'on peut discuter avec le Garde des Sceaux actuel qui s'y était engagé, non sans difficultés ; peut-être le gage d'un dialogue constructif sur le problème de l'aide juridictionnelle. Il reste que les démarches entreprises auprès des sociétés de protection juridiques évoquées dernièrement par Michèle Alliot-Marie demeurent opaques, à l'heure où, au contraire, il s'agirait de réunir tous les acteurs autour de la table et de trouver une solution réaliste, en toute transparence.

Lexbase : Quel est votre sentiment sur le douloureux problème de la fixation et de la taxation d'honoraires ?

René Despieghelaere : Tout d'abord, je demeure attaché au principe de la liberté contractuelle. Une fois encore, la transparence doit être de mise : établir, d'entrée de jeu, une convention d'honoraires avec son client pour se prémunir de toute contestation, sur la base d'un taux horaire normal, encore qu'il convient de réévaluer certains honoraires, notamment de postulation, non réévalués depuis les années 70. Ensuite, se greffe l'inévitable question des frais irrépétibles, aujourd'hui, fixés à la louche selon un barème complètement sous évalué. Le principe devrait être le remboursement des frais réels d'avocat assorti d'un plafond.

Lexbase : Quelles sont les suites à donner, selon vous, à cette journée de mobilisation ?

René Despieghelaere : Il s'agit, désormais, de communiquer un maximum sur l'étendue du problème auprès des justiciables, de rassembler la profession et d'avoir un discours unitaire auprès des pouvoirs publics ; un dialogue qui, s'il n'est pas entendu, pourra aller jusqu'aux mouvements sociaux... Le problème de l'aide juridictionnelle est finalement un problème éminemment politique dont la solution sera l'expression d'une volonté politique, d'une part, de respecter les engagements de 2000 et, d'autre part, d'assurer la réalité d'un service public de l'accès au droit. Mais, la réponse doit être rapide maintenant, car les dotations de l'Etat sont, non seulement maigres, mais aussi versées avec un retard préjudiciable pour nos CARPA.

Lexbase : Quels sont, selon vous, les principaux contours d'une solution au financement de l'aide juridictionnelle ?

René Despieghelaere : La solution qui devrait se dessiner est, sans conteste, la création d'un fond abondé majoritairement par l'Etat, puis par les sociétés de protection juridique ; mais, de toutes les manières ce fond ne peut être géré que par les avocats à travers les CARPA, déjà en charge de gérer l'actuel système, et dont la gestion est irréprochable selon la Cour des comptes et les différentes instances d'audit.

Lexbase : Enfin, que pensez-vous des nouveaux champs de compétence qui s'offrent aujourd'hui aux avocats ?

René Despieghelaere : La question du périmètre du droit et du champ de compétence des avocats me hérisse quelque peu : parler d'étendre le champ de compétence, c'est déjà reconnaître avoir perdu certains champs d'actions. Alors qu'il est évidement hors de question que le judiciaire échappe au monopole de l'avocat, et ce d'autant que la déjudiciarisation des règlements de conflit est rampante. L'acte d'avocat vient, désormais, rééquilibrer les comptes avec la profession de notaire, notamment, et redonner son juste titre de "rédacteur d'acte" à l'avocat qui, même sous seing privé, engageait déjà sa responsabilité professionnelle pour les actes les plus importants et les plus techniques (notamment en droit des sociétés). Quant à l'interprofessionnalité via des structures sociétales interprofessionnelles, le risque majeur est de voir les avocats tomber sous la coupe des notaires et autres professionnels du droit au pouvoir financier notoirement plus important. Enfin, j'ajouterai que l'un des futurs combats de la profession pourrait être la reconnaissance d'une véritable certification juridique des actes ayant cours dans les sociétés, au même titre qu'il y a une certification comptable. Il est tout de même aberrant que les actes juridiques, via leur traduction financière et comptable, soient certifiés par une profession non juridique : les experts comptables et commissaires aux comptes.

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Fonction publique

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Juillet 2010

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et Avocat à la cour

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de la fonction publique de Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et Avocat à la cour. Tout d'abord, dans un arrêt rendu le 2 juin 2010, le Conseil d'Etat vient préciser les conditions dans lesquelles l'administration peut imposer, une fois le danger grave et imminent disparu, la reprise du travail. Ensuite, dans une décision du même jour, la Haute juridiction administrative a jugé qu'une union de syndicats ne justifie pas d'un intérêt suffisant lui donnant qualité pour demander l'annulation d'un arrêté attribuant au secrétaire général d'une commune une rémunération au titre de ses activités de direction du centre communal d'action sociale. Enfin, dans une décision rendue le 26 mai 2010, le Conseil d'Etat a jugé que "c'est seulement dans le cas où, malgré les mesures prises pour favoriser son intégration professionnelle après qu'il a été procédé à une évaluation de ses compétences, il apparaît en définitive inapte à exercer ses fonctions", que la personne handicapée peut faire l'objet d'un licenciement.
  • Droit de retrait des agents publics : date de reprise des fonctions (CE 3° et 8° s-s-r., 2 juin 2010, n° 320935, Ministre de l'Education nationale c/ Mlle Fuentes, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2050EYL)

L'accroissement des phénomènes de violences urbaines et, plus généralement, la montée de l'insécurité dans certains quartiers dits "sensibles" sont à l'origine d'un contentieux grandissant relatif à l'exercice de leur droit de retrait par les fonctionnaires et agents publics. Bien connu en droit privé du travail (C. trav., art. L. 4132-1 N° Lexbase : L1472H9E), le droit de retrait, qui légitime un véritable "droit à la désobéissance", a été institué dans la fonction publique de l'Etat par le décret n° 95-680 du 9 mai 1995 (N° Lexbase : L8404AI4), modifiant le décret n° 82-453 du 28 mai 1982, relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail, ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique (N° Lexbase : L3033AI8), puis au profit des agents de la fonction publique territoriale par le décret n° 2000-542 du 16 juin 2000 (N° Lexbase : L6509IMZ), qui a modifié les articles 5-1 à 5-4 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 (N° Lexbase : L1018G89).

Selon l'article 5-1 précité, "si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé, ou s'il constate une défectuosité dans les systèmes de protection, il en avise immédiatement l'autorité administrative. Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux. La faculté ouverte au présent article doit s'exercer de telle manière qu'elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. L'autorité administrative ne peut demander à l'agent de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent".

L'affaire jugée le 2 juin 2010 vient préciser les conditions dans lesquelles l'administration peut imposer, une fois le danger grave et imminent disparu, la reprise du travail. L'on notera que le pourvoi portait plus sur une question de principe car la retenue sur traitement contestée par l'agent n'était que d'un trentième de rémunération mensuelle. Mais, au-delà de l'espèce commentée, il s'agissait savoir si les agents publics doivent se voir notifier la cessation des conditions du droit de retrait par leur employeur, ou bien s'il leur appartient de reprendre le service dès qu'ils ont connaissance du "retour à la normale".

Les faits à l'origine du litige sont simples. En 2003, Mlle A., professeur dans un établissement d'enseignement secondaire, décide d'exercer son droit de retrait à la suite d'actes de violence survenus dans le lycée où elle est affectée. Elle va donc cesser le travail durant quatre jours, les 23, 27, 28 et 29 janvier 2003, et ne reprendra son service que le 5 février, après avoir reçu un courrier de l'inspecteur d'académie l'informant des mesures prises pour renforcer la sécurité dans l'établissement. Une retenue sur traitement, correspondant aux quatre journées non travaillées, ayant été effectuée par l'administration, Mlle A. a saisi le tribunal administratif d'un recours, invoquant les dispositions de l'article 5-6 du décret du 28 mai 1982 précité, et spécialement l'alinéa 2. Le ministre de l'Education nationale a formé un pourvoi en cassation, dans la mesure où se trouve annulée la retenue sur traitement pour absence de service fait portant sur la journée du 29 janvier 2003.

La section du contentieux du Conseil d'Etat censure le jugement qui lui était déféré au motif que "les dispositions de l'article 5-6 du décret du 28 mai 1982 ne subordonnent pas la reprise de leur service par les agents qui ont exercé ce droit à une information préalablement délivrée par l'administration sur les mesures prises pour faire cesser cette situation". Par conséquent, tranchant le fond du litige, la demande de remboursement de la retenue relative à la journée du 29 janvier -et elle seule- est rejetée.

L'on peut tirer deux enseignements de cette décision. En premier lieu, il incombe aux agents de prendre individuellement la décision de reprendre le service, sans qu'il soit besoin que l'administration leur ait enjoint de le faire. S'en trouve renforcée l'idée que la règle d'or est bel et bien celle de l'exercice sans faille des fonctions (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 28 N° Lexbase : L5223AHW). La mise en oeuvre du droit de retrait, comme sa fin, relève de l'appréciation personnelle de l'agent, en fonction des éléments dont il dispose et sous le contrôle in concreto du juge administratif (1), selon le caractère raisonnable ou non du danger en présence. Dans le cas de l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat fait prévaloir une approche très pragmatique en estimant que la parfaite information de l'agent résultait du fait que l'assemblée générale des personnels du lycée avait été informée le 27 janvier 2003 des mesures envisagées pour rétablir la sécurité dans l'établissement scolaire. En second lieu, l'arrêt rappelle qu'à défaut de pouvoir justifier des conditions du droit de retrait, la règle dite du "service fait" implique que l'agent soit l'objet d'une retenue sur traitement, comme s'il était gréviste (2).

  • Arrêté fixant la rémunération d'un agent : absence d'intérêt à agir d'une union de syndicats de fonctionnaires (CE 3° et 8° s-s-r., 2 juin 2010, n° 309445, Centre communal d'action sociale de Loos, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2027EYQ)

Dans une décision du 2 juin 2010, le Conseil d'Etat a jugé qu'une union de syndicats (en l'occurrence, la Fédération autonome de la fonction publique territoriale du Nord-Pas-de-Calais) ne justifie pas d'un intérêt suffisant lui donnant qualité pour demander l'annulation d'un arrêté attribuant au secrétaire général de la commune de Loos une rémunération au titre de ses activités de direction du centre communal d'action sociale.

Ainsi que le rappelait H. Toutée dans ses conclusions dans l'affaire "Syndicat CGT des employés communaux de la mairie de Nîmes et Syndicat des cadres communaux CGT de la mairie de Nîmes" (3), le droit français est soucieux de l'application de la maxime de Jean de la Fontaine, dans Le fermier, le chien et le renard : "Que si quelque affaire t'importe. Ne le fais point par procureur", consacrée par les juristes par l'adage "nul ne plaide par procureur".

La question de la recevabilité des actions intentées par des organisations syndicales à l'encontre de mesures individuelles soulève, à cet égard, plusieurs difficultés. Comme le notait H. Toutée (concl. précitées) "l'idée centrale de la jurisprudence nous semble être que les groupements, et, notamment, les syndicats, ne peuvent attaquer par la voie du recours pour excès de pouvoir que les décisions portant atteinte aux intérêts collectifs de leurs membres, à l'exclusion de celles lésant seulement des intérêts individuels. Ces dernières ne relèvent que de l'action individuelle, précisément". Selon une jurisprudence bien ancrée, les syndicats de fonctionnaires ne sont recevables qu'à déférer au juge de l'excès de pouvoir les actes considérés comme ayant des incidences positives pour les agents (nomination par exemple). La décision portant fixation de la rémunération d'un fonctionnaire pour des tâches exercées en complément de ses missions principales ne peut, bien qu'elle ne puisse être qualifiée de "négative" (il n'est pas certain qu'il s'agisse pour autant d'une mesure véritablement "positive" dès lors que l'agent a réellement exécuté les tâches pour lesquelles il est rémunéré), être l'objet d'un recours en annulation diligenté par un syndicat (4). La solution est compréhensible dans la mesure où l'arrêté litigieux, même s'il octroie un avantage à un agent, ne risque pas d'en léser d'autres, compte tenu de la nature de la rémunération en cause. Partant, l'on ne peut y voir une atteinte aux intérêts collectifs des membres de l'organisation syndicale (5).

C'est donc bien la nature de la décision objet du recours en excès de pouvoir et non la qualité même de l'auteur de ce recours qui a conduit à l'irrecevabilité. De ce fait, l'arrêt commenté indique que les unions sont susceptibles a priori d'exercer un recours dirigé contre une décision individuelle, confirmant, ainsi, l'arrêt d'Assemblée du 12 décembre 2003 "USPAC CGT - Syndicat CGT des personnels des affaires culturelles" (6), et que ce n'est qu'eu égard à la portée de l'arrêté attaqué que l'action en irrecevable.

  • Refus de titularisation d'un contractuel handicapé : priorité à l'insertion professionnelle (CE 3° et 8° s-s-r., 26 mai 2010, n° 305356, Mme Bolliet, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6879EX3)

L'article 38 du statut général applicable aux fonctionnaires territoriaux, à savoir la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale N° Lexbase : L7448AGX), crée une hypothèse particulière d'intégration des personnes handicapées dans les cadres d'emplois de la fonction publique. Ce texte permet la titularisation directe après une période d'emploi sous statut contractuel. Il s'agit d'une dérogation classique au principe du recrutement après concours (loi n° 84-53, article 36). Le contrat préalable à la titularisation a une durée qui correspond à celle du stage applicable aux fonctionnaires stagiaires du cadre d'emploi concerné. Le statut général prévoit, cependant, que le contrat est renouvelable, pour une durée qui ne peut excéder la durée initiale du contrat. A l'issue de cette seconde période, les intéressés sont titularisés sous réserve qu'ils remplissent les conditions d'aptitude pour l'exercice de la fonction.

Dans une décision du 26 mai 2010, le Conseil d'Etat a jugé que "c'est seulement dans le cas où, malgré les mesures prises pour favoriser son intégration professionnelle après qu'il a été procédé à une évaluation de ses compétences, il apparaît en définitive inapte à exercer ses fonctions", que la personne handicapée recrutée sur le fondement de l'article 38 de la loi du 26 janvier 1984 peut faire l'objet d'un licenciement. Par suite, le juge de cassation censure l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon ayant rejeté le recours en annulation dirigé contre la décision de licenciement prise par le président du conseil général de l'Ain, au motif que l'illégalité des conditions dans lesquelles le contrat d'un tel agent est renouvelé était, en tout état de cause, sans influence sur la légalité du refus de titularisation.

En l'espèce, l'autorité territoriale avait décidé de licencier l'agent, adjoint administratif au sein de la bibliothèque départementale de prêt, après avoir décidé préalablement le renouvellement de son contrat. La question qui se posait était celle de savoir si le licenciement de l'agent, au terme de ce renouvellement, devait nécessairement être justifié par l'inaptitude de l'agent aux fonctions, du fait de son handicap. La décision tranche dans un sens favorable aux personnes handicapées, puisqu'il en ressort que l'administration doit favoriser leur intégration professionnelle, après avoir procéder à une évaluation de leurs compétences. Comme le notait le professeur H. Rihal dès 2005, le dispositif de renouvellement du contrat avant titularisation "est un moyen de vérifier leur aptitude à la fonction, aptitude qu'on ne peut sanctionner, pour les fonctionnaires non handicapés, que par un licenciement à l'issue de leur stage" (7).

Néanmoins, à la différence du fonctionnaire-stagiaire valide, le juge administratif va exercer un contrôle assez strict sur la décision de refus de titularisation. L'on sait, en effet, que le licenciement du stagiaire à la fin de la période de stage constitue une mesure qui n'a pas à être motivée (8), sur lequel le juge n'exerce qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (9). La situation est toute autre pour les personnes handicapées, dont le recrutement comme contractuel représente une forme de "pré-intégration" dans un corps ou un cadre d'emploi. Ce n'est donc qu'en présence d'une inaptitude relative à la fonction, avérée par la période probatoire du contrat, que la titularisation ne pourra avoir lieu. Ce n'est donc que si la personne handicapée, sans s'être révélée inapte à exercer ses fonctions, n'a pas fait la preuve de capacités professionnelles suffisantes (décret n° 96-1087 du 10 décembre 1996, art. 8 N° Lexbase : L1076G8D), que le renouvellement pourra être décidé. Une fois celui-ci exécuté, l'administration ne pourra se résoudre au licenciement que s'il est démontré que l'insertion professionnelle est devenue impossible, après évaluation des compétences de l'agent. Le licenciement ne peut sanctionner qu'une inaptitude et n'est pas possible, comme c'est le cas à la fin d'un stage probatoire, dans le seul but de se séparer d'un agent faisant preuve d'une insuffisance professionnelle (10).

Cet arrêt, dont la solution apparaît logique, trouve sa justification dans les textes qui régissent les modalités particulières d'intégration sans concours des personnes handicapées dans la fonction publique territoriale (décret n° 96-1087, précité). Mais surtout, il répond à l'exigence générale de prise en considération du handicap et de compensation de celui-ci (11), inscrite à l'article 6 sexies du titre I du statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3) par l'article 31 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (N° Lexbase : L5228G7R) : "afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 323-3 du Code du travail (devenu l'article L. 5212-13 N° Lexbase : L4548IE8) d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée".

L'on rappellera, à cet égard, que le Conseil d'Etat a consacré l'existence d'un principe général du droit suivant lequel "lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer son licenciement" (12). Il est logique qu'une personne handicapée, recrutée par la voie d'une procédure dérogatoire puisse bénéficier d'un droit équivalent (13).

Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et Avocat à la cour


(1) CE 2° et 7° s-s-r., 16 décembre 2009, n° 320840, Ministre de la Défense, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6012EPD) ; TA Cergy-Pontoise, 28 septembre 2006, n° 0509448, LIJ MEN, 2006, n° 109, p. 10.
(2) TA Cergy-Pontoise, 16 juin 2005, n° 0106154, Moreau c/ Recteur académie Versailles, AJFP, mai 2006, p. 150, comm. R. Fontier ; voir également, O. Négrin, Le versement de la rémunération la règle du service fait, JCP éd. A, 19 janvier 2009, n° 2019.
(3) CE Contentieux, 13 décembre 1991, n° 74153, Syndicat CGT des employés communaux de la mairie de Nîmes et Syndicat des cadres communaux de la mairie de Nîmes (N° Lexbase : A0115ARP), RFDA, 1993, p. 250.
(4) Pour l'irrecevabilité d'un recours à l'encontre du refus de payer leur rémunération aux agents non titulaires : CE 4° et 5° s-s-r., 22 janvier 2007, n° 288568, Union Fédérale Equipement - CFDT (N° Lexbase : A7109DTH).
(5) Voir CE 9° et 10° s-s-r., 23 mars 2005, n° 268496, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (N° Lexbase : A3940DHE), Rec. CE, 2005, Tables, p. 1012 : irrecevabilité d'une action dirigée contre une note de service se rapportant à la rémunération des agents.
(6) CE Contentieux, 12 décembre 2003, n° 239507, USPAC CGT (N° Lexbase : A4184DA9), RFDA, 2004, p. 322, concl. Le Chatelier, Dalloz, 2005, p. 26, obs. P.-L. Frier.
(7) L'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique après la loi du 11 février 2005, RDSS, 2005, p. 394.
(8) CE 3° et 8° s-s-r., 21 janvier 2008, n° 285166, Mme Edreira Castro (N° Lexbase : A5934D4K), Dr. adm. 2008, comm. 56, obs. E. Glaser.
(9) CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2005, n° 262820, Commune d'Olivet (N° Lexbase : A7086DGK), Cah. fonct. publ., mai 2005, p. 37, comm. M. Guyomar, AJFP, 2005, p. 267.
(10) Sur le contrôle porté par le juge sur une décision de licenciement d'une personne handicapée en fin de stage, voir TA Nantes, 30 septembre 2009, Ponge, AJFP, 2010, p. 70, concl. Christien.
(11) F. Dieu, La condition d'aptitude physique dans la fonction publique, AJFP, 2009, p. 203.
(12) CE 5° et 7° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 227868, CCI Meurthe-et-Moselle (N° Lexbase : A9513AZD), AJDA, 2002, p. 1294, concl. Piveteau, note M.-C. de Montecler.
(13) Sur le reclassement, voir R. Fontier, Droit et pratique du reclassement pour maladie ou handicap, AJFP, 2008, p. 246.

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Immobilier - Bulletin d'actualités n° 3

[Panorama] Bulletin de droit immobilier - Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés - Juillet 2010

Lecture: 5 min

N6279BPA

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Le 07 Octobre 2010


Tous les deux mois, le Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés, en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase, sélectionne l'essentiel de l'actualité relative au droit immobilier. A noter, entre autres, ce mois-ci, en matière de vente immobilière, deux arrêts du 9 juin 2010 qui reviennent sur le formalisme de la notification d'une promesse de vente. On relèvera aussi, en matière de copropriété, un arrêt en date du 9 juin également qui rappelle que les restrictions aux droits des copropriétaires doivent être justifiées par la destination de l'immeuble.




I - Vente immobilière

  • Notification d'une promesse de vente aux époux acquéreurs : un formalisme à respecter à peine d'inopposabilité (Cass. civ. 3, 9 juin 2010, deux arrêts, n° 09-14.503, FS-P+B N° Lexbase : A0969E3B et n° 09-15.361, FS-P+B N° Lexbase : A1001E3H)

Lorsque la notification prévue par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1988HPC) a été effectuée non par lettres distinctes, adressées à chacun des époux acquéreurs, mais par une lettre unique libellée au nom des deux, elle ne peut produire effet à l'égard des deux que si l'avis de réception a été signé par chacun des époux ou si l'époux signataire était muni d'un pouvoir à l'effet de représenter son conjoint.

Telle est la précision apportée par la Cour de cassation dans deux arrêts du 9 juin 2010.

Il convient donc d'être particulièrement vigilant lorsque les acquéreurs sont des époux. Pour une plus grande sécurité juridique, il faudra notifier la promesse à chacun des époux. A défaut, s'il y a une notification unique au nom des deux époux, il conviendra que l'accusé de réception soit signé par chacun des époux ou que l'époux signataire soit muni d'un pouvoir pour représenter son conjoint.

  • Vente à la découpe : nullité de la vente intervenue en violation de l'information préalable des locataires (Cass. civ. 3, 23 juin 2010, n° 09-13.153, FS-P+B N° Lexbase : A3291E3B)

En matière de vente à la découpe, si l'offre de vente prévue à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 (N° Lexbase : L6321G9Y) est adressée antérieurement à la réunion des locataires et à l'envoi de la lettre de confirmation constituant le point de départ du délai de trois mois à respecter avant d'envoyer cette offre, les dispositions d'ordre public de l'accord du 9 juin 1998 ne sont pas respectées.

En conséquence, l'offre de vente et le congé pour vendre délivrés en fraude des droits du locataire sont nuls et en conséquence la vente conclue avec un tiers est frappée de nullité.

C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation dans un arrêt du 23 juin 2010, confirmant l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 29 janvier 2009.

Jusqu'à présent, la Cour de cassation n'avait annulé que le congé pour vendre donné par un bailleur pour violation de son obligation d'information envers les locataires (Cass. civ. 3, 9 janvier 2008, n° 06-18.856, FS-P+B N° Lexbase : A2661D3X).

Le présent arrêt inscrit donc la jurisprudence dans un courant plus sévère à l'égard des vendeurs à la découpe et des tiers au profit desquels une vente serait intervenue en violation des droits des locataires...

  • Promesse de vente sous condition suspensive : la preuve de l'imputabilité de la défaillance de la condition incombe au promettant (Cass. civ. 3, 26 mai 2010, n° 09-15.317, F-P+B N° Lexbase : A7328EXP)

Lorsqu'une promesse de vente est conclue sous condition suspensive, notamment d'obtention d'un prêt, et que cette condition défaillit, le promettant peut tenter d'obtenir par le bénéficiaire de la promesse le paiement d'une clause pénale ou d'une indemnité d'immobilisation si la promesse est unilatérale.

Dans cette hypothèse, il lui appartient d'établir que la condition a défailli du fait du bénéficiaire.

C'est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 26 mai 2010.

Elle souligne, au visa des articles 1178 (N° Lexbase : L1280ABZ) et 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) du Code civil, qu'il appartient au promettant de rapporter la preuve que le bénéficiaire d'une promesse de vente sous condition suspensive d'obtention d'un prêt, qui démontre avoir présenté au moins une offre de prêt conforme aux caractéristiques stipulées à la promesse, a empêché l'accomplissement de la condition.

II - Copropriété des immeubles bâtis

  • Les restrictions aux droits des copropriétaires doivent être justifiées par la destination de l'immeuble (Cass. civ. 3, 9 juin 2010, n° 09-14.206, FS-P+B N° Lexbase : A0120EZH)

Un règlement de copropriété peut-il interdire aux copropriétaires de vendre un emplacement de parking à d'autres personnes qu'à des occupants de l'immeuble ?

La Cour de cassation rappelle que pour répondre à cette interrogation, il convient de rechercher si l'atteinte aux droits des copropriétaires est justifiée par la destination de l'immeuble, telle que définie par ses caractères ou sa situation.

Il s'agit d'une solution classique, appliquant à la lettre l'article 8 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4860AHH), mais intéressante en pratique.

En effet, les juges du fond ne peuvent se contenter, comme ils l'avaient fait en l'espèce, de relever que rien ne serait mentionné dans les actes versés aux débats sur ce point pour réputer non écrit l'article litigieux du règlement de copropriété.

A titre d'exemple, ils doivent rechercher dans les pièces versées aux débats si la localisation de l'immeuble dans un quartier huppé, sa destination bourgeoise, son caractère cossu, etc. justifie la limitation du nombre de copropriétaires de l'immeuble et la limitation d'un va et vient permanent au niveau du parking, et partant la limitation des droits des copropriétaires de vendre des emplacements de parking à des tiers à la copropriété.

  • Pour déclarer une répartition des charges illicite, les juges du fond doivent constater qu'elle est contraire aux critères de répartition de la loi du 10 juillet 1965 (Cass. civ. 3, 29 juin 2010, n° 09-13.067, FS-P+B N° Lexbase : A0096EZL)

Au visa des articles 43 et 12 de la loi du 10 juillet 1965, la Cour de cassation précise, dans un arrêt du 29 juin 2010, que pour réputer non écrite la répartition des charges telle que prévue par le règlement de copropriété, il convient de constater qu'elle est contraire aux critères de répartition prévus par l'article 10 de la même loi.

Ainsi ne suffit-il pas de démontrer qu'elle est manifestement inique ou, comme l'avaient retenu les premiers juges que cette répartition serait illicite puisqu'elle exonèrerait abusivement de charges certains copropriétaires au détriment d'autres.

En l'espèce, les surfaces de certains lots, bien plus importantes que celles décrites dans le règlement de copropriété, n'étaient manifestement pas prises en compte dans la répartition originelle des charges. Une action en nullité de la répartition des charges était alors intentée par les copropriétaires payant plus de charges qu'ils estimaient en devoir. La cour d'appel fit droit à leur prétention. La Cour de cassation censura cette approche au motif qu'il n'était pas démontré que la répartition prévue par le règlement était contraire aux prescriptions de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1965.

James Alexandre Dupichot,
Avocat associé

En collaboration avec Marine Parmentier, Avocat à la cour

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Affaires

[Textes] Le régime de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée : la notion de patrimoine dans tous ses états

Réf. : Loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (N° Lexbase : L5476IMR)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

"Le patrimoine est l'ensemble des biens d'une personne, envisagé comme formant une universalité de droit" : à l'époque où Aubry et Rau écrivaient ces lignes dans leur "Cours de droit civil français", la notion de patrimoine, pierre angulaire du droit commun, était censée constituer une universalité avec cette caractéristique de regrouper un ensemble de droits et de charges, actuels et futurs, dans lesquels les droits répondent des charges. La cohérence du principe imposait, également, que cette universalité entraîne l'unicité du patrimoine qui suppose que ce dernier, attaché indissolublement à la personnalité juridique, puisse n'avoir qu'un titulaire, chaque personne ne pouvant disposer que d'un patrimoine.
La création de l'EIRL par la loi du 15 juin 2010 vient de porter une atteinte majeure à ce principe en établissant, en son article 1er, section 2, que "tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale". Ainsi, le législateur, pour des raisons propres à l'adaptation de la situation des petits entrepreneurs, notamment en cas de difficulté de l'entreprise, aligne-t-il tardivement notre droit interne sur certains droits étrangers. A l'image des droits suisse et allemand, notamment, il faudra désormais admettre qu'une personne puisse avoir plusieurs patrimoines.
Indépendamment des innombrables réflexions théoriques que cette nouvelle loi va sans doute susciter, on ne peut que s'interroger sur les difficultés pratiques que ce statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) risque de faire naître en droit des affaires. A ce titre, la loi est particulièrement laconique quant à la reformulation inévitable de nombre d'articles du Code de commerce, sans préjudice des conséquences, également considérables, que le texte va entrainer au plan du droit commun. En effet, elle prévoit en son article 8 que le Gouvernement sera autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), les dispositions permettant l'adaptation du Code de commerce ainsi que "l'harmonisation" en matière de droit des sûretés, de droit des procédures civiles d'exécution et de règles applicables au surendettement des particuliers . La tâche risque d'être complexe, tant il apparaît que la loi sur l'EIRL présente deux aspects contradictoires : d'un côté, un ensemble de dispositions donne le sentiment que le législateur a surtout entendu permettre à l'entrepreneur individuel de bénéficier de mesures d'insaisissabilité de son patrimoine (I), telles celles qui avaient été imaginées à l'occasion de la loi dite "Dutreil" du 1er août 2003 (loi n° 2003-721, pour l'initiative économique N° Lexbase : L3557BLC), s'agissant de la protection de l'habitation principale par l'insaisissabilité. D'autres dispositions, en revanche, laissent transparaître que la déclaration en question, loin de ne constituer qu'une restriction au droit d'action des créanciers sur le patrimoine privé, suggère l'institution d'une quasi-forme de société unipersonnelle, tant le glissement vers la forme sociale semble patent (II), même s'il est exclusivement dû au souci du législateur d'offrir un régime de protection particulièrement sûr à l'entrepreneur.

I - Un régime dédié, formellement, à l'insaisissabilité du patrimoine privé

Le principe d'insaisissabilité figure au frontispice de la loi dont l'article 1er emporte modification du chapitre VI du titre II du livre V du Code de commerce, y ajoutant une section 1, intitulée "de la déclaration d'insaisissabilité", comprenant les articles L. 526-1 (N° Lexbase : L5330IMD) à L. 526-5. La constitution du patrimoine professionnel revêt, ainsi, avant tout, un aspect déclaratif (A), qui n'est pas sans poser des problèmes quant à la liberté d'affectation des biens offerte à l'entrepreneur. Il est donc tempéré par des dispositions permettant d'offrir une sécurité relative à ses créanciers (B).

A - Un mécanisme déclaratif d'affectation de biens

L'aspect déclaratif du nouveau régime proposé résulte, en premier lieu, des termes choisis par le législateur qui n'institue pas une entreprise à proprement parler mais établit uniquement le régime de protection "de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée". Si on peut imaginer que, dans le langage commun, cette précaution sémantique sera fort peu respectée, et qu'on évoquera souvent abusivement l'entreprise plutôt que l'entrepreneur, il demeure que les termes de la loi sont limpides et ne prêtent pas à interprétation (article 1er, section 2, de la loi précité, nouvel article L. 526-6 du Code de commerce N° Lexbase : L5612IMS). D'une part, le régime n'entraîne pas création d'une personne morale et, d'autre part, il se réduit à l'affectation par l'entrepreneur, à son activité professionnelle, d'un patrimoine distinct. Cette solution consacre, ainsi, définitivement, la reconnaissance textuelle expresse du patrimoine d'affectation en droit interne. Employé pour la première fois par la loi du 23 juillet 1987 à propos de la fondation (loi n° 87-571, sur le développement du mécénat N° Lexbase : L8334AGR), le législateur avait, semble-t-il, en effet, soigneusement évité de l'employer ultérieurement notamment dans la rédaction de la loi du 19 février 2007, instituant la fiducie (loi n° 2007-211 N° Lexbase : L4511HUM).

Cette affectation, en revanche, peut être fort restrictive puisque, si -aux termes du même article- "ce patrimoine est composé de l'ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle", l'option est offerte à ce dernier de décider d'affecter uniquement une partie des biens utilisés pour l'activité. La seule restriction est qu'un même "bien, droit obligation ou sûreté" ne pourra entrer dans la composition que d'un seul patrimoine, sachant qu'à compter du 1er janvier 2013 il sera possible de constituer plusieurs patrimoines affectés en vertu de l'article 14 de la loi. Ainsi, à la logique patrimoniale qui supposerait l'affectation de l'ensemble des biens professionnels, le législateur a préféré une logique de protection, en laissant à l'entrepreneur toute latitude pour décider de la consistance des biens qui seront affectés.

Cet aspect du régime applicable à l'EIRL est renforcé par les aspects procéduraux de la déclaration de constitution du patrimoine professionnel qui tendent, par l'information, à rendre l'affectation opposable aux créanciers. Ainsi, cette constitution, aux termes de l'article L. 526-7 nouveau (N° Lexbase : L5611IMR), résulte d'une fiction -pour reprendre la notion développée à propos de la création des personnes morales- puisqu'elle résulte d'un "dépôt de déclaration" au registre de publicité auquel l'entrepreneur est tenu de s'immatriculer, ou, s'il n'y est pas tenu, à un registre tenu au greffe du tribunal statuant en matière commerciale du lieu de son établissement principal.

L'importance accordée au mécanisme d'opposabilité se traduit, enfin, par la mise en oeuvre de règles procédurales, instaurées au nouvel article L. 526-8 (N° Lexbase : L5610IMQ) emportant encadrement de la déclaration, leur non-respect, en effet, entraînant l'inopposabilité de l'affectation (C. com., art. L. 526-9 N° Lexbase : L5598IMB). Quant aux organismes chargés de recevoir cette déclaration, ils sont tenus de n'accepter son dépôt qu'après avoir vérifié que celle-ci comporte "un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l'activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur", ainsi que la mention de l'objet de l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté. Lorsque cette affectation porte sur un bien immobilier (C. com., art. L. 526-9) elle doit être, au préalable, reçue par acte notarié et publiée au bureau des hypothèques, puis présentée avec la déclaration d'affectation patrimoniale ou, si cette affectation est postérieure à la constitution du patrimoine professionnel, au moyen d'une déclaration complémentaire.

On ne saurait que souligner les risques que peuvent présenter, pour les créanciers, cette latitude laissée à l'entrepreneur, libre d'affecter n'importe quelle partie ou fraction de ses biens professionnels. Qu'il s'agisse, en effet, des créanciers à titre personnel ou de ceux dont les droits sont nés à l'occasion de l'activité professionnelle, la constitution du patrimoine d'affectation a pour première conséquence de diminuer le gage général dont ils auraient disposé en cas d'unicité. La pluralité de patrimoine pourrait toutefois, selon certains auteurs, permettre, dans certains cas, un renforcement des droits des créanciers. Ainsi, Bruno Dondero de souligner qu'il "n'est pas systématiquement plus intéressant pour un créancier de se partager l'intégralité de l'actif du débiteur avec tous les autres créanciers de celui-ci, plutôt que de n'appréhender qu'une partie de cet actif, mais en concurrence avec des créanciers en nombre réduit" (1). Il demeure que la liberté d'affectation constituait un péril pour les droits des créanciers, ce que le législateur a eu le souci de juguler en offrant à ces derniers des mécanismes formels de protection.

B - Des mécanismes formels de protection des créanciers

Le principe a, d'abord, été posé de la mise en oeuvre d'une évaluation externe du patrimoine affecté. En vertu du nouvel article L. 526-10 (N° Lexbase : L5609IMP), tout élément d'actif, autre que des liquidités, et dont le montant déclaré sera supérieur à un montant fixé par décret, fera l'objet d'une évaluation au vu d'un rapport annexé à la déclaration. Il sera établi sous sa responsabilité par un commissaire aux comptes, un expert-comptable, une association de gestion et de comptabilité ou un notaire désigné par l'entrepreneur individuel. L'évaluation par un notaire ne concernera, cependant, que les biens immobiliers.

Cette évaluation externe, dont le principe est voisin du régime applicable aux apports en nature dans les sociétés à responsabilité limitée, devrait permettre de protéger les tiers contre une surévaluation. Aux termes, en effet, du troisième alinéa de l'article précité, l'entrepreneur individuel sera responsable, au cas où la valeur retenue par l'évaluateur sera inférieure à celle qui sera portée dans la déclaration, à hauteur de la différence constatée, pendant 5 ans envers les tiers, et ce sur la totalité de son patrimoine. La même règle sera applicable en cas d'absence d'évaluation (même article). L'analyse du mécanisme posé par l'article L. 526-10 appelle ainsi une remarque importante : le principe selon lequel l'évaluation ne sera requise qu'à partir d'un certain seuil va, sans doute, inciter les entrepreneurs individuels à ne pas franchir ledit seuil, pour des raisons évidentes d'économie, sans préjudice de l'aversion supposée que la plupart d'entre eux manifestent à l'encontre des formalités juridiques. Il y a là un encouragement tacite à sous-évaluer les biens affectés qui, en soi, ne sera pas attentatoire aux droits des créanciers professionnels (puisque leur gage portera sur une somme supérieure à celle qui sera déclarée), mais qui altèrera d'autant celui des créanciers du patrimoine privé qui, eux, auront potentiellement à souffrir de sa diminution. A ce titre, le montant qui sera fixé par décret sera sans doute un facteur essentiel dans le jeu de cet effet de seuil sans que l'on puisse envisager, pour l'instant, quels montants pourront être retenus par le Gouvernement.

Autre principe protecteur, comparable à celui qui régit les apports en société, celui qui gouverne l'affectation de bien commun ou indivis vise, cette fois, à protéger le patrimoine familial. L'article L. 526-11, nouveau, du Code de commerce (N° Lexbase : L5597IMA) impose, ainsi, la production d'un justificatif émanant du conjoint ou des coïndivisaires en vertu duquel ils consentent expressément à l'affectation et attestent de leur information sur les droits des créanciers sur le patrimoine affecté. Enfin, comme pour le principe de la déclaration d'affectation prévue à l'article L. 526-8, le non-respect de ces formalités est sanctionné par l'inopposabilité (C. com., art. L. 526-11, in fine).

Restait à trancher la délicate question de l'opposabilité de l'affectation réalisée par l'entrepreneur individuel aux créanciers antérieurs. En effet, si l'article L. 526-12 (N° Lexbase : L5608IMN) souligne -d'évidence- que l'affectation sera opposable aux créanciers postérieurs, la solution est particulièrement nuancée pour ceux dont les créances sont nées antérieurement.

Le régime de base soumet l'EIRL à la mention, dans la déclaration d'affectation, des créanciers antérieurs existants et contraint l'entrepreneur à les informer de la constitution du patrimoine professionnel, les détails relatifs à cette double information devant être ultérieurement établis par voie réglementaire. Si ces conditions sont respectées, alors les créanciers antérieurs pourront se voir opposer l'affectation, sauf s'ils forment "opposition à ce que la déclaration leur soit opposable" (sic) dans un délai fixé par décret. Dès lors, cette contestation pourra, soit donner lieu à un rejet par le juge, soit déboucher sur le remboursement de la créance, soit, enfin, aboutir à la constitution de garanties. En cas d'inobservation des sujétions imposées par le jugement, l'affectation sera inopposable au créancier mais, en toute hypothèse, la contestation, même admise judiciairement, ne pourra empêcher la constitution d'un patrimoine professionnel.

Il demeure que, le texte ne précisant pas quels sont les créanciers concernés, cet ensemble de dispositions, dont la logique juridique est, pourtant, inattaquable, risque d'entraîner des difficultés pratiques considérables. En effet, il faut supposer -en l'état actuel des textes- que tous les créanciers du patrimoine antérieur seront concernés et que la mention de leur créance devra figurer dans l'acte d'affectation. Faudra-t-il mentionner, de la sorte, toutes les créances dont le patrimoine initial constituait le gage ? La liste risque d'être longue, fastidieuse, et son établissement propre à rebuter les entrepreneurs. On peut, de la sorte, augurer que les créances mineures ne feront pas l'objet de déclaration, de facto, en raison du peu d'intérêt qu'elles présentent eu égard au degré de protection recherché.

Parachevant, enfin, la protection des créanciers, le même article L. 526-12 établit qu'en cas de fraude ou de manquement grave aux règles prévues au deuxième alinéa de l'article L. 526-6 ou aux obligations prévues à l'article L. 526-13 (N° Lexbase : L5607IMM composition du patrimoine et obligation de la tenue d'une comptabilité : cf. infra), l'entrepreneur sera responsable sur la totalité de ses biens, et qu'il en ira de même en cas de fraude. Cette disposition sera, sans doute, à rapprocher, ultérieurement, des mesures que le Gouvernement adoptera par ordonnance afin d'adapter le droit des entreprises en difficulté, dans la mesure où ce mécanisme semble être le corollaire à la procédure d'extension d'une procédure collective prévue à l'article L. 621-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3474ICN).

On signalera, pour mémoire, que l'article L. 526-15 (N° Lexbase : L5605IMK) permet à l'entrepreneur individuel de renoncer à l'affectation, que cette dernière disparaît en cas de décès (sauf exceptions : cf. infra) et qu'en cas de cessation de l'activité professionnelle concomitante à la fin de l'affectation, les créanciers ne conservent de droits que sur la partie du patrimoine qui constituait leur gage au moment de la renonciation ou du décès.

Imaginée, ainsi, comme un texte fondé sur l'insaisissabilité, la loi nouvelle soumet, incidemment, fort logiquement l'entrepreneur individuel à respecter les droits des créanciers, mais elle lui consent, également, nombre de prérogatives destinées à faciliter son activité, au point que ce régime patrimonial dérogatoire en vient à se rapprocher singulièrement d'une forme de société unipersonnelle.

II - Un régime matériellement proche de la société unipersonnelle

L'existence d'une société dépourvue de personnalité morale n'est pas, en soi, une nouveauté en droit des sociétés, ainsi qu'en attestent les dispositions des articles 1871 (N° Lexbase : L2069ABA) et suivants du Code civil qui encadrent la société en participation. Evoquer, ainsi, une forme sociale embryonnaire (A) à propos du régime de l'EIRL est d'autant plus envisageable que le patrimoine affecté est, à la différence de la société en participation, obligatoirement identifié aux yeux des tiers. Ce qui heurte, en revanche, la raison est que le passage d'une logique "d'insaisissabilité" initiale à un régime concurrent de l'EURL traduit incontestablement un glissement mal contrôlé vers la constitution d'une quasi forme sociale (B).

A - L'EIRL, une forme sociale embryonnaire

L'un des premiers éléments qui tend à faire du patrimoine affecté une forme d'entreprise proche de la société figure dans l'obligation pour l'entrepreneur d'utiliser une dénomination incorporant son nom, précédé ou suivi, immédiatement, des mots "Entrepreneur individuel à responsabilité limitée" ou des initiales "EIRL" (C. com., art. L. 526-6, al. 3 N° Lexbase : L5612IMS). Conséquence, par ailleurs, de la création d'un patrimoine d'affectation, l'article L. 526-13, alinéa 3 (N° Lexbase : L5607IMM) impose, également, à l'entrepreneur d'ouvrir, dans un établissement de crédit, un ou plusieurs comptes bancaires dédiés à l'exploitation auquel le patrimoine professionnel a été affecté. Le même article impose, au surplus, la tenue d'une comptabilité séparée, l'article L. 526-14 (N° Lexbase : L5606IML) prescrivant, quant à lui, de déposer les documents comptables au registre auquel l'affectation aura été réalisée, où ils y seront annexés, cette obligation, si elle n'est pas respectée, pouvant faire l'objet du prononcé d'une astreinte par le président du tribunal statuant en référé.

Le législateur tire, de la sorte, toutes les conséquences de la création du patrimoine d'affectation en soumettant l'activité à un encadrement juridique largement plus étayé que celui qui régit la société en participation. Alors que la dénomination de société n'est pas contestée pour cette dernière, la tentation sera donc d'autant plus forte de comparer le régime attaché au patrimoine affecté avec celui des sociétés. En effet, dans ses aboutissements patrimoniaux, l'encadrement juridique établi par le législateur foisonne de mesures qui excèdent très largement le domaine de l'insaisissabilité qui devait être, à l'origine, son véritable substratum :

- le premier point concerne ainsi l'aménagement du principe de transmission universelle, posé par l'article L. 526-16 (N° Lexbase : L5604IMI) qui permet, par dérogation, qu'un héritier ou ayant droit de l'entrepreneur individuel décédé, qui manifeste son intention de poursuivre l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine était affecté, puisse se voir transmettre le patrimoine professionnel, sous réserve du respect des stipulations et dispositions successorales ;

- le second, qui résulte des dispositions de l'article L. 526-17 (N° Lexbase : L5603IMH), prévoit l'absence de liquidation du patrimoine affecté lorsque l'entrepreneur cède ce dernier à titre onéreux, le transmet à titre gratuit entre vifs où l'apporte à une société. Mieux encore, le III du même article prévoit que les formalités attachées à la cession du fonds de commerce, prévues aux articles L. 141-1 (N° Lexbase : L2517IBT) à L. 141-22 du Code de commerce, ne sont pas applicables lorsque ce fonds est cédé ou apporté, à partir d'un patrimoine affecté. Il n'est que le rappel de la faculté d'opposition -limitée- de certains créanciers (cf. supra) qui vient restreindre cette prérogative de l'entrepreneur individuel. On ajoutera, pour parachever ces comparaisons, que l'article L. 526-18 (N° Lexbase : L5596IM9) incite également au rapprochement entre le régime des sociétés et celui de l'EIRL en tant qu'il dispose que ce dernier "détermine les revenus qu'il verse dans son patrimoine non affecté".

Il reste que le législateur semble, par souci d'incitation à la création d'entreprise, avoir trop avancé dans la voie consistant à rapprocher le régime de l'EIRL de celui des sociétés. En effet, en modifiant, dans sa généralité, le régime d'incapacité commerciale du mineur, le texte risque de donner lieu à des difficultés d'application eu égard aux dispositions spécifiques qui gouvernent la société en nom collectif et la société en commandite.

L'article 2 de la loi introduit, à ce titre, trois nouvelles dispositions donnant la possibilité, pour un mineur, d'affecter une partie de son patrimoine à une activité professionnelle. Ainsi, se trouve, d'abord, créé un nouvel article 389-8 (N° Lexbase : L5712IMI) dans le Code civil, qui permet aux deux parents qui exercent en commun l'autorité parentale ou à l'administrateur légal sous contrôle judiciaire -avec l'autorisation du juge des tutelles- d'autoriser un mineur à accomplir seul les actes d'administration nécessaires à la création et à la gestion d'une EIRL ou d'une société unipersonnelle (l'article 401 du Code civil N° Lexbase : L5711IMH étant, par ailleurs, complété pour conférer cette même autorisation au conseil de famille). Ensuite, le dernier alinéa du nouvel article 389-8 et un nouvel alinéa de l'article 408 du Code civil (N° Lexbase : L5710IMG) régissent les actes de disposition, qui ne pourront, eux, être exercés que par les deux parents ou par le tuteur après autorisation du conseil de famille. A cet aménagement du Code civil, voté en quelques minutes à l'occasion d'un amendement présenté devant le Sénat s'ajoute, au surplus, une disposition majeure qui prévoit que le mineur de 16 ans émancipé peut devenir commerçant. Le nouvel article 413-8 du Code civil (N° Lexbase : L5709IME), comme l'article L. 121-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5708IMD) établissent donc, désormais, qu'il peut accéder à ce statut sur autorisation du juge des tutelles, au moment de la décision d'émancipation et, s'il formule cette demande après avoir été émancipé, auprès du président du tribunal de grande instance.

B - Un glissement, mal contrôlé, vers une quasi forme sociale

On laissera chacun libre d'apprécier la portée de la mesure, qui paraît d'emblée peu réaliste, mais que la lecture des travaux parlementaires finit par éclairer. Le Gouvernement souhaitait, en premier lieu, fournir un cadre juridique aux mineurs qui utilisent déjà le régime de l'autoentrepreneur et tenait, en second lieu, à matérialiser, à l'occasion du vote de la loi, un engagement pris par le Président de la République le 29 septembre 2009, à Avignon, lors de son discours sur la jeunesse. L'amendement, adopté dans la précipitation, a, toutefois, des conséquences collatérales importantes. En effet, s'il faut comprendre que tout mineur émancipé peut, désormais, devenir commerçant, qu'en est-il des dispositions relatives à la société en nom collectif (SNC) et en commandite qui limitent la participation du mineur à la société ?

Pour mémoire, l'article L. 221-15, alinéa 7, in fine du Code de commerce (N° Lexbase : L5811AI3), qui dispose en cas de décès de l'associé d'une SNC, établit que, en cas de continuation, "la société doit être transformée, dans le délai d'un an à compter du décès, en société en commandite dont le mineur deviendra commanditaire. A défaut elle est dissoute". Or, cette règle, dont la doctrine unanime enseigne qu'elle est justifiée par l'impossibilité pour le mineur d'être commerçant, et, donc, d'être associé de la SNC, est libellée de telle façon (le début de l'alinéa 7 évoque une règle spéciale de responsabilité pour les mineurs émancipés) qu'elle risque d'être difficile à interpréter. Soit il faut considérer que l'emploi du terme "mineur" fait uniquement référence à l'incompatibilité de ce statut avec celui de commerçant, soit il faut estimer qu'il doit être entendu au sens littéral et qu'il ne vise que les personnes de moins de 18 ans.

La même question se pose avec davantage d'ambiguïté encore lorsque l'on analyse la rédaction de l'article L. 222-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L5823AII) qui concerne, cette fois, la société en commandite. Le commandité, dont l'article L. 222-1 (N° Lexbase : L5814AI8) nous dit qu'il a le statut d'associé en nom collectif peut, pourtant, être un mineur émancipé, si l'on en croit l'interprétation a contrario des dispositions de l'article L. 222-10, alinéa 2. Ce dernier dispose, en effet, que "s'il est stipulé que malgré le décès de l'un des commandité, la société continue avec ses héritiers, ceux-ci deviennent commanditaires lorsqu'ils sont mineurs non émancipés". On peut donc estimer, dans une analyse littérale, que le mineur émancipé peut être commandité, et, cette interprétation, qui jusqu'ici rencontrait l'obstacle de l'impossibilité d'être mineur et commerçant, pourrait être, dans l'absolu, expressément invoquée. D'ailleurs, l'article L. 221-15, alinéa 7, qui régit la SNC n'est pas d'une lecture plus aisée, car il évoque expressément une responsabilité spécifique pour les mineurs émancipés, ce qui nous promet sans doute d'amples réflexions dans les mois à venir, à moins que le Gouvernement n'intervienne, d'ici là, pour éclairer, par ordonnance, le sens à donner à ces deux dispositions.

On peut, en pratique, émettre, cependant, des réserves d'importance à la reconnaissance pour les mineurs de la qualité d'associé, dans les sociétés en nom collectif comme dans les formes qui y sont rattachés. On objectera, d'une part, que si l'ouverture instituée par la loi l'a prévue, ab initio, dans l'hypothèse où, comme dans le régime de l'entrepreneur individuel, la responsabilité est limitée, rien ne laisse à penser que le législateur a entendu, dans un texte strictement dédié à la protection de l'entrepreneur, que les mineurs, fussent-t-ils émancipés, aient à supporter les désagréments d'une responsabilité illimitée et solidaire. On peut ajouter, d'autre part, que l'articulation du droit commun et du droit spécial, le premier autorisant la minorité, en général, le second l'excluant, en particulier, pour la SNC et la société en commandite, milite en faveur du maintien de la règle ancienne, specialia generalibus derogant. Il demeure que, face à des textes dont l'ambiguïté de la rédaction a été soulignée, la plus grande prudence s'impose à propos de leur interprétation future.

On remarquera, dans un autre registre, que le régime de l'EIRL, s'il devait connaître un succès, risquera de rendre inutile la forme de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), tant son fonctionnement semble poursuivre les mêmes objectifs. La nouvelle loi prévoit, en effet, en cas de transmission de l'entreprise à travers le patrimoine affecté, des solutions aussi satisfaisantes que celles que l'EURL propose (cf. supra quant au régime de la transmission, des cessions et du principe de l'absence de liquidation du patrimoine affecté). Mieux encore, on peut estimer que sur certains points, l'encadrement juridique de l'EIRL peut offrir davantage de garanties aux créanciers puisque la séparation des patrimoines n'est plus opposable en cas de fraude ou d'infraction aux règles comptables (cf. supra, l'analyse de l'article L. 526-12). Cette disposition ouvre, semble-t-il, davantage de potentialités d'action au bénéfice des créanciers que n'en offre le mécanisme d'extension prévu à l'article L. 621-2 du Code de commerce, même s'il faudra attendre que le droit des entreprises en difficulté soit modifié pour mesurer les données de ce nouvel équilibre. Enfin, et toujours sur la protection des droits des créanciers, la comparaison de la sécurité que leur offre le régime de l'EIRL face à une EURL sous-capitalisée dotée, par exemple, d'un capital de 1 euro, milite également en faveur du nouveau statut offert à l'entrepreneur.

Cette question de la sous-capitalisation, au demeurant, risque de se poser à l'entrepreneur à responsabilité limitée. La pratique quasi-systématique du cautionnement par le chef d'entreprise des dettes de sa société est une réalité incontournable à laquelle le régime de l'EIRL ne devrait pas échapper. Comme a pu le souligner Bruno Dondero (2), "l'entrepreneur individuel étant un sujet de droit unique, il n'est pas concevable qu'il cautionne son patrimoine affecté avec ses autres biens". Si, effectivement, le mécanisme de la caution s'avérait inapplicable en raison des objections soulevées par la doctrine, on pourrait, sans doute, envisager qu'à titre de garantie, l'entrepreneur renonce à l'affectation au profit d'un créancier. La renonciation, toutefois, bien qu'expressément prévue par l'article L. 526-15 ne concerne que l'affectation globale, et non une renonciation opérée au profit d'un créancier particulier. Au cas où la renonciation partielle s'avérerait impossible (ce qui est envisageable en l'état des textes) les créanciers auront sans doute la tentation d'étendre leurs exigences aux proches de l'entrepreneur et de leur imposer la constitution de garanties personnelles ce qui rendra, indirectement, le régime de l'affectation moins protecteur que ne l'avait souhaité le législateur

Qu'on ne s'y trompe pas, cette loi, décidément imparfaite, vient surtout opportunément compléter le dispositif fiscal et social de l'autoentrepreneur, dont il est incontestablement à l'origine. Elle perturbe largement, en revanche, au delà des quelques remarques pratiques qui viennent d'être formulées, un délicat équilibre du droit des sociétés. La notion de personnalité morale, en effet, voit son intérêt s'amenuiser alors même que sa création a eu pour objectif principal de contourner l'obstacle, pour les groupements, que constituait le principe d'unicité du patrimoine. Cet obstacle venant d'être levé, on ne peut constater qu'un affaiblissement de l'outil que constitue la personnalité morale, dont une partie de l'utilité disparaît, ainsi qu'en atteste le peu d'intérêt que présentera, à l'avenir, la forme de l'EURL pour les petits entrepreneurs.


(1) B. Dondero, L'EIRL ou l'entrepreneur fractionné - A propos de la loi du 15 juin 2010, JCP éd. G, 2010, n° 679, p. 1276.
(2) B. Dondero, op. cit., p. 1277.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Un syndicat doit justifier de la constitution d'une section syndicale au niveau où est désigné le délégué syndical

Réf. : Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-60.438, Mme Faten Youssfi c/ Société JC Decaux et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3376E3G)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Depuis l'adoption de la loi du 20 août 2008 (1), un syndicat ne peut désigner un délégué syndical dans une entreprise ou un établissement sans avoir constitué une section syndicale, laquelle exige la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise ou l'établissement. Transposant en la matière le "principe" de concordance, de longue date applicable à la preuve de la représentativité, la Cour de cassation considère, dans un arrêt du 23 juin 2010, qu'il résulte des règles précitées que, pour désigner un délégué syndical dans un établissement distinct, le syndicat doit avoir constitué, à ce même niveau, une section syndicale comportant au moins deux adhérents.
Résumé

Pour désigner un délégué syndical dans l'entreprise ou l'établissement, un syndicat représentatif doit avoir constitué une section syndicale dans les conditions prévues par l'article L. 2142-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3761IBW), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ), selon lequel la section peut être constituée dans l'entreprise ou l'établissement dès lors que le syndicat a plusieurs adhérents "dans l'entreprise ou l'établissement". Il en résulte que, pour désigner un délégué syndical dans un établissement distinct, le syndicat doit y avoir constitué une section syndicale comportant au moins deux adhérents.

I - L'application du "principe" de concordance à la désignation du délégué syndical

  • Les exigences légales

Si la loi a toujours subordonné la désignation d'un délégué syndical à la constitution d'une section syndicale (2), la Cour de cassation avait décidé, dans un important arrêt en date 27 mai 1997, que lorsqu'un syndicat représentatif désigne un délégué syndical dans une entreprise qui emploie au moins cinquante salariés, l'existence d'une section syndicale est établie par cette seule désignation (3). En d'autres termes, la section syndicale pouvait être composée du seul délégué et le syndicat mandant n'avait, de ce fait, nullement à démontrer qu'il avait d'autres adhérents dans l'entreprise ou l'établissement.

Cette solution ne pouvait se maintenir postérieurement à l'adoption de la loi du 20 août 2008 ; moins en raison des modifications apportées au texte relatives à la désignation du délégué syndical, qu'à la réécriture de la disposition intéressant la constitution de la section syndicale. L'article L. 2142-1 du Code du travail dispose, en effet, depuis la réforme précitée, que, "dès lors qu'ils ont plusieurs adhérents dans l'entreprise ou l'établissement", chacun des syndicats ensuite visé par le texte peut y constituer une section syndicale. La Cour de cassation n'aura guère tardé à confirmer que la loi nouvelle avait mis un terme la solution qu'elle avait retenue en 1997. On se souvient, en effet, que, dans un arrêt rendu le 8 juillet 2009, elle décidait que "l'article L. 2142-1, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008 et applicable immédiatement, conditionne désormais la création d'une section syndicale à la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise ou l'établissement ; qu'il en résulte que le tribunal, qui n'a pas statué par des motifs dubitatifs, a exactement décidé que le syndicat devait, pour établir la preuve de l'existence ou de la constitution d'une section syndicale, démontrer la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise" (4).

La solution est donc claire désormais : un syndicat qui entend désigner un délégué syndical doit avoir constitué une section syndicale, serait-ce de manière concomitante à la désignation ; ce qui exige la présence d'au moins deux adhérents (5). Mais, et c'était la question posée à la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, il convenait encore de déterminer à quel niveau la section syndicale doit être constituée lorsque l'entreprise est divisée en établissements distincts.

  • Mise en oeuvre des exigences légales dans les entreprises à structures complexes

En l'espèce, la fédération des travailleurs des industries du livre et du papier et de la communication (FILPAC CGT), qui avaient plusieurs adhérents dans l'unité économique et sociale JC Decaux, avait notifié, le 21 septembre 2009, aux sociétés composant l'UES la désignation de Mme X comme déléguée syndicale de l'établissement distinct de Neuilly de cette UES (6).

Consécutivement à l'annulation de cette désignation par les juges du fond, Mme X et la FILPAC CGT ont formé un pourvoi en cassation. Ces derniers arguaient en substance que le fait d'avoir constitué une section syndicale au niveau de l'entreprise et d'avoir donc plusieurs adhérents à ce niveau suffisait à assurer la validité de la désignation d'un délégué syndical dans un établissement. Cette argumentation n'a pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "pour désigner un délégué syndical dans l'entreprise ou l'établissement, un syndicat représentatif doit avoir constitué une section syndicale dans les conditions prévues par l'article L. 2142-1 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, selon lequel la section peut être constituée dans l'entreprise ou l'établissement dès lors que le syndicat a plusieurs adhérents 'dans l'entreprise ou l'établissement' ; qu'il en résulte que pour désigner un délégué syndical dans un établissement distinct, le syndicat doit y avoir constitué une section syndicale comportant au moins deux adhérents".

Le raisonnement suivi par la Cour de cassation s'avère imparable si l'on a égard à la lettre des textes applicables et, singulièrement, à l'article L. 2142-1. La solution retenue rejoint sans doute également l'esprit de la réforme de 2008, dont on sait qu'elle a pour objectif de redonner de la légitimité à l'acteur syndical. Or, admettre qu'un syndicat puisse désigner un délégué dans un établissement sans y avoir le moindre adhérent aurait été à l'encontre, tant des textes issus de la loi du 20 août 2008, que de son esprit. On ajoutera que cette solution n'est pas sans rappeler ce que l'on nomme le "principe" de concordance. Celui-ci commande que la représentativité d'un syndicat soit appréciée au niveau où il entend exercer la prérogative qui lui est subordonnée (7). A ce titre, la Cour de cassation a pu juger, par le passé, que "les organisations syndicales ne bénéficiant pas de la présomption légale de représentativité doivent, pour désigner un délégué syndical et un représentant syndical au sein au sein d'un établissement de l'entreprise, établir leur représentativité dans cet établissement" (8).

Dans le sillage de la loi du 20 août 2008, la Cour de cassation entend ainsi faire respecter le "principe" de concordance ailleurs que dans le strict domaine de l'appréciation de la représentativité. Relevons, toutefois, que la solution semble moins dictée par ce " principe " que par les textes de loi applicables. Mais, au fond, l'idée est la même : la représentativité du syndicat, comme la constitution d'une section syndicale, qui constituent toutes deux des conditions de validité de la désignation du délégué syndical doivent s'apprécier au niveau où le syndicat entend exercer cette prérogative.

II - La portée de la solution retenue par la Cour de cassation

  • Désignation au niveau de l'entreprise

On peut, tout d'abord, raisonnablement penser que la solution retenue par la Cour de cassation vaut pour la désignation d'un représentant de la section syndicale. Sans doute, celle-ci est-elle réservée aux syndicats qui ne sont pas représentatifs. Toutefois, l'article L. 2142-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3765IB3) est, là aussi, très clair : "chaque syndicat qui constitue, conformément à l'article L. 2141-1-1, une section syndicale au sein de l'entreprise ou de l'établissement [...] peut [...] désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l'entreprise ou de l'établissement". Partant, un syndicat ne saurait arguer de la seule constitution d'une section au niveau de l'entreprise pour désigner un représentant de la section syndicale dans un établissement.

Cela étant, il importe de se demander quelle solution retenir dans l'hypothèse où le syndicat entend désigner un délégué syndical ou un représentant syndical au niveau d'une entreprise composée d'établissements distincts (9). A s'en tenir à la solution de l'arrêt sous examen, ou plus exactement à l'application du "principe" de concordance qui paraît la fonder, on est tenté de dire que la désignation n'est possible que si la section a été constituée au niveau de l'entreprise tout entière. Mais, à supposer que cela soit matériellement envisageable, que faut-il concrètement exiger du syndicat mandant ? On pourrait considérer que ce dernier doit avoir un ou plusieurs adhérents dans chacun des établissements de l'entreprise. Retenir cette solution conduirait cependant à dépasser les termes de la loi qui exige du syndicat qu'il ait plusieurs adhérents (i.e. au moins deux) dans l'entreprise. Peut-on, pour autant, se satisfaire que ces deux adhérents soient dans le même établissement tandis que le syndicat n'en aurait aucun autre par ailleurs ? Une solution équilibrée pourrait conduire à avancer qu'il suffit au syndicat d'avoir deux adhérents dans l'entreprise à condition qu'ils ne travaillent pas dans le même établissement. Mais cela n'est pas plus satisfaisant si, par exemple, le syndicat a trente adhérents dans un établissement qui compte quarante salariés, tandis qu'il n'en aucun dans le second établissement de l'entreprise qui occupe, quant à lui, douze salariés.

On s'en rend compte, autant la solution de la Cour de cassation est aisée à appréhender lorsque la désignation d'un délégué syndical ou d'un représentant de la section syndicale a lieu dans un établissement distinct de plus de cinquante salariés (10), autant elle est difficile à concevoir dans le sens inverse, lorsque cette même désignation est effectuée au niveau d'une entreprise divisée en établissements distincts.

  • La faculté d'améliorer la loi

Les parties requérantes soutenaient, par ailleurs, que la désignation de la salariée en tant que déléguée syndicale de l'établissement de Neuilly était en toute hypothèse régulière en application de l'article 1.3 de l'accord sur la concertation sociale du 31 octobre 2007 conclu au niveau de l'UES Decaux. Au terme de cette stipulation, en effet, "dans les établissements de l'UES JC Decaux tels que définis pour les DP, chaque organisation représentative a la possibilité de nommer un délégué syndical d'établissement ou DES".

Cet argument est écarté par la Cour de cassation qui précise que, "si, en application de l'article L. 2141-10 du Code du travail, des conventions ou accords collectifs de travail peuvent prévoir des clauses plus favorables à celle de la loi notamment en ce qui concerne l'institution des délégués syndicaux, le tribunal n'avait pas à répondre à un argument qui était inopérant, dès lors que l'article 1.3 de l'accord sur la concertation sociale dans les sociétés de l'UES Decaux du 31 octobre 2007 a pour seul objet de définir le périmètre des établissements distincts pour la désignation des délégués syndicaux par des organisations syndicales représentatives sans modifier les conditions légales de cette désignation".

Si la solution ainsi retenue ne prête pas à discussion, elle nous paraît intéressante en ce que la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel une convention collective peut modifier les conditions légales de la désignation des délégués syndicaux pour les améliorer (11). Appliquée à l'affaire en cause, cela conduit à penser que la Chambre sociale serait prête à admettre qu'une stipulation conventionnelle autorise la désignation d'un délégué syndical dans un établissement alors que le syndicat mandant n'y a pas constitué une section syndicale.

Pour peu que les partenaires sociaux y consentent, la voie conventionnelle pourrait ainsi être utilement explorée pour corriger les effets les plus rigoureux de la loi du 20 août 2008. Il est possible, d'un point de vue de politique juridique, de ne pas se satisfaire d'un tel objectif. Remarquons, cependant, que certaines barrières se dresseront dans cette voie et, notamment, l'ordre public absolu. Ainsi, et pour ne prendre qu'un seul exemple, il nous paraît exclu qu'une stipulation conventionnelle vienne prévoir qu'un syndicat peut être représentatif dans l'entreprise s'il a obtenu un score électoral inférieur à 10 % des suffrages exprimés.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Et nos éditions spéciales Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale et n° 318 du 18 septembre 2008.
(2) C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L2177H9I) et, antérieurement, L. 412-11 (N° Lexbase : L6331ACH).
(3) Cass. soc., 27 mai 1997, n° 96-60.239, Syndicat général CFDT de Nantes et région et autre c/ Société Rezéenne de transports (N° Lexbase : A4625AGE).
(4) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, Société Okaidi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) et les obs. de Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1143BLW). V., aussi, Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux (N° Lexbase : A7068EIM) et nos obs., Les conditions de désignation du représentant de la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1139BLR).
(5) Peu important les effectifs de l'entreprise : Cass. soc., 4 novembre 2009, n° 09-60.075, Hôpital européen La Roseraie, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8197EMK).
(6) Constatation pour le moins troublante dès lors qu'une UES est constituée d'entités juridiquement autonomes et non d'établissements distincts, dépourvus de la personnalité morale. Trouble aggravé par le fait qu'il est ensuite indiqué qu'une section syndicale avait été constituée "au niveau de l'entreprise". On ne sait si est ainsi visée l'UES ou la société dont ferait partie l'établissement de Neuilly.
(7) V., sur ce principe, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 24ème éd., 2008 (avec notre coll.), § 834.
(8) Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-60.526, Compagnie IBM France (N° Lexbase : A5609DMP).
(9) Cela renvoie, notamment, à l'hypothèse dans laquelle une entreprise employant au total plus de cinquante salariés est composée de plusieurs établissements ne franchissant pas ce seuil.
(10) Seule question dont elle était au demeurant saisie.
(11) V., déjà sur l'application de cette règle postérieurement à l'adoption de la loi du 20 août 2008, Cass. soc. 26 mai 2010, n° 09-60.243, Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) Clairjoie c/ Syndicat CFDT santé sociaux de Rhône et a. (N° Lexbase : A7352EXL). Lire nos obs., Les stipulations conventionnelles améliorant les dispositions légales relatives à l'exercice du droit syndical sont d'interprétation stricte, Lexbase Hebdo n° 398 du 11 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N3014BPC).


Décision

Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-60.438, Mme Faten Youssfi c/ Société JC Decaux et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3376E3G)

Rejet, TI Neuilly-sur-Seine, contentieux des élections professionnelles, 10 novembre 2009

Textes concernés : C. trav., art. L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD)

Mots-clefs : délégué syndical ; section syndicale ; pluralité d'adhérents ; établissement distinct

Lien base : (N° Lexbase : E1853ETS)

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Juillet 2010

Lecture: 10 min

N6193BP3

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique, on retrouvera un arrêt rendu le 17 mars 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation et qui revient sur un sujet suffisamment rare pour justifier son intérêt, à savoir la convention obsèques. A l'honneur également, un arrêt émanant de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 27 mai 2010, qui s'arrête sur le régime de prescription (biennale ou de droit commun) s'appliquant à la répétition de l'indu en matière d'assurance.
  • La convention obsèques : affectation automatique ou non des capitaux par l'assureur (Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 08-20.426, FS-P+B N° Lexbase : A8057ETL)

Depuis le temps qu'on l'attendait... : un arrêt de la Cour de cassation sur les conventions obsèques dont la télévision, comme la publicité par voie de presse écrite, ne cessent de nous vanter les mérites. Il est vrai que le marché potentiel n'est pas négligeable. Pour qui ne connaîtrait pas encore bien le principe, ce que visent ces contrats ce sont les frais relatifs aux obsèques d'une personne. Au lieu que la famille choisisse, dans la précipitation, le type d'enterrement pour le de cujus, c'est celui-ci qui y procède, à l'avance, selon ses souhaits et surtout ses moyens. L'argument commercial consiste à mettre en avant le soulagement pour les proches du défunt que représentent ces opérations toujours douloureuses, ainsi que les hésitations quant aux choix à effectuer ; ce dernier appartient donc au principal intéressé.

D'aucuns feront observer qu'il s'avère plus aisé de convaincre une personne bien vivante d'opter pour des dispositions plutôt onéreuses, que la famille désarçonnée par l'affreuse nouvelle et éventuellement démunie. Encore que l'on puisse objecter qu'il est peut-être également simple de profiter du désarroi des individus pour leur vendre des formules coûteuses. Quoiqu'il en soit, les assureurs se sont emparés de ce marché potentiel, en arguant du souci de prévoyance que recèle cette démarche effectuée par les personnes d'un certain âge, désireuses de "savoir comment ce moment délicat" se déroulera. Ils ont donc proposé, depuis une bonne vingtaine d'années, ce qui a été dénommé "conventions obsèques", dont l'exacte nature, le contenu et la portée juridique restaient à établir de manière officielle, ne serait-ce qu'eu égard à l'existence d'une pluralité de formules pratiques.

C'est l'ambition de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 mars 2010, tout au moins en ce qui concerne l'un des aspects de ce type de contrat d'assurance. Et l'on ne s'étonnera pas que la Cour de cassation ne se soit pas fondée sur un article du Code des assurances, lequel n'existe pas, mais sur le droit commun des obligations et plus spécifiquement le roi des articles en matière contractuelle, fut-ce dans le cadre du droit des assurances, l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), selon lequel le contrat tient lieu de loi entre les parties. Toutefois, pour comprendre le raisonnement adopté par la Cour de cassation, l'exposé rapide des faits est indispensable, même si ceux-ci ne sont pas complexes.

Un homme souscrit une police d'assurance appelée convention obsèques prévoyant le règlement d'un capital de trois mille euros en cas de décès. Dans la clause bénéficiaire prévue au contrat, il désigne une femme, Mme P.. L'arrêt n'indique pas le lien qui existait entre eux, sans que ce silence constitue une gêne pour la présente analyse juridique. L'assuré prévoit même qu'à défaut de cette personne, l'une de ses filles, Mme C. S. vienne en second. Enfin, toujours à défaut de cette dernière, il institue sa deuxième fille, Mme S. S. en troisième ligne. Lors de son décès, un litige survient entre ces trois femmes : les deux filles reprochent à Mme P. de ne pas avoir participé aux frais funéraires.

Le tribunal d'instance saisi condamne cette femme peu scrupuleuse en constatant que l'objectif du contrat d'assurance souscrit apparaissait de manière claire, suivant une formule simple mais précise et sans ambiguïté : "la garantie d'un capital à la ou les personnes de votre choix pour régler les frais de vos obsèques". Un lien était ainsi établi entre la volonté du cocontractant de l'assureur et l'emploi des sommes réglées par ce dernier au tiers bénéficiaire. La Cour de cassation casse et annule cette décision d'un juge de proximité. En effet, elle considère que le contrat ne prévoyant pas de clause d'affectation du capital garanti à la couverture des frais funéraires, le juge de proximité a violé l'article 1134 du Code civil.

Ce court arrêt présente un vif intérêt sur deux aspects : d'une part, la nature juridique de ces conventions obsèques, et, d'autre part l'affectation des capitaux ou indemnités dans les contrats d'assurance quels qu'ils soient. En raisonnant de la sorte, la Cour de cassation règle, indirectement, la question de la nature juridique de ces contrats. Une hésitation se révélait, en effet, possible. Ou bien ces contrats étaient considérés eu égard à leur finalité : le paiement de frais à l'occasion d'un événement donné, certain, même si sa date de survenance est inconnue des parties lors de sa formation. Dans cette hypothèse, la somme réglée servait à indemniser l'assuré ou plutôt les tiers bénéficiaires des dépenses effectuées. Il s'agissait d'un contrat d'indemnités, relevant du principe indemnitaire. Ou bien, ils étaient conçus en fonction du siège du risque, c'est-à-dire la personne. Dans ce cas, le contrat prévoyant que la prestation de l'assureur est due lors du décès de celle-ci s'analyse en un contrat d'assurance en cas de décès.

C'est pour cette dernière option que la Cour de cassation a opté, ce qui n'est pas neutre. Sur le fond de cette préférence, un débat pourrait naître : autant d'arguments militaient pour y voir une assurance de dommages qu'une assurance de personnes. Il est donc permis de se demander si la Cour de cassation ne tranche pas en raison des avantages indubitables qu'offre le régime juridique des assurances de personnes : outre le cumul d'indemnités possible -encore qu'il ne soit guère utile dans ce type de contrats-, on songe à l'absence de recours subrogatoire, ou encore et surtout à l'ensemble des règles des articles L. 132-13 (N° Lexbase : L0142AAI) et suivants du Code des assurances permettant aux assurances vie d'échapper aux dispositions du Code civil relatives aux successions et à la fiscalité correspondante.

Et souvenons-nous de l'une des leçons que la Cour de cassation nous a donnée en matière de qualification juridique des assurances vie, dans les quatre arrêts en date du 23 novembre 2004 : peu d'exigences sont posées à la reconnaissance d'un contrat d'assurance vie dans des hypothèses de faits comme de droit où le doute était pourtant permis (Cass. mixte, 23 novembre 2004, quatre arrêts, n° 03-13.673 N° Lexbase : A0919DER ; n° 01-13.592 N° Lexbase : A0225DE3 ; n° 02-11.352 N° Lexbase : A0235DEG ; et n° 02-17.507 N° Lexbase : A0265DEK). Quoi que l'on pense de cette jurisprudence, au fondement juridique rapide pour ne pas dire sacrifié, le message qui avait voulu être passé était clair : il faut faciliter le développement de ces contrats là, d'où l'intitulé d'un article de l'un de nos collègues : "longue vie à l'assurance vie". Pourtant, ce n'est pas le choix que la Cour de cassation  effectue.

Il est permis de demeurer dubitatif. En effet, notre Haute juridiction s'attache au constat que ce type de contrat d'assurance vise à anticiper une dépense, une perte financière pour la famille proche ; en d'autres termes, il semble destiné à indemniser la famille du dommage consistant dans les frais à engager pour offrir des obsèques dignes à l'un d'eux. Néanmoins, il convient de ne pas se fier aux seules apparences. Il ne faut pas qualifier cette convention de contrat d'assurance de personnes ou d'assurance décès sous le seul prétexte qu'il s'agit d'un contrat concernant une personne et sa disparition. Il convient aussi de se garder de conclure à la qualification d'assurance indemnitaire par élimination de cette première catégorie. Car, en l'espèce, la démarche relève d'une forme de prévoyance. A bien des égards, le contrat ressemble -à s'y méprendre- au contrat d'assurance maternité d'autrefois, lequel était répertorié parmi les assurances de personnes.

Voilà donc un nouveau sujet théorique de discussions possibles à l'infini comme seule l'assurance, depuis quelques années, sait nous l'offrir. Que les (rares) purs praticiens veuillent bien nous pardonner, les théoriciens s'en lècheraient volontiers les babines.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Répétition de l'indu en matière d'assurance et prescription (biennale ou de droit commun) : la troisième chambre civile reste fidèle à la distinction selon la source du paiement indu (Cass. civ. 3, 27 mai 2010, n° 09-15.412, Etablissement public de coopération intercommunale Communauté d'agglomération porte de l'Isère (CAPI), venant aux droits du syndicat d'agglomération nouvelle de l'Isle d'Abeau, FS-P+B N° Lexbase : A7331EXS)

La prescription en matière d'assurance est une question qui ne cesse de poser des difficultés.

La faute première en revient peut-être au législateur qui n'a pas, à l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP), rédigé un modèle de clarté en posant que "toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance". Le verbe "dériver de" expose aux interprétations et à la casuistique. Dans nombre d'espèces, il est donc nécessaire de déterminer si l'action relève de la prescription de droit commun (trentenaire hier et quinquennale depuis la réforme du 17 juin 2008 par la loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I) ou de la prescription biennale du droit des assurances.

La question vaut s'agissant de la prescription applicable à l'action en répétition de l'indemnité d'assurance indûment versée par l'assureur, où la disharmonie entre chambres de la Cour de cassation, semble patente.

Comme l'a déjà relevé en choeur la doctrine (1), cette question a été le siège d'une véritable "valse" (un menuet si l'on préfère) :

- dans un premier temps (jusqu'en 2002), la simplicité a régné, qui consistait à soumettre l'action en répétition de l'assureur à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances, en considérant que cette répétition procédait ("dérivait") du contrat d'assurance ;

- dans un deuxième temps, la complexité s'est installée, sous forme de distinction selon la source du paiement indu. Comme l'a souligné Jérôme Kullmann (2), la prescription biennale a été restreinte à l'hypothèse où "le caractère indu du paiement provient d'une clause librement stipulée par les parties (exclusion, etc.)", tandis que c'est la prescription de droit commun qui s'impose "quand il résulte d'une disposition impérative de la loi (faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH, principe indemnitaire de l'article L. 121-1 N° Lexbase : L0077AA4, etc.)". Cette distinction selon la source contractuelle ou légale a été consacrée par plusieurs arrêts (3) ;

- dans un troisième temps, la deuxième chambre a donné des gages de simplification en soumettant la répétition du paiement indu des indemnités au droit commun, "en ce qu'elle trouve sa justification dans l'inexistence de la dette aux termes des articles 1376 (N° Lexbase : L1482ABI) et 1377 (N° Lexbase : L1483ABK) du Code civil" et "ne dérive pas du contrat d'assurance" pour écarter la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances (4). Il s'agissait, pourtant, d'un contrat d'assurance (invalidité, donc non soumise au principe indemnitaire) ayant prévu des indemnités journalières jusqu'à la date de consolidation. L'action de l'assureur ayant versé des sommes au-delà de cette date aurait dû, si le "deuxième temps" avait toujours eu cours, être soumise à la prescription biennale. C'était donc le signe que "la cause de la répétition semble indifférente, seule l'inexistence 'objective' de la dette étant prise en considération" (5).

La troisième chambre civile a semblé ne pas vouloir rejoindre cette doctrine, préférant continuer à pratiquer le "deuxième mouvement", en "soliste". Dans un arrêt du 11 mars 2008 (Cass. civ. 3, 11 mars 2008, n° 06-21.284 N° Lexbase : A3969D77), elle a, à propos d'une action en répétition de l'indu exercée par un assureur dommages-ouvrage, énoncé que, "en application de l'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP), modifié, l'assureur dommages-ouvrage ne pouvait être tenu au-delà des strictes dépenses nécessaires à la réparation des dommages et qu'ainsi ne dérivait pas du contrat d'assurance, mais de la loi, l'action de l'assureur tendant à la répétition de ce qui avait été payé au-delà du coût des travaux nécessaires à la réparation des dommages".

L'analyse portait clairement la distinction selon la source légale (l'article L. 242-1 du Code des assurances) ou contractuelle (les stipulations) du paiement indu par l'assureur.

Avec l'arrêt rapporté du 27 mai 2010 et destiné à la publication au Bulletin, la troisième chambre civile "enfonce le clou" et montre qu'il ne s'agissait pas d'une erreur de plume (6). La motivation de l'arrêt est d'une grande clarté. S'agissant de l'action de l'assureur dommages-ouvrage condamné en référé à indemniser son assuré alors que, a posteriori, sera démontré le caractère non décennal des désordres, l'arrêt précise :

"Mais attendu que l'assureur dommages-ouvrage n'étant, en l'absence de dispositions contractuelles particulières, tenu que du préfinancement du coût des seuls travaux nécessaires à la réparation des désordres portant atteinte à la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, la cour d'appel, qui a [...] relevé que la société Albingia avait été condamnée à payer une provision en vertu des obligations légales mises à la charge de l'assureur dommages-ouvrage et qu'une décision irrévocable avait constaté l'inexistence de désordres entrant dans le cadre de cette garantie [...], a exactement retenu [...] que ne dérive pas du contrat d'assurance, mais de la loi, l'action de l'assureur tendant à la répétition de ce qui avait été payé en vertu de l'ordonnance de référé et que seule la prescription de droit commun était applicable à cette action" (c'est nous qui soulignons).

La disharmonie au sein de la Cour de cassation est consommée... Faudra-t-il un arrêt en Chambre mixte pour éteindre ce conflit ? Il faudrait alors souhaiter que la simplicité l'emporte sur la complexité...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Cf., notamment, Axelle Astegiano-La Rizza in Code des Assurances, Litec 2010, commentaires sous L. 114-1 ; adde, J. Kullmann, RGDA, 2008-2, p. 329, obs. sous Cass. civ. 3, 11 mars 2008, n° 06-21.284 (N° Lexbase : A3969D77).
(2) J. Kullmann, obs. préc..
(3) Cf., notamment, Cass. civ. 1, 27 février 1996, n° 94-12.645 (N° Lexbase : A9692ABL), Bull. civ. I, n° 173 ; Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 99-11.777 (N° Lexbase : A9924AXT), Bull. civ. I, n° 47 ; Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 02-16.219 (N° Lexbase : A6354C99), Bull. civ. I, n° 45 ; Cass. civ. 3, 3 mars 2004, n° 02-15.411 (N° Lexbase : A4063DB4), Bull. civ. III, n° 45.
(4) Cass. civ. 2, 18 mars 2004, n° 03-10.620 (N° Lexbase : A6085DBY), RGDA, 2004, p.390, note J. Kullmann ; Cass. civ. 2, 14 juin 2006, n° 05-15.248 (N° Lexbase : A9523DPE).
(5) Axelle Astegiano-La Rizza, op. et loc. cit..
(6) Comme avait pu le penser H. Groutel in RCA, 2008, comm. n° 209.

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Fiscalité des particuliers

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - Juillet 2010

Lecture: 6 min

N6274BP3

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par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en fiscalité du patrimoine, réalisée par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris. Au sommaire de cette chronique, on retrouve un arrêt du Conseil d'Etat qui se prononce sur la nature de l'indemnité versée à raison de la rupture anticipée injustifiée d'un contrat de travail à durée déterminée (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2010, n°309803, mentionné dans les tables du recueil Lebon). A l'honneur, également un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui précise les effets du paiement des droits de succession au-delà du délai de reprise (Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14.353, FS-P+B). Enfin, cette chronique revient sur la question prioritaire de constitutionalité transmise par le Conseil d'Etat aux Sages du Palais-Royal au sujet de l'application de la majoration de quotient pour les veuves de guerre percevant une pension d'un autre pays que la France (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2010, n° 324976, publié au recueil Lebon).
  • Traitements et salaires : absence d'exonération de l'indemnité versée à raison de la rupture anticipée injustifiée d'un contrat de travail à durée déterminée (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2010, n° 309803, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1130EX7)

L'indemnité de rupture, globale, définitive et forfaitaire, qui correspond aux rémunérations que le salarié aurait perçues si son contrat de travail à durée déterminée avait été totalement exécuté ne constitue pas une indemnité de licenciement au sens des dispositions de l'article 80 duodecies du CGI (N° Lexbase : L3036IGK).

1. Le régime spécifique des indemnités de licenciement prévu à l'article 80 duodecies du CGI...

Cet article pose pour principe l'assujettissement à l'impôt sur le revenu des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail. Il est cependant assorti d'un certain nombre d'exceptions tenant à la nature ou au montant des indemnités versées. Ainsi, en dehors du cas particulier des indemnités versées dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, les indemnités de licenciement prévues à l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74) (devenu L. 1233-32 N° Lexbase : L1169H98 et L. 1233-61 et s. N° Lexbase : L1236H9N) sont exonérées dans la limite la plus élevée des deux montant suivants : soit le montant prévu par la convention collective ou la loi ; soit deux fois le montant de la rémunération annuelle brute ou si ce dernier montant est supérieur, 50 % des indemnités dans la limite de six fois le montant annuel de la Sécurité sociale (BOI 5 F-16-06 du 31 octobre 2006 N° Lexbase : X7522ADX).

2 ...inapplicable aux indemnités versées en cas de rupture d'un contrat à durée déterminée

Dès lors que l'article 80 duodecies du CGI ne vise que certaines indemnités, toutes celles qui sont versées en vertu d'autres dispositions du Code du travail ne peuvent faire l'objet d'une exonération totale ou partielle. Tel est le cas de l'indemnité en cas de rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée (C. trav., art. L. 122-3-8 N° Lexbase : L5457AC4, devenu C. trav., art. L. 1243-1 N° Lexbase : L1457H9T). De surcroît, selon le juge, est sans incidence le fait que, préalablement à la conclusion du contrat à durée déterminée rompu, il ait existé un contrat à durée indéterminée entre les mêmes parties.

  • Droits de succession : effets du paiement des droits au-delà du délai de reprise (Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14.353, FS-P+B N° Lexbase : A2176EYA)

Le paiement spontané de droits de succession alors que les héritiers ne pouvaient plus être contraints à s'en acquitter n'ouvre pas droit à restitution.

Plus de dix ans après le décès d'une personne, était intervenu un changement de la dévolution successorale au motif que l'héritier initial avait été déclaré indigne et la donation à son profit révoquée. Un premier notaire, chargé de régler la succession par les nouveaux héritiers, des neveux, avait déposé deux acomptes sur les droits dus par eux. Un second notaire, au motif que la prescription devait être considérée comme acquise au profit de ses clients, en avait demandé la restitution. Cette réclamation avait été rejetée par l'administration au motif, d'une part, que la prescription n'était pas acquise et, d'autre part, que le paiement n'était pas indu puisque, même en admettant que la prescription soit acquise, l'obligation naturelle persistait.

1. La restitution des droits payés spontanément

La décision rendue par la Haute juridiction est justifiée. En effet, lorsqu'une personne effectue spontanément le versement d'un impôt dû par elle, elle ne peut ensuite en demander la restitution. Il est acquis que si la prescription fait disparaître le caractère obligatoire de la dette et prive l'administration du droit d'en exiger le paiement, le paiement volontaire constitue un paiement valable qui ne peut être répété. Ainsi, au visa de l'article 1235 du Code civil (N° Lexbase : L1348ABK) selon lequel "la répétition n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées", la Cour a cassé l'arrêt d'appel dans son dispositif qui autorisait la restitution des droits acquittés par les héritiers alors que la prescription longue leur était acquise. Il est vrai que ces derniers s'étaient placés sur le terrain de la renonciation tacite à prescription qui seule, selon eux, pouvaient justifier le paiement. En effet, ils considéraient qu'une telle renonciation ne pouvait résulter que d'actes accomplis en connaissance de cause et manifestant de façon non équivoque la volonté de renoncer. Cependant, selon la Cour, peu importait qu'à l'époque des versements, les héritiers aient méconnu l'existence de la prescription acquise à leur profit puisque cette dernière ne rend pas la dette inexistante et sans cause.

2. Prescription et changement de la dévolution successorale

La modification de la dévolution successorale intervenue après l'expiration de la prescription ne fait pas courir un nouveau délai au profit de l'administration pour réclamer aux héritiers qui se sont substitués au premier, déclaré indigne, les droits dus par eux. Cet aspect de la décision n'est pas sans intérêt. En effet, l'administration prétendait que, à la date à laquelle la dévolution avait été modifiée, soit la date du jugement décidant de la révocation de la donation, un nouveau délai de prescription longue s'était ouvert à son profit. Comme ce délai ne peut courir que, soit à compter du décès, soit à compter de la date à laquelle un bien est considéré comme rentré dans l'hérédité, elle considérait que le changement de dévolution avait pour effet de faire rentrer dans le patrimoine du défunt des biens qui n'en faisaient pas partie auparavant. La cour d'appel avait fait litière de cette analyse. La Haute juridiction confirme en précisant que la modification de la dévolution successorale ne pouvait faire courir un nouveau délai.

  • Impôt sur le revenu : majoration du quotient (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2010, n° 324976 N° Lexbase : A4106EXD)

La question de savoir si une veuve, percevant une pension militaire versée par l'Etat portugais peut bénéficier de la majoration de quotient prévue à l'article 195, 1, c, du CGI (N° Lexbase : L4040ICM) au profit des veuves bénéficiant d'une pension servie en vertu du Code des pensions militaires a été transmise au Conseil constitutionnel dans le cadre de la procédure de la question prioritaire de constitutionalité.

1. La nouvelle procédure de contrôle constitutionnel "a posteriori"

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle procédure, le contrôle de la constitutionalité des lois était uniquement possible au moment de leur adoption, sur saisine de Conseil constitutionnel et durant un certain délai. Désormais, la loi organique prévoit un contrôle "a posteriori". Pour éviter une multiplication des contentieux, la loi organise un système qui repose sur un "double filtre" conduisant au déroulement d'une procédure en trois étapes. Tout d'abord, la juridiction saisie du moyen d'inconstitutionnalité doit statuer sur la transmission de la question au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Trois conditions doivent être remplies pour que la transmission soit effective : la question doit être pertinente, c'est-à-dire applicable au litige ; la question doit être nouvelle, c'est-à-dire que le texte ne doit pas avoir déjà été jugé conforme à la Constitution ; la question doit être sérieuse. Dans un second temps, avant que le Conseil constitutionnel ne statue sur la question au terme d'une procédure contradictoire (troisième temps), le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi au Conseil.

2. La question de l'application de la majoration de quotient pour les veuves de guerre percevant une pension d'un autre pays que la France

Une veuve de guerre percevant une pension de source portugaise, qui lui avait été accordée à la suite du décès de son mari au cours de son service militaire, s'était vue refuser la majoration de quotient prévue à l'article 195 du CGI. Dans le cadre de son pourvoi en cassation contre la décision de la cour administrative d'appel de Nancy qui avait rejeté sa requête (CAA Nancy, 2ème ch., 10 décembre 2008, n° 07NC01235 N° Lexbase : A4465ECD), elle demande de renvoyer au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés publiques garantis par la Constitution des dispositions de l'article 195, 1. c du CGI. Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles réservent aux seuls titulaires d'une pension prévue par le seul Code français des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre le bénéfice de la demi-part supplémentaire. Vérifiant que la disposition dont la constitutionalité est contestée est applicable au litige, qu'elle n'a jamais déjà été jugée conforme à la constitution et constatant que le moyen tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques soulève une question présentant un caractère sérieux, le Conseil renvoie au Conseil constitutionnel l'examen de cette question.

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Avocats/Honoraires

[Evénement] Aide juridictionnelle : genèse d'un système qui a trouvé ses limites

Lecture: 5 min

N6273BPZ

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

L'aide juridique prend son origine dans la loi du 22 janvier 1851, l'idée étant alors l'esprit de charité. Une réforme intervient dans de nombreux pays après la Seconde guerre mondiale et la terminologie change pour l'expression "assistance judiciaire", puis "aide judiciaire", la solidarité remplaçant la charité. Puis, avec la loi de 1991 (loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique N° Lexbase : L8607BBE), l'expression "aide juridictionnelle" naît et participe pleinement à rendre effectif l'accès à la justice. Ainsi, l'AJ a 19 ans ; elle couvre les besoins d'une population qui avoisine le million de justiciables et sa réforme est souhaitée depuis dix ans maintenant comme l'a rappelé le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lille, René Despieghelaere, à l'occasion de l'introduction de la journée des Etats généraux de l'Aide juridictionnelle, organisée le 25 juin 2010. Et, les griefs contre le système actuel sont nombreux : un avocat sur deux fait une mission d'AJ par mois avec un tarif de 22,50 euros la demi-heure et ce montant ne couvre ni les charges, ni la rémunération de l'avocat ; les moyens pour l'AJ sont insuffisants et entraînent des retards conséquents (à titre d'exemple, en mars 2010, Lille comptait un retard de six mois dans le traitement des dossiers, retard en passe d'être résorbé d'ici à fin juillet) ; la pratique de l'AJ devient dévalorisante pour un avocat et la crainte d'un barreau à deux vitesses émerge progressivement. Ainsi, l'AJ se doit de retrouver ses lettres de noblesse, de la transparence à laquelle doit être associée une véritable rémunération. Tel était donc l'enjeu de la journée de réflexion proposée par René Despieghelaere où pas moins de 350 personnes ont assisté aux différents ateliers proposés (le financement de l'aide juridictionnelle ; pour une garantie de qualité ? ; quelles perspectives pour la future défense pénale ? ; l'aide juridictionnelle en droit comparé ; déjudiciarisation et accès au droit ; les groupes de défense ordinale ; stratégie d'action face aux pouvoirs publics) (1) et ce malgré les grèves des transports et le bicentenaire du rétablissement de l'ordre des avocats de Paris. En propos liminaires à cette journée, les instances représentatives de la profession ont exposé leurs visions, un état des lieux a été dressé et un parallèle avec nos voisins européens évoqué.

Position des instances représentatives. Les représentants des instances de la profession, Conférence des Bâtonniers et CNB, ont également insisté sur l'importance de revoir le dispositif actuel.

La première, par la voix de son président, Alain Pouchelon, a apporté son soutien le plus massif tout en rappelant qu'il n'y aurait rien à attendre de plus de la dotation de l'Etat ; en conséquence une piste serait à développer auprès des assureurs (2) tout en dissociant le pénal du civil, le pénal restant à charge entière de l'Etat. Il préconise également que l'AJ soit gérée au niveau de structures particulières. Et d'insister sur le fait que les travaux de cette journée ne doivent pas rester à l'état de réflexion.

Le second, par le biais de Lionel Escoffier, représentant de son Président, Thierry Wickers, rappelle qu'il incombe à l'Etat de permettre un véritable accès à la justice. Le système actuel étant à bout de souffle, il est urgent de réagir et d'agir. La commission "Accès au droit" du CNB a adopté une résolution le 13 juin 2010 proposant une nouvelle architecture du système qui conduirait à distinguer entre la matière civile et assimilée et la matière pénale. Si l'aide juridictionnelle pénale resterait de la seule responsabilité de l'Etat, la matière civile pourrait combiner, selon des modalités à définir, financement étatique et financement complémentaire, sous réserve du maintien prioritaire de l'engagement de l'Etat. Ce faisant, le CNB n'est pas favorable à la création d'un système de gestion privée ou mixte du dispositif d'aide juridictionnelle. Surtout, il attend instamment des pouvoirs publics la reconnaissance effective du travail fourni par les avocats assurant la défense des justiciables les plus démunis. Il appartient, par ailleurs, à l'Etat de tirer les conséquences, notamment financières, de l'arrêt de la CJUE du 17 juin 2010 (CJUE, 17 juin 2010, aff. C-492/08, Commission européenne c/ République française N° Lexbase : A1922E3L ; lire N° Lexbase : N4288BPI) condamnant la France pour manquement à la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ("Directive TVA" N° Lexbase : L7664HTZ), qui induit un surcoût pour le justiciable en matière d'aide juridictionnelle partielle et un risque de diminution de la rétribution de l'avocat.

Le CNB proposerait aussi une forfaitisation en fonction des types d'affaires, des protocoles simplifiés, une dotation complémentaire versée en amont, la suppression de l'attestation de fin de mission, l'instauration d'une rémunération entraînant la suppression de la notion d'indemnisation et la création d'un fonds de garantie ad hoc.

Etats des lieux. C'est au Bâtonnier Frédéric Covin, ancien Bâtonnier du barreau de Valenciennes, qu'a échu la mission de dresser un état des lieux de l'AJ. A cet égard, il a rappelé combien l'AJ a toujours constitué l'honneur du barreau. Avec la réforme de 1972, l'accès au juge devient gratuit, le plafond d'admissibilité est manifestement peu élevé et coexistent deux ou trois tarifs d'indemnisation. Mais le traitement des dossiers est d'une lenteur extrême et les greffes manifestent une mauvaise volonté évidente. Avec la réforme de 1991 naît un texte ambitieux avec un système rénové d'AJ. L'indemnisation se fait en fonction des types d'intervention. Sont créées les commissions départementales d'accès au droit (CDAD), l'Etat considérant que cet accès est une politique publique. Mais ce système atteint ses limites en 2000.

Le 18 décembre 2000 est rédigé un protocole qui laisse entrevoir l'espoir d'un traitement de l'accès au droit des plus démunis comme un problème de société. Le montant de l'UV est revalorisé. Et ce projet très complet est élaboré conjointement avec la Chancellerie, mais n'aboutira pas au final.

En 2007, le rapport "du Luart" soulève à nouveau les limites du dispositif. Selon son rapporteur, Roland du Luart, le dispositif de l'AJ se caractérise par un accroissement considérable du nombre des admissions depuis 1991 : + 159,5 %. Parallèlement, l'enveloppe budgétaire consacrée à cette aide a progressé de 391,3 % entre 1991 et 2006. En 2007, elle représentait 5,2 % des crédits dédiés à la justice avec un montant de 328,7 millions d'euros. Ainsi, la crise que traverse l'AJ est autant financière que morale. Il insiste sur le fait que la réforme de l'AJ ne peut plus attendre. Et il préconise qu'elle s'articule autour d'un système équilibré, où chacune des parties prenantes contribue à l'effort de solidarité nationale : les avocats et les auxiliaires de justice, le justiciable lui-même et l'Etat.

Le rapport "Darrois" débouchera sur la mise en place d'une mission confiée par Michèle Alliot-Marie sur la réforme de l'AJ.

Aujourd'hui la question de l'éligibilité à l'AJ est, pour le Bâtonnier Frédéric Covin, fondamentale : qui doit en bénéficier ? pour quelles actions ? avec quelle part des aides publiques ? avec quel financement des assureurs ?

Il faut ainsi repenser peu ou prou des pans entiers de l'organisation du système judiciaire, tout en tenant compte des standards européens. A cet égard, il précise que le Conseil des barreaux européens (CCBE) demande de traiter l'AJ comme un droit fondamental.

Le traitement de l'AJ en Europe. Au niveau européen, c'est à la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), créée il y a six ans, qu'incombe l'évaluation au quotidien des systèmes judiciaires au sein des 47 pays européens. Comme le souligne Stéphane Leyenberger, chef de la division Justice du Conseil de l'Europe, la France est au 23ème rang du classement, selon le rapport de 2008.

Dans la plupart des pays, une partie du budget est destinée à l'aide judiciaire. Comme pour le budget alloué aux tribunaux, le montant de ce budget diffère d'un pays à l'autre. On peut donc retenir les chiffres suivants concernant le budget public annuel alloué à l'aide judiciaire par habitant en 2006 :

Autriche : 2,1 euros/habitant

Portugal : 3,4 euros/habitant

Espagne : 3,8 euros/habitant

Belgique : 4,1 euros/habitant

France : 4,8 euros/habitant

Allemagne : 6,8 euros/habitant

Irlande : 15 euros/habitant

Angleterre : 55 euros/habitant

Mais, si l'on ramène ces chiffres au nombre d'affaires bénéficiant de l'aide judiciaire pour 10 000 habitants, le classement diffère :

Italie : 17 affaires

Autriche : 30 affaires

Belgique: 95 affaires

Portugal : 124 affaires

France : 134 affaires

Espagne : 141 affaires

Angleterre : 460 affaires

Le prochain cycle d'évaluation a démarré. Le nouveau rapport du CEPEJ, qui sera publié en automne 2010, portera sur les données de l'année 2008.


(1) Pour une synthèse des travaux, lire (N° Lexbase : N6157BPQ).
(2) Dans son rapport annuel rendu fin juin 2010, la Fédération française des sociétés d'assurances a rejeté l'idée de mettre la profession à contribution pour financer l'AJ ; elle n'est pas non plus favorable à l'autre piste de réflexion visant à instaurer une garantie obligatoire de protection juridique dans tous les contrats d'assurance multirisque habitation et/ou automobile.

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Avocats/Honoraires

[Evénement] Conclusion des Etats généraux sur l'aide juridictionnelle

Lecture: 8 min

N6157BPQ

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

A la fin de cette journée de "mobilisation cérébrale" du 25 juin 2010, le Président du Conseil national des barreaux, Thierry Wickers, présente d'emblée le problème de l'aide juridictionnelle sous la forme d'une équation à trois inconnues : d'abord, l'engagement de l'Etat, sachant que le Président de la République précisait, la veille, que l'Etat ne pouvait pas être mis à contribution ; ensuite, la réforme de la procédure pénale, sachant que le calendrier en est désormais parfaitement inconnu et que l'une des questions centrales connaîtra son dénouement au terme d'une question prioritaire de constitutionnalité sur les modalités de la garde à vue ; enfin, l'articulation entre les fonds publics et les fonds privés, sachant que, fondamentalement, un prélèvement sur la sphère privée ou sur les deniers publics est un prélèvement sur la richesse de la Nation et que la gestion de ces fonds ne pourrait être que publique, le contrôle de l'aide légale ne pouvant incomber à un opérateur privé. Demeurent, enfin, la question de l'agenda de Lisbonne et la conformité des modalités d'accès au droit au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... En attendant, cette journée aura permis à Vincent Potié, rapporteur général et membre du conseil de l'Ordre du barreau de Lille de proposer une synthèse des réflexions menées au sein des sept ateliers de la journée (le financement de l'aide juridictionnelle ; pour une garantie de qualité ? ; quelles perspectives pour la future défense pénale ? ; l'aide juridictionnelle en droit comparé ; déjudiciarisation et accès au droit ; les groupes de défense ordinale ; stratégie d'action face aux pouvoirs publics) ; synthèse dont voici les principaux extraits.
I - Le droit comparé de l'aide juridictionnelle

Le constat fait par cet atelier est qu'il n'y a pas de système satisfaisant pour les confrères des barreaux étrangers. Les revendications s'orientent vers :

  • l'extension services juridiques octroyés sous aide juridictionnelle ;
  • et une véritable rémunération de l'avocat.

A - Services juridiques octroyés sous aide juridictionnelle

La Belgique, l'Angleterre et l'Italie connaissent un système offrant des services juridiques similaires aux nôtres. Aux USA, un droit constitutionnel fédéral prévoit l'assistance en matière pénale exclusivement, de sorte que l'aide juridictionnelle civile dépend des politiques locales.

B - Rémunération ou défraiement de l'avocat

Italie : il existe un système de tarification des honoraires d'avocat de sorte que la rémunération de l'avocat en secteur assisté ou privé est la même. Mais le système d'aide juridictionnelle semble peu utilisé. Le budget dédié à l'aide juridictionnelle est peu important.

Belgique : le système est très proche du nôtre, mais la dotation d'une enveloppe globale forfaitaire se retrouve répartie au prorata du nombre de personnes qui auront bénéficié de cette aide juridictionnelle.

Angleterre : le système est panaché. Devant les petites juridictions, il est prévu une rémunération forfaitaire en fonction des dossiers et du nombre d'heures. Devant la High court, on se dirige vers une véritable rémunération. Le budget de l'aide juridictionnelle y est dix fois plus élevé qu'en France. L'assurance protection juridique est en développement.

Etats-Unis d'Amérique : l'aide légale est confiée à 80 % à des avocats salariés et à 20 % à des avocats libéraux, pour un tarif horaire de 75 dollars sans limitation de nombre d'heures.

C - Contrôle de qualité

Grande-Bretagne : une commission d'aide juridique composée de fonctionnaires d'Etat vérifie la qualité de la prestation de l'avocat. Les confrères se désengagent progressivement de ce secteur aidé du fait des tracasseries administratives.

Belgique : le Bureau d'aide judiciaire est composé d'avocats opérant un contrôle de l'effectivité et de la qualité de la prestation lors de la remise du rapport de clôture annexé au mémoire de demande d'honoraires.

Italie : le contrôle par le juge se borne, à la liquidation de mémoire d'honoraires présenté, à son adéquation au tarif existant

II - Pour une garantie de qualité ?

Il s'agit d'une exigence qui ne peut pas être réservée aux seuls dossiers traités sous aide juridictionnelle, même si, en pareil cas, ce sont des fonds publics qui sont engagés.

Il ne s'agit pas de créer des contraintes complémentaires, mais de précipiter l'évolution de la profession vers la publicité fonctionnelle et la contractualisation des relations avec le client.

A - Une Charte nationale de qualité doit être élaborée par les instances nationales sur concertations des ordres, complétée par des chartes locales, contribuant à réaffirmer l'engagement collectif de qualité, que les avocats interviennent ou non dans le cadre de l'aide juridictionnelle.

B - Une convention individuelle est signée avec le client et a pour objectif de garantir conventionnellement la qualité des prestations fournies par l'avocat et la collaboration du client à la mise en oeuvre de sa procédure. Elle a pour objet, également, d'assurer la transparence de la rémunération de l'avocat intervenant en aide juridictionnelle. Elle vise, enfin, à informer le justiciable des différentes voies de recours dont il dispose.

C - Cette qualité passe par une formation initiale et continue :

  • formation à l'aide juridictionnelle et aux conventions d'honoraires à la sortie de l'école, formation gratuite au profit des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle les deux premières années, et pour ceux intervenant dans le cadre des "protocoles article 91" (permanence pénale) ;
  • mise en place des chèques-formation au profit de tous les avocats intervenant au titre de l'aide légale leur permettant d'accéder aux formations de qualité dans leurs domaines d'intervention.

D - La qualité de la prestation doit être contrôlée selon les règles légales actuelles par le Bâtonnier de l'Ordre. Compte tenu des spécificités de la profession et notamment de sa nécessaire liberté, il n'est pas envisageable de déléguer cette fonction à une administration ou un magistrat.

III - Le financement de l'aide juridictionnelle

L'aide juridictionnelle est un devoir régalien de l'Etat. La crise économique actuelle ne doit pas faire perdre de vue la nécessité d'un abondement financier. Le besoin de financement est communément évalué à 1 milliard d'euros (budget actuel 300 millions d'euros). Le projet gouvernemental de renforcement de la relation aide juridictionnelle /assurance protection juridique nécessite que soient rappelés les principes suivants :

  • pas de désengagement de l'Etat de son devoir régalien ;
  • pas de privatisation au travers de la protection juridique ;
  • une protection juridique subsidiaire ;
  • liberté de l'honoraire de l'avocat et direction du procès par celui-ci.

Comme autres sources de financement, il est envisagé une taxe sur les contrats d'assurance, sur les contrats bancaires, sur les baux immobiliers, sur les contrats de location, sur les actes soumis à enregistrement,  et sur les jeux. Une taxe sur l'ensemble des décisions de justice ne recueille pas une position majoritaire et un prélèvement sur le montant des amendes pénales est illusoire. L'atelier écarte, en revanche, la participation des avocats et l'idée d'un ticket modérateur.

La réflexion sur l'opportunité d'une autorité indépendante de gestion du financement de l'aide juridictionnelle n'a pas été menée à son terme et devra être reprise.

IV - Quelles perspectives pour la nouvelle défense pénale ?

Les principes qui gouvernent la gestion de l'aide juridictionnelle dans la défense pénale doivent absolument respecter :

  • le caractère contradictoire des débats à tous les stades de la procédure ;
  • l'égalité des armes ;
  • la continuité de la défense ;
  • une justice unique (et non justice de classe et de masse à deux vitesses).

Le projet de réforme du Code de procédure pénale, dans la lignée des réformes de ces dix dernières années, consacre l'accroissement des pouvoirs du parquet lié étroitement à l'exécutif, à peine contrebalancé par de très théoriques droits de la défense (aux stades de la garde à vue et de l'enquête), dont le coût n'a pas été chiffré et alors que l'objectif affiché de cette réforme est de "rationnaliser" les finances de la justice. Or, la présence de l'avocat est, dans une telle configuration d'évitement du juge, la seule garantie, pour le citoyen, d'une procédure équitable. Cette réforme, qui doit être amendée, a pour corolaire indispensable l'accroissement des pouvoirs et fonctions de l'avocat, et donc une modification profonde des modes de rémunération à l'aide juridictionnelle, avec :

  • une réévaluation du montant de l'UV -23 euros à l'heure actuelle, son montant est dérisoire- ;
  • la création de grilles de rémunération comme méthode d'évaluation du travail de l'avocat sur la base d'un forfait correspondant aux diligences minimales accomplies dans chaque dossier (instruction, audience), assorti de majorations (délimitées dans leur nombre ou dégressives) correspondant au travail réellement accompli par chaque avocat dans chaque dossier ;
  • l'extension des "protocoles article 91" (permanences pénales), qui permettent d'assurer une défense de qualité en organisant une permanence d'avocats compétents, rémunérés à la mesure de leur travail grâce aux dotations supplémentaires accordées sous réserve des spécificités locales.

V - Les groupes de défense ordinale

Le pragmatisme est nécessaire : en effet, le premier constat est qu'il n'est pas possible de trouver de modalité commune de défense à tous les barreaux.

Les groupes de défense sont essentiellement efficaces et utiles dans les barreaux de grande importance numérique et où la demande de désignation d'un avocat est importante.

Il apparaît essentiel de d'appréhender le principe de la création des groupes de défense, non pas en terme de financement mais en terme de besoins des justiciables.

Dans les zones de "désert de défense", soit du fait de la matière (juge de proximité, droit au logement, TASS, etc.), soit du fait du secteur géographique, le groupe de défense est très efficace. L'usage des dispositions de l'article 29 de la loi prévoyant la conclusion entre le barreau et l'avocat de conventions d'exercice à temps partiel pour la défense en aide juridictionnelle est recommandé.

Le statut de l'avocat, salarié, vacataire ou libéral, importe peu ; le principe de liberté doit présider absolument les modalités d'exercice.

VI - Déjudiciarisation et accès au droit

La déjudiciarisation, dont l'objectif mis en avant est la simplification et la facilitation de l'accès au droit a trop souvent pour effet pervers une mauvaise application du droit et l'absence de défense pour les plus démunis privés du bénéfice de l'aide légale.

Constat : dans de nombreux domaines du droit, des situations ne sont pas, ou mal, prises en compte au titre de l'aide juridictionnelle. Domaines, rappelons le, que le juge n'a pas à connaître : en matière pénale notamment (ordonnance pénale, délégué du procureur, quatre premières classes de contraventions) ; en matière commerciale (accompagnement de l'entrepreneur dans le cadre des procédures collectives) ; en matière de droit des victimes (CRCI ; SARVI) ; en matière civile (la médiation familiale conventionnelle) ; l'acte d'avocat ; le contentieux administratif...

On constate une certaine forme de paradoxe où les procédures déjudiciarisées ne peuvent faire l'objet d'une "aide juridictionnelle" que s'il y a une saisine du juge in fine.

Il convient de développer la consultation juridique hors procédure prise en charge au titre de l'aide juridictionnelle. Qu'elle soit préalable ou à titre principal : la consultation c'est l'accès à l'information, au conseil, l'accès au conseil de l'avocat. C'est là toute la notion de consultation juridique.

L'accès au droit peut ne passer que par cela : une information, un conseil juridique. N'est-ce pas là l'un des objectifs de l'acte d'avocat ?

Il faut naturellement que cette consultation soit étendue et financée par l'aide juridictionnelle ou les CDAD. Il faudra prévoir naturellement l'extension de l'aide juridictionnelle pour tous les systèmes alternatifs au judiciaire qui seront préconisés à l'issue de ces consultations juridiques.

VII - Stratégie d'action face aux pouvoirs publics

L'atelier propose d'instaurer un rapport de force national relayé par les organes représentatifs de la profession, CNB, Conférence des Bâtonniers après concertation et mise au point d'une plate forme revendicative commune avec l'association des maires de France, l'union des CCAS, les associations de consommateurs et de locataires, les associations de défense d'étrangers, les syndicats professionnels sur la base de mots d'ordre nationaux.

Des actions judiciaires généralisées et médiatisées devant le tribunal administratif de l'ensemble des barreaux de France engageant la responsabilité de l'Etat pour non-respect de ses engagements et de ses devoirs sur le plan européen doivent être menées.

Le CNB doit saisir un avocat aux Conseils pour finaliser un projet de mise en cause de l'Etat (assignation au fond TGI, TA, Cour européenne des droits de l'Homme), en coordination par la Conférence des Bâtonniers du lancement des assignations.

Des actions ponctuelles, blocage de CRPC et de défense des mineurs, doivent être menées.

Enfin, il est nécessaire de mettre en place, sur le plan national, une cellule de lobbying prête à répondre à un débat parlementaire sur la réforme pénale et sur la réforme de l'aide juridictionnelle.

L'atelier prévoit, ainsi, l'agenda suivant :

  • demande d'envoi à tous les avocats hors Paris par le CNB du rapport de la commission aide juridictionnelle et de la résolution ;
  • demande d'un rapport d'étape par le CNB pour le 15 octobre 2010 à l'ensemble des barreaux ; parallèlement, mise en oeuvre par l'ensemble des barreaux dès le mois de septembre de concertations avec les représentants des justiciables (associations des maires, CCAS, associations de consommateurs et de locataires, syndicats professionnels) et d'annonces d'actions ponctuelles (grève du CRPC, de l'assistance des mineurs et des coordinations art. 91, etc.).

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