ETUDE : La justice civile face au reconfinement : un air de déjà-vu * Rédigée le 03.12.2020
E594238L
sans cacheDernière modification le 09-12-2020
E594338M
Après avoir présenté les textes prévoyant ces règles dérogatoires, il faut identifier leur période d’application et les différents aménagements consacrés, qu’ils concernent le fonctionnement des juridictions, les échanges ou l’audience.
E594438N
Les praticiens devront également être vigilants sur ce que les nouveaux textes ne reprennent pas. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, toutes les dérogations mises en place lors du premier confinement ne sont pas permises aujourd’hui. On relèvera ainsi que la mesure très controversée de « filtrage » des référés ne figure pas dans les nouveaux textes. La critique des auteurs qui soulevaient un risque d’atteinte au principe du contradictoire et à la règle du double degré de juridiction a sans doute été entendue (V. par ex. : P. Giraud, Restez confinés, les délais sont prorogés, Gaz. Pal. 7 avril 2020, p. 15 et s.). Les décisions ne pourront pas, non plus, être portées à la connaissance des parties ou des personnes intéressées « par tout moyen » comme le prévoyait l’article 10 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020. Enfin, et surtout, aucun moratoire sur les délais n’a été envisagé.
E6823389
La date de départ découle de la formulation des articles premier des deux textes. Il y est indiqué que les dérogations « s’appliquent aux instances en cours le lendemain du jour de la publication de la présente ordonnance ». Il faut donc en déduire que leur période d’application commence le 20 novembre 2020 (lendemain de leur publication au Journal officiel du 19 novembre 2020).
La date de fin découle également des mêmes textes. Il y est indiqué que « les dispositions du présent titre sont applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 susvisé, et prorogé dans les conditions prévues par l’article L. 3131-13 du code de la santé publique (N° Lexbase : L5585LWR) ». Pour l’heure, la cessation de l’état d’urgence sanitaire a été fixée au 16 février 2021. Sauf prolongation ou fin anticipée de l’état d’urgence sanitaire, ces textes s’appliqueront donc jusqu’au mardi 16 mars 2021 inclus.
Il pourrait éventuellement y avoir un débat ici pour fixer la date de fin au lundi 15 mars 2021 inclus en application de la jurisprudence de la Cour de cassation qui exclut les règles de computation des délais issues du Code de procédure civile, en particulier la computation de quantième à quantième des délais exprimés en mois, pour tout ce qui n’est pas acte de procédure (Cass. civ. 1, 12 décembre 2018, n° 17-25.697, FS-P+B+I N° Lexbase : A1401YQX). On renverra sur ce point à l’analyse du professeur Dupichot qui avait soulevé la question lors du premier confinement et amené le Gouvernement à revoir la date de fin du premier état d’urgence sanitaire (Ph. Dupichot, Covid-19 | Date de fin de l’état d’urgence sanitaire : à la recherche du dies ad quem, 7 avril 2020 [en ligne]).
E682438A
Si les conditions sont remplies, le transfert peut alors être décidé par le premier président de la cour d’appel qui délivre une ordonnance, après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées. L’ordonnance détermine les activités faisant l’objet du transfert de compétences (Ce qui peut concerner tout ou partie de l’activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée) et la date à laquelle ce transfert intervient.
La juridiction désignée devient compétente pour les affaires en cours à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance de désignation. Le transfert de compétence est toutefois nécessairement limité dans le temps et l’ordonnance doit en préciser la durée. Celle-ci est, en principe, fixée librement par l’ordonnance du premier président mais le transfert ne pourra jamais perdurer au-delà d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire (donc, sauf changement, au-delà du 16 mars 2021).
Ce régime dérogatoire ne devrait normalement pas s’opposer au recours aux dispositions du Code de l’organisation judiciaire permettant au premier président de la cour d’appel de déléguer des magistrats, en particulier de la cour d’appel, pour assurer le fonctionnement des juridictions du premier degré « en cas de vacance d’emploi ou d’empêchement d’un ou plusieurs magistrats ou lorsque le renforcement temporaire et immédiat des juridictions du premier degré apparaît indispensable pour assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable » (COJ, art. L. 121-4 (N° Lexbase : L2814IBT).. Au cours du premier confinement, la mise en œuvre effective de cette possibilité a été tout à fait exceptionnelle et nul doute qu’elle continuera de l’être.
Quoi qu’il en soit, jusqu’au 16 mars 2021, la juridiction peut, sur décision de son président, statuer à juge unique « dans toutes les affaires qui lui sont soumises ». Cette possibilité est ouverte aussi bien en première instance qu’en appel. Une seule règle à respecter : le juge unique désigné doit être un magistrat du siège qui n’est ni magistrat honoraire ni magistrat à titre temporaire. Le droit commun prévoyait déjà quelques possibilités de statuer à juge unique mais elles étaient bien plus limitées (V. par ex. : COJ, art. L. 212-1 (N° Lexbase : L2839IBR) et s. pour le tribunal judiciaire.
En raison de sa composition particulière, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-1400 consacre un régime spécifique pour le conseil de prud’hommes qui, paritaire par définition, ne saurait statuer à juge unique. Cette juridiction est autorisée à statuer en formation restreinte comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié. En revanche, la règle d’aménagement ne permet pas d’écarter la saisine préalable obligatoire du bureau de conciliation et d’orientation. En cas de partage des voix, l’affaire est renvoyée devant un juge unique du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes. Ce juge ne peut statuer qu’après avoir recueilli par tout moyen l’avis des conseillers présents lors de l’audience de renvoi en départage. Si ledit juge n’a pas tenu l’audience de départage avant le 16 mars 2021, l’affaire est renvoyée devant la formation restreinte présidée par ce juge.
E682838E
L’article 6 du décret n° 2020-1405 prévoit des règles dérogatoires aux articles 1222 (N° Lexbase : L3111LW7) à 1223-1 (N° Lexbase : L8978K3W) du Code de procédure civile relatifs à la protection juridique des majeurs. Il indique que jusqu’au 16 mars 2021, « le dossier d’un majeur protégé peut être communiqué par tous moyens aux mandataires judiciaires à la protection juridique des majeurs ». Cette règle ne s’applique cependant pas à la consultation du certificat médical qui continue d’obéir aux dispositions du Code de procédure civile.
Le risque ici est que, à force d’alléger les obligations formelles à la charge de l’administration, le Gouvernement met en péril la sécurité juridique : en effet, si la transmission de certains actes par le greffe déclenche des obligations ou fait courir des délais à l’encontre des justiciables, comment s’assurer non seulement de la réception effective de ces actes mais aussi de la date de celle-ci ? Le système mis en place pèche sur ces deux points. Une vigilance redoublée est donc de rigueur si des actes sont attendus du greffe et qu’ils ont des implications en termes de droits et obligations des parties.
E683238K
Le juge unique doit également rendre compte au tribunal dans son délibéré. C’est donc bien un collège de juges et non une juge unique qui aura, en définitive, à statuer sur l’affaire. Dans la même logique, le président du tribunal de commerce peut, dans toutes les affaires, décider que l’audience sera tenue par l’un des membres de la formation de jugement. Comme pour le tribunal judiciaire, le juge audiencier doit rendre compte au tribunal dans son délibéré.
Si, dans ces autres cas, le défendeur ne comparaît pas à l’audience à laquelle l’affaire est renvoyée et n’a pas été cité à personne (ce qui sera en pratique toujours le cas avec une lettre simple adressée par le greffe puisqu’il sera impossible de prouver sa réception), la décision est rendue par défaut.
Cette dernière règle crée un double risque pour la partie présente à l’audience. Tout d’abord, cela étend les cas de jugements susceptibles d’opposition (CPC, art. 571 N° Lexbase : L6724H78) puisqu’il importe peu que la décision soit ou non susceptible d’appel comme dans un « véritable » jugement par défaut (C. Bléry, Épidémie de Covid-19 : mesures de procédure civile, D. 780). Ensuite, cela aggrave les obligations postérieures à l’audience à la charge de la partie présente puisque les jugements par défaut non notifiés dans les six mois de leur date sont non avenus (CPC, art. 478 N° Lexbase : L6592H7B).
Une attention toute particulière doit donc être portée aux renvois par le greffe qui peuvent se transformer en nid à contentieux en cas de défaut de présence à l’audience d’une des parties. La partie qui entend être présente à l’audience a tout intérêt à doubler l’avis du greffe par sa signification par huissier.
Lors du premier confinement, le Professeur Vergès avait souligné que ces différentes mesures « semblent quelque peu surabondantes au regard des restrictions de circulation liées au confinement des Français. Aucune formule de l’autorisation de déplacement dérogatoire ne permet d’assister à une audience pour une raison autre que professionnelle. On imagine donc aisément que, hormis quelques journalistes, le public n’afflue pas dans les salles d’audience des juridictions civiles » (E. Vergès, op. cit.). Rien n’est moins sûr avec le deuxième confinement, surtout que les audiences « ordinaires » sont maintenues. Les audiences de référés sont en particulier traditionnellement bondées et un des auteurs de ces lignes a ainsi vu des juges des référés parisiens demander aux avocats et aux parties présents d’attendre leur tour à l’extérieur de la salle, ce bien avant la parution d’un quelconque texte spécial. Les juges exerçaient alors leur pouvoir général de police des audiences prévu par les textes du Code de procédure civile (CPC, art. 438 N° Lexbase : L1126INZ).
Même si la règle ne concerne pas, à proprement parler, la publicité de l’audience, il faut aussi ici souligner que le même article 3 de l’ordonnance n° 2020-1400 charge également, et de façon générale, tous les chefs de juridiction de définir « les conditions d’accès à la juridiction, aux salles d’audience et aux services qui accueillent du public permettant d’assurer le respect des règles sanitaires en vigueur ». Ces conditions doivent être portées à la connaissance du public, notamment par voie d’affichage.
Si le juge, les parties, ou les avocats sont confrontés à une impossibilité technique ou matérielle (Parce que tous les tribunaux ne sont pas équipés d’un tel dispositif, par exemple), le juge peut « décider d’entendre les parties et leurs avocats, ou la personne à auditionner, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges ».
En pratique, on peut citer l’exemple du tribunal de commerce de Paris qui, dès le premier déconfinement, a organisé des audiences de procédure au moyen du système de visioconférence Tixeo, certifié et qualifié par l’ANSSI, l’agence étatique responsable de la sécurité informatique de la France. La vérification de l’identité des parties était assurée par la présentation à l’écran de la carte d’identité civile ou professionnelle des personnes présentes.
Quoi qu’il en soit, la décision de recourir à un moyen de communication à distance est insusceptible de recours.
Quel que soit le moyen de communication employé, « les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentent en vertu d’une habilitation légale ou d’un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l’audience ou à l’audition » auront vocation à se trouver en des lieux distincts. Le juge qui organise et conduit la procédure doit donc contrôler le bon déroulement des échanges entre les parties et veiller au respect des droits de la défense ainsi qu’au caractère contradictoire des débats. Le greffe dressera un procès-verbal des opérations effectuées. Dans la mesure où la situation peut parfois conduire à séparer les membres de la formation de jugement, les moyens de communication utilisés devront, naturellement, garantir le secret du délibéré.
Le juge peut ainsi, jusqu’au 16 mars 2021, décider à tout moment de la procédure de la suppression de l’audience sous réserve que les parties en soient informées par tout moyen. La constitutionnalité du mécanisme a récemment été confirmée pour son quasi-équivalent dans l’ordonnance n° 2020-304 (C. Constit., 19 novembre 2020, n° 2020-866 QPC N° Lexbase : A944634M). C’est qu’à l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge devait statuer dans un délai déterminé, les parties disposaient d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience. L’ordonnance n° 2020-1400 étend la possibilité d’opposition sous quinzaine dans tous les cas mais, en cas d'urgence, le juge ou le président de la formation de jugement peut réduire ce délai. S’il y a opposition, le juge peut renvoyer l’affaire à une date d’audience postérieure mais il peut aussi choisir de maintenir l’audience selon une autre forme que celle prévue initialement. Dans le cas contraire, la procédure est exclusivement écrite et la communication entre les parties – qui seule assurera la contradiction – sera faite par notification entre les avocats qui doivent en justifier dans les délais impartis par le juge.
Il convient cependant là encore de souligner le caractère cavalier du texte : quinze jours pour s’opposer à la suppression de l’audience à compter de quand ? L’envoi de l’information aux parties ? Sa réception par elles ? Et, dans ce dernier cas, comment la prouver ? Au vu de l’atteinte au respect du contradictoire, un encadrement plus rigoureux aurait été de mise.
Relevons que le même article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 prévoit des règles particulières en matière de soins psychiatriques sans consentement. Dans cette hypothèse, la personne hospitalisée peut « à tout moment demander à être entendue par le juge des libertés et de la détention ». Cette audition peut être réalisée par tout moyen – visioconférence, téléphone, etc. – permettant de s’assurer de son identité et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.
Utilisation des cookies sur Lexbase
Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.
Parcours utilisateur
Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.
Données analytiques
Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.