ETUDE : Droit au recours effectif des étrangers et état d’urgence sanitaire * Rédigée le 30.06.2020
E77633P9
avec cacheDernière modification le 06-07-2021
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Il est évident que la visioconférence dans des contentieux où l’appréciation des faits est délicate et où, l’étranger est dans une situation de vulnérabilité, impacte le droit à un recours effectif. Seulement, le Conseil constitutionnel avait déjà examiné la constitutionnalité du système de la visioconférence au regard du droit au recours effectif (Cons. const., décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 N° Lexbase : A4476X38). Selon les Sages, l’imposition de la visio-audience, puisque l’étranger ne peut s’y opposer, n’était pas contraire au droit au recours effectif dans la mesure où cela permettait de garantir une bonne administration de la justice. Mieux encore, la visioconférence permettait à l’étranger de ne pas subir un déplacement sous escorte ce qui protège sa dignité (CE, avis, 15 février 2018, n° 394206 N° Lexbase : A1476XEE, point n° 23)… On peut regretter cet argument qui ne manque pas de cynisme : la dignité de l’étranger fut invoquée pour justifier que l’étranger dans un état de vulnérabilité assiste à une audience dans une salle à proximité de la zone d’attente où il a été privé de liberté. Il convient de relever qu’avec ou sans état d’urgence, la visioconférence avait peu de chance d’être reconnue comme contraire au droit au recours effectif.
Certes, le juge administratif développe une notion autonome de la liberté fondamentale. Toutefois, on peut voir qu’un contrôle de proportionnalité mené de façon abstraite est de nature à conforter l’usage de la visio-conférence dans les audiences. La crise sanitaire aura été l’occasion d’une expansion en germe puisqu’elle a déjà eu lieu en matière refus d’entrée au titre de la demande d’asile (CESEDA, art. L. 213-9 N° Lexbase : L1939LMR). La Convention européenne des droits de l’Homme aurait pu être un fondement plus convaincant. Pourquoi avoir invoqué l’article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) au lieu de l’article 13 (N° Lexbase : L4746AQT) lorsque l’on sait que l’article 6 n’est pas applicable au contentieux des étrangers du fait qu’il s’agisse d’une police administrative spéciale (CEDH, 15 novembre 1996, Req. 22414/93 N° Lexbase : A8422AWT) ? Surtout, il a été reconnu que l’article 3 (N° Lexbase : L4764AQI) combiné avec l’article 13 implique, à l’occasion d’un recours, un examen approfondi (CEDH, 5 octobre 2000, Req. 39652/98 N° Lexbase : A7110AWA) du moyen ce que ne peut permettre une audience tenue en visioconférence.
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La loi est conventionnelle in abstracto du fait de la conciliation opérée entre le droit à un recours effectif et l’objectif de l’exécution de la mesure d’éloignement justifiant l’adoption d’un placement en rétention administrative. C’est pourquoi, il convenait alors de rechercher si, in concreto, il y avait bel et bien une atteinte au droit à un recours effectif. Le Conseil d’État rejeta le moyen au motif que: « Si la période de crise sanitaire rend matériellement plus difficile l’assistance apportée aux étrangers qui en sont chargées, cette assistance n’étant apportée que par téléphone pour ceux se trouvant dans les centres de rétention, il n’apparait, en l’état de l’instruction ni une carence caractérisée de l’administration pour garantir aux étrangers l’effectivité de leur droit au recours […], ni une absence de toute perspective d’éloignement effectif du territoire à brève échéance d’étrangers faisant l’objet des mesures de rétention ou de maintien ». Il convient de préciser que ces garanties apportées à l’administration pour permettre l’effectivité du droit au recours sont rappelées par le Conseil d’État. Il s’agit de la possibilité pour l’étranger de prévenir une personne et d’être informé de la mesure dont il fait l’objet dans une langue qu’il comprend. L’argumentation qui est ici tenue appelle plusieurs remarques.
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De plus, on notera que l’un des principaux intérêts de la jurisprudence « Gonzalez Gomez » à savoir la concrétisation du recours, se retrouve également neutralisée par une abstraction du contrôle concret : les garanties qui se rattachent aux droit au recours effectif se compensent pêle-mêle ce qui était déjà la méthode de raisonnement du Conseil constitutionnel et du juge administratif en matière de contrôle de constitutionnalité et conventionnalité in abstracto au lieu de regarder si effectivement l’assistance par téléphone des associations en dépit de l’absence des avocats dans les centres de rétention administrative est suffisante pour garantir l’effectivité du recours. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a d’ailleurs rappelé le rôle essentiel des associations dans les centres de rétention administrative (Contrôleur général des lieux de privation de liberté, avis du 23 avril 2020, relatif à la défense dans les lieux de privation de liberté : « Le rôle essentiel des associations d’aide ou d’assistance juridique dans les centres de rétention administrative doit également être souligné. A ce titre, elles doivent disposer de l’ensemble des moyens qui leur sont nécessaires en vue d’assurer leur mission, en locaux, en personnel et en matériel. Ces moyens doivent être adaptés au nombre de personnes retenues ainsi qu’aux évolutions du contentieux : le raccourcissement d’un délai, l’ouverture de nouveaux recours doivent entraîner la réévaluation des besoins »). Nous pouvons alors penser qu’il ne nous semble pas que le recours ait été effectif ou du moins, il y avait bien un doute que l’application de la jurisprudence « Gonzalez Gomez » n’a pu lever : si la compréhension de la décision de l’étranger et l’information des voies de recours est importante, l’accès au droit l’est tout autant et ne peut pas être substitué par des garanties dont l’objet diffère. Cet arrêt illustre l’usage prudent du contrôle de conventionnalité in concreto par le juge.
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Comment comprendre cette solution au regard de l’arrêt que l’on vient de commenter alors que peuvent être invoqués des moyens similaires ? Le contentieux de la décision fixant le pays de renvoi pour les étrangers placés en rétention administrative ou détenu qui visent les articles 2 (N° Lexbase : L4753AQ4) et 3 de la Convention ne méritent-ils pas une protection similaire ? Que dire des recours organisés par l’article L. 213-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (N° Lexbase : L1939LMR) ? Les deux recours sont à juge unique et enserrés dans des délais contentieux extrêmement stricts. Aussi, l’état d’urgence sanitaire a étendu la visioconférence imposée jusque-là réservée aux refus d’entrée au titre de la demande d’asile et aux obligations de quitter le territoire visant les étrangers maintenus en détention ou en rétention administrative. En effet, on voit bien finalement une distinction quelque peu artificielle entre contentieux des étrangers et le contentieux de l’asile au regard des articles 2 et 3 de la Convention. Le juge unique étant désavoué en matière d’asile, comment le justifier pour les étrangers ayant fait l’objet d’une procédure prioritaire….
L’état d’urgence sanitaire aura donc été le moment où finalement, il fut nécessaire de maintenir le statu quo pour le meilleur (la réaffirmation du principe de collégialité dans le contentieux de l’asile) et pour le pire (l’absence de remise en question d’un contentieux des mesures d’éloignement assorties de mesure privative).
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