ETUDE : Droit au recours effectif des étrangers et état d’urgence sanitaire * Rédigée le 30.06.2020

ETUDE : Droit au recours effectif des étrangers et état d’urgence sanitaire * Rédigée le 30.06.2020

E77633P9

avec cacheDernière modification le 06-07-2021

Plan de l'étude

  1. Introduction
  2. L’adaptation de la justice administrative à l’état d’urgence sanitaire
  3. Les audiences en visioconférence dans le contentieux des obligations de quitter le territoire
  4. La conservation du délai de quarante-huit heures malgré l’état d’urgence sanitaire
  5. Les limites du contrôle de conventionnalité in concreto
  6. Le droit au recours effectif devant la Cour nationale du droit d’asile

1. Introduction

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  • ⇒ Cette étude a été réalisée sur la base d'un article rédigé par Antoine Labelle à paraître dans la revue Lexbase, éd. publique, n° 591 du 2 juillet 2020.

2. L’adaptation de la justice administrative à l’état d’urgence sanitaire

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  • LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (1)
    Ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020
    La justice administrative donnant suite à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a permis au Premier ministre de prendre par ordonnance, des mesures permettant la lutte contre la propagation de l’épidémie du covid-19. L’article 11 I 2° de la loi du 23 mars 2020, lui, autorisait le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, les adaptations de la procédure administrative contentieuse dans ce contexte inédit par l’installation d’audience tenue en visioconférence mais aussi, le réajustement des délais de recours et de jugement (ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif).  Dans l’ordonnance du Conseil d’État n° 439903 du 10 avril 2020 (N° Lexbase : A82313K3), les requérants saisirent le juge des référés liberté du Conseil d’État. Pour eux, l’ordonnance, en raccourcissant les délais contentieux et en imposant la visioconférence portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif ce qui, de manière incidente, portait une atteinte au droit à l’asile, au droit à la vie et violait l’interdiction des traitements inhumains et dégradants.

3. Les audiences en visioconférence dans le contentieux des obligations de quitter le territoire

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  • Sur la mise en place d’audience par visio-conférence, il y avait malheureusement peu de chance que le moyen puisse aboutir à la suspension de l’ordonnance.

    Il est évident que la visioconférence dans des contentieux où l’appréciation des faits est délicate et où, l’étranger est dans une situation de vulnérabilité, impacte le droit à un recours effectif. Seulement, le Conseil constitutionnel avait déjà examiné la constitutionnalité du système de la visioconférence au regard du droit au recours effectif (Cons. const., décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 N° Lexbase : A4476X38). Selon les Sages, l’imposition de la visio-audience, puisque l’étranger ne peut s’y opposer, n’était pas contraire au droit au recours effectif dans la mesure où cela permettait de garantir une bonne administration de la justice. Mieux encore, la visioconférence permettait à l’étranger de ne pas subir un déplacement sous escorte ce qui protège sa dignité (CE, avis, 15 février 2018, n° 394206 N° Lexbase : A1476XEE, point n° 23)… On peut regretter cet argument qui ne manque pas de cynisme : la dignité de l’étranger fut invoquée pour justifier que l’étranger dans un état de vulnérabilité assiste à une audience dans une salle à proximité de la zone d’attente où il a été privé de liberté.  Il convient de relever qu’avec ou sans état d’urgence, la visioconférence avait peu de chance d’être reconnue comme contraire au droit au recours effectif.

     

     

    Certes, le juge administratif développe une notion autonome de la liberté fondamentale. Toutefois, on peut voir qu’un contrôle de proportionnalité mené de façon abstraite est de nature à conforter l’usage de la visio-conférence dans les audiences. La crise sanitaire aura été l’occasion d’une expansion en germe puisqu’elle a déjà eu lieu en matière refus d’entrée au titre de la demande d’asile (CESEDA, art. L. 213-9 N° Lexbase : L1939LMR). La Convention européenne des droits de l’Homme aurait pu être un fondement plus convaincant. Pourquoi avoir invoqué l’article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) au lieu de l’article 13 (N° Lexbase : L4746AQT) lorsque l’on sait que l’article 6 n’est pas applicable au contentieux des étrangers du fait qu’il s’agisse d’une police administrative spéciale (CEDH, 15 novembre 1996, Req. 22414/93 N° Lexbase : A8422AWT) ? Surtout, il a été reconnu que l’article 3 (N° Lexbase : L4764AQI) combiné avec l’article 13 implique, à l’occasion d’un recours, un examen approfondi (CEDH, 5 octobre 2000, Req. 39652/98 N° Lexbase : A7110AWA) du moyen ce que ne peut permettre une audience tenue en visioconférence.

4. La conservation du délai de quarante-huit heures malgré l’état d’urgence sanitaire

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  • Également, le maintien des délais de saisine du juge administratif dans le contentieux des mesures d’éloignement des étrangers retenu ou détenu avait été dénoncé comme portant une atteinte grave et manifestement excessive au regard des circonstances exceptionnelles de la situation. Les requérants soulignaient que les Avocats étaient peu joignables et ne pouvaient se rendre dans les centres de rétention administrative à cause desdites mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Les associations, elles, ne pouvaient plus assurer leur mission qu’à distance. On peut en déduire que la question de droit portait moins sur la conventionnalité de la loi in abstracto que sur la conventionnalité in concreto permise par la jurisprudence récente du Conseil d’État « Gonzalez Gomez » (CE, Ass, 31 mai 2016, n° 396848 N° Lexbase : A2628RRR). L’inconventionnalité pouvait ainsi résulter non de la loi mais de son application concrète en raison de circonstances exceptionnelles causées par l’état d’urgence sanitaire. Conformément au contrôle de conventionnalité in concreto, l’objectif de la loi y est rappelé : « Ces dispositions, combinées avec celles relatives aux courts délais de jugement et, en ce qui concerne la rétention administrative, à l’intervention du juge des libertés et de la détention, ont pour objet d’éviter la prolongation de la rétention ou de maintien en zone d’attente au-delà de ce qui est nécessaire et d’assurer l’exécution des mesures d’éloignement. Le délai de recours de quarante-huit heures doit, en conséquence, être assorti des garanties propres à opérer une conciliation équilibrée entre ces objectifs et le droit à un recours juridictionnel effectif ».

     

     

    La loi est conventionnelle in abstracto du fait de la conciliation opérée entre le droit à un recours effectif et l’objectif de l’exécution de la mesure d’éloignement justifiant l’adoption d’un placement en rétention administrative. C’est pourquoi, il convenait alors de rechercher si, in concreto, il y avait bel et bien une atteinte au droit à un recours effectif. Le Conseil d’État rejeta le moyen au motif que: « Si la période de crise sanitaire rend matériellement plus difficile l’assistance apportée aux étrangers qui en sont chargées, cette assistance n’étant  apportée que par téléphone pour ceux se trouvant dans les centres de rétention, il n’apparait, en l’état de l’instruction ni une carence caractérisée de l’administration pour garantir aux étrangers l’effectivité de leur droit au recours […], ni une absence de toute perspective d’éloignement effectif du territoire à brève échéance d’étrangers faisant l’objet des mesures de rétention ou de maintien ». Il convient de préciser que ces garanties apportées à l’administration pour permettre l’effectivité du droit au recours sont rappelées par le Conseil d’État. Il s’agit de la possibilité pour l’étranger de prévenir une personne et d’être informé de la mesure dont il fait l’objet dans une langue qu’il comprend. L’argumentation qui est ici tenue appelle plusieurs remarques.

5. Les limites du contrôle de conventionnalité in concreto

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  • Tout d’abord, Il ne semble pas que cela soit la question de la perspective de l’éloignement qui pose un problème. La brièveté des délais de recours et la possibilité même d’un placement en rétention administrative permettent de réaliser cet objectif. Le contraire aurait été étonnant, surtout, si en période d’urgence sanitaire, l’exécution des mesures d’éloignement furent possible. Peut-être était-ce du justement à l’ineffectivité des recours du fait de circonstances particulières, sans quoi elles auraient peut-être été annulées. Par la réintégration de l’objectif de la loi, le contrôle concret se rapproche du contrôle de conventionnalité in abstracto. Le mécanisme de la réintégration de l’objectif de la loi apparait comme une autolégitimation par le législateur. L’argument de la mise en balance entre l’objectif de l’éloignement des étrangers et le droit au recours effectif peine alors à convaincre et ce, d’autant plus, qu’il ne s’agissait pas d’un problème lié à l’exécution des mesures d’éloignement mais de l’adaptation de la justice administrative à la situation sanitaire qui empêche les déplacements et la tenue d’audience publique. Le contrôle de l’objectif de la loi a donc eu pour effet de déplacer le débat juridique.

     

    De plus, on notera que l’un des principaux intérêts de la jurisprudence « Gonzalez Gomez » à savoir la concrétisation du recours, se retrouve également neutralisée par une abstraction du contrôle concret : les garanties qui se rattachent aux droit au recours effectif se compensent pêle-mêle ce qui était déjà la méthode de raisonnement du Conseil constitutionnel et du juge administratif en matière de contrôle de constitutionnalité et conventionnalité in abstracto au lieu de regarder si effectivement l’assistance par téléphone des associations en dépit de l’absence des avocats dans les centres de rétention administrative est suffisante pour garantir l’effectivité du recours. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a d’ailleurs rappelé le rôle essentiel des associations dans les centres de rétention administrative (Contrôleur général des lieux de privation de liberté, avis du 23 avril 2020, relatif à la défense dans les lieux de privation de liberté : « Le rôle essentiel des associations d’aide ou d’assistance juridique dans les centres de rétention administrative doit également être souligné. A ce titre, elles doivent disposer de l’ensemble des moyens qui leur sont nécessaires en vue d’assurer leur mission, en locaux, en personnel et en matériel. Ces moyens doivent être adaptés au nombre de personnes retenues ainsi qu’aux évolutions du contentieux : le raccourcissement d’un délai, l’ouverture de nouveaux recours doivent entraîner la réévaluation des besoins »). Nous pouvons alors penser qu’il ne nous semble pas que le recours ait été effectif ou du moins, il y avait bien un doute que l’application de la jurisprudence « Gonzalez Gomez » n’a pu lever : si la compréhension de la décision de l’étranger et l’information des voies de recours est importante, l’accès au droit l’est tout autant et ne peut pas être substitué par des garanties dont l’objet diffère. Cet arrêt illustre l’usage prudent du contrôle de conventionnalité in concreto par le juge.

6. Le droit au recours effectif devant la Cour nationale du droit d’asile

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  • Il nous semble qu’il faille mettre en lumière l’ordonnance n° 439903 du 10 avril 2000 avec celle du 8 juin 2020 (CE, n° 440717, n° 440812, n° 440867 N° Lexbase : A15343N7), dans laquelle la juridiction suprême suspend le dispositif devant s’appliquer à partir du 15 juin 2020 ayant pour objet la généralisation du recours au juge unique, au motif qu’il s’agirait là d’une disproportion manifeste portée à l’encontre du droit d’asile et du droit au recours effectif.  Derrière le rejet de la généralisation du juge unique, il y a l’idée que la qualité de l’examen du dossier n’est pas la même que dans une formation collégiale. L’adoption d’une telle solution que l’on peut féliciter partant du fait que nous ne sommes pas en matière de police administrative spéciale fragilise néanmoins la cohérence du contentieux des étrangers et repose sur des bases incertaines. Il est de jurisprudence constante, selon le Conseil constitutionnel, que la formation de jugement est sans incidence sur l’exercice des droits de la défense (Cons. const, décision n° 2010-54 QPC du 4 octobre 2010 N° Lexbase : A7698GBQ). Ainsi, le Conseil avait pu conclure au regard de cet élément que l’on vient de citer que le juge unique pour les recours devant la CNDA lorsque l’étranger faisait l’objet d’une procédure prioritaire était constitutionnel au regard des droits de la défense (Cons. const, décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, (N° Lexbase : A4476X38), consid. n° 13 : « En second lieu, d’une part, le fait que la Cour nationale du droit d’asile statue à juge unique ne porte pas, par lui-même, atteinte aux droits de la défense. D’autre part, conformément à l’article L. 731-2 (N° Lexbase : L1916LMW), de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le juge peut, à tout moment de la procédure, renvoyer à la formation collégiale la demande s’il estime que celle-ci ne relève pas de l’un des cas d’examen en procédure accélérée ou qu’elle soulève une difficulté sérieuse »). Il subsiste le problème d’absence de faculté, pour le juge unique, de renvoyer le litige devant une formation collégiale.
  • LOI n° 2018-778 du 10 septembre 2018
    Toutefois, dans la mesure où le juge unique est sans incidence sur le droit au recours effectif et les droits de la défense, il ne s’agit pas là d’un élément permettant de caractériser une atteinte disproportionnée à ces droits garantis. Tout au plus, il y a une inégalité des justiciables devant la justice. Encore faut-il préciser que cette inégalité n’est pas le fait d’attribuer la compétence du juge unique pour un contentieux qui relèverait de la collégialité mais bien de l’absence de renvoi du juge unique devant une formation collégiale. En réalité, il semble que le Conseil d’État fasse référence à la source conventionnelle. Le rattachement de la collégialité a un examen qui serait plus approfondi que celui opéré par un juge unique renvoie à la jurisprudence « Chahal c-/ Royaume Uni » à laquelle nous avons déjà fait référence. Enfin, parce que le contentieux de l’asile, si l’on prend cette expression au sens large est éparpillé entre le juge administratif de droit commun et la juridiction spécialisée que représente la Cour national du droit d’asile. En témoigne la procédure créée par la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 permettant au juge d’accorder un effet suspensif au recours exercé devant la Cour nationale du droit d’asile lorsque l’étranger n’a pas de droit au maintien sur le territoire.

     

    Comment comprendre cette solution au regard de l’arrêt que l’on vient de commenter alors que peuvent être invoqués des moyens similaires ? Le contentieux de la décision fixant le pays de renvoi pour les étrangers placés en rétention administrative ou détenu qui visent les articles 2 (N° Lexbase : L4753AQ4) et 3 de la Convention ne méritent-ils pas une protection similaire ? Que dire des recours organisés par l’article L. 213-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (N° Lexbase : L1939LMR) ? Les deux recours sont à juge unique et enserrés dans des délais contentieux extrêmement stricts. Aussi, l’état d’urgence sanitaire a étendu la visioconférence imposée jusque-là réservée aux refus d’entrée au titre de la demande d’asile et aux obligations de quitter le territoire visant les étrangers maintenus en détention ou en rétention administrative. En effet, on voit bien finalement une distinction quelque peu artificielle entre contentieux des étrangers et le contentieux de l’asile au regard des articles 2 et 3 de la Convention. Le juge unique étant désavoué en matière d’asile, comment le justifier pour les étrangers ayant fait l’objet d’une procédure prioritaire….

     

    L’état d’urgence sanitaire aura donc été le moment où finalement, il fut nécessaire de maintenir le statu quo pour le meilleur (la réaffirmation du principe de collégialité dans le contentieux de l’asile) et pour le pire (l’absence de remise en question d’un contentieux des mesures d’éloignement assorties de mesure privative).

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