Le Quotidien du 23 décembre 2020 : Baux commerciaux

[A la une] Indemnité d’éviction : l’article L. 145-14 du Code de commerce pourrait-il disparaître ? – Questions à Jean-Christophe Le Coustumer *

Réf. : Cass. QPC, 10 décembre 2020, n° 20-40.059, FS-P+I (N° Lexbase : A581539A)

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N5840BYX

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le 22 Décembre 2020

LABOCOM [1] : Dans un arrêt du 10 décembre 2020 [2], rendu à la suite de la transmission d’une QPC, la Cour de cassation a jugé que l’article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII) est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur, en ce qu’il prévoit que l’indemnité d’éviction doit notamment comprendre la valeur vénale du fonds de commerce défini selon les usages de la profession, sans prévoir de plafond, de sorte que le montant de l’indemnité d’éviction pourrait dépasser la valeur vénale de l’immeuble.

Jean-Christophe Le Coustumer, Professeur de droit public à l’Université de Caen-Normandie, nous explique, en quelques mots, ce qu’il adviendrait des dispositions de l’article L. 145-14 du Code de commerce si elles étaient jugées contraires à la Constitution.

J.-C. Le Coustumer : À l’évidence, cette QPC pose d’importantes questions au regard des enjeux juridiques et économiques importants sur lesquels elle porte, et du bouleversement des rapports entre bailleurs et locataires qu’elle serait le cas échéant susceptible d’induire.

Tout d’abord, rappelons que le Conseil constitutionnel a trois mois pour se prononcer à la suite de la saisine de l’une ou l’autre des juridictions suprêmes de chaque ordre juridictionnel.

Dans le cadre d’une QPC, plusieurs issues sont envisageables :

1. Le Conseil juge que les dispositions législatives qu’il a examinées sont conformes à la Constitution (environ 60 % des décisions) et alors le procès interrompu reprend et les dispositions législatives concernées seront appliquées ;

2. Le Conseil formule une réserve d’interprétation portant sur les dispositions législatives en cause, ce qui implique que celles-ci sont donc conformes à la Constitution, mais uniquement telles qu’interprétées par le Conseil, qui donc par-là donne en quelque sorte un mode d’emploi pratique desdites dispositions (dont le respect seul les sauve de l’inconstitutionnalité) ;

3. Le Conseil juge que les dispositions législatives ne sont pas conformes à la Constitution, et celles-ci sont alors abrogées, comme le prévoit l’article 62-2 de la Constitution.

Cette abrogation peut connaître différentes modalités, tenant à sa mise en œuvre dans le temps, modalités que le Conseil rappelle dans ses décisions par une formule de principe selon laquelle les dispositions de l'article 62 de la Constitution lui réservent « le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ».

Les effets possibles de la décision du Conseil qui déclare inconstitutionnelle une disposition législative peuvent être résumés ainsi :

  • Soit l’abrogation est immédiate et s’applique au procès en cours et à toutes « les affaires non jugées définitivement à cette date » selon la formule classique des juges sur ce point ;
  • Soit l’abrogation est différée dans le temps, ce qui est possible quand une abrogation immédiate présenterait ce que les juges nomment des « conséquences manifestement excessives » ;
    Le législateur peut alors, pendant ce délai, anticiper les effets de l’abrogation à venir et adopter de nouvelles dispositions législatives, dans le respect bien entendu de la décision du Conseil constitutionnel.
  • De plus, de façon générale, le Conseil peut également décider de préciser « les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause »ce qui lui permet notamment de prévoir des régimes transitoires en cas d’abrogation immédiate ou différée (lui permettant ainsi de protéger certains types particuliers de situations juridiques nées avant sa décision, notamment les relations contractuelles).

LABOCOM : Si les dispositions de l’article L. 145-14 du Code de commerce étaient jugées inconstitutionnelles, quelle issue serait le plus probablement retenue ?

J.-C. Le Coustumer : Une réserve d’interprétation paraissant peu probable en l’espèce, si une déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions de l’article L. 145-14 du Code de commerce devait intervenir, le Conseil devrait envisager concrètement quels en seraient les effets.

En effet, l’abrogation immédiate de l’intégralité de l’article L. 145-14 du Code de commerce provoquerait assurément des conséquences « manifestement excessives » telles que les identifie le Conseil constitutionnel, car elle ferait disparaître le principe même de l’indemnisation légale du locataire évincé prévue au premier alinéa, ce qui apparaît assez difficile à envisager, même pour protéger le droit de propriété du bailleur.

Une abrogation du seul second alinéa de ce même article, sur lequel semble insister la Cour de cassation dans la détermination du caractère sérieux de la question prioritaire, paraîtrait sans effet utile si le principe de l’indemnisation de l’intégralité du préjudice subi (donc sans limite liée à la valeur vénale de l’immeuble) prévu au premier alinéa n’est pas déclaré inconstitutionnel en lui-même.

Quoiqu’il en soit donc, si une telle déclaration d’inconstitutionnalité devait intervenir, il serait impératif que le législateur reformule intégralement, tant dans son principe que dans ses modalités, le mécanisme de l’indemnisation du locataire évincé en cas de non-renouvellement de son bail, ceci impliquant que les juges constitutionnels lui en laissent le temps par le prononcé d’une abrogation différée.

Le Conseil n’aurait donc pas réellement d’autre option que de prévoir un report dans le temps de l’abrogation que sa déclaration d’inconstitutionnalité implique, de façon à empêcher que les instances en cours et toutes les procédures d’éviction engagées soient impactées instantanément par les conséquences de la disparition de ces dispositions, et de façon à laisser le temps au législateur de venir préciser selon quelles nouvelles modalités l’indemnisation de l’éviction devra être mise en œuvre, modalités dont on ne doute pas qu’elles seront très délicates à déterminer au regard des enjeux en présence.

LABOCOM : Merci Jean-Christophe pour ces éclairages. Une remise en cause des modalités de fixation de l’indemnité pose beaucoup de questions. Il ne faut pas oublier non plus que le droit d’indemnisation du locataire évincé est lui aussi susceptible d’être protégé par le droit de propriété.

* Propos receuillis par LABOCOM


[1] LABOCOM, le Laboratoire des baux commerciaux est un think tank interprofessionnel créé par trois avocats (Julien Prigent, Marine Parmentier et Aline Divo), afin de favoriser les échanges dans la pratique de cette matière qui implique non seulement des connaissances juridiques, mais également une appréhension de l'environnement économique de l'activité autorisée par le bail, du marché immobilier et des règles fiscales (cf. le site internet www.labocom.org [en ligne]).

[2] J. Prigent, QPC : l’absence de plafonnement du montant de l’indemnité d’éviction est susceptible de porter atteinte au droit de propriété, Lexbase Affaires, décembre 2020, n° 659 (N° Lexbase : N5799BYG).

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