La lettre juridique n°573 du 5 juin 2014 : Autorité parentale

[Jurisprudence] La prescription de Prozac à une adolescente doit être autorisée par ses deux parents

Réf. : CE 4° s-s., 7 mai 2014, n° 359076 (N° Lexbase : A9373MKD)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 19 Juin 2014

L'arrêt rendu le 7 mai 2014 par le Conseil d'Etat attire l'attention sur la question, souvent soulevée par les médecins, de la possibilité d'accomplir un acte médical relatif à un mineur sans le consentement de l'un de ses parents. En l'espèce, il s'agissait de la prescription de Prozac à une mineure de seize ans, laquelle avait été reçue une première fois par le médecin psychiatre en présence de son père puis une seconde fois par le même médecin avec sa mère. C'est lors de cette seconde consultation que fut prescrit le médicament, pour soigner une dépression dite modérée à sévère sans l'accord du père qui n'en fut pas informé. Les parents de la jeune fille étaient divorcés et exerçaient en commun l'autorité parentale. Saisi par le père d'une plainte contre le médecin psychiatre, la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France a refusé de condamner le médecin. La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins qui approuve ce refus est annulée par le Conseil d'Etat.

L'exigence ou non du double consentement parental pour un acte médical accompli sur un mineur est une question complexe qui, en réalité, relève de plusieurs règles comme l'illustre l'arrêt commenté. En effet, outre le fait de savoir si l'acte relevait de la catégorie de ceux qui exigent le consentement des deux parents, il faut se demander si l'on se trouve dans une hypothèse où le médecin peut se passer de ce consentement en raison des circonstances particulières. Enfin, lorsque le mineur concerné est un adolescent, on peut s'interroger sur la possibilité de mettre en oeuvre les règles lui accordant exceptionnellement une certaine autonomie (1), ce que le Conseil d'Etat n'a pas fait dans cette affaire. Dans l'arrêt du 7 mai 2014, le Conseil d'Etat fonde, en effet, son analyse sur le caractère non urgent de la décision (II), après avoir affirmé qu'il ne s'agissait pas d'un acte usuel (I).

I - La qualification l'acte non usuel

Nécessité de la qualification. En réalité la qualification d'acte non usuel n'était pas discutée dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté. Il semble que la chambre disciplinaire ne se soit pas placée sur ce terrain, le Conseil d'Etat affirmant que "pour juger que le psychiatre n'avait commis aucun manquement à la déontologie en s'abstenant de prévenir le père du mineur, la chambre disciplinaire nationale ne s'est pas fondée sur le caractère usuel de l'acte litigieux". Ce silence peut sans doute s'interpréter comme une qualification implicite de l'acte en acte non usuel. Il paraît toutefois préférable de s'interroger au préalable sur cette qualification ; s'il s'agit, en effet, d'un acte usuel la question du double consentement est réglée sans difficulté. En effet, à ce type d'acte, s'applique, comme le rappelle le Conseil d'Etat, l'article 372-2 du Code civil (N° Lexbase : L2902AB4) selon lequel, "à l'égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand il fait seul un acte usuel de l'autorité parentale relativement à la personne de l'enfant" ; il précise, en outre, qu'aux termes de l'article 373-2 du même code (N° Lexbase : L2905AB9) "la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale". En conséquence, le consentement d'un seul parent aurait été suffisant si l'acte avait été rangé dans la catégorie des actes usuels.

Actes usuels et soins médicaux. Dans l'arrêt du 7 mars 2014, le Conseil d'Etat précise formellement que l'acte en cause, à savoir la délivrance d'un antidépresseur constitue un acte non usuel, ce qui constitue un premier apport non négligeable de l'arrêt. La qualification d'acte usuel est, en effet, parfois difficile en raison du défaut de précision légale et de la rareté de la jurisprudence. En matière médicale, il semble que les soins obligatoires comme certaines vaccinations, les soins courants (blessures légères, soins dentaires, traitement des maladies infantiles courantes) ou les soins habituels pour tel ou tel enfant, entrent dans la catégorie des actes usuels. Ne peut, en revanche, recevoir cette qualification la décision de soumettre l'enfant à un traitement "lourd" ou à une hospitalisation prolongée. En ce sens, une opération chirurgicale telle qu'une opération de l'appendicite, semble nécessiter le consentement des deux parents. L'enfant ne peut être suivi par un médecin que la mère a pris seule l'initiative de consulter alors que cette décision destinée à protéger la santé de l'enfant appartient aux deux parents titulaires de l'autorité parentale (2). Il semble, également, que la mise en place d'un traitement d'orthodontie, nonobstant son caractère courant voire quasi-systématique, nécessite le consentement des deux parents, son suivi relevant ensuite de la catégorie des actes usuels. Certains actes peuvent alternativement appartenir à l'une ou l'autre catégorie selon le contexte dans lequel ils s'inscrivent. La Cour de cassation a ainsi admis qu'une circoncision pouvait être un acte usuel si elle relève de la nécessité médicale mais il n'en va pas de même s'il s'agit d'une circoncision rituelle (3). La cour d'appel de Lyon, dans une décision du 25 juillet 2007, a ainsi affirmé qu'un tel acte supposait le consentement des parents et celui de l'enfant qui était en l'espèce âgé de onze ans (4). La vaccination peut également relever de l'une ou l'autre des catégories selon qu'elle est ou non obligatoire. Ainsi la vaccination contre la grippe A/H1N1 exige sans aucun doute le consentement des deux parents, comme celui contre l'hépatite B ou encore celui destiné à prévenir le cancer du col de l'utérus (5). En matière psychiatrique, une cour d'appel a pu juger qu'était engagée la responsabilité du médecin psychiatre qui avait délivré des soins auxquels le père s'était opposé (6).

Qualification de l'acte en cause. Si l'on reprend la définition donnée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans le contexte de l'assistance éducative, dans un arrêt en date du 28 octobre 2011, selon laquelle les actes usuels seraient "des actes de la vie quotidienne, sans gravité, qui n'engagent pas l'avenir de l'enfant, qui ne donnent pas lieu à une appréciation de principe essentielle et ne présentent aucun risque grave apparent pour l'enfant, ou encore, même s'ils revêtent un caractère important, des actes s'inscrivant dans une pratique antérieure non contestée" (7), il semble bien que la prescription d'antidépresseur ne réponde pas à cette définition. Il s'agit, en effet, d'un acte d'une certaine gravité, qui comporte des risques pour l'enfant et qui implique de la part des parents une appréciation, notamment quant au choix thérapeutique. La même réponse pourrait être faite si l'on utilisait la définition de l'acte important contenue par la proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant, présentée à l'Assemblée nationale notamment par Marie-Anne Chapdelaine en avril 2014, et selon laquelle "constitue un acte important l'acte qui rompt avec le passé et engage l'avenir de l'enfant ou qui touche à ses droits fondamentaux". La prise d'antidépresseur par une adolescente rompt sans nul doute avec le passé si c'est la première fois qu'elle reçoit ce type de traitement, et engage incontestablement l'avenir médical et psychologique de la jeune fille. Toutefois, la qualification d'acte non usuel n'empêchait pas forcément qu'il soit effectué avec le consentement d'un seul parent, compte tenu des pouvoirs accordés par la loi au médecin dans certaines circonstances.

II - Le pouvoir du médecin d'agir sans consentement parental

Autorisation légale. Selon l'article L. 1111-4, alinéa 6, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9876G8B), "dans le cas où un refus de traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur, le médecin délivre les soins indispensables". Ainsi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a pu considérer, dans une décision du 4 mars 2003 (8), que les médecins qui avaient pratiqué une transfusion sanguine sur un mineur malgré le refus des parents ne commettaient pas de faute ; il était, en effet, établi que l'enfant présentait des signes cliniques de péril vital imminent. En outre, l'article R. 4127-42 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8324GTH), cité par le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 7 mai 2014, dispose que, "sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s'efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d'obtenir leur consentement. En cas d'urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le médecin doit donner les soins nécessaires". Ces deux textes se complètent tout en visant des hypothèses différentes. Le premier concerne plutôt le refus de consentement alors que le second vise l'hypothèse dans laquelle les parents ou l'un d'entre eux n'est pas présent lors de la décision médicale.

Urgence. C'est ce dernier texte que le Conseil d'Etat met en oeuvre en l'espèce, considérant ainsi, à juste titre, qu'il était applicable, comme l'article L. 1111-4, alinéa 6, du même code (N° Lexbase : L9876G8B), aux hypothèses dans lesquelles un seul parent avait donné son consentement alors que l'acte impliquait que les deux titulaires de l'autorité parentale autorisent l'acte. En l'espèce, en effet, le médecin qui a reçu la jeune fille après une aggravation de son état, hors de la présence de son père, n'a pas recherché à recueillir le consentement de ce dernier avant de faire cette prescription. Le Conseil d'Etat déduit de ce texte "qu'un acte médical ne constituant pas un acte usuel ne peut être décidé à l'égard d'un mineur qu'après que le médecin s'est efforcé de prévenir les deux parents et de recueillir leur consentement ; qu'il n'en va autrement qu'en cas d'urgence, lorsque l'état de santé du patient exige l'administration de soins immédiats".

Appréciation en l'espèce. La chambre disciplinaire nationale, pour juger que le psychiatre n'avait commis aucun manquement à la déontologie en s'abstenant de prévenir le père du mineur, a estimé que la jeune fille se trouvait dans une situation d'urgence justifiant la prescription d'un antidépresseur en application des dispositions précitées. C'est justement cette analyse que critique le Conseil d'Etat en constatant que "pour statuer ainsi, la chambre disciplinaire nationale s'est bornée à relever que l'état de la patiente s'était aggravé entre le 10 et le 12 novembre 2008 sans relever les éléments précis qui justifiaient en quoi cette aggravation était de nature à caractériser, à elle seule, une situation d'urgence au sens de l'article R. 4127-42 du Code de la santé publique, autorisant l'absence d'information du père de la jeune fille mineure". La Haute juridiction administrative en déduit que la décision de la chambre disciplinaire est entachée d'erreur de droit. Cette critique permet certes de considérer que la seule aggravation de la santé du mineur ne suffit pas à définir l'urgence mais ne permet pas de définir quels éléments auraient permis de la caractériser, ce que l'on peut regretter. Sans doute pourrait-on exiger que le médecin caractérise la nécessité de prodiguer des soins sans attendre pour éviter des conséquences d'une certaine gravité pour la santé de l'enfant et l'impossibilité de joindre le parent dans un délai suffisant. Il paraîtrait conforme aux exigences légales relatives à l'autorité parentale que le médecin, ou le parent présent, tente au moins de contacter le parent absent pour obtenir son consentement.


(1) P. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, Précis Dalloz, 2014, 2ème éd. n° 1244.
(2) CA Toulouse, 7 novembre 2000, n° 99/05839.
(3) Cass. civ. 1, 26 janvier 1994, n° 92-10.838 (N° Lexbase : A6067AH8), D., 1995, 226, note Choain ; TGI Paris, 6 novembre 1973, Gaz. Pal., 1974. 1. 299, note Barbier ; CA Paris, 29 septembre 2000, n° 99/08304 (N° Lexbase : A2758ATC), D., 2001, 1585, note Duvert (qui admet la responsabilité du médecin ayant pratiqué une circoncision rituelle sans le consentement d'un des deux parents).
(4) CA Lyon, 25 juillet 2007, n° 07/00186, RTDCiv., 2008, 99, obs. Hauser.
(5) Nos obs., Les décisions des parents séparés relatives à l'enfant, AJ fam., 2010, 12.
(6) CA Nîmes, 15 septembre 2009, n° 07/04215 (N° Lexbase : A9462IQI).
(7) CA Aix-en-Provence, 28 octobre 2011, n° 11/00127 (N° Lexbase : A9428IQA).
(8) CAA Bordeaux, 4 mars 2003, n° 99BX02360 (N° Lexbase : A5779C9W), JCP éd. A, 2003, n° 51, p. 15.
Décision

CE 4° s-s., 7 mai 2014, n° 359076 (N° Lexbase : A9373MKD).

Lien base : (N° Lexbase : E5812EYW).

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