Jurisprudence : CEDH, 26-07-2002, Req. 32911/96, MEFTAH ET AUTRES

CEDH, 26-07-2002, Req. 32911/96, MEFTAH ET AUTRES

A1829AZR

Référence

CEDH, 26-07-2002, Req. 32911/96, MEFTAH ET AUTRES. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1097806-cedh-26072002-req-3291196-meftah-et-autres
Copier
Cour européenne des droits de l'homme

26 juillet 2002

Requête n°32911/96

MEFTAH ET AUTRES



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


AFFAIRE MEFTAH ET AUTRES c. FRANCE


(Requêtes n°s 32911/96, 35237/97 et 34595/97)


ARRÊT


STRASBOURG


26 juillet 2002


Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Meftah et autres c. France,


La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :


MM. L. Wildhaber, président,


C.L. Rozakis,


J.-P. Costa,


G. Ress,


A. Pastor Ridruejo,


G. Bonello


Mme E. Palm,


MM. L. Caflisch,


L. Loucaides,


P. Lorenzen


B. Zupancic,


J. Hedigan,


A.B. Baka,


E. Levits,


Mme S. Botoucharova,


MM. A. Kovler,


V. Zagrebelsky, juges


et de M. P.J. Mahoney, greffier,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 février et 10 juillet 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE


1. A l'origine de l'affaire se trouvent trois requêtes (nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97) dirigées contre la République française et dont trois ressortissants de cet Etat, MM. Nouredine Meftah, Alain Adoud et Michel Bosoni (" les requérants "), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") respectivement les 10 juillet 1996, 28 janvier 1997 et 19 novembre 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").


2. Les requérants alléguaient en particulier l'iniquité de la procédure devant la Cour de cassation au regard des dispositions de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, en ce qu'ils n'avaient pu avoir communication des conclusions de l'avocat général et n'avaient pas pu y répondre, n'étant du reste pas informés de la date d'audience ni autorisés à prendre la parole.


3. Les requêtes ont été transmises à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).


4. Les requêtes ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 23 novembre 1999, la requête de M. Meftah a été déclarée partiellement recevable par une chambre de ladite section, composée des juges dont le nom suit : MM. W. Fuhrmann, président, J.-P. Costa, Mme F. Tulkens, M. K. Jungwiert, Sir Nicolas Bratza, MM. K. Traja et M. Ugrekhelidze, ainsi que de Mme S. Dollé, greffière de section. Le 12 septembre 2000, après deux décisions partielles sur la recevabilité du 7 septembre 1999, les requêtes de MM. Adoud et Bosoni ont été jointes et déclarées recevables par une chambre de ladite section, composée des juges dont le nom suit : MM. L. Loucaides, président, J.-P. Costa, P. Kuris, Mme F. Tulkens, M. K. Jungwiert, Mme H.S. Greve, M. M. Ugrekhelidze, ainsi que de Mme S. Dollé, greffière de section.


5. Respectivement le 26 avril 2001, pour la requête de M. Meftah, et le 27 février 2001, pour les deux autres requérants, la chambre a rendu ses arrêts. A l'unanimité, elle y constate une violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Une opinion séparée commune de MM. J.-P. Costa et K. Jungwiert a été jointe à l'arrêt rendu le 27 février 2001.


6. Le Gouvernement a demandé, le 15 mai 2001 pour l'affaire Adoud et Bosoni et le 19 juin 2001 pour l'affaire Meftah, en vertu des articles 43 de la Convention et 73 du règlement, leur renvoi devant la Grande Chambre. M. Meftah a également demandé le renvoi devant la Grande Chambre le 9 mai 2001, ainsi que MM. Adoud et Bosoni le 31 mai 2001. Le collège de la Grande Chambre a accueilli les demandes le 5 septembre 2001.


7. La composition de la Grande Chambre a été déterminée conformément aux dispositions des articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.


8. Le 18 janvier 2002, la Grande Chambre a décidé d'ordonner la jonction des requêtes.


9. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur le fond de l'affaire.


10. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 février 2002 (article 59 § 2 du règlement).


Ont comparu :


- pour le Gouvernement


MM. R. Abraham, directeur des affaires juridiques


du ministère des Affaires étrangères, agent,


B. Cotte, président de la chambre criminelle


de la Cour de cassation,


Mmes M. Dubrocard, sous-directrice des droits de l'homme,


direction des affaires juridiques du ministère


des Affaires étrangères,


O. Wingert, magistrat, bureau des droits de l'homme,


service des affaires européennes et internationales


du ministère de la Justice, conseils ;


- pour MM. Adoud et Bosoni


Me Y. Rio, avocat au barreau de Paris, conseil.


La Cour a entendu en leurs déclarations et réponses aux juges Me Rio, M. Abraham et M. Cotte.


EN FAIT


I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


11. Les requérants sont nés en 1960, 1950 et 1938 et ils résident respectivement à Irigny, Colombes et Paris.


A. Le cas de M. Meftah


12. Interpellé le 15 avril 1992 et mis en examen par un juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Mâcon pour utilisation d'un certificat d'immatriculation obtenu indûment et recel d'un véhicule automobile volé, le requérant fut placé en détention provisoire du 16 avril au 18 mai 1992. Le 31 mars 1994, il fut renvoyé devant le tribunal correctionnel.


13. Par jugement du 21 octobre 1994, le tribunal correctionnel de Mâcon, après avoir rejeté des exceptions de nullité soulevées par le requérant, déclara ce dernier coupable et le condamna à huit mois d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'à une amende de dix mille francs. Le requérant interjeta appel.


14. Le 2 février 1995, la cour d'appel de Dijon confirma le jugement en toutes ses dispositions. Le requérant forma un pourvoi en cassation.


15. Par arrêt du 17 janvier 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.


B. Le cas de M. Adoud


16. Le 5 novembre 1994, le requérant fit l'objet d'un contrôle de vitesse alors qu'il circulait au volant de son véhicule. Les gendarmes constatèrent,


par procès-verbal, une infraction d'excès de vitesse d'au moins 40 km/h, à savoir 143 km/h au lieu des 90 km/h autorisés.


17. Par jugement du 14 mars 1995, le tribunal de police de Melle déclara le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à mille cinq cents francs d'amende, ainsi qu'à vingt et un jours de suspension du permis de conduire.


18. Le 15 décembre 1995, la cour d'appel de Poitiers confirma la culpabilité du requérant et, réformant la peine, fixa l'amende à trois mille francs et la durée de la suspension de permis de conduire à trois mois.


19. Par arrêt du 6 août 1996, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.


C. Le cas de M. Bosoni


20. Le 11 novembre 1994, deux procès-verbaux furent dressés par les services de police à l'encontre du requérant pour inobservations de l'arrêt imposé par un feu rouge. Le requérant fut assigné à comparaître devant le tribunal de police de Paris à l'audience du 8 mars 1995.


21. Le 12 avril 1995, le tribunal de police de Paris jugea le requérant coupable et le condamna à deux amendes de mille huit cents francs chacune, ainsi qu'à un mois de suspension du permis de conduire.


22. Le 27 octobre 1995, la cour d'appel de Paris confirma le jugement en toutes ses dispositions. Le 2 novembre 1995, le requérant forma un pourvoi en cassation. Il sollicita, en vain, la communication des réquisitions écrites de l'avocat général en vue d'y répondre.


23. Par arrêt du 10 juillet 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.


II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


A. Le Code de procédure pénale


24. Les dispositions pertinentes, dans leur rédaction applicable à l'époque des procédures litigieuses, se lisent comme suit :


Article 567


" Les arrêts de la chambre d'accusation et les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle et de police peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou par la partie à laquelle il est fait grief, suivant les distinctions qui vont être établies.


Le recours est porté devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. "


Article 584


" Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre reçu. "


Article 585


" Après l'expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement peut transmettre son mémoire directement au greffe de la Cour de cassation ; les autres parties ne peuvent user du bénéfice de la présente disposition sans le ministère d'un avocat à la Cour de cassation. (...) "


Article 585-1


" Sauf dérogation accordée par le président de la chambre criminelle, le mémoire du demandeur condamné pénalement doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi.


Il en est de même pour la déclaration de l'avocat qui se constitue au nom d'un demandeur au pourvoi. "


Article 590


" Les mémoires contiennent les moyens de cassation et visent les textes de loi dont la violation est invoquée. (...)


Ils doivent être déposés dans le délai imparti. Aucun mémoire additionnel n'y peut être joint, postérieurement au dépôt de son rapport par le conseiller commis. Le dépôt tardif d'un mémoire proposant des moyens additionnels peut entraîner son irrecevabilité. "


Article 602


" Les rapports sont faits à l'audience. Les avocats des parties sont entendus dans leurs observations après le rapport, s'il y a lieu. Le ministère public présente ses réquisitions. "


B. Les conclusions de l'avocat général


25. De nos jours, l'avocat général informe avant le jour de l'audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l'affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 666, § 106).


C. La comparution à l'audience de la Cour de cassation


26. Lorsque la représentation par un avocat aux Conseils n'est pas obligatoire, une ordonnance du 15 janvier 1826, dont l'article 15 n'a pas été abrogé, prévoit que les parties peuvent être entendues après en avoir obtenu la permission de la Cour. Se fondant sur l'ordonnance de 1826, la Cour de cassation reconnaît la possibilité de donner la parole aux parties, voire qu'un avocat inscrit à un barreau prenne la parole en leur nom. S'il appartient à la Cour de cassation d'y faire droit ou non, suivant les circonstances (Cass. crim. 3 mai 1990, Bull. crim. n° 166), il semble cependant qu'elle rejette de telles demandes (période 1990-2001, arrêts disponibles sur le site Internet de Légifrance) et ce, dans des termes similaires à ce qui suit :


- " Vu l'article 37 de l'ordonnance du 15 janvier 1826, non abrogé en ce qu'il concerne la procédure applicable devant la chambre criminelle ; attendu que [le demandeur] ayant présenté ses critiques de la décision attaquée dans le mémoire personnel qu'il a déposé, la comparution personnelle, devant la chambre criminelle n'apparaît ni nécessaire, ni opportune ; qu'il n'y a pas lieu de l'ordonner. " (arrêt du 15 décembre 1999, pourvoi n° 99-80015)


27. S'agissant spécialement du contentieux relatif aux infractions prévues par le code de la route (infractions au stationnement, excès de vitesse, ...), de nombreuses décisions de rejet, qui ont pour origine des demandes formulées par un avocat inscrit à un barreau, peuvent notamment se lire comme suit :


- " Attendu que [le demandeur] a demandé l'autorisation de comparaître devant la Cour de cassation avec l'assistance de Me [...], avocat au barreau de Paris [...] ; Attendu que [le demandeur] ayant présenté ses critiques de la décision attaquée dans le mémoire personnel qu'il a déposé, sa comparution personnelle devant la chambre criminelle n'apparaît pas indispensable. " (arrêt du 16 mai 2001, pourvoi n° 00-86011)


28. Le Gouvernement reconnaît d'ailleurs qu'une telle autorisation n'est que rarement accordée, le principe étant celui du monopole de parole des avocats aux Conseils. Ces derniers doivent préalablement se concerter avec le président de la chambre criminelle quant au moyen de cassation nécessitant une prise de parole. En 2001, la prise de parole n'a concerné qu'une quarantaine de dossiers sur neuf mille six cent trente-sept affaires jugées.


D. Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (" Avocats aux Conseils ")


29. Ces avocats sont les successeurs des avocats aux Conseils du Roi de l'Ancien Régime. La postulation devant les Conseils du Roi était réservée à


des avocats qui furent officiers royaux et propriétaires de leur charge à partir de 1643. A la veille de la Révolution de 1789, ils étaient soixante-treize. La Révolution mit fin à leur activité. Ils devinrent avoués au tribunal de cassation créé en 1790, puis avocats à la Cour de cassation depuis 1804. Un corps d'avocats au Conseil d'Etat existait également. Une ordonnance du 10 septembre 1817 fusionna les deux groupes. Cette ordonnance, qui fut longtemps la charte de l'Ordre, fut modifiée par le décret du 28 octobre 1991 (codifiant les conditions d'accès à l'Ordre, il a été modifié à son tour à plusieurs reprises ; voir aussi la loi du 20 mars 1948 ouvrant l'Ordre aux femmes, le décret du 15 mars 1978 autorisant le recours aux sociétés civiles professionnelles). L'existence d'un ordre spécialisé est une institution propre à la France, ainsi qu'à la Belgique (où seuls les avocats à la Cour de cassation sont groupés en un ordre distinct).


30. Les avocats aux Conseils sont, à la différence des avocats inscrits à un barreau, des officiers ministériels. Le nombre des offices est irrévocablement fixé à soixante depuis 1817. Les conditions d'accès prévoient qu'il faut en principe avoir été avocat inscrit à un barreau, avoir suivi une formation spéciale et réussi un examen d'aptitude organisé au sein de l'Ordre (le texte prévoit néanmoins un certain nombre de dispenses et de modalités d'accès spécifiques). La nomination est prononcée par arrêté du ministre de la Justice, après avis motivé du Conseil de l'Ordre, du vice-président du Conseil d'Etat et du premier président de la Cour de cassation.

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.