Jurisprudence : CEDH, 28-10-1998, Req. 103/1997/887/1099, Aït-Mouhoub c. France

CEDH, 28-10-1998, Req. 103/1997/887/1099, Aït-Mouhoub c. France

A8225AWK

Référence

CEDH, 28-10-1998, Req. 103/1997/887/1099, Aït-Mouhoub c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065152-cedh-28101998-req-10319978871099-aitmouhoub-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

28 octobre 1998

Requête n°103/1997/887/1099

Aït-Mouhoub c. France



AFFAIRE AÏT-MOUHOUB c. FRANCE

CASE OF AÏT-MOUHOUB v. FRANCE

(103/1997/887/1099)

ARRÊT/JUDGMENT

STRASBOURG

28 octobre 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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B-1000 Bruxelles)

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A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC

La Haye/'s-Gravenhage)

SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

France – irrecevabilité de deux plaintes avec constitution de partie civile, faute pour leur auteur d'avoir versé le montant des consignations (article 88 du code de procédure pénale)

I. article 6 § 1 de la convention

A. Applicabilité de l'article 6 § 1

Examen de la seconde plainte par la Cour – requérant y a expressément fait état du préjudice de caractère financier causé par les infractions alléguées – plainte portait donc sur un droit de caractère civil – elle visait par ailleurs à déclencher des poursuites judiciaires afin d'obtenir une déclaration de culpabilité, pouvant entraîner l'exercice de ses droits civils en rapport avec les infractions alléguées, et notamment l'indemnisation du préjudice financier – issue de la procédure était donc directement déterminante pour l'établissement du droit à réparation de l'intéressé.

Conclusion : article 6 § 1 applicable en ce qui concerne la seconde plainte (unanimité).

Première plainte liée à la seconde, en dépit de certaines différences.

Conclusion : article 6 § 1 applicable en ce qui concerne la première plainte (huit voix contre une).

B. Observation de l'article 6 § 1

Examen de la seconde plainte par la Cour – fixation du montant de la consignation à verser par le requérant à 80 000 FRF par le doyen des juges d'instruction – or revenus de l'intéressé évalués à « zéro franc » par le bureau d'aide juridictionnelle – absence de réponse de ce dernier en ce qui concerne la seconde plainte du requérant – déclaration d'irrecevabilité de la constitution de partie civile relative à la seconde plainte de l'intéressé par le doyen des juges d'instruction – Cour n'a pas à apprécier le bien-fondé de la plainte du requérant – elle estime cependant que la fixation d'une somme aussi élevée était disproportionnée, étant donné l'absence totale de ressources financières de l'intéressé, qui n'a jamais eu de réponse du bureau d'aide juridictionnelle – exiger du requérant le versement d'une somme aussi importante revenait en pratique à le priver de son recours devant le juge d'instruction – eu égard à tous ces éléments, atteinte au droit d'accès du requérant à un « tribunal » au sens de l'article 6 § 1.

Conclusion : violation en ce qui concerne la seconde plainte (unanimité).


Quant à la première plainte, elle a fait l'objet d'ordonnances du doyen des juges d'instruction, adoptées aux mêmes dates que celles relatives à la seconde plainte, ayant à la fois un objet identique et une motivation et un résultat identiques.

Comme pour la seconde plainte, élément essentiel tient au fait que la fixation d'une somme aussi élevée, eu égard à l'absence totale de ressources de l'intéressé, ce que le doyen des juges d'instruction ne pouvait ignorer, a en pratique privé le requérant de son recours devant ce magistrat.

Conclusion : violation en ce qui concerne la première plainte (huit voix contre une).

II. article 50 de la convention

A. Dommage : absence de lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué – dommage moral éventuel suffisamment compensé par le présent arrêt.

B. Frais et dépens : remboursement en équité.

Conclusion : Etat défendeur tenu de payer une certaine somme au requérant (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

21.2.1975, Golder c. Royaume-Uni ; 9.10.1979, Airey c. Irlande ; 27.8.1992, Tomasi c. France ; 21.11.1995, Acquaviva c. France ; 4.12.1995, Bellet c. France ; 23.10.1996, Levages Prestations Services c. France ; 30.7.1998, Aerts c. Belgique

En l'affaire Aït-Mouhoub c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

L.-E. Pettiti,

J. De Meyer,

N. Valticos,

I. Foighel,

R. Pekkanen,

A.N. Loizou,

L. Wildhaber,

V. Butkevych,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 juin, 27 août et 25 septembre 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

196. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 29 octobre 1997 et par le gouvernement français (« le Gouvernement ») le 7 janvier 1998, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 22924/93) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Areski Aït-Mouhoub, avait saisi la Commission le 9 novembre 1992 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) et la requête du Gouvernement à l'article 48. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent

un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.

197. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil.

198. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 28 novembre 1997, en présence du greffier, le président de la Cour a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. R. Macdonald, J. De Meyer, N. Valticos, I. Foighel, R. Pekkanen, A.N. Loizou et V. Butkevych (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Par la suite, M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour à l'époque, a remplacé M. Ryssdal, décédé le 18 février 1998 (article 21 § 6, second alinéa, du règlement A), et M. L. Wildhaber, suppléant, a remplacé M. Macdonald, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1).

199. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le conseil du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 15 et 27 mai 1998 respectivement. Le 2 juin 1998, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

200. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 23 juin 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

Mme M. Dubrocard, magistrat détaché à la direction

des affaires juridiques du ministère

des Affaires étrangères, agent,

MM. A. Buchet, magistrat, chef du bureau des droits

de l'homme au service des affaires européennes

et internationales du ministère de la Justice,

B. Dalles, magistrat détaché au bureau de la justice

pénale et des libertés individuelles à la direction

des affaires criminelles et des grâces au ministère

de la Justice, conseils ;

pour la Commission

M. J.-C. Soyer, délégué ;

pour le requérant

Me P. Magne, avocat au barreau d'Alès, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Soyer, Me Magne et Mme Dubrocard.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

201. Ressortissant français né en 1951, M. Areski Aït-Mouhoub est actuellement détenu à Montpellier.

A. La genèse de l'affaire

202. Le 1er juillet 1992, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes ordonna la mise en accusation du requérant et le renvoya, avec son fils et sa fille, mineurs au moment des faits, devant la cour d'assises des mineurs du Gard pour complicité de vol à main armée, vols aggravés et recel.

203. Le 11 décembre 1992, la cour d'assises le condamna à douze ans d'emprisonnement pour complicité de vol avec port d'arme et recel qualifié, fixant la période de sûreté à sept années.

204. Le 14 décembre 1992, l'intéressé forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

B. Les dépôts de plainte du requérant et ses demandes d'aide juridictionnelle

1. La première plainte et la demande d'aide juridictionnelle y afférente

205. Le 28 décembre 1992, M. Aït-Mouhoub déposa une première plainte avec constitution de partie civile contre deux gendarmes (MM. Maurin et Seguin) qui avaient participé à l'enquête judiciaire ayant conduit à l'établissement de la culpabilité et la condamnation du requérant par la cour d'assises des mineurs.


L'intéressé y accusa M. Maurin de subornation de témoins, de faux et d'usage de faux en écriture publique, de forfaiture, de prévarication, de concussion et de complicité de vol, et reprocha à M. Seguin d'avoir commis des faux et fait usage de faux en écriture publique.

206. La plainte en question était ainsi libellée :

« J'ai l'honneur de déposer plainte entre vos mains avec constitution de partie civile contre le maréchal des logis-chef de gendarmerie Maurin Jean-Paul, chef de la section de recherches de Nîmes, pour les délits et exactions judiciaires suivants : subornation de témoins, fabrication de faux, usage de faux, inscription de faux, faux et usage de faux en écriture publique, complicité de vol, forfaiture, prévarication, concussion.

J'ai l'honneur de déposer plainte avec constitution de partie civile contre le gendarme Seguin pour les délits et exactions judiciaires suivants : faux et usage de faux en écriture publique, fabrication d'un faux procès-verbal, fausse audition, imitation de la signature d'un témoin.

Je détiens bien entendu toutes les preuves et les témoignages à disposition de chacune de mes accusations.

J'adresse copie de la présente au bureau d'aide judiciaire de Nîmes. »

207. L'intéressé demanda à bénéficier de l'aide juridictionnelle dans le cadre de cette plainte.

208. Le 28 juin 1993, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nîmes rejeta sa demande au motif que, bien que le requérant eût des ressources évaluées à zéro franc, elle était irrecevable en raison du pourvoi en cassation formé par l'intéressé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'assises des mineurs du 11 décembre 1992, dont l'examen était encore pendant.

209. Le 24 juillet 1993, M. Aït-Mouhoub fit appel de cette décision auprès du bureau d'aide juridictionnelle. Il confirma son recours par une lettre du 1er octobre 1993.

210. Par une ordonnance du 24 août 1993, le doyen des juges d'instruction près le tribunal de grande instance, constatant que le requérant n'avait pas obtenu l'aide juridictionnelle, fixa la consignation à 80 000 francs français (FRF) pour la plainte contre les deux gendarmes. Il fixa au 28 septembre 1993 la date d'échéance pour le versement de cette consignation, sous peine de non-recevabilité de la plainte.

211. L'intéressé n'interjeta pas appel de cette ordonnance devant la chambre d'accusation pour en contester le montant.

212. Le 9 septembre 1993, M. Aït-Mouhoub écrivit au doyen des juges d'instruction pour lui indiquer qu'il avait fait appel de la décision de rejet d'aide juridictionnelle.

213. Le 21 septembre 1993, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt de la cour d'assises des mineurs du Gard du 11 décembre 1992.

214. Le 18 octobre 1993, l'intéressé, n'ayant aucune nouvelle du bureau d'aide juridictionnelle, réitéra sa demande d'aide juridictionnelle. Il précisa que la cause d'irrecevabilité retenue dans la décision de rejet du 28 juin 1993 avait disparu, puisque la Cour de cassation s'était prononcée entre-temps.

215. Par une ordonnance du 29 décembre 1993, le doyen des juges d'instruction déclara irrecevable la plainte du requérant par les motifs suivants :

« Attendu qu'aux termes des articles 88 et R. 236 du code de procédure pénale la partie qui n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle est tenue de consigner la somme nécessaire pour les frais de la procédure lorsque son action n'est pas jointe à l'action préalable du ministère public sous peine de non-recevabilité ;

Attendu que la partie civile n'a pas versé dans le délai imparti la somme fixée par l'ordonnance précitée, que le ministère public n'estime pas devoir mettre en mouvement l'action publique,

Déclarons la constitution de partie civile de Aït-Mouhoub Areski non recevable. »

L'intéressé n'interjeta pas appel de cette ordonnance.

216. Le 15 mars 1994, le bureau d'aide juridictionnelle rejeta l'appel de M. Aït-Mouhoub contre la décision de rejet du 28 juin 1993.

2. La seconde plainte et la demande d'aide juridictionnelle y afférente

217. Le 2 janvier 1993, le requérant déposa une seconde plainte avec constitution de partie civile, dirigée contre deux autres personnes (M. Dumas, un témoin à charge lors de son procès, et M. Eut, beau-frère d'un gendarme). Ladite plainte était ainsi rédigée :

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