Flash info. Constitutionnalité du délit de violations réitérées du confinement * Rédigé le 16.07.2020

Flash info. Constitutionnalité du délit de violations réitérées du confinement * Rédigé le 16.07.2020

E19273RS

sans cacheDernière modification le 18-03-2021

Flash info. Constitutionnalité du délit de violations réitérées du confinement * Rédigé le 16.07.2020

  • ⇒ Cette étude a été réalisée sur la base d'un article rédigé par Olivier Bachelet, paru dans la revue Lexbase Pénal n° 29 du 16 juillet 2020 (N° Lexbase : N4103BYM).
  • LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (1)
    Dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de covid-19, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a modifié l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8574LWH) dont l’alinéa 3 punit, désormais, de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe (Soit 750 euros d’amende : C. pén., art. 131-13 N° Lexbase : L0781G8G), la violation de plusieurs interdictions ou obligations édictées par le même code, lorsqu’elles sont mises en œuvre par décret ou arrêté, parmi lesquelles figure, au 2° de l'article L. 3131-15 (N° Lexbase : L6517LXN), l'interdiction de sortir de son domicile, « sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ». Le même alinéa dispose que, « si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l'amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe » (Soit 1 500 euros d’amende : C. pén., art. 131-13). En outre, le quatrième alinéa de l’article L. 3136-1 prévoit que, « si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d'intérêt général, […], et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l'infraction a été commise à l'aide d'un véhicule ».

     

    Par trois arrêts du 13 mai 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux dispositions du quatrième alinéa précité de l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique. Deux de ces questions étaient rédigées de manière identique, en ces termes : « Les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 3136-1 du Code de la santé publique, créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe de légalité des délits et à l'exigence pour le législateur d'épuiser sa propre compétence, ainsi qu'au principe de la présomption d'innocence ? » (Cass. crim., 13 mai 2020, nos 20-90.003, FS-D N° Lexbase : A38723LY et 20-90.004, FS-D N° Lexbase : A38733LZ). La troisième question était rédigée de la sorte : « En édictant les dispositions du quatrième alinéa de l'article L 3136-1 du Code de la santé publique, telle que modifié par la loi n° 2020-290 du 20 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, le législateur a-t-il, en premier lieu porté atteinte à un recours effectif, en deuxième lieu porté atteinte aux droits de la défense, en troisième lieu, méconnu le principe de légalité des délits et des peines, en quatrième lieu, méconnu le principe de nécessité et de proportionnalité des peines ? » (Cass. crim., 13 mai 2020, n° 20-90.006, FS-D N° Lexbase : A38743L3).

  • À propos du principe de légalité des délits et des peines
  • Contrairement aux moyens développés par les requérants, le Conseil constitutionnel affirme, en premier lieu, que ne sont pas imprécises ou équivoques les références aux « déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux et de santé » et la notion de verbalisation effectuée « à plus de trois reprises ». Pour autant, affaiblissant son affirmation, il prend le soin de préciser, d’une part, que la notion de verbalisation doit se comprendre comme « le fait de dresser un procès-verbal d’infraction » et, d’autre part, que les dispositions litigieuses « ne permettent pas qu'une même sortie, qui constitue une seule violation de l'interdiction de sortir, puisse être verbalisée à plusieurs reprises ». Le Conseil considère, en second lieu, que le législateur a suffisamment déterminé le champ d’application de l’incrimination puisque, d’une part, « le délit n'est constitué que lorsque la violation de l'interdiction de sortir est commise alors que, dans les trente jours précédents, trois autres violations de la même interdiction ont déjà été verbalisées » et, d’autre part, outre la référence aux « déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux et de santé », les exceptions audit délit, éventuellement prévues par le pouvoir réglementaire, visent à en garantir le caractère strictement proportionné aux risques sanitaires encourus et approprié aux circonstances de temps et de lieu.

     

    Sur ce dernier point, l’argumentation, qui revient à assimiler les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité, apparaît confuse. Pourtant, le Conseil constitutionnel aurait pu mettre en œuvre sa jurisprudence habituelle aux termes de laquelle « aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur d'ériger en infraction le manquement à des obligations qui ne résultent pas de la loi » (Cons. const., décision n° 82-145 DC, du 10 novembre 1982 N° Lexbase : A8047ACZ, cons. 3). En effet, s’agissant de l’infraction de violations réitérées du confinement, c’est bien le législateur qui érige en délit le comportement auquel il attache une sanction, le pouvoir réglementaire ne disposant pas d’un tel pouvoir bien qu’il concourt à tracer les contours de l’acte répréhensible. La Chambre criminelle de la Cour de cassation fait, d’ailleurs, une application régulière de ce raisonnement, notamment pour ce qui concerne le délit de favoritisme (C. pén., art. 432-14 N° Lexbase : L7454LBP) dont la définition, malgré le renvoi opéré par le législateur à des dispositions réglementaires, permet de connaître « les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager la responsabilité pénale », « la modification des dispositions réglementaires n'étant pas de nature à influer sur la définition du délit » (Cass. crim., 18 décembre 2019, n° 19-81.724, F-D N° Lexbase : A1213Z9S). Il faut, en effet, rappeler que « le principe de légalité n’impose pas de prévoir de façon exhaustive l'ensemble des comportements incriminés » (J.-B. Perrier, Le droit pénal du danger, D., 2020, pp. 937 et s.) et qu’il appartient au juge de déterminer le caractère répréhensible des faits dont il est saisi au regard, non seulement des éléments constitutifs de l’infraction, mais aussi d’éventuelles causes d’irresponsabilité pénale, telles que le fait justificatif tiré de l’état de nécessité (C. pén., art. 122-7 N° Lexbase : L2248AM9) auquel renvoie implicitement la notion de « déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux et de santé » .

  • À propos du principe de proportionnalité des peines
  • Le Conseil constitutionnel écarte l’argument de l’un des requérants selon lequel, en prévoyant une peine de six mois d'emprisonnement, les dispositions litigieuses méconnaîtraient ledit principe. Il estime, en premier lieu, que, « compte tenu des risques induits » par le comportement réprimé dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire, « les peines instituées ne sont pas manifestement disproportionnées ». De la sorte, le Conseil constitutionnel confirme sa jurisprudence selon laquelle l’argument tiré de la disproportion de la peine encourue ne se heurte plus (V., notamment : Cons. const., décision n° 2013-679 DC, du 4 décembre 2013 N° Lexbase : A5483KQ7) au fait qu’il ne disposerait pas d’« un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement » et qu'il ne lui appartiendrait pas, « dès lors, de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la gravité des peines attachées aux infractions définies par celui-ci » (V., par exemple : Cons. const., décision n° 84-176 DC, du 25 juillet 1984 N° Lexbase : A8093ACQ). Pour autant, plutôt que d’opérer un contrôle en opportunité, dont la légitimité demeure contestable, les Sages auraient pu fonder leur décision sur le principe d’individualisation des peines qui confie au juge le soin d’adapter la répression à ce qui est strictement nécessaire. C’est, d’ailleurs, en ce sens que la Cour de cassation a statué (Cass. crim., 24 novembre 2015, n° 15-90.016, F-D N° Lexbase : A0723NYG : « il entre dans l'office du juge de déterminer, en fonction de la gravité des faits reprochés aux personnes poursuivies, et dans la limite du maximum prévu par le texte, la nature et le quantum de la peine, de sorte que le texte critiqué ne porte aucune atteinte ni au principe d'égalité ni aux principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines ») pour refuser de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative au délit de voyage habituel sans titre de transport valable (C. transp., art. L. 2242-6 N° Lexbase : L2748K7W).

     

    En second lieu, le Conseil constitutionnel affirme qu’« en sanctionnant la quatrième violation de l'interdiction de sortir, les dispositions contestées punissent des faits distincts de ceux réprimés lors des trois premières violations », de sorte que, contrairement à ce que soutenait le requérant, la règle Non bis in idem n’est pas méconnue. Cette affirmation est, toutefois, contestable dès lors que le délit intègre dans sa définition les trois premières violations du confinement et qu’il revient à qualifier pénalement des faits revêtant déjà, de manière isolée, une qualification pénale. Certes, la quatrième violation est matériellement distincte des trois premières, mais la qualification correctionnelle qui y est attachée est tributaire de ces dernières. En toute logique, la caractérisation du délit devrait donc constituer un obstacle au cumul de celui-ci avec les trois premières contraventions. Telle n’est pourtant pas l’approche des Sages qui, en cela, rejoignent la position adoptée par la Cour de cassation à propos, notamment, du délit de risques causés à autrui (C. pén., art. 223-1 N° Lexbase : L3399IQX) dont la caractérisation n’empêche pas de retenir, à l’encontre du même prévenu, la qualification contraventionnelle qui en constitue le soutien, au motif que « les faits […] ne procèdent pas d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable » (V., notamment : Cass. crim., 5 novembre 2019, n° 18-86.281, F-D N° Lexbase : A3904ZU7). En conséquence, les peines d’amende encourues pour les violations contraventionnelles du confinement s’ajouteront, sans possibilité de confusion, à la peine d’amende encourue pour le délit de violations réitérées puisque, dans cette situation, le Code pénal exclut la mise en œuvre de la règle du cumul plafonné des peines de même nature (C. pén., art. 132-7 N° Lexbase : L2045AMP).

  • À propos de la présomption d’innocence, des droits de la défense et du droit à un recours effectif
  • Décret n° 2020-545 du 11 mai 2020
    Le Conseil constitutionnel écarte l’argumentation des requérants qui consistait à critiquer, notamment, la possibilité de caractériser le délit alors que les contraventions des trois premières violations n'auraient pas encore été soumises à un juge. Pour ce faire, les Sages affirment que « le tribunal correctionnel saisi de poursuites d'une violation de l'interdiction de sortir apprécie les éléments constitutifs de l'infraction et notamment la régularité et le bien-fondé des précédentes verbalisations », de sorte que « les dispositions contestées, qui n'instaurent aucune présomption de culpabilité, ne méconnaissent ni la présomption d'innocence ni les droits de la défense ». Ils ajoutent que lesdites dispositions, « qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit », doivent être déclarées conformes à la Constitution.

     

    Pour autant, il convient de rappeler qu’au-delà de sa dimension procédurale, le droit à la présomption d’innocence, tel que prévu et protégé, notamment, par l’article 6, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), est méconnu « si une décision judiciaire concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été préalablement légalement établie. Il suffit, même en l’absence de constat formel, d’une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable » (CEDH, 10 février 1995, Req. 3/1994/450/529, Allenet de Ribemont c/ France N° Lexbase : A6658AWI, § 35). En particulier, dans l’hypothèse de deux procédures pénales parallèles concernant la même personne, la Cour de Strasbourg a affirmé que juger, dans le cadre de l’une de ces instances, que le requérant a commis l’infraction dont il est question dans le cadre de l’autre instance est contraire à son droit à être présumé innocent (CEDH, 14 mars 2019, Req. 35726/10, Kangers c/ Lettonie, §§ 60-61, disponible en anglais uniquement [en ligne]). Or, sachant que les dispositions relatives au délit de violations réitérées du confinement sont entrées en vigueur le 24 mars 2020 et que l’obligation de confinement a été levée le 11 mai 2020 (Décret n° 2020-545, du 11 mai 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire), les poursuites mises en œuvre, pendant cette période, du chef de ce délit sont nécessairement concomitantes aux procédures relatives aux supposées trois premières violations lorsque celles-ci ont donné lieu à une contestation. En effet, d’une part, la requête en exonération doit être formulée dans les quarante-cinq jours qui suivent la constatation de l'infraction ou l’envoi de l’avis de contravention (C. proc. pén., art. 529-2 N° Lexbase : L0857DYE) et, d’autre part, la réclamation doit être formée dans les trente jours de l'envoi de l'avis invitant le contrevenant à payer l'amende forfaitaire majorée (C. proc. pén., art. 530 N° Lexbase : L7597IMC). À cet égard, dans une telle situation, les condamnations prononcées du chef du délit apparaissent contraires au droit à la présomption d’innocence.

     

    Il est vrai que, dans sa décision du 26 juin 2020, le Conseil constitutionnel s’en remet au juge répressif à qui il appartient d’apprécier « les éléments constitutifs de l'infraction et notamment la régularité et le bien-fondé des précédentes verbalisations ». En conséquence, afin de respecter le droit à la présomption d’innocence, en présence de contestation(s) concernant l’une ou plusieurs des premières supposées violations du confinement, il semble que le tribunal correctionnel n’ait pas d’autre choix que de renvoyer l’examen de l’affaire concernant le délit dans l’attente de la (des) décision(s) concernant la (les) contravention(s). Une autre difficulté surgit alors, en lien avec le principe de la rétroactivité « in mitius » qui devrait, à terme, bénéficier au prévenu, rendant finalement impraticable la répression du délit de violations réitérées du confinement. À moins que la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui ne manquera pas d’être saisie de la question, vienne à considérer que, si l’obligation réglementaire de confinement a disparu, sont toujours en vigueur les dispositions légales de l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique, supports de l’incrimination, de sorte que la répression demeure applicable (V. notamment : Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 18-83.074, FS-P+B+I N° Lexbase : A11673AH, à propos de la législation sur le travail de nuit, le repos dominical et la fermeture hebdomadaire. Voir, également : Cons. const., décision n° 2010-74 QPC, du 3 décembre 2010 N° Lexbase : A4388GMH, à propos de l’application dans le temps de la répression de la revente à perte).

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