ETUDE : Les loyers commerciaux face à la crise sanitaire * Rédigée le 05.06.2020
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sans cacheDernière modification le 06-07-2021
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Dès le 16 mars 2020, le Président Macron annonçait un certain nombre de mesures visant à soutenir les entreprises qui seraient particulièrement impactées par les décisions gouvernementales dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Parmi les annonces les plus remarquées figurait celle de la suspension des loyers pour les plus petites entreprises, « tant que la situation durera ». Dans ce sens, l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a habilité le gouvernement à suspendre ou reporter les loyers professionnels et commerciaux jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Bien que limité dans ses effets, le dispositif mis en place en suite de cette annonce peut s’avérer salutaire pour les entreprises concernées.
De manière plus générale, les entreprises qui rencontrent des difficultés pour payer leur loyer bénéficient de la neutralisation des clauses résolutoires jusqu’au 23 juin 2020, outre le recours plus risqué à la notion de force majeure ou le cas échéant à l’imprévision.
Quid de la force majeure et de l'imprévision : Lire notre étude sur le sujet (N° Lexbase : E67343P4) |
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→ Soit qu’elle a fait l’objet d'une interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ;
→Soit qu’elle a subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % entre le 1ermars et le 31 mars 2020 par rapport à la même période de l'année précédente.
Les entreprises qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier du dispositif.
Contrairement à ce qu’avait laissé espérer l’annonce présidentielle, le dispositif mis en place par l’ordonnance n° 2020-316 ne permet pas à ces entreprises de s’affranchir du paiement de leur loyer professionnel ou commercial.
Ce dispositif prévoit que les entreprises précitées qui ne peuvent plus payer leurs loyers ou charges locatives ne s’exposeront pas aux sanctions habituellement applicables : leur bailleur ne pourra donc pas leur infliger des pénalités financières, intérêts de retard, dommages-intérêts ou astreintes, ni mettre en mise en œuvre des clauses résolutoires ou autre clause prévoyant une déchéance ou l’activation de garanties ou cautions (ordonnance n° 2020-316, art. 4).
Ce dispositif s’applique aux loyers et charges locatives échus entre le 12 mars et le 10 septembre 2020 (soit 2 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire dont le terme est fixé au 10 juillet 2020 inclus, sauf nouvelle prorogation).
Il est d’ordre public, c’est à dire que les bailleurs ne peuvent pas y faire échec en invoquant une stipulation contractuelle contraire.
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Ainsi, par communiqué du 10 avril (disponible [en ligne]), la Fédération des Sociétés Immobilières et Foncières (FSIF) annonçait avoir invité ses membres à « suspendre et étaler sans pénalité les loyers et charges des TPE-PME pour la période d’arrêt d’activité imposée par les pouvoirs publics, et à recouvrer les loyers et charges mensuellement et non plus trimestriellement, pour soutenir la trésorerie de leurs locataires ».
D’après la FSIF, ses membres bailleurs avaient mis en place de telles mesures pour près de 9.000 locataires dès avril 2020, essentiellement des TPE-PME.
Par communiqué commun du 17 avril 2020 (Communiqué conjoint de l’AFG, de l’ASPIM, de CDC HABITAT, du CNCC, de la FSIF et de la FFA du 17 avril 2020, disponible [en ligne]), les principales fédérations de bailleurs ont appelé leurs membres à aller plus loin à l’égard de leurs locataires TPE dont l’activité est interrompue, en leur accordant « une annulation de trois mois de loyers, à l’exclusion des charges qui resteront dues puisqu’elles correspondent à des coûts réels encourus par les propriétaires même en période de fermeture des commerces ».
Si ces déclarations ne sont pas juridiquement contraignantes pour les bailleurs ni créatrices de droits pour les preneurs, elles doivent toutefois inciter ces derniers à entamer des discussions avec leur bailleur pour tenter d’obtenir une suspension voire une annulation de leur loyer.
Les abandons de loyers font d’ailleurs l’objet d’un dispositif fiscal avantageux pour les bailleurs, instauré par la seconde loi de finances rectificative pour 2020 (loi n° 2020-473 du 25 avril 2020, portant création des articles 14B et 92B du Code général des impôts, art. 3). En effet par exception, les loyers abandonnés entre le 15 avril et le 31 décembre 2020 ne seront pas considérés comme un revenu imposable, ni au titre des revenus fonciers ni au titre des bénéfices non commerciaux.
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Prévue à l’article 1218 du Code civil (N° Lexbase : L0930KZH), la force majeure est définie comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, [qui] empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ».
Il est peu contestable que la pandémie de Covid-19 et les mesures gouvernementales de fermeture qu’elle a provoquées échappent au contrôle des entreprises.
La condition d’imprévisibilité s’appréciant à la date de conclusion du bail, elle pourrait ne pas être remplie pour les baux conclus à partir de février 2020.
La question se pose toutefois de savoir si la pandémie constitue un événement irrésistible pour une entreprise, c’est à dire qu’elle la place réellement dans l’incapacité d’acquitter ses loyers.
Cette question devra être résolue au cas par cas par les juges, y compris pour les entreprises ayant dû interrompre leur activité par les arrêtés des 14 et 15 mars 2020 (arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19). Leur arrêt forcé ne pourra pas suffire à caractériser la force majeure, que la jurisprudence est habituellement réticente à admettre (pour un exemple d’application de la force majeure à la pandémie de Covid-19 : v. CA Douai, 4 mars 2020, n° 20/00395 N° Lexbase : A01873HE). Ces entreprises devront prouver, justificatifs à l’appui, qu’il leur était impossible d’acquitter leur loyer, notamment en justifiant d’un défaut de trésorerie (ce qui pourrait par ailleurs caractériser une cessation des paiements).
Lorsqu’elle est avérée, la force majeure justifie la suspension de ses obligations par le débiteur. Elle peut donc permettre au locataire de suspendre le paiement de ses loyers.
La mise en œuvre de ce mécanisme suppose donc de se pencher sur la rédaction de la clause de force majeure insérée au bail pour en connaître les conditions et conséquences spécifiques, avant le cas échéant d’entamer une négociation avec le bailleur.
A défaut d’accord avec le bailleur, le locataire défaillant n’aura d’autre choix que d’invoquer la force majeure devant les tribunaux. Il n’est toutefois pas garanti que la force majeure soit appliquée, d’où un risque de rupture du bail aux torts du preneur.
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L’entreprise qui s’est vue interdire d’exercer son activité par les arrêtés des 14 et 15 mars 2020 (arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19) pourrait se prévaloir de cet article pour demander à son bailleur de renégocier le montant du loyer, devenu trop exorbitant au regard de son chiffre d’affaires.
Ce texte ne prévoit toutefois qu’une obligation de moyens : le bailleur ne serait en aucun cas tenu d’accepter les nouvelles conditions du bail telles que proposées par le preneur dans le cadre de la négociation. Le bail continue de s’appliquer tant qu’un accord n’a pas été trouvé, de sorte que le preneur reste tenu au paiement des loyers.
En cas d’échec des négociations, le preneur n’aura d’autre choix que de saisir le juge pour qu’il révise ou mette fin au contrat.
Ce mécanisme de l’imprévision n’est toutefois applicable qu’aux baux conclus après le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de l’article 1195 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats). Et ce texte n’étant pas d’ordre public, il est usuel de l’exclure expressément des baux conclus depuis lors. De nombreuses entreprises ne pourraient donc pas s’en prévaloir.
Une renégociation du loyer pourrait également intervenir dans le cadre de la révision triennale (prévue à l’article L. 145-37 du Code de commerce N° Lexbase : L5765AID) à la demande du bailleur ou du preneur.
Qu’il s’agisse d’appliquer le mécanisme de l’imprévision ou de procéder à une révision triennale du loyer, les bailleurs risquent toutefois de se montrer frileux à consentir une baisse de loyer de manière pérenne à cause de la crise sanitaire.
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Afin de protéger les entreprises dont l’activité est impactée par les décisions gouvernementales prises dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, une période de protection juridique a été instaurée entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus (article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifié par l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ; la date du 23 juin 2020 est fixée par l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 puis en dernier lieu par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020).
Ainsi, les clauses résolutoires et éventuelles clauses pénales prévues dans les baux commerciaux (notamment) sont réputées ne pas avoir pris cours ni produit d’effet si le délai qu’elles prévoyaient expire durant ladite période.
Sauf si le locataire a exécuté son obligation entre temps, la date à laquelle ces clauses produisent leurs effets est reportée à compter du 24 juin 2020 dans les conditions suivantes :
Attention toutefois : les clauses résolutoires et éventuelles clauses pénales qui ont couru entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 mais qui expirent à compter du 24 juin 2020 ne sont pas neutralisées et ce malgré la prolongation de l’état d’urgence sanitaire au 10 juillet 2020 inclus.
Dans une telle hypothèse et à défaut d’accord avec le bailleur, le preneur pourra solliciter des délais de paiement auprès du juge afin de suspendre la résolution du bail (dans les conditions fixées à l’article L. 145-41, alinéa 2, du Code de commerce [LXB= L1063KZE]). Dans le contexte de l’épidémie du Covid-19, il est probable que les juges feront preuve de mansuétude.
Les conditions strictes d’application de ces mécanismes ainsi que les risques qu’ils peuvent générer doivent inciter les entreprises qui rencontrent des difficultés à payer leur loyer et charges à se rapprocher de leur bailleur avant tout défaut.
Eventuellement assisté d’un avocat, l’entreprise peut solliciter auprès de son bailleur un échelonnement adapté, une suspension voire même une annulation des sommes dues afin de ne pas risquer une perte du droit au bail à compter de la fin du mois de juin 2020.
En cas d’échec des négociations avec le bailleur, une action judiciaire pourrait permettre d’obtenir de telles mesures. L’appréciation se fera naturellement au cas par cas, même si l’on peut anticiper une certaine bienveillance des tribunaux à l’égard des entreprises fortement impactées par les mesures prises par le Gouvernement dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. |
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Sur ce point, l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que « lorsqu'une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s'ils expirent (pendant l’état d’urgence sanitaire + 1 mois), de deux mois après la fin de cette période ».
Concrètement, les congés devant être délivrés par les bailleurs entre le 12 mars et le 10 août inclus pourraient l’être valablement jusqu’au 10 octobre 2020 inclus.
Si cette prorogation s’applique sans nul doute aux baux d’habitation (pour l’application de cette prorogation aux baux d’habitation : v. la Communication de La Direction des affaires civiles du Ministère de la justice [en ligne]), cela est plus contestable pour les baux commerciaux.
En effet :
Le régime des baux commerciaux prévoit de nombreux délais pour donner congé, selon la partie qui en est à l’origine, la période du bail à laquelle le congé intervient ainsi que son motif. A titre d’exemple, il ne sera pas donné congé dans les mêmes conditions en fin de période triennale, en fin de bail ou pour le bail tacitement prolongé. Dans ce dernier cas, le congé pourra d’ailleurs intervenir à tout moment sous réserve d’un préavis (C. com., art. L. 145-9, al. 2).
Il n’est donc pas possible d’affirmer qu’il ne peut être donné congé d’un bail commercial « que durant une période déterminée », au sens de l’article précité.
En guise de conclusion...
La prorogation prévue à l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’est donc pas applicable de manière certaine à tout congé d’un bail commercial. En l’état actuel des textes, la prudence s’impose à toute partie à un bail commercial qui souhaiterait délivrer congé.
Il conviendra également d’anticiper l’allongement des délais postaux et le fait que les significations d’actes d’huissier peuvent être rendues plus difficiles pendant la crise sanitaire, y compris depuis le déconfinement.
En toute hypothèse, il est préférable de privilégier les échanges entre le bailleur et le preneur et de formaliser tout accord intervenu tant sur le paiement des loyers que sur tout autre événement susceptible d’affecter le cours du bail, au besoin avec l’assistance d’un Conseil. |
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