ETUDE : Le statut du candidat élu dès le premier tour des élections municipales et communautaires en période de crise sanitaire de Covid-19 * Rédigée le 11.05.2020

ETUDE : Le statut du candidat élu dès le premier tour des élections municipales et communautaires en période de crise sanitaire de Covid-19 * Rédigée le 11.05.2020

E55423NL

sans cacheDernière modification le 06-07-2021

Plan de l'étude

  1. Introduction
  2. Une entrée en fonction différée des candidats élus
  3. Un droit à l’information original mais restreint du candidat élu

1. Introduction

E55433NM

  • ⇒ Cette étude a été réalisée sur la base d'un article rédigé par Clément Laforge paru dans la revue Lexbase, éd. publique, n° 588 du 11 juin 2020 (N° Lexbase : N3621BYR). 
  • Le premier tour des élections municipales et communautaire du mars 2020 restera, à n’en pas douter, historique et cela à double titre. D’une part, après recherche d’un consensus politique, ce premier tour eu lieu dans un contexte de crise sanitaire majeure et, d’autre part, car celui-ci fut marqué par une abstention record, affaiblissant de facto la légitimité des nouveaux élus. Face à cela, la question du maintien des résultats du premier tour s’est posée très rapidement. Mais, parce qu’annuler purement et simplement le scrutin aurait été, au moins pour des raisons politiques, compliqué, le maintien du résultat du premier tour apparaissait inévitable, notamment pour les plus de 30 000 communes qui ont pu renouveler l’intégralité de leurs conseils municipaux. Cette volonté de garantir le résultat acquis du premier tour a imposé le développement d’un arsenal juridique répondant aux conséquences du maintien du premier tour des élections municipales et communautaires. Cet entérinement des résultats du premier tour des élections municipales du 15 mars 2020 a imposé des mesures d’urgences pour les collectivités territoriales, tant par voie législative que par voie d’ordonnances.

     

    En effet, l’article L. 2121-7, alinéa 2, du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L6457LRL) dispose que lors d’un renouvellement général des conseils municipaux, la première réunion du conseil municipal doit se tenir de plein droit au plus tôt le vendredi et au plus tard le dimanche suivant le tour de scrutin quand le conseil a été élu au complet. Autrement dit, les conseils municipaux auraient dû se réunir de plein droit entre le vendredi 20 mars et le dimanche 22 mars, dans le cas où le conseil municipal avait été élu intégralement. Les candidats élus au soir du 15 mars auraient donc dû débuter leurs fonctions à compter de cette période.

     

    Mais, face à la demande du Premier Ministre de ne pas réunir les conseils municipaux nouvellement élus, le législateur a été contraint de prendre des mesures et notamment d’ériger un « statut » du candidat élu dès le premier tour, tirant conséquence du report de l’installation des conseils municipaux. L’entrée en fonction des candidats élus a donc été largement dépendante des risques sanitaires, et c’est ce qui nous intéresse ici. C’est pourquoi nous n’aborderons pas la question du report du second tour des élections municipales et communautaires.

     

    Le législateur a ainsi acté une entrée en fonction différée des candidats élus en leur reconnaissant un droit à l’information largement restreint.

2. Une entrée en fonction différée des candidats élus

E55443NN

  • Face à la situation exceptionnelle de crise sanitaire, et pour tirer conséquence du report de l’installation des nouveaux conseils élus, le législateur a effectué une prorogation des mandats des conseillers municipaux en exercice avant le premier tour. Pour autant, cette prorogation n’a nullement remis en cause le mandat dont serait titulaire le candidat élu.
  • La prorogation des mandats des conseillers municipaux en exercice avant le premier tour
  • LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (1)
    Les éléments de droit entourant la situation des candidats élus demeurent en effet la conséquence de la prorogation des mandats des conseillers municipaux et communautaires en exercice avant le premier tour.

     

    L’article 19- IV de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a porté dérogation à l’article L. 227 du Code électoral (N° Lexbase : L0420DPA) qui impose, tous les six ans, un renouvellement intégral des conseillers municipaux au mois de mars. Le législateur a ainsi distingué selon que le conseil municipal est élu ou non au complet. Afin de garantir une visibilité et une assurance quant à l’installation des nouveaux conseils, le législateur a établi, dès la loi d’urgence du 23 mars 2020, que les conseillers municipaux et communautaires élus dès le 15 mars entreraient en fonction au plus tard en juin 2020. La loi imposait en effet la publication d’un décret d’entrée en fonction des nouveaux conseillers municipaux et communautaires, après avis du comité scientifique.  

     

    Le déconfinement amorcé, et sur la base de l’avis du conseil scientifique, le Premier Ministre a annoncé, devant l’Assemblée Nationale, l’entrée en fonction des nouveaux élus municipaux et communautaires à compter du 18 mai 2020 par un décret prévoyant l’installation des nouveaux conseils municipaux. Ainsi, la première réunion des conseils municipaux nouvellement élus devaient intervenir entre le 23 et le 28 mai, avec certains aménagements décidés par le pouvoir exécutif. Les conseillers municipaux élus dans les communes de moins de 1 000 habitants et dans lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, ainsi que les conseillers d’arrondissement et les conseillers de Paris, entreront en fonction le lendemain du second tour s’il a lieu, donc le lendemain du 28 juin 2020. Dans le cas contraire, la loi fixera leurs modalités d’entrée en fonction. Il est d’ailleurs à souligner que le Premier ministre a d’ores et déjà envisagé deux projets de loi, l’un ordinaire, l’autre organique, dans la perspective où le second tour ne pourrait avoir lieu le 28 juin 2020. L’élection des candidats élus le 15 mars dernier resterait acquise, notamment pour le cas des conseils municipaux non élus au complet dans les communes de moins de 1 000 habitants.

     

    Le conseil municipal élu au complet, le mandat des conseillers municipaux en exercice avant le premier tour demeurait donc prorogé jusqu’au 18 mai. Pour les communes dont le conseil municipal n’a pas été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au 28 juin inclus. Il en va de même pour les mandats de conseillers communautaires, sauf dans le cas où, au regard de l’arrêté préfectoral fixant le nombre de sièges par commune, le nombre de conseillers maintenus est supérieur au nombre de conseillers communautaires pouvant siéger au sein de l’assemblée communautaire ou métropolitaine. Dans ce cas, le préfet devra mettre fin au mandat des conseillers communautaires selon plusieurs hypothèses énoncées par loi. On notera que les mandats de conseillers métropolitains de Lyon ont eux aussi été prorogés jusqu’au second tour pour ce qui est des conseillers métropolitains de Lyon en exercice avant le premier tour.

     

    Quel que soit l’hypothèse retenue, le législateur s’est ainsi efforcé de garantir que le candidat élu dès le premier tour entrerait nécessairement en fonction, tout en tenant en compte de la situation sanitaire. Cette situation semblait pérenne, dès lors que l’élection du candidat élu ne semblait pouvoir être remise en cause.

  • L’absence apparente de remise en cause du mandat du candidat élu
  • Questionner la pérennité des résultats du premier tour au bénéfice du candidat élu suppose de s’interroger, en premier lieu, sur la validité de la prorogation des mandats de conseillers municipaux et communautaires.

     

    Cette prorogation s’inscrit pleinement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de sa décision de 1990 portant sur la prorogation des mandats des conseillers généraux et régionaux. Le législateur, pour faire coïncider les mandats de conseillers régionaux et généraux, avait prorogé d’un an le mandat des conseillers généraux élus en 1985. Les sénateurs avaient alors saisi a priori le Conseil constitutionnel, au motif que l’article 10 permettant la prorogation était contraire au droit de suffrage. Les sénateurs soutenaient notamment que « l’extension d’un mandat en cours représente une confiscation par le délégataire du pouvoir délégué par le peuple souverain ». De plus, ils affirmaient que la loi méconnaissait les principes généraux appliqués au droit de suffrage, car, pour eux, « une durée aussi longue et en dehors de circonstances exceptionnelles d’un mandat électif » aboutirait à priver de moyens d’expression une partie du corps électoral. En outre, les requérants avaient considéré une atteinte au principe d’égalité, car la loi litigieuse créait une « distinction entre trois catégories de conseillers généraux selon la durée de leur mandat ». La question de la confiscation du pouvoir délégué, tout comme celle de l’atteinte au principe d’égalité, applicable à notre situation, était donc posée.

     

    Pour y répondre, le Conseil constitutionnel rappela que l’article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) établissait que le législateur avait non seulement compétence pour déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources, mais aussi pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales. Ce faisant, le juge de la rue Montpensier considéra que, puisque le législateur avait compétence pour fixer les règles portant sur le régime électoral des assemblées locales, il pouvait déterminer à ce titre la durée du mandat des élus qui composent l’organe délibérant. Pour autant, le Conseil constitutionnel énonça une limite : le législateur doit, dans ce cadre, « se conformer aux principes d’ordre constitutionnel, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer selon une périodicité raisonnable leur droit de suffrage ».  Il doit donc apprécier le caractère raisonnable de la prorogation du mandat, notamment en vérifiant que « les modalités tenues par le législateur ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif qu’il s’est fixé ».  

     

    De plus, cette prorogation des mandats n’avait nullement été remise en cause par le Conseil constitutionnel, celui-ci considérant que, classiquement, le principe d’égalité ne s’opposait « ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec la l’objet de la loi qui l’établit ». En l’espèce, le Conseil constitutionnel s’était refusé à constater une atteinte au principe d’égalité, puisque les dispositions contestées n’avaient pour but que de permettre une concordance entre le renouvellement partiel des conseils généraux et le renouvellement intégral des conseils régionaux afin d’assurer une concordance totale entre les mandats de conseillers départementaux et régionaux. Or, cette différence de traitement demeurait limitée dans le temps et devait se résorber. Cette prorogation s’inscrivait dans un ensemble de dispositions devant permettre d’accroître la participation aux élections cantonales et régionales de l’époque. Ces éléments justifiaient ainsi une différence de traitement n’étant pas susceptible de porter atteinte au principe d’égalité.

     

    La question de la validité de la prorogation des mandats de conseillers municipaux et communautaires encore en exercice demeure ainsi un enjeu incontournable, car l’effet d’entraînement sur la situation juridique des candidats élus en est la principale conséquence.

     

    Les circonstances exceptionnelles découlant de la crise sanitaire justifiaient à elles seules le dispositif élaboré par le législateur, et notamment la prorogation des mandats. En effet, comme le souligne le Professeur Rambaud, les risques sanitaires et les mesures de confinement justifiaient en eux même le report du second tour des élections municipales pour un motif d’intérêt général. Ce risque sanitaire concernait également la réunion des premiers conseils, ce qui avait pu pousser l’exécutif au report des conseils municipaux d’installation. De surcroît, la nécessité d’avoir des exécutifs déjà en place pouvait être gage de sécurité, en premier lieu pour l’État, dont le maire demeure, en temps de crise sanitaire, un intermédiaire fondamental.

     

    Par ailleurs, la courte durée de prorogation ne laissait pas présager une atteinte substantielle à l’expression du suffrage, d’autant qu’elle est en deçà de la durée des prorogations déjà validées par le Conseil constitutionnel. Mais surtout, comme le note le Professeur Rambaud, « distinguer les élections acquises au premier tour, conservées, et les autres, ne semble pas contraire au principe d’égalité, dans la mesure où il existe ici aussi une différence de situation claire ».

     

    Pour ainsi dire, la situation des candidats élus semblait donc garantie du fait même de leur différence de situation découlant à la fois du report des élections municipales et de la prorogation des mandats déjà mentionnés.

     

    Cependant, comme il est de rigueur pour chaque élection, le (futur) mandat du candidat élu pouvait être remise en cause dans la perspective d’un contentieux électoral. Face à la crise sanitaire, l’exécutif a été contraint d’adapter les délais de recours contentieux, notamment en matière électorale. Ainsi, le délai de recours contre les élections acquises dès le premier tour avait été prorogé jusqu’à cinq jours suivant la date d’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires. Débutant donc le 18 mai, le délai de recours contentieux était prolongé jusqu’au 25 mai, la fin du délai de recours de cinq jours intervenant un week-end. Passé ce délai, les candidats élus voyaient leur élection pérennisée.

     

    Mais c’est surtout sur le terrain du contentieux constitutionnel que la remise en cause du mandat du candidat élu est en mesure de se faire. Si une partie de la doctrine s’est interrogée sur la sincérité du scrutin et que le contentieux électoral s’est évidemment tourné vers la remise en cause de la sincérité du scrutin du 15 mars dernier, avec comme principale figure de proue l’association Cinquante millions d’électeurs, c’est bien la possibilité d’une saisine a posteriori qui attire toute l’attention, d’autant que le Conseil constitutionnel a consacré récemment un principe de sincérité des scrutins nationaux. Le tribunal administratif de Lyon a en effet considéré le 11 mai 2020, à l’occasion d’un contentieux des élections municipales de Saint-Laurent-de-Mure, que « l’article 19 de la loi d’urgence du 23 mars 2020 est applicable au présent litige. Ses dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment à son article 3 et aux articles 1 et 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 27 août 1789, pose une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux ».

     

    Transmis à la plus haute juridiction administrative, la position du Conseil d’Etat était largement attendue. De surcroît, le Conseil constitutionnel, par l’intermédiaire de son président, apparaissait largement disposé à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi d’urgence.

     

    Mais c’est au détour du contentieux électoral de la commune de Brigue que le Conseil d’Etat s’est prononcé. Le Conseil d’Etat a, en effet, décidé de renvoyer l’intégralité des dispositions l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 au Conseil constitutionnel. Ainsi, est bien en jeu le I, III et IV de l’article 19 de ladite loi que le Conseil d’Etat considère applicable au litige tendant à l’annulation des opérations électorales de la commune de La Brigue du 15 mars dernier. Il est ici intéressant de souligner qu’en soumettant l’entièreté de l’article 19-I, le Conseil d’Etat ne tranche pas la question de la normativité de la disposition portant sur le caractère acquis des élections du premier tour des élections municipales et communautaires. Il relèvera du Conseil constitutionnel de constater sa portée ou non normative. Surtout, le Conseil d'Etat relève que « le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de sincérité du scrutin soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il admet ainsi que les dispositions contestées demeurent susceptibles de porter atteinte au principe de sincérité du scrutin, mais, pas seulement. En utilisant, l’adverbe « notamment », il laisse entrevoir d’autres atteintes possibles à des droits et libertés garantis par la Constitution.

     

    Une annulation pure et simple des dispositions contestées entraînerait une annulation des élections du premier tour et donc, a fortiori, l’irrégularité de l’élection des candidats élus. Les conséquences seraient alors majeures et même catastrophiques sur le plan politique. Le Conseil constitutionnel pourrait tenter d’atténuer les effets d’une telle censure par une réserve d’interprétation qui limiterait la remise en cause des élections du premier tour et donc des candidats élus. Enfin, il pourrait aussi rejeter la QPC ce qui mettrait fin aux incertitudes. L’avenir du mandat des candidats élus est donc dépendant du Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, aucune certitude n’existe quant à sa position qui peut parfois être surprenante.

     

    L’objectif du législateur et de l’exécutif était in fine de tenir compte des conséquences de la prorogation des mandats des conseillers en exercice en 2014 et d'envisager la place des candidats élus dans une période transitoire imposée par la crise sanitaire où devait coexister, voire cohabiter, équipe entrante et équipe sortante, encore plus dans le cas où une nouvelle majorité municipale était élue. La reconnaissance d’un droit à l’information des candidats élus constituait un enjeu essentiel en la matière.

3. Un droit à l’information original mais restreint du candidat élu

E55453NP

  • La prorogation des mandats des conseillers municipaux et communautaires en exercice dès 2014 ne pouvait avoir que des conséquences logiques sur la situation des candidats élus. N’occupant pas encore la fonction de conseiller municipal et communautaire, le candidat élu ne pouvait en effet se voir appliquer les droits et devoirs en lien avec le mandat de conseillers municipal et communautaire. Cette conséquence, logique du point de vue juridique, explique la reconnaissance pour le candidat élu d’un droit préventif à l’information, qui demeure pour autant largement critiquable tant sa portée demeure restreinte.
  • L’application différée des droits et devoirs en lien avec le mandat pour les candidats élus
  • Le mandat de conseiller municipal et communautaire emporte, comme tout mandat, droits et devoirs. Pour autant, parce qu’il est seulement élu et non en fonction, le candidat élu ne pouvait bénéficier ni des droits ni des devoirs attachés au mandat de conseiller municipal et communautaire. Nous nous intéresserons ici bien aux droits des candidats élus. Avant le 18 mai 2020, un candidat élu salarié ne pouvait bénéficier de garanties exercées dans le cadre de son mandat. Néanmoins, il pouvait se poser la question du moment où le candidat élu pouvait demander un entretien individuel au titre de l’article L. 6315-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4961LUB). L’entretien devant avoir lieu « au début de son mandat de conseiller municipal », le candidat élu devait logiquement attendre la prise de fonction pour pouvoir demander un entretien individuel. En revanche, on peut aisément imaginer, qu’en pratique, des entretiens individuels aient pu avoir lieu en amont pour anticiper le début du mandat et profiter, ainsi, de cette longue période de transition. 

     

    Par ailleurs, le candidat élu ne pouvait bénéficier d’une protection fonctionnelle, la loi limitant la protection « au maire, à l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions ». Il en va de même pour les candidats au conseil communautaire, la loi limitant la protection fonctionnelle aux présidents et vice-présidents de l’EPCI. En revanche, des candidats élus, exerçant au moment de l’élection la fonction de maire, d’adjoint ou de conseiller délégué, voyaient logiquement leur protection fonctionnelle subsister du fait de la prorogation des mandats.

     

    En outre, les candidats élus ne disposaient pas du droit d’information « classique » concernant les affaires susceptibles de faire l’objet d’une délibération. Ainsi, la commune, et donc l’exécutif municipal encore en fonction, n’était dans l’obligation de mettre à disposition des moyens d’échanges d’information à destination des candidats élus. Tout dépendait d’une volonté politique, d’un travail souhaité et assumé entre équipe sortante et équipe entrante. La prorogation des mandats emportait également des conséquences à l’égard des listes d’opposition nouvellement élues. Fautes de droits affairant au mandat, elles ne pouvaient se constituer en tant que groupe d’opposition, tant que le premier conseil municipal de la mandature n’a pas eu lieu. A fortiori, elles ne pouvaient se prévaloir des droits des conseillers municipaux d’opposition tels que prévus par l’article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2549KGI). En outre, le régime des incompatibilités applicable aux conseillers municipaux et communautaires, aux conseillers d’arrondissement et de Paris, n’entrait pas en vigueur pour les candidats élus. Le régime des incompatibilités ne demeurait applicable qu’à compter de l’entrée en fonction.

     

    En l’absence de droits associés aux mandats de conseillers municipaux et communautaires, le législateur, conscient que devait être envisagée une phrase transitoire permettant de faciliter le futur exercice des candidats élus, a tenté de leur reconnaître un droit « préventif » d’information.

  • La reconnaissance d’un droit d’information préventif largement restreint
  • La période exceptionnelle de crise sanitaire a conduit le législateur à faire preuve d'innovation, de façon positive ou négative. En cela, le droit des collectivités n’y a nullement échappé, et tire une relative singularité en reconnaissant, aux candidats élus, un droit spécifique d'information. Tous les candidats élus devaient avoir ainsi connaissance des décisions prises par le maire dans le cadre de l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9915LM8), c’est-à-dire des délégations accordées par le conseil municipal. Cette obligation vaut également pour tous les actes pris sur ce fondement par des adjoints ou conseillers municipaux ayant reçus délégation du maire au titre de l’article L. 2122-18 du même code (N° Lexbase : L4844LUX). Dans le cas présent, les délégations effectuées par le maire avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance restent fondées sur les arrêtés de délégation.  Quoi qu’il en soit, cette obligation se traduisait par la transmission d’une copie de tous les actes pris en ce sens.

     

    Par cela, le législateur a souhaité pallier l’installation différée des conseils municipaux et communautaires en permettant aux candidats élus d’être informés des actions du maire de la commune ou du président de l’EPCI. Issu d’un amendement des députés socialistes et apparentés, la disposition tire conséquence de cette période transitoire, les députés auteurs de l’amendement soulignant son importance, dans l’hypothèse où un maire sortant, battu, continuerait à exercer ses fonctions à titre provisoire.

    L’enjeu était donc essentiellement démocratique, si ce n’est symbolique : d’une part, ce contrôle devait permettre aux futurs exécutifs locaux d’être prêts le moment venu et, d’autre part, de prévenir un contexte où un maire sortant battu prendrait des décisions défavorables pour le futur exécutif municipal. La même logique demeurait présente pour les EPCI. Pour faciliter notre propos, nous nous focaliserons essentiellement sur l’échelon communal.

     

    En période de crise sanitaire, l’enjeu était donc de savoir si, compte tenu de l’écart entre le temps de l’élection et le temps de l’installation, l’exécutif local se limiterait dans son action. La loi d’urgence semblait avoir envisagé la question, mais avec une ambiguïté certaine.

     

    Il est de jurisprudence constante qu’une autorité désinvestie de ses fonctions doit assurer l’expédition des affaires courantes. En ce sens, à la suite du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, l’organe délibérant ou le pouvoir l’exécutif de la commune ne peut se limiter qu’à l’expédition des affaires courantes. Il en va de même pour l’EPCI. L’expédition des affaires courantes vise à assurer la continuité du service public. Les affaires courantes peuvent être considérées comme, d’une part, « par nature, c’est-à-dire la masse des décisions quotidiennes que les bureaux préparent et qui ne modifient pas de façon importante et définitive l’état du droit en vigueur » et, d’autre part, « les affaires qui par leur urgence demandent des décisions immédiates, quelles que soient les modifications politiques et juridiques qu’elles apportent ».

     

    Le caractère régulier de la décision prise est, en matière d’expédition des affaires courantes, déterminant, dès lors que celle-ci permet la continuité du service public et qu’elle n’engage pas notamment de façon importante les finances de la collectivité territoriale. Par exemple, il sera nécessaire de savoir pour les conseillers concernés si la décision aurait nécessité une délibération de l’assemblée délibérante en temps normal, ou par exemple, un débat en commission des finances. De plus, la jurisprudence a révélé que le caractère d’urgence était également déterminant, car il permet d’établir si une décision relève ou non de la gestion des affaires courantes. La notion a été appréciée in concreto par le juge administratif, que ce soit en matière de commande publique, ou en matière d’urbanisme par exemple.

     

    La période transitoire amorcée depuis le soir du 15 mars 2020 pouvait donc a priori s’inscrire dans le cadre classique de la gestion des affaires courantes. Face à la gravité exceptionnelle de la situation de la crise sanitaire, le pouvoir exécutif a fait le choix d’user de l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales pour faciliter la gestion municipale et répondre à l’exigence de continuité du service public, laquelle est assurée normalement par l’expédition des affaires courantes entre le moment de l’élection et l’installation du conseil municipal. L’usage de l’article L. 2122-22, pouvait-on croire, demeurait strictement limité. Or, parce que la continuité du service public constituait l’élément moteur du dispositif, le pouvoir exécutif a fait le choix – contestable -  de dépasser le cadre traditionnel d’expédition des affaires courantes, ce qui était une solution loin d’être évidente, car le doute, permis à la simple lecture des dispositions, ne fut levé qu’à la lecture d’une note de la direction générale des collectivités locales intervenue le 6 avril 2020.

     

    L’application de l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales permettait ainsi une capacité d’action considérable du maire au regard de la liste des compétences du conseil municipal qui peuvent être déléguées. Cette impression était d’autant plus confirmée avec l’ordonnance visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et l’exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux. En effet, l’ordonnance confiait de plein droit aux exécutifs locaux les attributions que peuvent normalement déléguer les assemblées délibérantes aux exécutifs locaux. Autrement dit, le pouvoir exécutif, pour répondre à l’enjeu de crise sanitaire, offrait un pouvoir considérable, dirons nous-même exceptionnel, aux exécutifs locaux en permettant une application quasiment complète, et de plein droit, de l’article L. 2122-22. Pour ce qui est du président de l’EPCI, l’ordonnance prévoyait que ce dernier exerce l’ensemble des attributions de l’organe délibérant, en s’inscrivant dans les exceptions classiques posées par l’article L. 5211-10 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3475IZQ), l’article L. 163-12 du Code des communes de la Nouvelle-Calédonie (N° Lexbase : L5271HM8).

     

    Conscient du pouvoir octroyé aux exécutifs locaux, le pouvoir exécutif avait prévu plusieurs garde-fous, en obligeant la transmission d’une copie des actes pris sur le fondement de l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales aux conseillers municipaux ou communautaires dont les mandats demeuraient prorogés. Le maire devait en rendre compte à la prochaine réunion du conseil municipal prenant place après l’entrée en vigueur de l’ordonnance Surtout, le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’EPCI réunis durant cette période de crise pouvait « mettre un terme en tout ou partie à cette délégation ou de la modifier », c’est-à-dire procéder à un retrait ou une abrogation de l’acte, ce qui pouvait avoir pour le moins des conséquences importantes, d’autant que le conseil municipal pouvait réformer les décisions prises par le maire sur ce fondement. Cette question devait être portée à l’ordre du jour de la première réunion suivant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 (N° Lexbase : L6258LWP).

     

    Faute de réunion des assemblées délibérantes durant la période précédant l’installation des nouveaux conseils municipaux, il appartiendra aux exécutifs d’inscrire à l’ordre du jour la question des décisions prises sur le fondement de l’article L. 2122-22, l’application du dispositif prenant fin à la date d’installation du nouveau conseil municipal. Les candidats élus, en fonction depuis le 18 mai 2020 seront à même de se prononcer sur cette question.

     

    Cet arsenal juridique demeure critiquable sous plusieurs aspects : les candidats élus, qui auront à assurer une gestion future et, potentiellement, les conséquences des actes pris sur ce fondement, n’avaient in fine aucune prise immédiate sur les décisions, ce qui est logique du point de vue du droit, mais ce qui peut être problématique pour une transition démocratique apaisée.

     

    D’autre part, au regard du contexte sanitaire, le contrôle du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI semblait difficile, cela même si l’article 2, 3 et 4 de l’ordonnance élargissait par exemple le quorum au tiers et non plus à la moitié, ou tentaient de faciliter les réunions, notamment par l’usage de la visioconférence. Dans ce contexte, les réunions de conseil municipaux demeuraient incertaines et laissaient penser que la majorité des exécutifs locaux disposaient pleinement des pouvoirs découlant de l’ordonnance, sans réels contre-pouvoirs. Le contrôle de légalité était donc essentiel en la matière, d’autant que les motivations de l’article 1er de l’ordonnance ne semblaient pas donner une réponse totale quant aux limites des prérogatives du maire ou président de l’EPCI en la matière. Le pouvoir exécutif justifiait ainsi sa volonté de « faciliter la prise de décision dans les matières permettant d’assurer la continuité du fonctionnement et de l’action des collectivités territoriales et de leurs groupements ».

     

    L’application généralisée de l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales pouvait laissait craindre des difficultés au niveau communal, notamment dans le cas où le maire était défait, voire non réélu. Par exemple, le maire durant cette phase transitoire, pouvait « prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget ». Dans ces conditions, le report des votes des budgets communaux et intercommunaux, permettant au maire de fonder temporairement ses dépenses sur l’intégralité des dépenses d’investissement 2019, pouvait laisser craindre des dérives, d’autant que, suite à l’état d’urgence sanitaire, le maire n’avait nulle obligation de réunir une commission d’appel d’offres.

     

    Face à ces pouvoirs « exceptionnels » du maire, le droit à l’information des candidats élus apparaît bien faible, si ce n’est marginal, tant leur rôle dépendait à la fois du rôle que l’exécutif encore en place acceptait de donner, mais aussi de la situation de l’exécutif sortant.

     

    Pour les maires encore en fonction, et sortis victorieux du premier tour, ceux-ci avaient sans doute une capacité d’action plus conséquente, dès lors qu’ils étaient certains de pouvoir continuer les projets lancés lors de sa mandature précédente et qu’ils pouvaient s’appuyer sur une nouvelle majorité qui serait informée des décisions prises, alors même qu’elle n’était pas formellement installée. L’information des candidats élus devait alors se faire, dans le cadre de l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales, avec intérêt pour préparer aux mieux les candidats élus, notamment les nouveaux entrants.

     

    Pour le cas des maires encore en fonction et défaits au premier tour, la problématique était, elle, bien plus importante, car le risque de voir le maire perdant agir pour complexifier la tâche de son successeur demeurait réel. La transmission de la copie des actes pris sur fondement demeurait d’autant plus essentielle, le maire ayant l’obligation légale de rendre compte de l’exercice des délégations accordées par le conseil municipal lors des réunions obligatoires du conseil municipal.

     

    L’exécutif, tout comme l’opposition nouvellement élue, devait donc veiller à l’effectivité de la transmission et, surtout, au contenu des actes pris durant cette période transitoire. Le non-respect des compétences déléguées par le conseil municipal effectuée durant cette période transitoire pourrait manifestement emporter l’illégalité des actes pris par le maire. Les exécutifs communaux et intercommunaux en place, tout comme les autres candidats élus - et notamment les oppositions - devront s’assurer que le cadre juridique de l’article L. 2122-22 a bien été respecté.  

     

    Les décisions prises sur le fondement de l’article L. 2122-22 étant assimilées à des délibérations du conseil municipal, les conseillers municipaux au mandat prorogé disposaient d’un intérêt à agir, si tôt la connaissance de l’acte, et ne se verraient pas appliqués les principes antérieurs à l’arrêt « Ville de Meudon » de 1995. Ils n’avaient donc pas à démontrer que l’acte attaqué porte atteinte au statut de l’assemblée délibérante, aux prérogatives de ses membres ou démontrer un intérêt à agir.

     

    Les candidats élus devaient, avant leur entrée en fonction, démontrer l’existence d’un intérêt personnel à agir ce qui limitait, nécessairement, leur capacité de contrôle par la voix contentieuse, notamment pour ce qui était des candidats élus de l’opposition. Les candidats élus ne pouvaient pleinement s’opposer aux décisions prises dans le cadre de l’article L. 2122-22 qu’à compter de leur entrée en fonction.

  • En guise de conclusion...

     

    Les circonstances exceptionnelles l’exigeant, le législateur fut contraint d’adopter un statut d’exception. Le statut des candidats élus est original et tente de pallier les effets du report des installations des conseils municipaux. La reconnaissance du statut de candidat n’a de sens que parce qu’elle garantit leur élection et leur offre un pouvoir de contrôle a minima en tirant conséquence de leur statut. Sa portée, juridiquement justifiée, n’en demeure pas moins limitée et empêchait nécessairement aux candidats élus de trouver une quelconque existence sauf volonté des équipes sortantes.

     

    La précipitation étant rarement gage de sûreté, le législateur et le pouvoir exécutif ont offert, aux élus, mais aussi aux juristes, un appareillage exceptionnel à l’image de la crise sanitaire. Il ne fait pour autant nul doute que le législateur aurait pu éviter ce « bricolage » législatif en reportant purement et simplement l’ensemble du scrutin des élections municipales et communautaires. Les éléments que nous avons développés ne demeurent que la conséquence de ce choix.

     

    Malgré tout, à l’instar de toutes les branches du droit, le droit des collectivités territoriales s’est adapté et devait permettre d’assurer une place aux candidats élus, symbole d’une démocratie ayant pu s’exprimer dans le contexte d’une crise sanitaire exceptionnelle et historique. C’est ainsi qu’a émergé un statut prenant acte des effets juridiques de la prorogation des mandats de 2014 et, surtout, un statut tentant d’opérer, dans un contexte de crise sanitaire, le basculement du statut de candidat élu vers celui de conseiller municipal et communautaire.

     

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