La lettre juridique n°920 du 13 octobre 2022 : Comité social et économique

[Jurisprudence] La modification de l’ordre du jour du CSE en début de séance, quésaco ?

Réf. : Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-83.914, F-B N° Lexbase : A99508HY

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par Hugues Ciray, Avocat associé, Hujé Avocats

le 12 Octobre 2022

Mots-clefs : réunion du CSE • ordre du jour • modification en début de séance • conditions    

Le comité social et économique peut valablement, à l’unanimité des membres présents en début d’une réunion, voter l’ajout d’un nouveau point à l’ordre du jour.


Les modalités de fixation de l’ordre du jour des réunions du comité social et économique (CSE) sont encadrées par un principe : celui d’une fixation concertée entre le président et le secrétaire du comité. La discussion de l’ordre du jour constitue un temps d’échange privilégié entre ces deux protagonistes afin de préparer au mieux les réunions du comité. L’objectif premier est de permettre à chacune des parties, à savoir la direction et la délégation du personnel, d’avoir une visibilité sur les sujets qui seront abordés. À cette fin, la loi a prévu un délai minimal que doit respecter le président du CSE afin de transmettre l’ordre du jour aux membres du CSE et aux personnes intéressées avant la date de la réunion : 3 jours pour les réunions ordinaires du comité social et économique (C. trav., art. L. 2315-30 N° Lexbase : L8341LGZ) et 8 jours pour les réunions ordinaires du comité central (C. trav., art. L. 2316-17 N° Lexbase : L8424LG4). Quid lorsque, le jour de la réunion, la délégation du personnel souhaite délibérer sur un point non-prévu à l’ordre du jour et qui ne présente aucun lien avec un point prévu à l’ordre du jour ? C’est à cette épineuse question que la Cour de cassation répond dans l’arrêt sous examen. Il convient de relever que si la décision a été rendue en présence de l’ancien comité central d’entreprise, les fondements juridiques utilisés sont identiques aux nouveaux textes applicables au comité social et économique central. Aussi, pour inscrire notre analyse dans le présent, il sera uniquement évoqué les textes applicables au CSE.

I. Le contexte juridique de l’affaire

L’affaire. Le 9 mars 2019, le comité central d’entreprise de la société France Télévisions a fait citer la société et sa présidente devant le tribunal correctionnel de Paris pour délit d’entrave pour avoir omis d’informer et de consulter le comité central d’entreprise préalablement à la mise en place en avril 2014 et au cours de l’année 2015 de fiches nominatives d’évaluation de performance et de potentiel. Ces fiches comportaient les remarques émises par les supérieurs hiérarchiques à la suite des entretiens annuels d’évaluation, qui n’étaient pas portées à la connaissance des salariés. En somme, il s’agissait d’un système occulte d’évaluation des salariés. En vue de cette action, le secrétaire du comité central d’entreprise, lors d’une réunion du 1er octobre 2015, est intervenu en début de séance pour solliciter l’ajout d’un nouveau point à l’ordre du jour intitulé : « vote d’un mandat au secrétaire du CCE pour ester en justice pour entrave ». L’objectif était ainsi d’engager une action en justice à l’encontre de la société. La société a soutenu devant le juge pénal l’irrecevabilité de la citation directe aux motifs que la délibération autorisant le mandat d’ester en justice n’a pas été préalablement inscrite à l’ordre du jour de la réunion du comité et ne présentait aucun lien avec les questions devant être débattues. Les juges du fond ont rejeté cette demande et ont jugé la citation recevable aux motifs que, lors de la réunion litigieuse, le point relatif à l’action en justice a été ajouté en début de séance, sans aucune contestation. La société s’est, sans surprise, pourvue en cassation. En raison du passage en CSE, le comité social et économique central est venu en cours de procédure aux droits de l’ancien comité central d’entreprise.

La problématique. En matière pénale, l'action civile en réparation du dommage directement causé au CSE par un crime, un délit ou une contravention doit être exercée par l'un de ses membres régulièrement mandaté à cet effet [1]. Ce mandat doit être donné avant l’introduction de l’instance [2]. La régularité du mandat donné par le CSE constitue ainsi un point de contrôle habituel dans le cadre d’une action pénale en entrave. Dans ce cadre, l’article L. 2316-17 du Code du travail N° Lexbase : L8424LG4 dispose que l’ordre du jour des réunions du comité social et économique central est arrêté par le président et le secrétaire. Une fois arrêté, cet ordre du jour doit être communiqué aux membres du comité huit jours au moins avant la séance. Il est de principe qu’en cas de désaccord entre le président et le secrétaire sur les points à mettre à l’ordre du jour, il appartient au plus diligent d’entre eux de saisir le juge des référés pour résoudre la difficulté [3]. Hormis les consultations rendues obligatoires par la loi, qui peuvent être inscrites unilatéralement par le président ou le secrétaire en cas de désaccord conformément à l’article L. 2316-17 du Code du travail, l’un ou l’autre ne peuvent donc unilatéralement imposer au CSE un point à l’ordre du jour. Selon la jurisprudence, est irrégulière la délibération du comité d'entreprise décidant d'engager des poursuites pénales, alors que cette question ne figurait pas à l'ordre du jour et ne présentait aucun lien avec celles devant être débattues [4]. La particularité de l’affaire sous examen résulte de l’inscription du mandat d’ester en justice à l’ordre du jour de la réunion en début de séance par le seul secrétaire, sans aucune objection de la part des autres membres du comité central. Certains élus étaient absents lors de cette réunion, et n’ont donc pas été en mesure de donner leur avis au changement inopiné de l’ordre du jour le jour de la réunion, alors qu’ils ont pu faire le choix de s’absenter de la réunion en toute connaissance de cause, au motif par exemple que l’ordre du jour ne présentait pas de point stratégique nécessitant leur présence. Dans le cadre de son pourvoi, la société a ainsi reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si l'ajout du point litigieux à l'ordre du jour de la réunion en tout début de séance, n'était pas de nature à établir l'irrégularité de la résolution litigieuse et du mandat confié au secrétaire d’ester en justice, faute d'avoir permis aux membres titulaires absents de la possibilité de s'exprimer sur ce sujet.

II. La solution retenue par la Cour de cassation et sa portée

La solution. Rejetant l’argumentation de l’employeur, la Cour de cassation a approuvé les décisions des juges du fond aux motifs que « si l'article L. 2327-14 du Code du travail, dans sa rédaction alors applicable, prévoyait que l'ordre du jour du comité central d'entreprise est communiqué aux membres huit jours au moins avant la séance, ce délai était édicté dans leur intérêt afin de leur permettre d'examiner les questions à l'ordre du jour et d'y réfléchir.
Or, il résulte du procès-verbal du comité du 1er octobre 2015, dont la Cour de cassation a le contrôle, que la modification de l'ordre du jour a été adoptée à l'unanimité des membres présents, de sorte qu'il en résulte que ces derniers ont accepté, sans objection, de discuter de la question du mandat, manifestant ainsi avoir été avisés en temps utile ». Selon la Cour de cassation, la modification de l’ordre du jour le jour de la réunion, sans respecter le délai de prévenance de 8 jours, n’emporte donc aucune irrégularité si les membres du comité n’ont émis aucune objection. L’accord en vue de modifier l’ordre du jour en séance peut ainsi être tacite. La Chambre criminelle reprend à son compte une position dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis 1969, suivant laquelle le délai de prévenance a été édicté par la loi dans le seul intérêt des élus, de sorte que le non-respect de ce délai n’entraîne aucune irrégularité s’ils ont, sans contestation, examiné les points à l’ordre du jour au cours de la réunion [5]. Le Conseil d’État a également jugé que « si l’ordre du jour est communiqué aux membres du comité d’entreprise 3 jours au moins avant la séance, la méconnaissance, en l’espèce, de ce délai n’a pas empêché le comité d’entreprise de donner son avis en connaissance de cause ; l’avis du comité doit être regardé comme ayant été régulièrement émis » [6]. Mais, dans ces affaires, l’ordre du jour avait été communiqué à l’avance, même si le délai de prévenance n’avait pas été respecté. Allant donc plus loin dans le raisonnement, la Cour de cassation soumet l’irrégularité pouvant résulter du non-respect du délai de prévenance à l’appréciation première des élus du comité. Il convient de rappeler que le non-respect de ce délai, s’il est dénoncé par les élus, peut justifier une condamnation de l’employeur pour entrave [7].

Portée de la solution. Si, dans le cas d’espèce, le point litigieux concernait le mandat d’ester en justice dans le cadre du comité central, la solution adoptée par la Cour de cassation concerne tout autre point à l’ordre du jour et s’étend également à tout CSE (d’entreprise, d’établissement et central). La solution n’est donc pas limitée au seul sujet du mandat d’ester en justice. Il convient néanmoins de relativiser la portée de cette décision. D’abord, la régularité de la modification de l’ordre du jour au cours de la séance est soumise à l’accord unanime des membres du comité présents. Une simple majorité, habituellement suffisante pour adopter une décision en réunion du CSE, n’est donc pas autorisée. Ensuite, par membres, il convient d’entendre, d’une part, les élus titulaires présents et, d’autre part, le président du CSE. En effet, dans la présente affaire, la présidente du comité central ne s’était pas opposée à la modification de l’ordre du jour et avait permis aux élus de voter sur le point ajouté. Le désaccord du président du CSE sera donc de nature à faire échec à l’inscription régulière du point non prévu à l’ordre du jour.

Enfin, il convient de distinguer les conditions dans lesquelles un point non prévu peut être ajouté à l’ordre du jour, des conditions dans lesquelles ce point peut ensuite faire l’objet d’une délibération engageant le CSE. Si, pour ajouter un nouveau point au cours de la réunion, l’unanimité est exigée, le CSE pourra ensuite délibérer sur ce point ajouté à la seule majorité des élus titulaires présents.


[1] Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 19-83.139, F-P+B+I N° Lexbase : A16733T7.

[2] Cass. crim., 22 novembre 2011, n° 11-80.232, F-D N° Lexbase : A8401H8N.

[3] Cass. soc., 23 juin 1999, n° 97-17.860 N° Lexbase : A4711AGL.

[4] Cass. crim., 5 septembre 2006, n° 05-85.895, F-P+F N° Lexbase : A0363DRU.

[5] Cass. soc., 2 juillet 1969, n° 68-40.383, publié.

[6] CE, 27 juin 1986, n° 61506 N° Lexbase : A6303AME ; CE, 7 novembre 1990, n° 105026 N° Lexbase : A8376AQB.

[7] Cass. crim., 11 juin 1974, n° 73-93.299, publié N° Lexbase : A0494CHR.

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