La lettre juridique n°498 du 20 septembre 2012 : Rel. individuelles de travail

[Le point sur...] Impact des nouvelles technologies sur le droit du travail : un salarié appartient-il virtuellement à son employeur ?

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par Valérie Duez-Ruff, avocat aux barreaux de Paris et Madrid, Cabinet Armide Avocats

le 20 Septembre 2012

La technologie ayant envahi tous les pans de notre existence, c'est très logiquement qu'elle s'est également invitée dans les relations contractuelles entre un salarié et son employeur. En effet, bien que grisé par la liberté évidente qu'offre une communication fluide grâce aux nouvelles technologies (internet et courriers électroniques) ainsi qu'aux réseaux sociaux instantanés (Facebook et Twitter notamment), le salarié doit prendre garde aux informations qu'il recueille et enregistre sur son ordinateur professionnel et aux propos qu'il tient à l'égard de son entreprise et de ses collègues même en dehors de toute activité professionnelle. Il appartient également à l'employeur de résister à la tentation grande d'utiliser systématiquement les informations du salarié contenues sur son ordinateur. Il pourra toutefois le faire sous certaines conditions. I - L'ordinateur du salarié : une boîte de Pandore dangereuse ?

Il est de jurisprudence constante que l'ordinateur professionnel du salarié, mis à sa disposition par l'employeur, contient des fichiers par essence professionnels.

D'ailleurs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) précise que ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'il peut faire l'objet d'une utilisation personnelle et comporter des informations relevant de la vie privée.

Il résulte du caractère spontanément professionnel de l'outil informatique que l'employeur peut y avoir librement accès et se servir de son contenu pour éventuellement sanctionner le salarié.

Il en est de même des connexions internet établies par le salarié durant son temps de travail.

Ces connexions peuvent concerner tant les sites consultés par le salarié, que les messages électroniques adressés par lui à une personne interne ou externe à la société.

La Cour de cassation opère ainsi une différence de traitement entre les documents, fichiers avec les courriers électroniques et correspondances traditionnelles puisque, dans ce dernier cas, le salarié peut s'opposer à ce que son employeur puisse y avoir accès (1), à condition de l'avoir informé de son droit de refuser. Comme l'énonce le Professeur Christophe Radé, "dans cette hypothèse l'employeur ne pourra y avoir accès qu'en saisissant le juge des référés qui pourra, afin de sauvegarder d'éventuels éléments de preuve, rendre une ordonnance sur requête autorisant l'employeur à accéder à cette correspondance" (2).

S'agissant des autres fichiers et document, l'employeur peut y avoir accès, même s'ils sont personnels, le salarié ayant seulement le droit, sauf urgence ou circonstances exceptionnelles, à en être informé et à assister à leur ouverture (3).

Il est important de rappeler que le salarié est protégé par le principe du secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, dont la violation est sanctionnée par les articles 226-15 (N° Lexbase : L3257IQP) et 432-9 (N° Lexbase : L9879GQX) du Code pénal, par analogie avec les courriers adressés par voie postale. Il avait ainsi été jugé en 2007 que le fait pour un salarié de se faire adresser sur son lieu de travail un pli, non identifié comme personnel, mais contenant un magazine échangiste relevait de sa vie privée et ne pouvait donc être retenu contre lui au titre d'un éventuel manquement au contrat de travail (4).

Plus récemment, la Cour de cassation a rappelé que, sauf si elles sont identifiées comme personnelles, les correspondances reçues par le salarié sur son lieu de travail sont présumées professionnelles et l'employeur peut les ouvrir hors de la présence de l'intéressé (5).

Le Tribunal correctionnel de Paris a, d'ailleurs, eu à se prononcer sur ce secret des correspondances. Il a alors précisé que le terme de correspondance désigne toute relation par écrit existant entre deux personnes identifiables, qu'il s'agisse de lettres, de messages, de plis fermés ou ouverts. Pour le tribunal, dès lors qu'un message électronique est envoyé de personne à personne, il s'agit d'une correspondance protégée (6).

Comment alors concilier le droit de contrôle et de surveillance de l'employeur sur l'activité des salariés dans le cadre de son pouvoir disciplinaire et de direction, d'une part, avec les droits et libertés fondamentales des salariés, tels que la protection de la vie privée ou la liberté d'expression, d'autre part ?

En effet, l'employeur peut mettre en place des logiciels permettant de contrôler les connexions des salariés (sites visités, temps passé, messages envoyés), à la condition qu'il en informe préalablement la CNIL ainsi que les salariés.

Toutefois, dès lors que les libertés du salarié sont restreintes ces mesures doivent être à la fois justifiées par l'intérêt légitime de l'entreprise et proportionnées au but recherché (C. trav., art. L.1121-1 N° Lexbase : L0670H9P et L. 1321-3 N° Lexbase : L8833ITC).

Dans ces conditions, comment le salarié peut-il conserver confidentiels ses documents ?

Selon la Cour de cassation, il appartient au salarié d'y faire apparaître la mention "personnel" ou "privé", peu important son emplacement.

En effet, dans une affaire soumise à son appréciation, un salarié avait été licencié pour faute grave après la découverte par son employeur de photographies à caractère pornographique et de vidéos de salariés prises contre leur gré stockées sur l'ordinateur professionnel du salarié.

Le point litigieux résidait dans l'emplacement de ces fichiers dans le dossier "Mes documents".

La Cour de cassation a jugé que s'agissant d'outils informatiques mis à la disposition du salarié par l'employeur, même le dossier "Mes documents" avait un caractère professionnel et qu'il appartenait donc au salarié de leur conférer un caractère privé et/ou confidentiel, faute de quoi l'employeur pouvait librement y accéder même en l'absence du salarié (7).

De même, il ne suffit pas de nommer un emplacement de fichier "D:/données personnelles" pour que celui-ci ait un caractère privé et donc confidentiel. Surtout qu'en l'espèce, le salarié n'avait pas classé ses fichiers personnels dans un dossier intitulé "privé" comme le préconisait la charte informatique de son employeur, la SNCF (8).

A cet égard, rappelons que si l'ordinateur du salarié contient des fichiers personnels, l'employeur ne peut procéder à leur ouverture qu'à deux conditions :

- présence du salarié ou du moins son information ;

- à défaut, l'existence d'un risque ou d'un évènement particulier pour l'entreprise (soupçons de pédophilie, situation mettant en péril la sécurité de l'entreprise, ou téléchargement illégal : CA Versailles, 5ème ch., 31 mars 2011, n°09/00742 N° Lexbase : A7367HMS).

Il appartiendra alors à l'employeur de demander préalablement au juge la désignation d'un huissier de justice pour procéder à l'ouverture des éléments litigieux sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49).

Cette procédure très rapide et non contradictoire permet à l'employeur de bénéficier d'un procès-verbal établi par l'huissier qui peut alors être utilisé comme moyen de preuve valable d'un manquement du salarié à ses obligations contractuelles et ainsi justifier une décision disciplinaire dans le cadre d'un éventuel contentieux à venir (9).

Enfin, bien qu'ayant pris soin de conférer une confidentialité à ses données, le salarié peut également être sanctionné au titre d'une utilisation abusive de son outil informatique.

Celle-ci peut être caractérisée lorsque l'utilisation du matériel informatique de l'entreprise à des fins personnelles excède une utilisation raisonnable, à l'instar d'un salarié ayant été licencié pour faute grave pour avoir utilisé des connexions internet à des fins privées pendant 41 heures en un seul mois (10).

Tel peut être également le cas d'un salarié ayant adressé un courrier électronique contenant des propos antisémites dans des conditions permettant d'identifier l'employeur (11).

De même, le fait pour un salarié d'utiliser son ordinateur et sa messagerie professionnels pour alimenter un site à caractère pornographique sur son lieu et temps de travail constitue une utilisation abusive de l'outil informatique (Cass. crim., 19 mai 2004, n° 03-83.953, F-P+F N° Lexbase : A6353DCB).

Cependant, le salarié peut librement transférer sur sa messagerie personnelle des documents de l'entreprise dont il a eu connaissance au cours de l'exercice de ses fonctions, dès lors qu'ils lui servent à sa seule défense dans le cadre d'un contentieux prud'homal.

Toutefois, le salarié, prévenu du caractère essentiellement professionnel et donc public des documents contenus sur son ordinateur professionnel, ne devra pas baisser la garde dès la journée de travail finie et se permettre une communication débridée à l'égard de l'entreprise.

II - Même hors de l'entreprise, le salarié doit rester vigilant

Avec l'arrivée des réseaux sociaux, et particulièrement de Facebook, de nombreux salariés se sont crus autorisés à parler sur leur mur ou celui d'un ami avec autant d'aisance que lors d'une conversation animée dans un bar, sans percevoir les risques liés à une communication non contrôlée.

C'est d'ailleurs ce qui ressort de l'enquête menée par l'Observatoire Cegos auprès de 1 200 salariés et 300 responsables de réseaux sociaux dans les entreprises afin de mieux comprendre l'impact des médias sociaux sur l'activité professionnelle.

Ainsi, à la question "lorsque vous vous exprimez sur les réseaux sociaux, avez-vous des craintes vis-à-vis de votre employeur ?", seuls 20 % des salariés répondent par l'affirmative ! 45 % des personnes interrogées répondent même que "pas du tout" et 20% "pas trop" !

Pourtant, de nombreux exemples jurisprudentiels invitent à davantage de modération en matière de communication virtuelle.

En effet, dans les affaires soumises à leur appréciation, les juges ont eu à déterminer si les propos tenus par un salarié sur un mur privé, depuis son domicile (par essence privé), en dehors de ses heures de travail et donc sans utiliser les outils de l'entreprise, relèvent de la sphère privée et donc du droit à la vie privée ou au contraire de la sphère publique.

Autrement dit, ces propos relèvent-ils du droit d'expression des salariés concernant les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail, rappelé par l'article L. 2281-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2503H9L).

Jusqu'à présent, il semble que les affaires médiatisées en la matière aient donné lieu à des décisions par lesquelles les tribunaux ont considéré les propos tenus sur des "murs" de profils Facebook comme publics, ne bénéficiant pas du secret de la correspondance privée.

  • Des décisions de première instance défavorables aux salariés

La première décision médiatisée est celle rendue en 2010 par le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt à l'encontre des salariés d'une société, licenciés pour avoir tenu des propos dénigrant leur entreprise sur un mur, dont l'accès était pourtant limité à leurs seuls amis (12).

Ainsi, connectés depuis leur domicile sur le réseau social Facebook, un samedi soir, trois salariés de la société avaient échangé des propos critiques envers leur hiérarchie et un responsable des ressources humaines, en disant faire partie d'un "club des néfastes". Deux autres employées avaient répondu : "bienvenue au club".

Un autre salarié avait alors transmis une copie de ces propos à la direction et quelques semaines plus tard, les trois salariés avaient été licenciés pour "incitation à la rébellion" et "dénigrement de l'entreprise".

Le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, saisi en contestation du licenciement, a jugé que celui-ci était fondé et les salariés déboutés de leurs demandes au motif que "la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère bien-fondé du licenciement" et que, donc, les propos tenus sur les réseaux sociaux, même entre amis, ne relèveraient ni du secret des correspondances, ni du droit à la vie privée, mais comme relevant de l'espace public.

La cour d'appel de Versailles saisie par les salariés déboutés leur a finalement donné raison en jugeant le licenciement prononcé à leur encontre comme étant dépourvu de toute cause réelle et sérieuse (CA Versailles, 22 février 2012, n° 10/05453 N° Lexbase : A0319IEK).

Cependant, pour ce faire les juges se sont contentés de soulever le vice de procédure sur le principe d'"une même faute ne peut faire l'objet de deux sanctions successives" ("non bis in idem"). En effet, les salariés avaient déjà fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire, sans même donner leur avis sur le fond de l'affaire. La cour n'a pas qualifié les propos tenus par les salariés à l'encontre de leur employeur sur le média social comme relevant d'un cadre privé ou semi-privé.

  • L'arrêt de la cour d'appel de Besançon : première confirmation des licenciements

Dans un arrêt du 15 novembre 2011, la cour d'appel de Besançon (CA Besançon, 15 novembre 2011, n° 10/02642 N° Lexbase : A3940H4P) a confirmé cette tendance jurisprudentielle en approuvant le licenciement d'une salariée ayant tenu des propos excessifs visant son employeur "cette boîte me dégoûte [...] ils méritent juste qu'on leur mette le feu à cette boîte de merde !" sur le mur d'un collègue qui venait lui aussi d'être licencié.

Bien que, selon la salariée, "la conversation tenue avec son ex-collègue n'était accessible qu'aux contacts de ce dernier et sa diffusion s'en trouvait donc restreinte", la cour d'appel a considéré qu'il lui appartenait de s'assurer de la confidentialité de ses propos par l'utilisation des outils idoines mis à la disposition de ses utilisateurs par les réseaux sociaux : "le réseau Facebook a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s'accroître de façon exponentielle par application du principe 'les contacts de mes contacts deviennent mes contacts'" et ce, afin de leur permettre de partager toutes sortes d'informations. Ces échanges s'effectuent librement via "le mur" de chacun des membres auquel tout un chacun peut accéder si son titulaire n'a pas apporté de restrictions. Il s'en suit que ce réseau doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public. Il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d'adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s'assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu'il a limité l'accès à son "mur".

Ce faisant, la cour d'appel crée une distinction entre les propos tenus sur un "mur public" (sans restriction d'accès) et ceux tenus sur le mur d'une personne utilisant un profil privé et restreignant l'accès à son mur à ses "seuls amis".

Dans ces conditions, la cour d'appel a jugé que, bien que jouissant "dans l'entreprise ou en dehors d'elle, de sa liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché", l'excès et la violence des propos tenus par la salariée témoignent d'un abus incontestable de sa liberté d'expression justifiant le motif réel et sérieux du licenciement prononcé.

  • L'arrêt de la cour d'appel de Douai : beaucoup de bruit pour rien

En 2009, Romain D., un animateur radio, embauché en CDD et avec une promesse d'embauche d'un an, a publié sur le mur Facebook d'un collègue des propos injurieux visant sa direction : "à toute la direction de C [...], vous êtes toutes de belles baltringues anti-professionnelles".

Un ami commun des deux salariés a procédé à une capture d'écran dudit mur et a alerté l'employeur qui a décidé en conséquence de rétracter sa promesse d'embauche pour cause de "propos et menaces à l'encontre de la direction".

De façon très imagée, la société explique que "les propos en question ont été visibles de plus de 600 personnes", ce qui revient à "hurler suffisamment fort dans une salle de concert silencieuse des propos injurieux que tous peuvent entendre".

Le conseil de prud'hommes de Tourcoing, saisi du litige, a donné raison à l'employeur en considérant que la rupture de la promesse d'embauche était "justifiée du fait des injures et menaces proférées à l'encontre de sa direction sur le réseau Facebook" par le salarié.

Trois ans plus tard, le 16 décembre 2011, la cour d'appel de Douai (CA Douai, 16 décembre 2011, n° 10/02317 N° Lexbase : A3412IAM) vient pourtant de juger la rupture du contrat de travail abusive en retenant que "des propos diffamatoires ou injurieux, tenus par un salarié à l'encontre de l'employeur ne constituent pas un événement irréversible ou insurmontable faisant obstacle à la poursuite du contrat, cette rupture ne procède pas non plus d'un cas de force majeure".

Certains s'engouffrent dans la brèche et espèrent voir les propos tenus sur un mur avec un accès restreint considérés comme étant privés.

Or, il convient de relativiser la portée de cet arrêt qui ne semble pas s'être prononcé sur le caractère privé ou public des propos incriminés.

En effet, dans la mesure où la promesse d'embauche portait sur un contrat à durée déterminée (CDD) et que, aux termes de l'article L. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2987IQP), un CDD ne peut être rompu que pour faute grave ou en cas de force majeure, il appartenait au conseil de prud'hommes d'analyser si les propos litigieux pouvaient caractériser un cas de force majeure ou bien encore une faute grave.

Ce qu'elle n'a pas jugé être le cas en l'espèce.

Elle n'a donc pas eu besoin de se pencher, au fond, sur la question et la portée des propos tenus sur Facebook.

  • Facebook : un risque pénal ?

Le fait de tenir des propos injurieux envers l'entreprise ou les membres de celle-ci sur un réseau social peut entraîner non seulement le licenciement pour faute de son auteur, mais également le risque d'une éventuelle condamnation pénale pour injure publique.

Ainsi, le tribunal correctionnel de Paris s'est-il prononcé dans une décision du 17 janvier 2012 (n° 1034008388). Dans cette affaire, un salarié titulaire de plusieurs mandats représentatifs avait publié sur le mur Facebook du syndicat CGT de son entreprise "journée de merde, temps de merde, boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde [...] Ben j'aime pas les petits chefaillons qui jouent aux grands".

Outre la mise à pied disciplinaire notifiée au salarié, l'employeur a également déposé contre lui une plainte pour injure publique envers un particulier, délit réprimé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Le tribunal correctionnel de Paris a jugé que les expressions utilisées excédaient les limites de la critique admissible, y compris (et la nuance est importante) lorsqu'elle s'exerce dans un cadre syndical, et rejette l'excuse de provocation en raison du contexte social de suicide d'une salariée dont se prévalait le salarié.

Le salarié a été condamné à une peine d'amende de 500 euros, ainsi qu'au paiement d'un euro de dommages et intérêts aux parties civiles (supérieur hiérarchique).

Il résulte de ce qui précède que tant les salariés que les employeurs doivent utiliser les éléments informatiques (courriers électroniques, fichiers ou documents informatiques, communications sur les réseaux sociaux) avec parcimonie, surtout s'ils veulent s'en prévaloir dans un cadre contentieux.

III - La charte déontologique : une panacée ?

De plus en plus d'entreprises mettent en place une charte informatique au sein de leur entreprise.

Cette charte leur permet d'éviter toute les difficultés précédemment évoquées relatives à l'utilisation de l'informatique par les salariés, ainsi que d'éviter les abus de l'usage d'internet, tant en terme de volume de temps consacré par le salarié à naviguer sur le web que sur le contenu exploré par ce dernier (sites à caractère pornographique, raciste...).

Elle peut se limiter en un simple guide d'utilisation des différents outils informatiques mis à la disposition des salariés par l'entreprise dans lequel l'employeur se contente de consigner les procédures de connexion (mots de passe), d'accès aux programmes ou de sauvegarde.

La charte peut également constituer un document contractuel plus complexe et contraignant pour le salarié avec des limitations, voire des interdictions faites à ce dernier d'utiliser les outils informatiques mis à leur disposition. Dans ce cas, elle devra être intégrée ou annexée au règlement intérieur.

Pour respecter le fragile équilibre entre les libertés du salarié, notamment d'expression, et le pouvoir de direction de l'employeur, la Cnil propose des exemples de rédaction de clauses.

Sur le contrôle des connexions à internet, elle préconise de rédiger que "seuls ont vocation à être consultés les sites internet présentant un lien direct et nécessaire avec l'activité professionnelle, sous réserve que la durée de connexion n'excède pas un délai raisonnable et présente une utilité au regard des fonctions exercées ou des missions à mener. Une consultation ponctuelle et dans les limites raisonnables du web, pour un motif personnel, des sites internet dont le contenu n'est pas contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs et ne mettant pas en cause l'intérêt et la réputation de l'organisation est tolérée".

Par cette clause, la Cnil entend préserver une utilisation "normale" d'internet par les salariés.

De même concernant l'utilisation de la messagerie électronique professionnelle par le salarié qui, plutôt que d'exclure automatiquement un usage personnel propose de l'encadrer : "un usage raisonnable dans le cadre des nécessités de la vie courante et familiale est toléré, à condition que l'utilisation du courrier électronique n'affecte pas le trafic normal des messages professionnels" (Rapport Cnil du 5 février 2002, La cybersurveillance sur les lieux de travail).

Naturellement, si l'employeur entend se prévaloir des dispositions de cette charte, il doit la transmettre préalablement pour information à ses salariés. Et s'il veut les utiliser comme prescriptions disciplinaires, l'employeur doit également informer les salariés des moyens de contrôle et de surveillance mis en oeuvre.

De même, pour éviter tout conflit social, la Cnil préconise d'inclure les représentants du personnel à la rédaction de la charte. Toutefois, le recours au comité d'entreprise lorsqu'il y en a un, devrait être automatique puisqu'il doit être informé et consulté sur tout projet important d'introduction de nouvelles technologies dans l'entreprise dès lors qu'elles sont susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail des salariés (C. trav., art. L. 2323-13 N° Lexbase : L2755H9W et L. 2325-38 N° Lexbase : L6290ISR). Il convient également d'informer la Cnil si les règles édictées impliquent la collecte d'informations nominatives concernant la manière dont chaque salarié utilise son ordinateur (C. trav., art. L. 1221-9 N° Lexbase : L0786H9Y).

Enfin, le règlement intérieur d'une entreprise peut également encadrer l'accès de l'employeur aux courriers et fichiers des salariés (13).

Ainsi a tranché la Cour de cassation en déclarant illicite le moyen de preuve qu'un employeur s'était constitué en consultant l'ordinateur de son salarié au motif que le règlement intérieur contenait une clause stipulant que "les boîtes mail des salariés pourront être consultées par la direction en présence du salarié".

Or, en ouvrant la messagerie du salarié en son absence, l'employeur a contrevenu à cette disposition, rendant de fait le licenciement pour faute grave prononcé dépourvu de toute cause réelle et sérieuse. (Cass. soc., 26 juin 2012, n° 11-15.310, F-P+B N° Lexbase : A1342IQR)

En conclusion, il est fortement préconisé aux salariés de ne laisser visible que les travaux, fichiers et courriers liés à leur stricte activité professionnelle. En cas de nécessité d'enregistrer certains éléments personnels sur l'outil informatique de l'entreprise, mieux vaut mentionner son caractère strictement privé et confidentiel. Enfin, il convient de garder à l'esprit que les propos tenus sur le web et particulièrement sur les réseaux sociaux peuvent être utilisés contre les salariés, même par leurs "amis".

Bref, pour vivre heureux en entreprise, vivons caché !


(1) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1200AWD).
(2) V. l'article de Christophe Radé, Le règlement intérieur peut imposer la présence du salarié lors de la consultation des données présentes sur son ordinateur professionnel, Lexbase Hebdo n° 493 du 12 juillet 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2886BT3) citant Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3963DWP) ; sur cet arrêt, v. les obs. de Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK).
(3) Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2997DIT), v. les obs. de Ch. Radé, L'employeur et les fichiers personnels du salarié : la Cour de cassation révise la jurisprudence "Nikon", Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4601AIA).
(4) Ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, P+B+R+I (N° Lexbase : A3179DWN).
(5) Cass. soc., 11 juillet 2012 n° 11-22.972, F-D (N° Lexbase : A8304IQM).
(6) TGI Paris, 17ème ch. corr., 2 novembre 2000, n° 9725223011.
(7) Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-13.884, F-P+B (N° Lexbase : A1376ILK), v. les obs. de L. Casaux-Labrunée, "Mes documents" ... ne sont pas personnels !, Lexbase Hebdo n° 486 du 24 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2082BTB).
(8) Cass. soc., 4 juillet 2012, n°11-12.502, F-D (N° Lexbase : A4905IQQ).
(9) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, FS-P+B+R+I, préc..
(10) Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44.247, F-D (N° Lexbase : A0825EEB).
(11) Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-45.269, publié (N° Lexbase : A5260DCS).
(12) CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010 n° 09/00316 (N° Lexbase : A6710GKQ) et n° 09/00343 (N° Lexbase : A6712GKS), lire Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH).
(13) V. les obs., de Ch. Radé, Le règlement intérieur peut imposer la présence du salarié lors de la consultation des données présentes sur son ordinateur professionnel, préc..

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