La lettre juridique n°509 du 13 décembre 2012 : Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Décembre 2012

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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, Docteur en droit, Auditrice de justice

le 12 Janvier 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite à retrouver, cette semaine, la chronique bimestrielle de Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, Docteur en droit, Auditrice de justice. Au sommaire de cette nouvelle chronique, on peut noter tout d'abord la présence de nouvelles interventions marquantes de la première chambre civile de la Cour de cassation en procédure pénale, concurrentes à celles des juridictions pénales. Ainsi, le juge civil peut utiliser le dossier pénal sans heurter la présomption d'innocence (Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n° 11-26.476, F-P+B+I), et le juge des étrangers doit appliquer la théorie pénale des nullités quand il est procédé à une garde à vue (Cass. civ. 1, 10 octobre 2012, n° 11-30.131, FS-P+B+I). Le Conseil constitutionnel a, ensuite, marqué une avancée supplémentaire vers la consécration d'une parfaite égalité des parties au sein du procès pénal (Cons. const., décision n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012). Enfin, la Chambre criminelle a, une fois de plus, affermi le principe du contradictoire (Cass. crim. 3 octobre 2012, n° 11-88.468, F-P+B), tout en réduisant, de façon moins orthodoxe, l'opportunité des poursuites (Cass. crim., 21 novembre 2012, n° 12-80.621, FS-P+B). I - Le principe du contradictoire
  • Liberté dans la production des preuves à l'audience, sous réserve du respect du principe du contradictoire (Cass. crim., 3 octobre 2012, n° 11-88.468, F-P+B N° Lexbase : A3377IUM)

L'article 427 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3263DGX) pose le principe de la liberté de la preuve ajoutant, dans son alinéa 2, que "le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui". La Chambre criminelle de la Cour de cassation applique, de façon constante (1) et quelle que soit la nature de l'affaire (2), cette disposition à la lettre. Elle doit régulièrement s'intéresser à la portée du second alinéa et répondre aux questions suivantes : jusqu'à quand peut-on produire la preuve et quelle preuve peut-on produire ?

En l'espèce, un homme condamné par la cour d'assises de la Dordogne le 10 novembre 2011 pour viol aggravé et viol, à dix ans de réclusion criminelle et cinq ans de suivi socio-judiciaire, a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt de condamnation. Il arguait principalement du fait que, lors des débats, à l'issue de l'audition d'un enquêteur de personnalité, le ministère public avait fait état d'un réquisitoire, en date du 11 avril 2011, tendant à sa mise en accusation dans une procédure distincte concernant encore des faits de viol. L'auteur du pourvoi estimait ce procédé contraire, notamment, à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) protégeant le droit à un procès équitable, et à l'article 310 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3706AZB), qui réserve au président de la cour d'assises un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut "en son honneur et en sa conscience, prendre toutes mesures qu'il croit utiles pour découvrir la vérité". Selon l'auteur du pourvoi, de telles dispositions interdisaient au ministère public de produire le réquisitoire définitif litigieux lors des débats.

Le 3 octobre 2012, la Chambre criminelle de la Cour de cassation lui a répondu que "le ministère public a le droit de produire tous documents qui lui paraissent utiles à la manifestation de la vérité, sauf le droit, pour les autres parties, d'examiner les pièces produites et de formuler toutes observations à leur sujet". Se fondant sur cette règle, elle a rejeté le pourvoi.

La solution n'est pas nouvelle et elle a conduit à la censure de décisions par lesquelles les juridictions du fond rejetaient un élément de preuve produit à l'audience par une partie au seul motif qu'il n'avait pas été communiqué préalablement aux débats aux autres parties (3). Elle s'applique à la production de preuve quelle que soit la partie qui en est à l'origine. En l'espèce, l'auteur de la production tardive était le ministère public. Dans d'autres procédures, il s'agissait des prévenus, qui bénéficient de la même solution que celle dégagée en l'espèce (4).

Il s'en déduit qu'il n'est pas nécessaire pour les parties de se faire connaître avant l'audience les moyens de preuves sur lesquels elles entendent s'appuyer. La Cour de cassation répond donc aux deux questions posées en préalable de la façon suivante : la preuve peut être produite jusqu'aux débats et, même, jusqu'au prononcé de la décision (5), et ce quel que soit l'élément de preuve en cause, même s'il s'agit, comme en l'espèce, d'une pièce tirée d'une autre procédure.

Ce faisant, la décision du 3 octobre 2012 illustre l'importance de l'oralité dans le procès pénal, particulièrement devant la cour d'assises, l'oralité se conjuguant ici avec le principe de liberté de la preuve. Ce qui peut alors être désigné sous l'expression d'exigence d'immédiateté de la preuve, tirée de l'article 427 du Code de procédure pénale, gouverne l'audience pénale. Cette exigence ressort de l'emploi des expressions "preuves [...] apportées au cours des débats" et "contradictoirement discutées devant [le juge]" à l'alinéa 2 de l'article 427 du Code de procédure pénale. Une telle insistance sur la discussion et le débat met en évidence l'importance de l'oralité. Celle-ci fait partie du triptyque traditionnel caractérisant le système accusatoire, -oralité, publicité et contradictoire-, qui régit la phase d'audience. Le dossier pénal, mémoire des investigations, est un outil précieux destiné aux juges et aux parties afin de préparer l'audience de jugement. A l'audience, l'oralité contrebalance le caractère écrit de la procédure suivie antérieurement et, ce qui semblait figé par les procès-verbaux, s'anime. Dès lors, et grâce au système de l'intime conviction qui pousse jusqu'au bout le principe de liberté de la preuve, rien n'est considéré comme acquis, ni le résultat des investigations préalablement réalisées (6), ni leur portée.

La seule limite à la solution dégagée par l'alinéa 2 de l'article 427 du Code de procédure pénale, comme par l'espèce tranchée le 3 octobre 2012 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, est celle du respect de la contradiction, dont le juge est le garant (7). En l'espèce, la Cour de cassation a ainsi vérifié que le réquisitoire définitif litigieux avait été, préalablement à sa production, communiqué aux parties ; aucune d'entre elles n'ayant formulé d'objection, la pièce avait été versée aux débats. La prégnance du principe du contradictoire, dont le respect suffit, selon la Chambre criminelle à purger les procédures de leurs vices (8), est patente. Elle l'est d'autant plus que la Cour de cassation va très loin, la Chambre criminelle ayant déjà pu admettre qu'une note en délibéré produite par la partie civile et soumise aux autres parties, qui avaient eu la possibilité d'y répondre, était susceptible de fonder sa décision (9). Ce faisant, le principe du contradictoire ne se voit-il pas conférer un rôle excessif ?

Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice

II - Les nullités de la garde à vue

  • La nullité attachée au manquement aux diligences attendues de la part des policiers en matière de réquisition d'un médecin appelé durant une garde à vue n'est ni d'ordre public, ni à grief présumé (Cass. civ. 1, 10 octobre 2012, n° 11-30.131, FS-P+B+I N° Lexbase : A1526IU3)

Dans la continuité des arrêts ayant déclaré l'impossibilité de la garde à vue du ressortissant d'un Etat tiers à l'Union européenne lorsque celle-ci est fondée sur le seul motif de son séjour irrégulier (10), la première chambre civile de la Cour de cassation a été une nouvelle fois amenée à se prononcer sur la régularité d'une telle garde à vue.

Les faits étaient les suivants : un ressortissant de nationalité indienne en situation irrégulière en France fait l'objet d'une garde à vue pour séjour irrégulier. Lors de la notification de ses droits, il demande à être examiné par un médecin. Toutefois, avant que celui-ci n'arrive, le gardé à vue est victime d'un malaise. Il est alors conduit à la clinique afin de faire l'objet d'un examen médical, à la suite duquel il est finalement déclaré apte à subir la mesure répressive. A la garde à vue, succède bientôt un placement en rétention administrative consécutif à un arrêté de reconduite à la frontière pris par le préfet, avant que le juge des libertés et de la détention mette fin à ces privations de liberté successives en refusant de prolonger la rétention.

C'est qu'en effet, pour le juge des libertés et de la détention et le premier président de la cour d'appel, qui confirme sa décision, la garde à vue était nulle, comme tout ce qui l'avait suivie, par subséquence : un délai de trois heures aurait dû être respecté pour faire intervenir le médecin auquel le mis en cause avait droit (11). Or, son malaise s'est produit plus de trois heures après qu'il a demandé à voir un médecin, alors que ni le médecin contacté, ni un remplaçant, ne se sont finalement déplacés dans ce délai. En conséquence, le gardé à vue a, du point de vue des juges du fond, subi une atteinte à l'exercice de ses droits.

L'affaire aurait pu être entendue rapidement, puisqu'il aurait sans doute suffi, à n'importe quel stade, de relever d'office l'inconventionnalité de la garde à vue au droit de l'Union européenne.

La première chambre civile de la Cour de cassation préfère cependant répondre à la question qui lui est posée, après avis pris de la Chambre criminelle : le simple fait de ne pas avoir respecté le délai susvisé emporte-t-il nullité de la garde à vue ? Par suite, aurait-il fallu saisir un autre médecin en raison de la défaillance du premier ?

Dans la droite ligne de sa jurisprudence (12), celle-ci conseille à celle-là, -qui suit ce conseil-, d'encourager au recours d'un nouveau médecin à la suite de la carence du premier, "l'absence de [...] cette diligence par l'officier de police judiciaire ne [pouvant] être admise, s'agissant d'une mesure dont l'objectif essentiel était de vérifier la compatibilité de l'état de la personne gardée à vue avec la mesure". Pour autant, en vertu des articles 171 (N° Lexbase : L3540AZ7) et 802 (N° Lexbase : L4265AZY) du Code de procédure pénale, une telle carence n'aurait pu conduire à l'annulation de la mesure qu'à la condition qu'elle ait porté atteinte aux intérêts du mis en cause, ce qu'il aurait donc fallu démontrer et ne l'a pas été en l'espèce.

Autrement dit, la nullité dont il était question n'est ni d'ordre public, ni à grief présumé, seule la démonstration d'un préjudice causé au mis en cause par la méconnaissance de la formalité en question autorisant l'annulation.

En l'occurrence, le préjudice subi par le mis en cause a en réalité été plus grave que cela, puisque sa garde à vue n'a finalement constitué qu'une sorte de pré-rétention administrative. Mais c'est une autre histoire !

Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)

III - La présomption d'innocence

  • L'utilisation par une juridiction civile d'une enquête diligentée par la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ne constitue par une atteinte à la présomption d'innocence (Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n° 11-26.476, F-P+B+I N° Lexbase : A3283IWI)

En l'espèce, une vente de sept batteries pour automobiles a eu lieu entre deux sociétés, à la suite de quoi l'acquéreur a dénoncé le vendeur à la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, laquelle a ultérieurement saisi le procureur de la République. L'acquéreur soupçonnait en effet son vendeur de lui avoir cédé de la marchandise contrefaite.

Parallèlement, le vendeur est condamné au civil à procéder à l'enlèvement des sept batteries automobiles contrefaites et, en contrepartie, à la remise à l'acquéreur de sept nouvelles batteries authentiques. Pour fonder sa décision, la juridiction civile utilisait exclusivement l'enquête diligentée par les services de la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Le vendeur condamné a alors formé un pourvoi en cassation, percevant dans ce raisonnement une atteinte portée à sa présomption d'innocence. A cet égard, il faut préciser que l'issue du procès pénal n'était pas encore connue lorsque la juridiction civile s'est prononcée.

La réponse de la première chambre civile de la Cour de cassation est intéressante.

Dans un premier temps, celle-ci explique que la juridiction civile n'avait pas à surseoir à statuer en attendant que la juridiction pénale ait éprouvé l'innocence de la société en l'occurrence mise en cause à la fois au civil et au pénal. La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 (N° Lexbase : L5930HU8) a effectivement réduit la portée de la règle "le criminel tient le civil en l'état" à peau de chagrin, le sursis à statuer ne s'imposant désormais, selon le nouvel article 4, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9885IQ8), qu'en matière d'action purement réparatrice (13).

Or, en l'espèce, il était question d'une action à fin civile, bref d'une action de nature civile dont la finalité n'était pas principalement réparatrice, pour laquelle le sursis à statuer n'est qu'une option au profit du juge civil. Ce dernier a alors préféré poursuivre la voie civile sans attendre de connaître l'issue de la voie pénale.

Dans un second temps, la Cour de cassation explique que les interactions entre procès civil et procès pénal ne conduisent pas ipso facto à ce qu'il soit porté atteinte à la présomption d'innocence d'une personne mise en cause, si la juridiction civile se prononce en premier.

Encore faut-il bien comprendre ce que cette affirmation suppose : admettre que la juridiction civile puisse se prononcer en premier implique nécessairement que ce qui se déroule parallèlement dans le procès pénal n'a pas à s'imposer au juge civil. A défaut de quoi, il n'y aurait strictement aucun sens à donner à ce dernier la primeur de dire un droit qu'il n'aurait pas, seul, déterminé.

Pour autant, ce raisonnement devrait-il conduire à ce que le juge civil ne puisse utiliser le dossier pénal ? En un sens, cette utilisation ne constituerait-elle pas un aveu de la nécessité d'attendre que le procès pénal ait été mené jusqu'à son terme ?

Quoi qu'il en soit exactement, l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ) pose que, chacun ayant droit au respect de la présomption d'innocence, "lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte". A peu de chose près, l'article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales pose la même règle.

La règle s'appliquant en l'occurrence, le mis en cause ayant bien fait l'objet d'une enquête -que la Cour européenne qualifierait d'"accusation"-, il reste à savoir s'il a été présenté comme étant coupable des faits en question. Or, la juridiction civile n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence d'une personne, ce dont on peut déduire, semble-t-il, que sa décision, quelle qu'elle soit, ne peut être de nature à constituer l'affirmation d'une telle culpabilité.

Il n'y a donc pas eu d'atteinte à la présomption d'innocence en l'espèce.

Passées ces objections, soulignons pour finir que tout ce qui vient d'être dit ne vaut bien sûr que si aucune décision pénale juridictionnelle irrévocable n'a été rendue avant que la juridiction civile se prononce. C'est le cas ici, où seules une plainte et une saisine consécutive du procureur de la République sont en cause. Dans le cas inverse, il y aurait autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, et il ne pourrait plus y avoir atteinte à la présomption d'innocence puisque, outre le fait que l'on serait alors sorti du procès pénal, le juge civil aurait précisément pour obligation -positive- de considérer comme acquis ce qu'a dit le juge pénal.

Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)

IV - L'opportunité des poursuites

  • Lors d'une audience de comparution immédiate, le renvoi du dossier au procureur de la République en raison de la complexité de l'affaire oblige ce dernier à requérir l'ouverture d'une information judiciaire (Cass. crim., 21 novembre 2012, n° 12-80.621, FS-P+B N° Lexbase : A4925IXP)

Les procédures accélérées, qu'elles constituent des alternatives aux poursuites ou au jugement, posent de façon récurrente le problème de leur articulation avec la procédure de droit commun. On se souvient, par exemple, de la légalisation contestable du chantage à l'article 390-1 (N° Lexbase : L9602IAU) : en vertu de l'article 495-15-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2045IEH), le procureur de la République peut, en effet, procéder, simultanément, à la mise en oeuvre de la procédure de comparution préalable de culpabilité et à une convocation en justice sur le fondement de l'article 390-1. Autrement dit, si la première échoue, la seconde, dont les conséquences peuvent être plus graves, vient en renfort, ce qui incite -c'est le but- le futur prévenu à accepter la procédure rapide (14).

En l'espèce, c'est la comparution immédiate qui était en cause, deux personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel en vertu de cette procédure ayant, par la suite, fait l'objet d'une convocation à une audience ultérieure. Cela revenait finalement à réorienter le dossier sur la voie de droit commun, ce qu'autorise tout à fait l'article 397-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0903DY4).

Le problème résidait alors dans la volonté de la juridiction initialement saisie. Celle-ci avait, en vertu de l'article 397-2, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3722IGX), renvoyé le dossier au procureur de la République afin qu'il soit procédé à des investigations supplémentaires, entendant de la sorte que ce dernier saisisse le juge d'instruction. Or, tel n'a pas été le choix effectué par le ministère public, qui a préféré convoquer les prévenus par procès-verbal à une audience ultérieure du tribunal correctionnel, dans le but de les faire juger à raison des mêmes faits.

A la demande des prévenus, le tribunal correctionnel a, en conséquence, constaté l'irrégularité de sa saisine, ce que la cour d'appel a confirmé, percevant dans l'attitude du ministère public une violation de la raison d'être de la loi, ainsi qu'une atteinte portée à l'autorité de la chose jugée.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel, considérant que, "si c'est à tort que la cour d'appel a estimé que le renvoi du dossier au procureur de la République [...] obligeait celui-ci à procéder à des investigations supplémentaires quelle qu'en soit la forme et que ce magistrat avait méconnu l'autorité de la chose jugée en convoquant, sans avoir fait procéder aux investigations voulues par la juridiction correctionnelle, les mêmes prévenus, pour les mêmes faits, pour une audience ultérieure, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure", car "il se déduit de l'article 397-2, alinéa 2, du Code de procédure pénale que, lorsque le tribunal renvoie le dossier au procureur de la République en raison de la complexité de l'affaire et des investigations supplémentaires approfondies qu'elle implique, ce magistrat requiert l'ouverture d'une information judiciaire".

Deux commentaires doivent être formulés sur cette solution, de laquelle il ressort que, dans une telle situation, ce n'est donc pas le tribunal qui engage le ministère public à saisir le juge d'instruction, mais le législateur.

D'une part, cette solution renseigne sur la nature et sur la portée de l'acte de renvoi du dossier au procureur de la République. Il s'agit bien, semble-t-il, d'un acte juridictionnel, puisque celui-ci conduit au dessaisissement du juge (15). Mais il est alors difficile de déterminer la mesure de son autorité corrélative. Le Conseil constitutionnel semble pourtant l'avoir fait, dans une décision du 3 septembre 1986 (16). Selon lui, en effet, la décision de renvoi implique -exclusivement- un abandon de la procédure de comparution immédiate. Au final, le ministère public devrait donc recouvrer toute son opportunité relativement à l'action publique dont il est titulaire. Bref, il devrait pouvoir saisir le juge d'instruction, ou ne pas le saisir, si tel apparaît pour lui le choix le plus opportun.

Pour la Cour de cassation, ce serait cependant sans compter avec l'esprit de la disposition contenue par l'alinéa 2 de l'article 397-2.

D'autre part, il est effectivement vrai cette disposition paraît impliquer le caractère inéluctable de l'ouverture d'une information : le tribunal peut, "s'il estime que la complexité de l'affaire nécessite des investigations supplémentaires approfondies, renvoyer le dossier au procureur de la République". Or, outre que la complexité est, avec la gravité, l'un des critères qui justifient habituellement la saisine d'un juge d'instruction, le caractère approfondi des investigations ne semble pouvoir ressortir qu'à son intervention. Au surplus, l'alinéa 3 de l'article 397-2 n'a pour but que d'organiser l'attente de la comparution du prévenu devant le juge d'instruction.

Toutefois, si tel est vraiment l'esprit de ces dispositions, on ne comprend pas bien l'utilité du premier alinéa de l'article 397-2 du Code de procédure pénale, qui permet au tribunal, "à la demande des parties ou d'office, [de] commettre par jugement l'un de ses membres ou l'un des juges d'instruction de la juridiction désigné dans les conditions de l'article 83, alinéa premier, pour procéder à un supplément d'information"...

Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)

V - L'égalité dans les droits des parties

  • Est inconstitutionnelle l'exclusion des parties non représentées par un avocat du droit de se faire communiquer une ordonnance de commission d'expert (Cons. const., décision n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012 N° Lexbase : A4206IX3)

Le 23 novembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l'alinéa 1er de l'article 161-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5214IUN) à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité transmise le 11 septembre 2012 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. La disposition concernée était rédigée de la façon suivante : "Copie de la décision ordonnant une expertise est adressée sans délai au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81, de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix figurant sur une des listes mentionnées à l'article 157".

En l'espèce, c'est la formule "aux avocats des parties" qui était critiquée par la requérante. En effet, la réserve prévue par l'article excluait du bénéfice de la communication de l'ordonnance concernée du juge d'instruction une partie se défendant sans l'assistance d'un avocat. La requérante estimait qu'une telle exclusion portait atteinte aux droits de la défense, au principe du contradictoire et au principe d'égalité des citoyens devant la loi.

C'est la deuxième fois que le Conseil est amené à répondre à cette question, une formule identique apparaissant dans divers articles du Code de procédure pénale. Ainsi, par une décision n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011 (17), le Conseil constitutionnel a déjà déclaré contraire à la Constitution les mots "avocats des" dans la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 175 du même code (N° Lexbase : L3780IG4), dès lors qu'il réservait aux avocats des parties la notification du réquisitoire définitif du procureur de la République à l'issue de l'instruction, excluant là encore les parties se défendant seules (18).

C'est sur le terrain des droits de la défense que la même censure peut être envisagée sous l'angle européen, l'article 6-3, c) de la Convention des droits de l'homme prévoyant expressément le droit de se défendre seul. Après avoir relevé que la notification de l'ordonnance de commission d'expert permet à ses destinataires d'être "à même, dans le délai imparti, de demander au juge d'instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre un expert de leur choix", le Conseil constitutionnel utilise le même principe, ainsi que ceux du contradictoire et de l'égalité des citoyens devant la loi, pour parvenir au même résultat. Il constate "qu'en l'absence d'une telle notification, les parties non assistées par un avocat ne peuvent exercer ce droit" et que "la différence de traitement ainsi instituée entre les parties selon qu'elles sont représentées ou non par un avocat ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infraction, auxquels concourt le secret de l'instruction". Avant de censurer l'exclusion critiquée, le Conseil constitutionnel précise que la rédaction de l'article 167 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8642HWY), qui dispose que "le juge d'instruction donne connaissance des conclusions des experts aux parties et à leurs avocats après les avoir convoqués" et ne procède donc à aucune exclusion des parties non représentées, ne suffit pas à compenser l'inégalité relevée préalablement. Il conclut que les termes "avocats des" doivent être déclarés contraires à la Constitution, avec effet immédiat.

En annotant la décision n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011 (19), nous relevions que d'autres dispositions du Code de procédure pénale étaient susceptibles de suivre le même sort, prenant pour exemple l'article 114 (N° Lexbase : L8632HWM) qui réserve l'accès au dossier pénal avant tout interrogatoire par le juge d'instruction aux seuls avocats des parties (20).

Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice


(1) Voir par exemple Cass. crim., 13 janvier 1970, n° 68-93.408 (N° Lexbase : A2461CHM), Bull. crim., n° 21.
(2) L'article 427 du Code de procédure pénale, prévu pour la matière correctionnelle et, par renvoi de l'article 536 (N° Lexbase : L8075G79), en matière contraventionnelle, n'a aucun équivalent devant la cour d'assises, ce qui n'a jamais empêché la jurisprudence de l'appliquer aux procédures criminelles.
(3) Voir, par exemple, Cass. crim., 19 juin 1991, n° 90-86.630 (N° Lexbase : A3539AC3), Bull. crim., n° 267 ; Cass. crim., 10 novembre 2004, n° 03-87.628, F-P+F (N° Lexbase : A1376DEP), Bull. crim., n° 285.
(4) Voir notamment Cass. crim., 19 juin 1991 et 10 novembre 2004, préc..
(5) Voir infra la décision relative à la production d'une note en délibéré ayant pu servir à forger la conviction de la juridiction de jugement.
(6) Sous réserve de la force probante renforcée de certains procès-verbaux.
(7) La Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l'occasion de décider que "le juge ne peut refuser d'examiner les preuves qui lui sont apportées lors des débats, au motif qu'elles n'auraient pas été préalablement communiquées à la partie adverse" (Cass. crim., 12 janvier 2005, n° 04-81.982, F-P+F N° Lexbase : A6425DG3 Bull. crim., n° 17), et lui rappelle dans le même arrêt qu'il lui appartient "d'assurer le débat contradictoire en ordonnant la communication des documents susvisés [à la partie adverse]".
(8) Le visa de l'article 427 et l'attendu de principe selon lequel "aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux services d'enquête, au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale [...] ; il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis à la discussion contradictoire" est régulièrement rappelé par la Chambre criminelle lorsqu'elle accepte une preuve obtenue déloyalement, voire illégalement par une partie privée. Voir, par exemple, Cass. crim., 15 juin 1993, n° 92-82.509 (N° Lexbase : A4067ACM), Bull. crim., n° 210 ; Cass. crim., 6 avril 1994, 93-82.717 (N° Lexbase : A1967AA4), Bull. crim., n° 136 ; Cass. crim., 11 juin 2002, n° 01-85.559, F-P+F (N° Lexbase : A8856AYN), Bull. crim., n° 131, Cass. crim., 27 janvier 2010, n° 09-83.395, F-P+F (N° Lexbase : A0686ES9), Bull. crim., n° 16.
(9) Cass. crim., 6 novembre 1979, n° 78-94.345 (N° Lexbase : A3810CG9), Bull. crim., n° 307.
(10) Voir Chronique de procédure pénale - Octobre 2012, Lexbase Hebdo n° 500 du 4 octobre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N3703BTC).
(11) Délai imposé par l'ancien article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9742IPI), mais aussi par le nouvel article 63-3 (N° Lexbase : L9745IPM), postérieurement à la réforme du 14 avril 2011.
(12) Voir Cass. crim., 25 février 2003, n° 02-86.144, FS-P+F (N° Lexbase : A5279A7N), Bull. crim., n° 50 ; Cass. crim., 10 décembre 2008, n° 08-83.408 (N° Lexbase : A7713IYC).
(13) Voir A. Botton, Contribution à l'étude de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, Bibl. sc. crim., t. 9, LGDJ, nos 143 et s. et 362 et s. ; L. Miniato, La jurisprudence contre la loi ? Vers une interprétation encore audacieuse de l'article 4 du Code de procédure pénale, Petites affiches, 24 juillet 2008, n° 148, p. 7.
(14) Voir Chronique de procédure pénale - Février 2011, Lexbase Hebdo n° 427 du 9 février 2011 - édition privée (N° Lexbase : N3516BRN).
(15) Voir, en ce sens, CA Limoges, 8 avril 1998 : BICC, 1er octobre 1998, n° 1020.
(16) Cons. const., décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986 (N° Lexbase : A8141ACI) cons. n° 17.
(17) Cons. const., décision n° 2011-160 QPC, du 9 septembre 2011 (N° Lexbase : A5328HXM).
(18) Voir Chronique de procédure pénale - novembre 2011, Lexbase Hebdo n° 460 du 3 novembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N8505BSS).
(19) Cons. const., décision n° 2011-160 QPC, précité (N° Lexbase : A5328HXM).
(20) Dans le même sens, voir B. de Lamy : Les fonctions du principe d'égalité : lutte contre les discriminations et améliorations de la qualité de la législation pénal, Rev. sc. crim., 2012, p. 233.

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