Lexbase Public n°261 du 4 octobre 2012 : Environnement

[Evénement] Les interactions entre droit de l'environnement et droit de l'urbanisme

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 21 Septembre 2012

Le 17 septembre 2012 s'est tenue au Conseil d'Etat la troisième édition du cycle de conférences "Enjeux juridiques de l'environnement". Après deux sessions consacrées respectivement aux rapports entre environnement, formation juridique et droit de la consommation, c'est donc la question des interactions entre droit de l'environnement et droit de l'urbanisme qui était à l'ordre du jour, deux domaines qui longtemps furent étrangers -le principe jurisprudentiel de l'indépendance des législations interdisant, sauf exception, que l'on apprécie la légalité d'une décision d'urbanisme en se fondant sur la législation environnementale- voire antagonistes, l'un étant accusé par l'autre de privilégier la destruction de l'environnement, l'autre accusant l'un de faire obstacle au développement. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette conférence. La naissance d'un véritable droit de l'environnement a entraîné de manière concomitante l'évolution du droit de l'urbanisme, ceci principalement via la conjonction de trois phénomènes. La remise en cause, tout d'abord, du principe de l'indépendance des législations, qui a franchi un pas décisif avec la constitutionnalisation d'un certain nombre de principes communs dans la Charte constitutionnelle de l'environnement issue de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 (N° Lexbase : L0268G8G), et dont la valeur constitutionnelle a été consacrée par le Conseil d'Etat en 2008 (CE Ass., 3 octobre 2008, n° 297931, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5992EA8). Par un arrêt en date du 19 juillet 2010 (CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 328687, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9950E4B), le Conseil d'Etat est revenu sur sa jurisprudence du 20 avril 2005 (CE 1° et 6° s-s-r., 20 avril 2005, n° 248233, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9325DHT) par laquelle il avait consacré le principe de l'indépendance des législations et l'opposabilité du principe de précaution aux autorisations d'urbanisme. La Haute juridiction a, ensuite, réexaminé l'article 5 de la Charte de l'environnement pour revenir sur la définition même du principe de précaution, en rendant deux arrêts le 30 janvier 2012 (CE 2° et 7° s-s-r., 30 janvier 2012, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 344992 N° Lexbase : A6872IB7 et n° 344993 N° Lexbase : A6873IB8) précisant sa jurisprudence en matière d'opposabilité du principe de précaution aux autorisations d'urbanisme délivrées pour l'installation d'antennes-relais.

Le droit de l'urbanisme a ensuite subi, sous l'influence du droit de l'environnement, une tutelle croissante du droit communautaire. En effet, les procédures (étude d'impact, évaluation environnementale) et les règles de fond (réseau "Natura 2000") du droit de l'urbanisme ayant parmi leurs finalités majeures la protection de l'environnement, elles sont, de ce fait, de plus en plus concernées par les Directives de l'Union européenne. L'on a, par ailleurs, assisté pendant ces dernières décennies, à la multiplication de contentieux liés à l'émergence de nouvelles servitudes comme le respect des chartes des parcs régionaux (CE, S., 8 février 2012, n° 321219, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3371ICT), la préservation des espaces remarquables (CE 1° et 6° s-s-r., 20 mai 2011, n° 325552, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0315HSH), les constructions d'éoliennes (CE 1° et 6° s-s-r., 9 décembre 2011, n° 341274, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1784H4T) et à une planification environnementale en forte expansion avec, notamment, la création des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) par la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992, sur l'eau (N° Lexbase : L8578AGS), celle-ci ayant pour mission de fixer "pour chaque bassin ou groupement de bassins les orientations fondamentales d'une gestion équilibrée de la ressource en eau". Le problème majeur auquel sont aujourd'hui confrontés les pouvoirs publics est donc celui de la conciliation entre développement urbain et protection de l'environnement.

I - La première question abordée lors de la conférence a été celle de la recherche, par la norme, de cette conciliation. En effet, la plus grande partie du droit de l'urbanisme est restée pendant longtemps un droit public de la construction. Les plans d'urbanisme, comme le permis de construire, avaient comme objectif premier la règlementation de la construction en vue de garantir la sécurité et la salubrité publique, l'esthétique architecturale, les rapports de voisinage et une répartition rationnelle des équipements publics. Cette conception sera progressivement remise en cause avec les avancées de la planification urbaine qui vont se conjuguer avec la décentralisation des compétences d'urbanisme. A propos de l'interaction grandissante entre les deux disciplines, Christophe Bourdel, avocat associé, cabinet Granrut Avocats, fait remarquer que l'article L. 110 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L6123IEI) met au même plan les règles générales d'utilisation du sol et celles de préservation de l'environnement, énonçant que "les collectivités publiques harmonisent, dans le respect réciproque de leur autonomie, leurs prévisions et leurs décisions d'utilisation de l'espace" afin, notamment, "de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de réduire les consommations d'énergie, d'économiser les ressources fossiles d'assurer la protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la biodiversité [...]".

L'article L. 146-4 du même code (N° Lexbase : L8907IMT) indique, quant à lui, que "l'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement [...]". L'article L. 121-1 du même code (N° Lexbase : L3226IQK), dans le même esprit, donne pour mission aux schémas de cohérence territoriale, aux plans locaux d'urbanisme et aux cartes communales de déterminer les conditions permettant d'assurer l'équilibre entre "le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé [...] l'utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières [et la] sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables [...]". Christophe Bourdel souligne, en revanche, que le Code de l'environnement n'adopte pas la même démarche comme le démontre, par exemple, son article L. 110-1 (N° Lexbase : L7584IMT), lequel, relatif aux principes généraux du droit de l'environnement, se focalise uniquement sur les thématiques propres à celui-ci : la protection des espaces, ressources et milieux naturels, le principe de précaution, le principe d'action préventive et de correction des atteintes à l'environnement, le principe pollueur-payeur, voire un très messianique "épanouissement de tous les êtres humains".

Se pose, également, comme le souligne Yves Jégouzo, Professeur émérite de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, la question de la hiérarchie des normes entre normes urbanistiques et environnementales. L'on peut rappeler que l'article L. 111-1-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7481IMZ) oblige les communes et leurs groupements à rendre les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les autres documents d'urbanisme locaux compatibles avec le Schéma directeur de la région d'Île-de-France (SDRIF), dans un délai de trois ans suivant son approbation à défaut d'annulation (CE 1° s-s., 16 avril 2012, n° 345489 N° Lexbase : A1327IKD). L'on assiste donc à un croisement des hiérarchies, puisque les PLU doivent dorénavant être à la fois des documents environnementaux et urbanistiques, ce qui n'est pas sans poser problème au regard des compétences techniques nécessaires à leur rédaction. Ce qui amène Raymond Léost, Secrétaire national, responsable du réseau juridique de France Nature Environnement, à souligner la nécessité d'une véritable ingénierie en la matière, des SCOT dépourvus d'équipe technique se révélant au final sans nécessité, et à se demander si le droit de l'urbanisme n'est pas devenu une branche du droit de l'environnement, ce dernier, selon lui, étant devenu omnipotent, particulièrement depuis la loi dite "Grenelle 2" (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN).

Yves Jégouzo reconnaît effectivement que cette discipline se diffuse dans tous les domaines du droit, mais objecte que le droit de l'urbanisme connaît, cependant, quelques résistances tenant au fait, selon lui, que celui-ci est majoritairement décentralisé et relève encore largement des élus locaux et particulièrement des maires, contrairement au droit de l'environnement qui relève, lui, principalement des polices d'Etat et communautaire. Ainsi, la disposition prévue au premier alinéa de l'article L. 111-6-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L6063ISD), selon laquelle "le permis de construire ou d'aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable ne peut s'opposer à l'utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre [...]" est contrecarrée par les deuxième et troisième alinéas de cet article, cette disposition ne pouvant s'appliquer, respectivement "dans un secteur sauvegardé, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager [...] dans le périmètre de protection d'un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques [...]" ou dans "dans des périmètres délimités, après avis de l'architecte des Bâtiments de France, par délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme [...]". Soulignons, toutefois, qu'en matière de police des déchets, le maire dispose de certains pouvoirs en matière d'environnement. Un arrêt du Conseil d'Etat de 2004 (CE 1° et 6° s-s-r., 17 novembre 2004, n° 252514, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9176DD9) a rappelé que la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975, relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux (N° Lexbase : L6874AGP), visait le maire, et non le préfet, en tant qu'autorité administrative compétente pour mettre en demeure le producteur ou le détenteur des déchets de les éliminer, dans le cas d'un dépôt de déchets sauvage ou légal.

II - Reste ensuite à déterminer la meilleure manière de trouver l'équilibre entre développement urbain et préservation de l'environnement, notamment à travers l'évaluation environnementale qui vise à apprécier préventivement les effets sur l'environnement de tout projet de travaux ou de décision, comme le rappelle Hélène Vestur, Conseiller d'Etat. La Directive (CE) 2001/42 du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001, relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement (N° Lexbase : L7717AUD), et la Directive (UE) 2011/92 du 13 décembre 2011, relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (N° Lexbase : L2625ISZ), ont donc fixé un cadre minimale à cette procédure. La Directive (CE) 2001/42 définit l'évaluation environnementale comme "l'élaboration d'un rapport sur les incidences environnementales, la réalisation de consultations, la prise en compte dudit rapport et des résultats des consultations lors de la prise de décision, ainsi que la communication d'informations sur la décision". Lorsqu'une évaluation environnementale est requise en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la Directive, un rapport sur les incidences environnementales est élaboré et mis à la disposition des autorités, ainsi que du public, ce qui renforce la légitimité de cette évaluation auprès des citoyens.

Au niveau hexagonal, le décret n° 2009-496 du 30 avril 2009 (N° Lexbase : L1624IEU), relatif à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement prévue aux articles L. 122-1 (N° Lexbase : L7979IMH) et L. 122-7 (N° Lexbase : L7981IMK) du Code de l'environnement, a procédé à la création du Conseil général de l'environnement et du développement durable pour les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements (CGEDD) qui doivent donner lieu à une décision du ministre chargé de l'Environnement (celui-ci a rendu 97 avis en 2011). La CGEDD n'a pas tardé à prouver son indépendance en estimant, notamment, que le projet de décret relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant des incidences sur l'environnement n'était conforme en l'état ni à la jurisprudence européenne, ni à l'esprit de la Directive (CE) 2001/42 du 27 juin 2001, le texte publié au Journal officiel n'ayant subi, au final, que peu de modifications (décret n° 2012-616 du 2 mai 2012, relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l'environnement N° Lexbase : L9850ISM). A cet égard, dans une décision rendue le 20 octobre 2011 (CJUE, 20 octobre 2011, aff. C-474/10 N° Lexbase : A7809HYU), la Cour de Strasbourg a retenu une conception à la fois fonctionnelle et matérielle des conditions d'indépendance de l'autorité environnementale, ce qui devrait conduire à écarter la possibilité de confier les deux fonctions à la même personne (préfet de région ou de département selon le cas).

Ce même décret précise que l'autorité compétente pour prendre la décision d'autorisation, d'approbation ou d'exécution des travaux, de l'ouvrage ou de l'aménagement projeté doit transmettre l'avis au pétitionnaire. L'avis est joint au dossier d'enquête publique ou de la procédure équivalente de consultation du public. Cet avis est donc rendu antérieurement à l'enquête publique et c'est là que le bât blesse pour Hélène Vestur, car il intervient soit trop tôt, par exemple dans le cadre de la création d'une zone d'aménagement concerté, à savoir avant que l'autorité ne dispose de réelles informations sur les impacts du projet, soit trop tard pour les grandes infrastructures, l'état d'avancement des travaux étant déjà irréversibles. Le décret n° 2012-616 du 2 mai 2012 précité énonce que 53 plans, schémas, programmes ou documents de planification susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement font l'objet d'une évaluation environnementale à partir du 1er janvier 2013. Cette étape estt d'autant plus indispensables que cette évaluation a une influence sur la nature des obligations imposées au maître d'ouvrage qui doivent modifier leurs dossiers pour suivre les recommandations imposées, d'autant plus que les medias s'emparent souvent des dossiers pouvant intéresser le grand public, comme l'énergie nucléaire ou le Grand Paris.

Raymond Léost indique que, selon lui, saisir le juge est toujours une mauvaise solution car c'est un constat d'échec. Cette saisine est la plupart du temps le fait de particuliers qui souhaitent que leur terrain soit déclaré constructible, ou d'associations environnementales désirant faire annuler un projet de construction ou d'aménagement. Ces dernières se heurtent malheureusement souvent à la mauvaise volonté des élus locaux qui refusent de leur communiquer les documents qui pourraient s'avérer indispensables dans leur action en justice. La solution idéale serait, selon lui, la saisine de la commission de conciliation créée par le décret n° 83-810, laquelle, en matière d'élaboration de schémas directeurs, de schémas de secteur, de plans d'occupation des sols et de tout document d'urbanisme opposable aux tiers élaboré par la commune a pour mission, dans le cas où une ou plusieurs personnes publiques associées à l'élaboration de l'un des documents précités émettent un avis défavorable, de rechercher les termes d'un accord entre la personne publique chargée d'élaborer le document en cause et les autres personnes publiques associées à cette élaboration. C'est malheureusement une institution "mort-née" qui n'a été que rarement utilisée alors qu'elle aurait permis d'éviter nombre de contentieux grâce à une intermédiation efficace entre Etats, collectivités territoriales et associations de défense de l'environnement.

Comme le souligne Yves Jégouzo, l'augmentation du contentieux urbanistique est essentiellement dû à la complexité de la matière, celle-ci n'étant ni bien comprise, ni bien appliquée. L'empilement des dispositions pose la question de la connexité des droits de l'urbanisme et de l'environnement, voire de leur éventuelle fusion à long terme qui ne serait que l'aboutissement final de la communautarisation du droit de l'urbanisme et de la remise en cause progressive du processus d'indépendance des législations.

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