La lettre juridique n°840 du 15 octobre 2020 : Arbitrage

[Jurisprudence] La vérification de la compétence du tribunal arbitral en présence d’un consommateur

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2020, n°18-19.241, FS-P+B (N° Lexbase : A67893WD)

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par Dominique Vidal, Agrégé des facultés de droit, Professeur honoraire

le 15 Octobre 2020

Mots-clés : arbitrage • consommateur • inopposabilité du principe de compétence-compétence • clause abusive

En vertu de l’ordre public européen de protection du consommateur, la juridiction étatique a compétence, nonobstant l’article 1448 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2275IPX], pour vérifier la validité de la clause d’arbitrage au regard notamment de la qualification de clause abusive.

Est abusive la clause compromissoire qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle.


 

1. La logique du droit de l’arbitrage est celle de l’efficacité de ce mode non juridictionnel de règlement des litiges. Cela suppose de voir limiter les voies de « judiciarisation » de l’arbitrage par lesquelles une partie chercherait à retarder le processus de règlement du litige. C’est pourquoi l’article 1448 du Code de procédure civile dispose que « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente, sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ».

2. Ce régime a fait ses preuves aussi bien en efficacité qu’en équité. Rappelons en effet que la compétence du tribunal arbitral relèvera du contrôle judiciaire de la sentence (CPC, art. 1492 N° Lexbase : L2275IPX).

Dès lors, vérifions les quatre cas de figure possibles :

  • si c’est à juste titre que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent, il est bénéfique qu’une partie n’ait pas pu retarder la procédure ;
  • si c’est à tort que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent, il est juste que la sentence soit annulée ;
  • si c’est à juste titre que le tribunal arbitral s’est déclaré incompétent, le tribunal judiciaire « confirmera » cette incompétence ;
  • si c’est à tort que le tribunal arbitral s’est déclaré incompétent, le contrôle judiciaire lui donnera à connaître du litige. Les parties au litige ne sont donc pas sans recours du chef de la compétence arbitrale, mais la vérification de cette compétence emprunte une voie particulière.

3. La logique du droit de la consommation, pour sa part, est de limiter le domaine des situations où le consommateur ne serait pas en mesure de saisir le juge étatique considérée comme son juge « naturel ». Dans cette logique, il convient de réduire ou d’écarter les obstacles qui empêcheraient ou gêneraient cette configuration « naturelle », sur le plan des principes et sur celui des conditions d’application, y inclus les conditions pratiques de mise en œuvre d’un droit sur lesquelles le droit de la consommation et le droit européen sont structurellement convergents à être particulièrement attentifs. C’est en se fondant sur des dispositions de droit européen de la consommation que cet arrêt écarte le mécanisme du principe de compétence-compétence en matière d’arbitrage. Voici dans quelles circonstances.

4. Deux héritiers sont en conflit sur l’exécution de dispositions testamentaires adoptées par leur auteur commun. L’un d’eux reproche à l’autre d’avoir dilapidé la fortune familiale. Il engage la responsabilité professionnelle d’un notaire et saisit à cet effet le tribunal de grande instance compétent. Dix-huit mois plus tard (sans doute renseigné par les pièces de cette première procédure), il assigne également, devant le même tribunal de grande instance, une société d’avocats espagnole à laquelle mandat avait été donné de le conseiller dans les opérations ouvertes en Espagne de la succession de son père, en effet décédé en Espagne.

5. Ce mandat comporte une clause compromissoire. Le juge arbitral avait-il été précédemment saisi ? Cela ne figure pas dans l’exposé des faits proposé par la Cour de cassation, au demeurant fort succinct ; de surcroît, ni l’exposé des moyens, ni les réponses apportées par l’arrêt n’abordent expressément ce point. On supposera cependant que le tribunal arbitral avait été saisi. En effet, le tribunal étatique aurait été assurément compétent dès lors qu’aurait manqué cette condition que l’article 1448 du Code de procédure civile prescrit pour son incompétence. Si le tribunal arbitral n’avait pas été saisi, la compétence du tribunal étatique n’aurait posé aucune des difficultés qui sont abordées dans cet arrêt.

6. La solution la plus remarquable, sur le plan des principes, est donc bien cette neutralisation de l’effet négatif du principe de compétence-compétence (I). Ayant ainsi retenu sa compétence, le tribunal étatique peut procéder à l’évaluation de la clause d’arbitrage au regard des paramètres de la notion de clause abusive (II). La vérification de la compétence arbitrale pose ainsi une question de compétence et une question de fond.

7. Observons cependant au préalable, à propos de la question de compétence, un réel décalage entre l’intensité du débat théorique que suggère cet arrêt et l’intérêt pratique de la question. En effet, dans sa rédaction issue de la loi « de modernisation de la justice du XXIème siècle » (loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3), l’article 2061 du Code civil (N° Lexbase : L2433LBQ) dispose en son alinéa 2 que « lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause (compromissoire) ne peut lui être opposée ». Désormais, le consommateur qui entend échapper à l’application d’une clause compromissoire n’a même plus besoin de la contester ; il lui suffit de la récuser.

8. En revanche, la réponse à la question de fond conserve tout son intérêt. Il suffit de supposer qu’un consommateur partie à une clause compromissoire ait omis ou se soit refusé à la récuser (quelle qu’en soit la raison, omission, étourderie, ou plus simplement volonté de participer à la procédure arbitrale) pour que le contrôle judiciaire de la sentence trouve à s’exprimer dans sa plénitude.

I. Le droit communautaire de protection du consommateur écarte l’article 1448 du Code de procédure civile

A. L’applicabilité a priori de l’article 1448 du Code de procédure civile

9. Le pourvoi invoquait l’application de l’effet négatif du principe de compétence-compétence posé par l’article 1448 du Code de procédure civile, dont il résulte que la juridiction d’Etat n’a aucune compétence en l’état de la saisine du tribunal arbitral à connaître du litige, à examiner la compétence du tribunal arbitral ou à évaluer la validité ou l’applicabilité de la clause d’arbitrage.

10. Le principe ainsi posé est assez fort pour que l’article 1448 alinéa 2 dispose également que « la juridiction d’État ne peut soulever d’office son incompétence ». De surcroît, l’ensemble du mécanisme de compétence-compétence est d’ordre public, l’alinéa 3 de l’article 1448 disposant que « toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite ». Au total, le commun accord des parties ne peut pas écarter la compétence de principe du tribunal arbitral (CPC, art. 1448 al.3), alors qu’il peut écarter la compétence exceptionnelle du tribunal judiciaire (CPC, art.1448, al.2). Enfin, il a été jugé [1] que cette question de la concurrence entre le juge arbitral et le juge étatique n’est pas une question de litispendance dès lors qu’elle est réglée par le texte (CPC, art. 1458 à l’époque, art. 1448 désormais).

11. Dans le cas particulier de l’espèce commentée, l’auteur du pourvoi ajoutait que l’appréciation du caractère abusif d’une clause d’arbitrage suppose un examen par le juge (étatique) des conditions dans lesquelles la clause a été négociée et conclue, incompatible en tant que tel avec la constatation de son caractère manifestement nul ou inapplicable. Or, la jurisprudence est constante, et assez abondante, pour retenir que la clause doit être vraiment manifestement nulle ou inapplicable pour que l’exception au principe de l’article 1448 soit retenue. C’est pourquoi le plus souvent l’argument est rejeté [2]. Il faut, ainsi que le professeur Racine en dresse la synthèse [3], que de manière absolument évidente, la convention d’arbitrage ne puisse s’appliquer au litige concerné. Rien de tel, bien entendu, avec la pesée factuelle des conditions dans lesquelles une clause d’arbitrage avait été conclue.

B. La mise à l’écart de l’article 1448 du Code de procédure civile par le droit communautaire de protection du consommateur

12. Mettre à l’écart : action d’écarter, d’ignorer délibérément, de réfuter, de « subsidiariser » ; tel est bien ce que propose ici la Cour de cassation, en substituant un principe à un autre. Ce ne sont pas toutes les dispositions de droit communautaire qui conduisent à écarter l’article 1448 du Code de procédure civile (1). Ce sont celles qui sont visées aux considérants 9 à 12 de la décision (2).

1) Les principes de droit communautaire compatibles avec l’application de l’article 1448 du Code de procédure civile

13. La motivation de la Cour de cassation prend racine dans l’article 6 § 1 de la Directive 93/13/CEE (N° Lexbase : L7468AU7) concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, dont elle rappelle les termes suivants : « Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives ».

14. C’est un cas où la clause est réputée non écrite, ainsi défini en droit communautaire par une règle qui s’applique évidemment dans l’ordre juridique français selon le principe de l’effet direct. Mais rien jusqu’ici ne permet d’écarter un texte tel que l’article 1448 du Code de procédure civile, où l’on peut voir un texte spécial faisant exception aux règles judiciaires générales de mise en œuvre de la protection du consommateur.

15. Le poids du droit communautaire s’accentue lorsque la Cour de cassation (point 8) se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la Directive 93/13 assure aux consommateurs, l’article 6 doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales d’ordre public. C’est une expression de la primauté du droit communautaire. Mais que les règles de protection du consommateur soient d’ordre public n’est pas nécessairement contredit par le mécanisme de l’article 1448, dès lors que dans le cadre du contrôle judiciaire des sentences, la violation de l’ordre public est un cas spécifique d’annulation de la sentence.

2) Les principes de droit communautaire permettant d’écarter l’article 1448 du Code de procédure civile

                        a. La recherche et le choix de moyens efficaces contre les clauses abusives

16. Le considérant n° 9 considère que la Directive (ainsi que son article 7, son quatrième considérant et la jurisprudence de la Cour de justice) impose aux États membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. Par cette acception téléologique et dynamique de la volonté législative, le droit porte attention aux conditions procédurales dans lesquelles peut cesser l’utilisation de telles clauses.

                        b. L'exigence de conditions procédurales appropriées

17. A son considérant n° 10, la Cour de cassation expose qu’au nombre des moyens adéquats et efficaces devant garantir aux consommateurs un droit à un recours effectif doit figurer la possibilité d’introduire un recours ou de former opposition dans des conditions procédurales raisonnables, de sorte que l’exercice de leurs droits ne soit pas soumis à des conditions, notamment de délais ou de frais, qui amenuisent l’exercice des droits garantis par la Directive. La clause compromissoire est ici implicitement mais clairement visée. Même si l’arbitrage n’est pas nécessairement au désavantage du consommateur du point de vue des délais et des coûts, admettons qu’il peut l’être.

                        c. La subsidiarité de l’autonomie procédurale des États membres

18. Poursuivant le raisonnement, le point 11 de l’arrêt considère en substance que le consommateur ne trouve pas dans le Code de procédure civile un accès assez direct à son juge « naturel », qu’il convient de le lui accorder, et que le droit communautaire permet d’obtenir ce résultat. Certes la Cour de cassation, se référant à la jurisprudence de la Cour de justice, rappelle qu’en l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire relèvent de l’ordre juridique interne de chaque Etat membre en vertu principe de l’autonomie procédurale des États membres. Mais l’arrêt ajoute que c’est à la condition toutefois que ces modalités procédurales « ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) ».

19. Il est dès lors décidé (point 13) que la règle de priorité procédurale édictée par l’article 1448 « ne peut avoir pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile, les droits conférés au consommateur par le droit communautaire que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder ». En conséquence, le principe posé par le texte est écarté, ce qui est considéré comme nécessaire (point 14) à la pleine efficacité du droit communautaire de protection du consommateur.

 II. Le contrôle de la clause compromissoire au regard des paramètres de la clause abusive

A. Principes

20. Sur le fond, la validité, l’efficacité ou l’application de la clause compromissoire en présence (pour ne pas dire à l’encontre, ni aux dépens) d’un consommateur a depuis longtemps retenu l’attention et nourri les préoccupations des juristes intéressés par l’arbitrage. C’est bien une clause compromissoire entre un professionnel et un consommateur, en l’occurrence un assureur et son assuré, qui avait conduit la Cour de cassation [4]  à poser le principe de la nullité d’une telle clause (en général) pour plusieurs décennies, et plus récemment, la conception trop restrictive du rôle de l’ordre public dans le contrôle judiciaire des sentences n’est pas de nature à rassurer, a priori, sur l’efficacité de l’ordre public de protection du consommateur dans le contexte arbitral. C’est sans doute dommage, mais c’est ainsi.

21. Désormais, la validité de la clause compromissoire relève du régime des clauses abusives. A cet égard, l’article L. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3278K9B) dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Le texte ajoute (alinéa 2), ce qui est parfois négligé et ce qui a son importance, que le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Dans le cadre ainsi défini, l’article L. 212-1 alinéa 4 du Code de la consommation précise d’un décret détermine une liste de clause présumées abusives.

22. L’article R. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0546K94) définit cette liste « grise » pour lesquelles la loi pose une présomption simple de caractère abusif, à laquelle le professionnel peut apporter la preuve contraire, appréciée par le juge. Il vise les clauses ayant pour objet ou pour effet de « (….) 10° supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ».

23. Voilà pourquoi, en son point 10, l’arrêt dispose que la cour d’appel a pu estimer, sans inverser la charge de la preuve, que la société PWC ne démontre pas que la clause a fait l’objet d’une négociation individuelle. Comme pour toute clause de la zone grise, la charge de la preuve incombe au professionnel, et l’objet de cette preuve est que la clause, compte tenu des circonstances, n’est pas abusive. L’arrêt apporte ici une contribution significative au régime de la clause abusive dans le domaine des clauses compromissoire : est abusive celle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle. Telle est la rédaction du motif décisoire.

B. Applications pratiques

24. Quelles conséquences pratiques peut-on identifier de la décision commentée ? On devra distinguer entre différents degrés de prévisibilité. Ce qui est certain, c’est le caractère abusif d’une clause compromissoire impliquant un consommateur dès lors qu’il est établi qu’elle n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle. Ce principe est clairement énoncé dans l’arrêt. Comment caractériser ou apprécier l’existence ou l’absence d’une négociation individuelle ? Ce sera par l’exercice du pouvoir souverain des juges du fond. Pour cantonner l’incertitude, on pourra recourir au guide d’interprétation que fournit l’article L. 212-1 du Code de la consommation, et notamment ceci : « le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion ».

25. Ce sont ainsi toutes les circonstances qui entourent la conclusion de la clause qui dessinent un profil de la clause. Il est parfaitement cohérent, à cet égard, que la Cour de cassation ait pris soin de noter en quoi la cour d’appel avait identifié de telles circonstances. En particulier, le fait que le projet de clause compromissoire ne figurât que dans la dernière version de l’offre de services a pu jouer un rôle important.

26. Le fait que la clause soit pré-rédigée ou soit tirée de conditions générales pourrait cependant ne pas suffire, en soi, à en faire une clause abusive, dès lors que les parties ont pu en prendre connaissance en temps utile, ou mieux encore, qu’elles ont pu échanger à son propos avant son adoption dans le champ contractuel. Telle serait du moins une bonne précaution à prendre dans l’intérêt des deux parties, celui du consommateur d’éclairer son consentement, celui du professionnel de voir sécuriser la clause.

27. Par « négociation individuelle », faut-il entendre une discussion assez avancée pour qu’elle ait entraîné une modification du projet de clause ? La notion de « négociation » implique-t-elle ici une modification concertée de la clause, un ajustement partagé de sa rédaction ? A notre avis, ce serait inutile et dangereux. Dangereux, dans la mesure où les rédacteurs de clauses de compétence savent bien qu’elles mettent en œuvre un « système » de règlement dont la moindre rectification peut le cas échéant en rompre l’équilibre, la prévisibilité ou la stabilité. Inutile, car il faudrait imaginer que chacune des parties est en mesure de maîtriser de tels dangers, ce qui n’est pas raisonnable.

28. Corrélativement, on voit mal comment le professionnel pourrait organiser son offre de clauses, dès qu’il lui faudrait nécessairement acter une modification concertée, et en conséquence l’anticiper. La négociation individuelle n’implique donc pas une modification de la clause. Mais cela ne l’interdit pas. En résumé, on n’exclut pas que dans le cadre d’une telle « négociation individuelle » certaines modifications puissent être adoptées. Simplement cela n’est pas nécessaire pour qu’il y ait négociation individuelle.

29. Pour le surplus, il est délicat de déterminer si les autres motifs de la décision d’appel sont accessoires à cette exigence de négociation individuelle, ou bien au contraire si chacun d’eux peut constituer, en soi, un motif autonome et pertinent de qualification de clause abusive. Voici ces trois motifs :

  • les documents (courriels) antérieurs à la conclusion du contrat ne font pas état d’une clause arbitrale ;
  • la clause reprend les termes de conditions générales rédigées en langue espagnole, ce qui conforte le caractère standardisé de la clause ;
  • résidant en France, ne maîtrisant pas l’espagnol et désireuse de bénéficier en Espagne de conseils éclairés sur une succession complexe et litigieuse, le consommateur n’était pas en mesure de négocier dans un rapport équilibré les termes d’une clause compromissoire pré-rédigée par la société contractante. La pratique aura bien entendu grand intérêt à être utilement renseignée sur le rôle opérationnel de chacun de ces critères.

30. La lettre de l’arrêt enseigne que l’absence de négociation individuelle suffit à justifier la qualification de clause abusive et chacun de ces trois autres paramètres participe à l’absence de négociation individuelle. Mais l’arrêt ne dit pas si, et dans quelle mesure, l’insuffisance de la période de réflexion préalable, une clause type standardisée ou l’absence de conseils suffisamment éclairés eu égard au contexte, contribuent en l’espèce à caractériser l’absence de négociation individuelle.

31. Comment envisager l’interprétation ? A notre avis, c’est le concours des circonstances qui pourrait rester le paramètre central, voire fondamental, si ce n’est exclusif. Une fois de plus, le guide que fournit l’article L. 212-1 du Code de la consommation sera des plus précieux.

32. Ce qui ne veut pas dire qu’il faudra nécessairement réunir plusieurs de telles circonstances. Si une seule d’entre elles est de nature, par sa gravité, à écarter l’hypothèse que le consentement du consommateur a bien été éclairé et réel, si elle révèle que le consentement à la clause a raisonnablement pu être surpris, elle suffira à entraîner la qualification de clause abusive.

33. Si ce sont les conventions « légalement formées » qui ont force de loi entre les parties, ou si on lie les hommes par la parole (Loysel), c’est parce que, et à la condition que la formation du contrat ou cette parole soient librement conçues et exprimées. En définitive, il s’agit de la meilleure acception de certains principes de la tradition juridique.


[1] Paris, 14 novembre 1991, Rev.arb. 1994,545, obs. Ph Fouchard

[2] J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, P.U.F. 2016, n° 370, p.274.

[3] Op.cit..

[4] Arrêt Prunier, Cass. civ., 10 juillet 1843, reproduit Rev.arb.1992,399

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