La lettre juridique n°837 du 24 septembre 2020 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Signification et notification d’actes entre avocats : le formalisme est de rigueur

Réf. : Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, deux arrêts, n° 19-12.752, (N° Lexbase : A15503QH) et n° 19-12.753 (N° Lexbase : A55883QZ), F-P+B+I.

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par Emmanuel Raskin, Avocat au Barreau de Paris – Associé Cabinet S.E.F.J., Vice- Président de la Commission Textes et Membre du Conseil National des Barreaux, Expert auprès du Conseil des Barreaux Européens, Vice-Président National de l’A.C.E..

le 23 Septembre 2020

Mots- clefs : Jurisprudence • Commentaire • Acte d'avocat • Signification • Notification • Formalisme

Résumé : Il n’y a pas de signification ni de notification d’acte entre avocats opérante sans le strict respect du formalisme prévu par les articles 672 et 673 du Code de procédure civile. La cour d’appel qui se prononce sans débat au visa de conclusions comportant la mention imprimée selon laquelle elles avaient été notifiées à l’avocat constitué de l’autre partie, sans vérifier que ces conclusions avaient été notifiées à cet avocat dans les formes requises, viole les textes susvisés.


 

Au travers de deux décisions rendues le même jour, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle son exigence tenant au respect du formalisme requis en matière de notification des actes entre avocats. Dans ces deux affaires, la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 20 décembre 2018, n° 17/05299 N° Lexbase : A5692YTY) avait rendu un arrêt pour chacune d’elle confirmant une ordonnance rendue en première instance par le tribunal de l’exécution forcée immobilière de Strasbourg, laquelle ordonnait la vente forcée de plusieurs immeubles. L’enjeu était donc très important.

1. Chaque arrêt s’était prononcé sans débat au visa de conclusions de la banque créancière saisissante sur lesquelles avaient été apposées un tampon de l’Ordre des avocats faisant état de leur notification et revêtu de la signature de l’avocat de la banque. Un pourvoi fut alors formé contre ces deux décisions par les débiteurs saisis. Les moyens soutenus tenaient essentiellement à la violation de l’article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) et l’article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), en ce que la cour avait statué sans débat au visa de conclusions du créancier, sans même s’assurer que ces écritures avaient été communiquées aux débiteurs ni même correctement notifiées à l’avocat de ces derniers, qui n’avaient ainsi pas été mis en mesure d’y répondre, en violation du respect du principe du contradictoire.

2. La réponse, dans ces deux affaires, de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fut une cassation des arrêts rendus par la cour d’appel de Colmar. Au visa des articles 672 (N° Lexbase : L6855H7Z) et 673 du (N° Lexbase : L6856H73) Code de procédure civile et de l’article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation rappelle que selon le premier de ces textes, la signification des actes entre avocats est constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire et que selon le deuxième, la notification directe des actes entre avocats s’opère par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé. En soulignant que les arrêts attaqués ont été prononcés sans débat au visa de conclusions du créancier comportant seulement la mention imprimée selon laquelle elles avaient été notifiées à l’avocat constitué du débiteur, la Cour de cassation censure au visa des textes précités.

3. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. La cour d’appel de Colmar a statué sans débat dans les deux affaires commentées, ce qui signifie sans audience, donc sans que les avocats des parties aient pu s’exprimer, ce qui est déjà singulier quand on connait l’importance que peut avoir l’audience dans des affaires aux enjeux aussi graves : il s’agit de la vente forcée de biens immobiliers. En l’espèce, les parties n’ont pas été entendues. On n’en connait pas la raison. Les avocats des parties ont-ils accepté de déposer leur dossier à la suggestion de la cour ? Les décisions commentées ne le précisent pas. Depuis le 1er janvier 2020, le règlement des litiges civils devant le tribunal judiciaire peut, avec l’accord des parties et à leur initiative, se dérouler sans audience.  

4. L’audience est le moment qui permet d’humaniser et de conférer un caractère solennel à la procédure. Pourtant, en pratique, de nombreux dossiers sont déposés sans être plaidés. Cette pratique des dépôts de dossier par les avocats a, dans un premier temps, été officialisée par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3298HEU) afin de limiter la durée des audiences avant que le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile (N° Lexbase : L6740LPC) n’ait étendu le domaine de cette faculté qui peut désormais être exercée à tout moment de l’instance.

5. Nous n’évoquerons pas en détail ici les textes spécifiques pris en période d’état d’urgence sanitaire, lesquels ont permis purement et simplement la suppression des audiences sur décision du juge, en matière civile avec représentation obligatoire (ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, art. 8 N° Lexbase : L5722LWT). Sous l’empire du droit antérieur, donc applicable aux deux affaires commentées, l’ancien article 779, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9317LTA) prévoyait que le dépôt des dossiers pouvait être autorisé, à la demande des avocats, s’il apparaissait que l’affaire ne nécessitât pas de plaidoiries. Une date de limite de dépôt des dossiers au greffe était alors fixée.

6. La Cour de cassation, sensible à cette absence d’audience dans les deux affaires qu’elle a eu à traiter, s’est enquise de vérifier que les conclusions des créanciers avaient bien été portées à la connaissance des avocats des débiteurs selon les règles prévues en matière de notification d’actes entre avocats. Il en allait évidemment du respect du principe fondamental du contradictoire car sans la preuve de ce que ces écritures avaient été régularisées correctement, il n’était pas établi que les avocats des débiteurs eussent la possibilité d’y répondre, faute d’avoir été entendus à ce sujet en audience.

7. l ne suffit évidement pas que les conclusions des créanciers aient contenu une simple mention, qui plus est imprimée, selon laquelle ces écritures aveint bien été notifiées à l’avocat de la partie adverse. Les textes applicables sont clairs et sans équivoque : s’il s’agit d’une signification à avocat, celle-ci doit être constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire (C. proc. civ., art. 672) ; s’il s’agit d’une notification directe, elle doit s’opérer par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé (C. proc. civ., art. 673).

8. Si ces formalités ne sont pas prescrites à peine de nullité, il convient de rappeler qu’une nullité de forme est encourue en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (article 114 du code de procédure civile), ce qui est le cas des formalités requises par les articles 672 et 673 du Code de procédure civile : il en va de la vérification du respect du principe du contradictoire par l’assurance de ce que l’avocat adverse a bien été destinataire des écritures de son confrère. Le régime des nullités de forme des actes de procédure a d’ailleurs été appliqué aux formalités prévues par les articles 672 et 673 (cf., en ce sens, Cass. civ. 2, 13 mai 1987, n° 85-14028, publié au bulletin N° Lexbase : A7492AAQ Bull. civ. II, n° 110 ; Cass. civ. 2, 29 avril 2004, n° 02-14.970, F-P+B N° Lexbase : A0076DCS, Procédure, 2004, n° 125).

9. Sans aller si loin, la Cour de cassation casse les arrêts rendus par la cour d’appel de Colmar car cette dernière ne s’est en réalité pas enquise de la notification effective des conclusions des créanciers aux avocats des débiteurs, ce qui amenait de manière sous-jacente à traiter de la validité de cette notification. Nul doute que le grief requis par l’article 114, alinéa 2 (N° Lexbase : L1395H4G) eût été reconnu car le principe du contradictoire, faute de notification dans le respect des formes requises par les articles 672 et 673, aurait été violé.

10. Ces deux décisions viennent d’être rendues à la sortie de la période de crise sanitaire au cours de laquelle d’importantes dérogations ont été, par voie d’ordonnance ayant valeur législative, prises. La Cour de cassation est très attachée au respect du principe du contradictoire et il faut s’en féliciter. La forme est alors essentielle lorsqu’il s’agit de s’assurer que ce principe a été respecté par les parties et par le juge, ce dernier se devant de le faire respecter. Rappelons-nous de cette phrase du juriste allemand Ihering : « ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté » (Ihering, L’esprit du droit romain, 3ème éd., Paris, 1886-88).

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