La lettre juridique n°824 du 14 mai 2020 : Divorce

[Jurisprudence] Nullité d'une convention de divorce sans juge : une occasion ratée ?

Réf. : CA Nîmes, 14 avril 2020, n° 19/00887 (N° Lexbase : A81323KE)

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par Jérôme Casey, Avocat associé au Barreau de Paris, Maître de Conférences à l’Université de Bordeaux

le 13 Mai 2020

(1) Une convention de divorce sans juge peut être une transaction, même si les concessions réciproques ne sont pas formellement énoncées ;
(2) N’est pas une cause de nullité le fait que le convention de divorce sans juge soit signée par deux avocats appartenant à la même structure d’exercice.

Faits. Isabelle et Éric se sont mariés le 26 mai 2011 sous le régime de la séparation de biens. Fin 2016, ils s’adressent à un avocat, Luc Z, associé de la SELARL XYZ, afin de divorcer par consentement mutuel. Un état liquidatif de leur régime matrimonial est établi le 22 mai 2017 par un notaire. Le 19 juin 2017, les époux signent une convention de divorce par consentement mutuel, l’acte précisant qu’Isabelle est assistée par un avocat, Luc, et Éric par Maître Jeanne X, également associée de la SELARL XYZ, une clause de l’acte indiquant que les époux peuvent avoir recours à un avocat extérieur à la SELARL XYZ. Le notaire a procédé au dépôt de la convention le 22 juin 2017. Peu après, par télécopie du 27 juin 2017, Isabelle a exprimé auprès de son avocat (Luc) et du notaire son intention d’arrêter la procédure, s'estimant insatisfaite de la répartition et des conditions prévues par la convention de divorce à l'amiable. Autorisée à assigner à jour fixe, Isabelle assigne Éric, son avocat (Luc), l’avocat d’Éric (Jeanne) et le notaire en annulation de la convention de divorce et en réparation de ses préjudices.

Procédure. Par jugement du 23 juillet 2018, un tribunal la déboute de sa demande d’annulation de la convention de divorce et de sa demande au titre de la lésion, ordonne la publication de l'acte de partage du 22 mai 2017 auprès des services de la publicité foncière, mais condamne Maître Luc Z et la SELARL XYZ à payer à Isabelle la somme de 7 500 euros en réparation de son préjudice. Isabelle relève appel de ce jugement le 26 juillet 2018. Par arrêt du 14 avril 2020, une cour d’appel confirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de nullité de la convention de divorce, mais infirme ledit jugement à propos de la responsabilité de l’avocat Luc Z. (CA Orléans, 14 janvier 2020, n° 19/00807 N° Lexbase : A10513BK).

Observations. On signalera aux lecteurs cet arrêt du 14 avril 2020 rendu par la cour d’appel de Nîmes, sur une question qui a fait frissonner les praticiens du divorce depuis l’avènement du divorce sans juge : quid d’une éventuelle action en nullité, une fois le divorce déposé au rang des minutes du notaire ? Il est vrai que le régime d’une telle nullité est tout sauf aisé à définir (v., not., J. Casey, Le dol ou l’illusion contractualiste dans la remise en cause de la prestation compensatoire, AJ fam.  2018, p. 95). La présente affaire résume à elle seule le faible rendement de l’action en nullité, surtout quand le demandeur affirme que les dispositions financières de l’acte sont indivisibles de la question de la rupture du mariage. Car oui, c’est fou mais c’est ainsi, Isabelle soutenait en l’espèce que la nullité qu’elle voulait voir prononcée pour des raisons financières devait emporter aussi la nullité du divorce, la convention présentant, selon elle, un caractère indivisible… On connaît la détestation des juges pour les nullités « à large spectre », tant elles sont dramatiques en termes de sécurité juridique. Cette prudence les honore, mais elle est difficile à accepter au cas présent, compte tenu de la motivation de la décision qui nous semble encourir plusieurs critiques (I), alors que les motifs relatifs au choix de deux avocats associés de la même structure sont très originaux, mais pas forcément plus sages (II).

I - L’absence de cause de nullité de la convention de divorce

Chacun aura compris qu’Isabelle voulait obtenir la nullité de la convention de divorce, et elle a émis pour cela des prétentions tous azimuts, au risque de disperser sa critique de l’acte, et de mal cibler les questions. C’est ainsi qu’elle soutenait la nullité de l’acte pour plusieurs raisons :

(i) parce que les deux avocats étaient associés de la même structure (v., infra, II) ;
(ii) parce qu’il existerait un vice du consentement, Isabelle étant fragile lors de la formation du contrat et qu’il a été profité de sa faiblesse pour lui faire signer un accord déséquilibré, et son avocat Luc ayant commis une réticence dolosive en ne l’informant pas qu’il ne pouvait mener sa mission à bien ;
(iii) en raison de l’absence de concession réciproques pouvant constituer une transaction et ayant conduit à un partage inégalitaire.

Compétence rationae materiae ? Tout d’abord, il faut observer que l’on ne sait absolument pas quel juge fut saisi par l’assignation et c’est bien dommage. Était-ce le JAF (et donc la chambre de la famille en appel), ou le juge ordinaire des contrats ? Mystère… On sait juste que c’est la première chambre de la cour d’appel de Nîmes qui a statué en cause d’appel, ce qui semble indiquer une compétence « contrat » plus que famille, selon les habitude locales qui nous été rapportées. Il semble donc probable que personne n’ait soulevé la question de la compétence rationae materiae du juge devant statuer, et que l’option « contrat » s’est imposée d’évidence. Avec le succès que l’on sait…

Quel vices du consentement ? Ensuite, on remarquera que la demanderesse fondait ses espoirs, pour l’essentiel, sur le fait que les deux avocats étaient associés du même cabinet. On verra ce que l’on peut en penser plus loin (v., infra II). Cependant, la demanderesse pensait en tirer aussi argument sur le terrain du droit des contrats, puisqu’elle soutenait qu’il y avait une réticence dolosive émanant… de son avocat ! Assurément, c’était assez hasardeux, car le régime du dol est assez clair : le dol doit émaner de l’une des parties au contrats (C. civ., art. 1137 N° Lexbase : L1978LKH), sauf circonstance particulière ou erreur portant sur les qualités essentielles (Cass. civ. 1, 3 juillet 1996, n° 94-15.729 N° Lexbase : A8546AB7, Bull. civ. I, n° 288 ; D. 1996, Somm. 323, obs. Ph. Delebecque  ; RTDCiv., 1996, 895, obs. J. Mestre ; CCC, 1996, Comm. 181, obs. L. Leveneur). En l’espèce, Isabelle n’offrait pas de prouver une erreur de cette ampleur, et moins encore de la relier au comportement de son conseil. L’échec était donc probable et sa matérialisation ne surprendra pas.

D’ailleurs, toute l’argumentation de la demanderesse sur le terrain des vices du consentement était extraordinairement brouillonne. La réticence dolosive (de qui ?) alléguée se mélangeait avec des allégations de fragilité intellectuelle, ce qui posait une question distincte, celle de la nullité des actes à titre onéreux pour insanité d’esprit. C’est donc avec raison que la cour d’appel relève que la demanderesse ne dit pas si elle vise une erreur, un dol ou une violence. On ajoutera que la notion de « déséquilibre manifeste » entre les prestations du contrats alléguée par Isabelle n’était pas plus claire (ni pertinente). En effet, une convention de divorce n’est pas un contrat ordinaire, et lorsque l’une des parties doit payer une prestation compensatoire, que celle-ci s’ajoute au résultat de la liquidation du régime matrimonial, il est bien difficile de voir où serait l’équilibre des « prestations ». La cour d’appel s’en est tirée en affirmant que : « il n'existe aucune méprise sur le contenu comme sur la valeur des prestations mises à la charge de M. YZ, très clairement énoncées par la convention. Il ne peut dès lors, à cet égard, y avoir une erreur au sens des articles 1133 (N° Lexbase : L0830KZR) à 1136 du Code civil ». C’est moyennement convaincant, car un tel motif est un brin tautologique : ce n’est pas déséquilibré parce que c’est clair... Une convention a beau être claire, elle peut être « clairement » déséquilibrée… Mais l’on comprend l’idée : Isabelle savait ce qu’elle allait signer, outre le fait qu’elle ne chiffre en rien le déséquilibre qu’elle allègue, et c’est ainsi que la cour motive son rejet, sur ce chef de demande : « Elle ne démontre aucune manœuvre, mensonge, ou dissimulation intentionnelle d'une information essentielle de la part de M. YZ qui aurait pu l'amener à adopter, en des termes qu'elle critique aujourd'hui, la convention du 19 juin 2017 ». On ne peut qu’approuver pareil motif.

La cour d’appel passe ensuite en revue le dol, la violence, allant jusqu’à réfléchir à l’application de l’article 1143 (N° Lexbase : L1977LKG) tout en relevant que la demanderesse ne vise pas formellement ce texte (on rappellera qu’il sanctionne l’état de dépendance donnant naissance à un avantage manifestement disproportionné). Mais les conseillers nîmois ne retiennent aucun de ces éléments, et, appréciant souverainement les faits, ils estiment que l’état de santé d’Isabelle ne plaçait pas cette dernière dans un état de dépendance, outre l’absence de manœuvres d’Éric, ou d‘avantage manifestement excessif. La cour relève encore des mois de négociation, l’existence d’un délai légal de réflexion de quinze jours, estimant au final qu’Isabelle « a ainsi pu donner son accord sans précipitation et de façon tout à fait avisée ». C’est sans doute faire trop d’honneur au délai de réflexion de l’article 229-4 du Code civil (N° Lexbase : L2606LB7). Mais l’idée est juste. Il n’est pas sérieux de soutenir qu’Isabelle n’a pas signé en toute connaissance de cause, alors qu’elle était assistée d’un avocat, et qu’elle a pris tout le temps nécessaire pour signer. On sent ici une formation de la cour d’appel habituée au droit des contrats, et faisant de son mieux pour retourner chaque pierre s’y trouvant, ce qui ne peut qu’être salué et approuvé. C’est après, selon nous, que les juges du fond se sont égarés.

La question de la transaction… La cour d’appel rejette aussi la prétention d’Isabelle fondée sur l’absence de concessions réciproques dans ce qui serait une « transaction ». Il faut tout de suite préciser qu’il est très dangereux, pour les avocats, de qualifier une convention de divorce sans juge de « transaction » au sens des articles 1044 (N° Lexbase : L0204HPA) et suivants du Code civil. En effet, cette convention se prête bien mal à une telle qualification, même si celle-ci paraît tentante à première vue. On voit mal ce qu’il y a de « transigé » (au sens usuel des transactions) entre les dispositions relatives à la cessation du mariage, l’autorité parentale, la prestation compensatoire (qui est à demi alimentaire…), et la liquidation du régime matrimonial. Transiger sur la liquidation, certes, mais sur la liquidation en contrepartie des enfants, ou du prononcé du divorce, c’est moins sûr… Il vaudrait donc mieux ne jamais employer de tels termes, car ils ouvrent un angle de tir pour la contestation, motif pris de l’absence de concessions réciproques, comme en l’espèce, mais exposent aussi à un terrible retour de bâton, comme en l’espèce aussi ! Pourquoi diable prendre ce risque, alors que cette convention est irréductible à toute autre, et qu’elle ne peut être vue comme une « transaction » de droit commun ? Il est des limites à l’omniprésence des contrats… Mais là encore, personne ne semble s’être emparé de l’argument, et c’est bien dommage, car on va voir qu’il y a un vrai sujet dans la façon dont les juges du fond ont estimé que cette convention de divorce constituait une transaction parfaitement valable.

En effet, Isabelle soutenait qu’il n’y a pas eu de transaction annexée à l’acte liquidatif, ce dont elle déduisait une absence de concessions réciproques. La cour d’appel répond d’abord par un motif de portée générale selon lequel : « la validité de la convention s'apprécie ensuite au regard de son économie générale, englobant tout ce qui en fait l'objet, soit, à l'occasion d'un divorce, l'intégralité des rapports patrimoniaux des époux, mais aussi leur volonté de parvenir à une rupture amiable et rapide du mariage ». On comprend bien que c’est la validité de la convention de divorce qui est visée par la cour, mais cela ne rassure pas beaucoup, car les juges du fond ne semblent pas gênés d’apprécier la validité d’une convention de divorce par acte d’avocats déposée au rang des minutes d’un notaire « au regard de son économie générale, englobant tout ce qui en fait l'objet, soit, à l'occasion d'un divorce, l'intégralité des rapports patrimoniaux des époux, mais aussi leur volonté de parvenir à une rupture amiable et rapide du mariage ». Il y aurait donc, selon les juges, deux grands blocs à prendre en compte : les rapports patrimoniaux et la volonté de parvenir à une rupture amiable. Mais que fait-on de la partie alimentaire de la prestation compensatoire, de l’autorité parentale, de la rupture du mariage ? A ne pas définir les concepts, on s’égare forcément.

Quant à l’existence (certaine) d’une volonté de rompre le mariage amiablement, celle-ci ne saurait tout justifier, sauf à tomber dans l’arbitraire, car une telle volonté ne dit rien par elle-même. La volonté abstraite n’a jamais produit le moindre effet en droit français des contrats (v. C. civ., anc. art. 1131 N° Lexbase : L1231AB9), sauf dans les opérations tripartites (garanties autonomes). Il serait extraordinaire que la théorie de l’acte abstrait se revivifie en droit du divorce, et place celui-ci au même plan que la plus redoutable des garanties personnelles ! C’est évidemment la volonté déclarée qui compte, celle que l’on peut jauger. Ce sont donc les abandons, les concessions, acceptés par les parties qui matérialisent cette volonté amiable, non une volonté abstraitement énoncée. Or, pour la cour, l'existence de concessions réciproques peut être établie « alors même qu'elles n'auraient pas été formellement consignées dans l'acte, une stricte égalité n'étant par ailleurs pas de l'essence de la transaction. Les échanges de mail et textos entre les parties et leurs conseils montrent que, de novembre 2016 à finalisation de la convention qui leur a été adressée le 29 mai 2017, chacune des questions patrimoniales majeures a été discutée sérieusement entre elles pour aboutir à un accord ». Bref, pour la cour d’appel, une convention de divorce peut être une transaction, alors même que ladite convention ne le dit pas… Pourtant, une convention de divorce ne se résume pas aux questions patrimoniales, ce qui ne paraît pas avoir effleuré la cour, qui n’a pas un mot pour cet aspect de la question.

Transaction et erreur de droit… Mais il y a pire encore. Les motifs de la décision se poursuivent, toujours sous l’angle patrimonial : « En particulier, les deux immeubles indivis entre les époux mariés sous le régime de la séparation de biens, l'un situé à M. YZ. La soulte, qui dans un partage pour moitié aurait été de 113 013,40 euros pour Mme Z, a été ramenée à 63 000 euros. Les correspondances entre les parties révèlent que cette somme forfaitaire tient en réalité compte de leurs apports respectifs et surtout du remboursement des échéances des deux prêts par M. YZ seul, de sorte qu'il disposait d'une créance contre son épouse de nature à minorer le montant de la soulte et que sa réduction forfaitaire à 63 000 euros procède bien d'un accord transactionnel entre les époux ; l'acte le dit expressément : 'En conséquence, ledit partage est consenti à titre inégalitaire, forfaitaire et définitif, au sens des articles 2044 du Code civil', et Mme Z n'a pu se méprendre sur le sens de cette formule. M. YZ a par ailleurs pris à sa charge 65 % des frais de partage ».

Cette fois, la cour d’appel s’égare franchement. Elle reconnaît que l’épouse pouvait prétendre à la somme de 113 013 euros, mais qu’elle n’a reçu que 63 000, ce qu’elle justifie par les apports respectifs des époux et le fait que le mari a payé les échéances d’emprunt seul… Sauf qu’en séparation de biens (qui est le régime des époux), une jurisprudence bien connue de la Cour de cassation veut que le paiement de l’emprunt au jour le jour par les revenus d’un époux ne donne pas forcément droit à remboursement, en raison de l’article 214 du Code civil (N° Lexbase : L2382ABT) (pour les apports, la question est différente depuis un arrêt récent, v., Cass. civ. 1, 3 octobre 2019, n° 18-20.828, FS-P+B+I N° Lexbase : N1246BYS, note J. Casey, Séparation de biens, logement & CCM : exclusion des apports en capital, Lexbase, éd. priv., n° 803, 2019 N° Lexbase : N1246BYS). Or, en l’espèce, personne (et moins encore la cour au soutien de son motif) n’a pris le soin de vérifier l’application de cette jurisprudence à la « transaction » sous examen. Il s’agissait quand même de retrancher 50 000 euros à la part d’Isabelle… Pourtant, personne ne semble lui avoir dit que la jurisprudence « CCM & Logement » fait que, par principe, Éric ne pourra rien demander pour le financement du logement, mais peut-être aussi de la résidence secondaire (il y a deux immeubles selon le motif de la cour). Bref, personne n’a vraiment exposé la situation juridique à Isabelle avant de la faire signer. Et la cour d’appel n’a jamais vérifié que cette grande concession avait été faite volontairement et sciemment par Isabelle, alors que cette dernière soutenait la nullité de la transaction… Dans ces conditions, affirmer que le partage contient des concessions alors qu’elles n’ont pas été formellement consignées, c’est aller beaucoup trop loin. Il y a, c’est évident, un défaut dans le devoir de conseil des professionnels ayant participé à cette convention (et aussi du notaire qui a reçu l’acte liquidatif). Mais il est avant tout impossible de trouver trace d’une concession ici, puisque tout le monde semble vouloir raisonner en termes de « transaction ». Pour qu’il y en ait eu une, il eût fallu qu’Isabelle sache quel était le montant exact qu’Éric pouvait réclamer, qu’elle sache encore que tous les paiements d’Éric ne lui ouvraient pas automatiquement droit à remboursement, et que, sachant tout cela, elle accepte « en toute connaissance de cause » (c’est la formule usuelle de la Cour de cassation en matière de renonciation à un droit) de renoncer à ce qu’elle pouvait réclamer. Les juges du fond auraient dû vérifier qu’Isabelle a renoncé en « toute connaissance de cause ». Or, on le voit, leurs motifs sont très éloignés d’une telle recherche. Compte tenu de l’enjeu, de l’erreur de droit entachant le motif de la cour (sur les prétendues « créances » du mari pour le financement des immeubles indivis), et surtout du fait qu’il ne s’agissait rien moins que d’apprécier une convention de divorce (sans juge) à l’aune d’une transaction (une notion bien éloignée du droit de la famille), davantage de rigueur aurait été nécessaire.

Au total, chacun peut voir les ravages que cause l’approche purement « contractualiste » (pour ne pas dire « droit des affaires ») d’une convention de divorce sans juge. L’aspect extra-patrimonial de l’acte n’est pas pris en compte, ni même évoqué, et l’on se contente d’une motivation, sur la transaction, qui est bien lacunaire. Il n’y a plus de droit de la famille dans cette convention de divorce, il n’y a que du sous-droit de la transaction. Pourtant, il s’agit d’une convention de divorce, de la fin d’un mariage. Voilà où mène le « tout contrat ». C’est à méditer, mais c’est bien triste.

II - Deux avocats appartenant à la même structure ?

L’arrêt est original par la question soumise à la cour : une clause de la convention de divorce peut-elle prévoir l’exclusion de la règle imposant aux époux de recourir à deux avocats appartenant à deux structures différentes ?

Oui, répondent les conseillers nîmois, qui relèvent que ladite clause « renferme l'information claire que la présence de deux avocats est imposée par la loi, que Maître X et Maître ... exerçaient au sein de la même structure ce qui induit nécessairement entre eux une proximité  et un projet professionnel commun, et que chacun des époux pouvait, à son libre choix, décider de poursuivre sa démarche avec un tout autre avocat. Les époux ont malgré tout, en pleine de connaissance de cause, préféré le recours à deux avocats de la société PVB, assurant il est vrai une moindre neutralité mais conservant leur indépendance professionnelle, en considération de leur démarche initiale, de l'état d'avancement de leur accord, de leur antagonisme mesuré, et des avantages de rapidité et d'efficacité qu'ils recherchaient. Par ailleurs, seul M. YZ pourrait se plaindre que Maître X soit resté le conseil de Mme Z après avoir été le conseil commun des deux époux, ou que Maître ... n'aurait pas reçu mandat de sa part, ce qui ressort au demeurant sans équivoque de la seule convention. En conséquence, la protection des intérêts des époux, et notamment ceux de Mme Z, ayant été normalement assurée, il n'existe de ce chef aucune cause de nullité, de forme ou substantielle. »

À l’évidence, les deux avocats signataires de la convention n’ont pas éludé la difficulté et ont clairement rappelé la nécessité de recourir à deux avocats indépendants l’un de l’autre. La question était donc de pur principe : peut-on écarter la règle par une clause contraire explicite et claire, comme en l’espèce ? Les avocats rédacteurs ont pris leurs responsabilité, et ont estimé que oui, suivi en cela par la cour d’appel, qui n’a manifestement pas été choquée du procédé.

Nous sommes, pour notre part, beaucoup plus réservés. A décider que l’on peut renoncer à ce qui est une protection contrebalançant l’absence de juge, l’on réduit à presque rien la sécurité de ce genre de divorce. Il suffit de reprendre les travaux préparatoires de la loi pour se rendre compte que la disparition de l’avocat unique a précisément eu comme justification que le juge disparaissant aussi, seule la présence de deux avocats indépendants était de nature à garantir la sécurité des époux. D’ailleurs, à quoi sert-il d’imposer au notaire de vérifier les structures d’exercice des avocats (C. civ., art. 229-1 N° Lexbase : L2609LBA renvoyant à C. civ., art. 229-3, 2° N° Lexbase : L2607LB8), si c’est pour ne pas s’émouvoir de leur structure commune, ou de la présence d’une clause contractuelle rendant une telle situation possible ? Quelle est la finalité d’un tel contrôle, si une clause contraire suffit à le vider d’une partie de son contenu ? Si la position des conseillers nîmois devait être généralisée, la clause deviendrait de style, et les « plateformes » feront signer à tour de bras des consentements mutuels où les deux avocats distincts ne seront que de pure forme. C’est l’opposé de ce que le législateur à voulu.

En outre, l’on peut aussi se demander à quoi sert-il que le CNB ait modifié l’article 7.2 du RIN pour imposer la présence simultanée des deux avocats, si l’heure est à la grande dérégulation contractuelle… Là aussi, une clause contraire sera-t-elle jugée valable, l’obligation ne violant que la déontologie, non le droit civil ? L’on ose espérer que non. Chaque conseil doit être totalement indépendant l’un de l’autre, et ils doivent être tous deux physiquement présents pour la signature. La sécurité est à ce prix.

En l’espèce, on remarquera que le notaire chargé du contrôle des structures d’appartenance de chaque avocat n’a pas bronché. Il est vrai qu’il n’a pas été gêné non plus de rédiger un acte de liquidation du régime matrimonial où il comptait des créances sur le financement du logement au profit du mari, alors que la jurisprudence aurait dû l’inciter, via son devoir de conseil et de neutralité, à signaler ce point à l’épouse… C’est donc peu dire qu’Isabelle n’a pas été aidée par les professionnels du droit mis sur son chemin. Son avocat ne soulève pas la question, le notaire n’en dit mot, et les juges du fond trouvent formidable qu’une clause contractuelle réduise à néant la protection légale. On notera d’ailleurs que la cour d’appel indique que c’est Éric qui aurait pu se plaindre de ce que Luc soit l’avocat d’Isabelle seule après avoir été le sien. C’est vrai en termes de conflits d’intérêt. Mais c’est faux du point de vue d’Isabelle, qui pensera sans doute longtemps (probablement à tort, mais peu importe, là n’est pas la question) que son avocat est resté pour aider Éric (par exemple, en ne signalant pas l’erreur liquidative du notaire). Bref, on retrouve là tous les travers que le législateur a cherché à éviter, tous les soupçons qui empoisonnent l’après-divorce. Aucun avocat ne devrait les favoriser, fût-ce par une clause comme celle ici critiquée.

De sorte que la réponse que donne la cour d’appel à la question, très neuve, de la possibilité d’une clause contraire à l’indépendance structurelle des deux avocats ne nous semble pas être la bonne. Elle fragilise encore un peu plus ce type de divorce, qui n’en a nul besoin.

Conclusion

Au total, la décision est intéressante, même si elle est assez critiquable sur le fond. Sur la nullité de la convention, nous pouvons tout comprendre par le biais du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Mais nous ne pouvons admettre que l’on voit dans une convention de divorce sans juge une banale transaction, qui plus est une transaction qui ne dit pas son nom, et dans laquelle une épouse renoncerait à des droits abstraits qui ne lui auraient jamais été exposés. Sur la question de la clause contraire à l’indépendance des structures d’exercice des avocats, le débat est ouvert.

Nous ne savons pas si un pourvoi a été formé contre l’arrêt. Égoïstement, nous ne pouvons que le souhaiter. Il faut espérer une censure sur le second point, qui serait aisée à énoncer, tant la question est de pur droit et peut faire l’objet d’une cassation de principe (mais un rejet serait tout aussi normatif, même si nous en regretterions le sens). Il faut aussi espérer une censure sur l’aspect « transaction » de l’arrêt, mais c’est sans doute plus difficile…

Enfin, les avocats garderont à l’esprit que plaider le « tout contractuel » devant des chambres qui ne sont pas de droit de la famille prive manifestement le demandeur à la révision (ou à l’annulation) de l’acte d’un vrai débat de droit de la famille, tant patrimonial qu’extrapatrimonial, car les deux aspects sont toujours intimement liés. Permettre de s’en rendre compte constitue aussi l’un des mérites d’un arrêt qui, pour n’être pas parfait, est parfaitement intéressant !

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