La lettre juridique n°804 du 28 novembre 2019 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Les vicissitudes de l’assujettissement des organismes publics à la TVA

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 12 avril 2019, n° 427540, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2813Y93)

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par Ludovic Lombard, Docteur en droit ; consultant en gestion de services publics, cabinet COGITE

le 27 Novembre 2019

Il est coutume de dire que le diable est dans les détails. En matière de droit fiscal, et plus particulièrement en matière de TVA, les détails sont nombreux.

Par un avis du 12 avril 2019, n° 427540, le Conseil d’Etat a été amené à préciser son interprétation sur les dispositions applicables à l’assujettissement à la TVA des organismes publics. En la matière, il convient de rappeler que l’article 256 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L5161HLQ) dispose que « les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence [...] ». Par ailleurs, le paragraphe 1 l’article 13 de Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (N° Lexbase : L8139H3T) précise que « les Etats, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance [...] ».

Saisi par un jugement du tribunal administratif de Caen du 1er février 2019 en vertu de l’article L.113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT), le Conseil d’Etat a été interrogé sur le fait de savoir si « l’examen de la distorsion dans les conditions de la concurrence provoquée par un non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée d’une personne morale de droit public [doit] procéder d’une évaluation de cette distorsion au cas d’espèce ou d’une analyse selon laquelle une différence de traitement au regard de cette taxe entre deux prestations identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfaisant aux mêmes besoins suffit à établir la violation du principe de neutralité de cette taxe ».

Pour répondre au tribunal administratif, le Conseil d’Etat a précisé son interprétation sur l’ensemble du texte applicable aux organismes publics. Il a donc rappelé d’une part les conditions pour bénéficier du régime dérogatoire et d’autre part sur l’examen spécifique des conditions de la concurrence permettant d’exclure le régime dérogatoire d’exclusion du champ d’application de la TVA.

Or, si le premier point clarifie, dans le sens des décisions précédentes du Conseil d’Etat, le périmètre des activités pouvant bénéficier d’un régime dérogatoire lorsqu’elles sont exercées par des organismes publics (I), le second point, lui, soulève plus de doutes et d’insécurité, qu’il n’apporte une réponse précise (II).

I - Le rappel d’une exonération spécifiquement applicable aux organismes publics

L’exonération prévue à l’article 256 B du Code général des impôts comme au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive européenne est strictement applicable aux organismes publics, pour l’exercice de certaines activités. Le périmètre organique ne soulève pas vraiment de difficultés (A). En revanche, le périmètre matériel est précisé utilement par l’avis du Conseil d’Etat, qui se rapproche encore davantage de la position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (B).

A - Un régime strictement dédié aux collectivités publiques

L’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019 évacue assez rapidement la question d’un régime fiscal applicable spécifiquement aux personnes publiques. Comme il le décrit, « avant toute recherche d'une éventuelle distorsion de concurrence qui résulterait du non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée d'une personne morale de droit public, il convient de vérifier au préalable si l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique ».

Il est pourtant clair que l’article 256 B du Code général des impôts dispose dans un premier temps que « les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs ». De la même manière, le paragraphe 1 de l’article 13 de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée précise que « les Etats, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques ».

Dès lors, si l’avis du Conseil d’Etat rappelle que la première étape consiste à vérifier si l’activité exercée par l’organisme public l’est en qualité d’autorité publique, en réalité, il convient tout d’abord d’examiner si l’activité est exercée par un organisme de droit public. Cette position semble évidente. D’ailleurs, le Conseil d’Etat la considère très certainement comme sous-entendue.  Elle a toutefois été rappelée avec force par la Cour administrative d’appel de Paris dans une décision du 18 mars 2019, «Société Cultival»[1]. La cour indique ainsi que « la société Cultival, qui n'est pas une personne morale de droit public, n'est pas fondée à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 256 B rappelées ci-dessus ».

Cependant, le législateur national, à la suite des institutions de l’Union européenne, s’intéresse principalement aux activités menées par ces organismes publics, qu’ils sont les seuls à pouvoir mener. Il est donc naturel pour le Conseil d’Etat de se focaliser sur les activités menées par ces organismes, le régime dérogatoire de non-assujettissement à la TVA ne pouvant alors s’appliquer que pour l’exercice de ces activités.

B - L’identification délicate des activités susceptibles de bénéficier du non-assujettissement à la TVA

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord classiquement les textes applicables en matière d’assujettissement des organismes publics à la TVA. Ainsi, l’article 256 B du Code général des impôts identifie « l'activité [des] services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs » des personnes publiques. De son côté, l’article 13 de la Directive européenne relative au système commun de TVA évoque « les activités ou opérations [accomplies] en tant qu'autorités publiques ».

Il est constant que l’article 256 B du Code général des impôts a été adopté pour transposer les dispositions européennes.  Plus précisément, la rédaction de l’article 256 B du Code général des impôts résulte de la transposition en droit interne du 5 de l’article 4 de la Directive du Conseil européen n° 77/388/CEE582, plus communément nommée « sixième Directive », assurée par l’article 24 de la loi n° 78-1240, de finances rectificative pour 1978 (N° Lexbase : C32074HA), repris ensuite par le paragraphe 1 de l’article 13 de la Directive de 2006. Il est d’ailleurs étonnant de constater que, dans sa décision du 18 mars 2019, « Société Cultival », la cour administrative d’appel de Paris reconnaît bien cette transposition en droit interne des dispositions européennes, mais de l’article 13 de la Directive de 2006. Or, les dispositions de l’article 256 B du Code général des impôts ont été adoptées en 1978, et leur dernière modification a été introduite en 1990.

A première vue, la traduction nationale des dispositions européennes semble globalement conforme. D’ailleurs, dès 1989, la Cour de justice des Communautés européennes relevait que « [les Etats membres] peuvent soit se limiter à reprendre dans la législation nationale la formule utilisée dans la sixième Directive ou une expression équivalente, soit arrêter une liste des activités pour lesquelles les sujets de droit public ne doivent pas être considérés comme assujettis »[2]. La législation française semble avoir opté pour cette dernière solution. Dans ce sens, la décision précitée de la cour administrative de Paris du 18 mars 2019 se contente donc d’examiner la situation litigieuse au regard des dispositions nationales, éclairées par la directive européenne. Il peut alors apparaître étonnant que l’avis du Conseil d’Etat ne s’interroge que sur l’interprétation à donner aux dispositions de la directive européenne, en écartant l’article 256 B du Code général des impôts.

En réalité, cette position reflète la délicate appréhension du texte de droit interne, et donc sur la validité de la transposition qui a été opérée en 1979. En effet, le législateur français a simplement dressé une liste d’activités pouvant bénéficier du régime dérogatoire. La règlementation européenne, pour sa part, privilégie les modalités d’exercice de ces activités « accomplies en tant qu’autorité publique ». Pour pallier cette difficulté, le juge national, paraissant joindre les deux règlementations, n’utilise en réalité que les mesures prévues par la directive européenne. D’ailleurs, contrairement à la tentative de la cour administrative de Paris, le Conseil d’Etat ne reprend pas l’idée selon laquelle les dispositions nationales transposent la directive européenne. En ce sens, le Conseil d’Etat s’écarte, dans son avis du 12 avril 2019, de la position qu’il avait adoptée, par exemple, dans sa décision du 16 février 2015, « Commune du Perthus »[3].

En conséquence, le Conseil d’Etat reprend naturellement la définition donnée par la CJCE puis par la CJUE, à savoir qu’une activité est accomplie en tant qu’autorité publique « lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique ». Le Conseil d’Etat reprend ici de manière très précise la position de la CJCE, et même plus précisément des interprétations données dès 1989 par l’avocat général Jean Mischo dans ses conclusions sur l’arrêt du 17 octobre 1989, aff. C-231/87 et 129/88, « Communes de Carpaneto Piacentino et de Rivergato »[4].

Le bénéfice du régime d’exclusion du champ d’application pour les organismes publics est strictement lié aux activités qu’ils peuvent seul mener. Dans cette optique, il est logique d’introduire une garantie supplémentaire pour renforcer cette mesure. Il convient de n’appliquer un non-assujettissement que si l’organisme public est effectivement le seul à mener l’activité en question. La règlementation européenne et, à sa suite, la législation nationale ont donc ajouté le principe en vertu duquel le non-assujettissement de l’activité dépend de l’existence ou non d’une concurrence à l’activité publique. Si le principe semble aisément concevable, son application est source d’incertitudes, que les interprétations successives des juges européen et nationaux ne contribuent pas à clarifier. L’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019 renforce cet aléa.

II - L’examen incertain de l’appréciation de la concurrence conduisant au rejet du régime dérogatoire

L’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019 expose clairement que la deuxième condition du bénéfice de l’exonération de TVA repose sur le principe selon lequel un non-assujettissement n’entraînerait pas de distorsions de concurrence d’une certaine importance. Il est notable que le Conseil d’Etat relève cette question de l’importance des distorsions de concurrence propre au droit de l’Union européenne alors que la législation nationale ne la reprend pas à son compte. Surtout, le Conseil d’Etat s’appuie sur la jurisprudence européenne pour préciser les contours de l’analyse concurrentielle effectuée par le juge. Or, il reprend strictement la même ambiguïté qui découle des décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne (A). Cette ambiguïté est en réalité révélatrice de la dualité de conception de la concurrence (B).

A - La reprise de l’ambiguïté de la jurisprudence européenne

Le Conseil d’Etat, dans son avis du 12 avril 2019 exprime clairement que « les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de son article 13 s'apprécient à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité ». Il s’appuie en cela sur la jurisprudence européenne.

Dans un premier temps, la Cour de Justice des Communautés Européennes, dans un arrêt du 16 septembre 2008, « Isle of Wight Council », avait précisé que « l’assujettissement des organismes de droit public à la TVA […] résulte de l’exercice d’une activité donnée en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si lesdits organismes font face ou non à une concurrence au niveau de marché local sur lequel ils accomplissent cette activité »[5]. En ce sens, seule l’activité en cause est analysée, sans que le juge ne s’interroge sur l’existence d’un marché pertinent. Le Conseil d’Etat avait alors repris cette position dans une décision du 23 décembre 2010, « Commune de Saint-Jorioz »[6]. C’est donc dans la lignée de cette jurisprudence que le Conseil d’Etat s’inscrit dans son avis du 12 avril 2019 en rappelant qu’une distorsion de concurrence s’apprécie « au regard de l’activité en cause ».

Dans un second temps, la Cour de Justice de l’Union Européenne a affirmé que la distorsion de concurrence devait être examinée « en tenant compte des circonstances économiques », pour reprendre les termes de l’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019. Plus exactement, dans sa décision du 19 janvier 2017, « National Roads Authority »[7], comme dans sa décision précédente du 29 octobre 2015, « Saudaçor »[8], le juge européen avait déterminé que « les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle, sans que son évaluation porte sur un marché en particulier, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d’entrer sur le marché pertinent est réelle et non hypothétique ». Dès lors, il introduit la notion de marché pertinent dans l’analyse concurrentielle en matière d’assujettissement à la TVA des organismes publics, notion reprise par le vocable « marché en cause », par le Conseil d’Etat dans son avis du 12 avril 2019. Il convient alors de rappeler que selon la Commission européenne, « le marché en cause dans le cadre duquel il convient d’apprécier un problème donné de concurrence est déterminé en combinant le marché de produits et le marché géographique »[9]. Autrement dit, un marché pertinent ou un marché en cause s’apprécie au regard des produits considérés comme interchangeables et sur un espace géographique donné.

Dès lors, un doute apparaît sur l’appréciation de la concurrence. Dans le même avis, le Conseil d’Etat, comme auparavant dans le même jugement la Cour de Justice de l’Union européenne, admet tout d’abord que la concurrence doit s’apprécier compte tenu de l’activité elle-même, in abstracto. Cette appréciation de la concurrence est réalisée « indépendamment de la question de savoir si lesdits organismes font face ou non à une concurrence au niveau de marché local », pour reprendre les termes de l’arrêt « Isle of Wight Council ». Ensuite, la concurrence s’analyse in concreto en prenant en compte l’activité dans son environnement, au sein d’un marché pertinent à déterminer.

La position jurisprudentielle nationale reposait sur une analyse concurrentielle objective, fondée par la décision du Conseil d’Etat du 23 décembre 2010, Commune de Saint-Jorioz. Reprenant la position du juge européen du moment, elle avait le mérite de la clarté. Désormais, l’avis du Conseil d’Etat, qui demandera une confirmation jurisprudentielle, introduit une ambiguïté certaine, initiée par le juge européen par ses décisions « Saudaçor » et « National Roads Authority ». D’ailleurs, la décision du 19 janvier 2017, « National Roads Authority » a été rendue sur conclusions contraires de l’avocat général Maciej Szpunar pour qui « les distorsions de concurrence auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public doivent être évaluées en fonction du type d’activité dont il s’agit, et non du marché en cause »[10].

Cette hésitation jurisprudentielle qui se traduit, tant au niveau européen que désormais au niveau national, par une insécurité juridique importante pour les collectivités potentiellement redevables de la TVA, reflète en réalité un conflit doctrinal sur le concept même de concurrence. Ce débat n’a pas été tranché au niveau européen et il rejaillit dès lors au niveau national.

B - Une ambiguïté révélatrice de la dualité de la conception de la concurrence

Les différentes approches concurrentielles sur lesquelles sont assises les décisions jurisprudentielles, et par conséquent l’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019, reposent sur des fondements théoriques différents.

Plus précisément, deux bases théoriques sous-tendent la réception de la concurrence par le droit, au niveau européen, et par extension au niveau interne.

Dans un premier temps, la politique de la concurrence menée au niveau européen s’est appuyée sur la théorie ordo libérale. En résumé, dans cette optique, la concurrence est un moyen au service d’un but plus important, la construction d’un espace de liberté économique. Cet espace nécessite une intégration des marchés. Plus globalement, le fondement théorique s’est traduit au niveau communautaire par l’organisation structurelle du marché. Dans ce sens, la protection du consommateur passe au second plan, derrière le marché commun. Cette position se retrouve dans le droit des aides d’Etat. Ainsi, la communication de la commission relative aux aides d’Etat du 19 juillet 2016 décrit clairement cette idée. « Dans la pratique, une distorsion de la concurrence au sens [du droit des aides d’Etat] est généralement constatée dès lors que l’Etat octroie un avantage financier à une entreprise dans un secteur libéralisé où la concurrence existe ou pourrait exister ». Il apparaît qu’en la matière, la construction du marché est structurante, et l’analyse de l’aide apparaît d’abord comme objective.

Dans un second temps, le droit de la concurrence au niveau européen, comme au niveau national, s’est imprégné des théories économiques libérales anglo-saxonnes, dont l’Ecole de Chicago. En résumé, ces théories déterminent que l’objectif du droit de la concurrence est de protéger le consommateur. Plus particulièrement le but de toute politique de concurrence est de faire diminuer les prix et donc d’octroyer au consommateur un surplus[11]. L’usage de cette théorie économique conduit à analyser économiquement le marché, entendu comme un lieu d’échange de biens ou de service, et dont le fonctionnement normal permet de déterminer le prix d’un bien. Dans cette perspective, le marché nécessite une définition précise à la fois d’un point de vue matériel et d’un point de vue géographique. Cette vision de la concurrence se retrouve dans le droit des pratiques anticoncurrentielles par exemple.

Les deux théories économiques s’opposent sur la conception du marché. Dans le premier sens, il s’agit d’un moyen au service d’une politique globale structurante. Le marché est alors une construction objective permettant de créer un espace de liberté. Dans le second sens, il s’agit de l’objet même du droit, au service du consommateur. Le marché doit être identifié économiquement, de manière concrète. Dans l’analyse juridique, il s’agit alors d’identifier un marché pertinent ou un marché en cause.

Dans cette perspective, le droit fiscal semble hésiter entre ces deux positions. L’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019, comme auparavant les décisions de la CJUE, révèle cette hésitation théorique. Faute d’une réflexion sur le but de la politique économique en matière de TVA, les hésitations poursuivront, au détriment des organismes publics potentiellement assujettis. Il semble pourtant naturel de penser que la détermination des distorsions de la concurrence en matière de TVA doit être analysée de manière objective. Le but des directives est de créer un système commun de TVA, au service de l’instauration d'un marché intérieur[12], et plus particulièrement d’un espace de liberté de circulation des biens et des services. Dans cette optique, et à l’image du droit des aides d’Etat, la concurrence devrait conduire à analyser le marché de manière objective. Il sera nécessaire, pour une meilleure lisibilité du droit, que les juridictions tranchent cette problématique.

L’avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019 devait, dans la logique même de cette procédure prévue par l’article L.113-1 du Code de justice administrative, éclaircir la question qui a été soulevée devant le tribunal administratif de Caen. Si la décision apporte des précisions utiles sur le contour des activités menées par les organismes publics, susceptibles de bénéficier d’une exclusion du champ d’application de la TVA, elle était surtout attendue sur l’examen de la distorsion dans les conditions de la concurrence provoquée par un non-assujettissement à la TVA. Sur ce point, l’avis du Conseil d’Etat ne fait que reprendre la solution dégagée par la CJUE. Or, cette position n’est pas exempte de critique et elle soulève des incertitudes et une insécurité certaine pour les collectivités publiques.   

 

[1] CAA Paris, 28 mars 2019, n° 18PA01161 (N° Lexbase : A8449Y73).

[2] CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-231/87 et 129/88 (N° Lexbase : A7343AHG), conclusions Jean Mischo, RJF, n° 1, janvier 1990, n° 20 ; Dr. Fisc., n°14, 4 avril 1990, n°729 ; commentaire Emmanuel Kornprobst, Dr. Fisc., n° 14, 14 avril 1990, pp. 516-519 ; Rec. CJCE p. 03233.

[3] CE 9° et 10° ch.-r., 16 février 2015, n° 364793, mentionné aux tables du recueil Lebon « Commune du Perthus » (N° Lexbase : A0266NCT), conclusions Edouard Crepey, Dr. Fisc., n° 17, 23 avril 2015, comm. 284 ; RJF, n° 5 mai 2015, n° 395.

[4] CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-231/87 et 129/88 préc..

[5] CJCE, 16 septembre 2008, aff. C-288/07, « Isle of wight council » (N° Lexbase : A3602EAN), conclusions Luis Miguel Poiares Maduro, RJF, n° 1, janvier 2009, n° 100 ; Dr. Fisc., n° 39, 25 septembre 2008, act. 275 ; RLCT, n° 39, octobre 2008, pp.50-51 ; note Anne-Laure Mosbrucker, Europe, n° 11, novembre 2008, comm. 385 ; Rec. CJCE p.I-07203, point 40.

[6] CE 9° et 10° ch.-r., 23 décembre 2010, n° 307856, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6974GNM), Commune de Saint-Jorioz, conclusions Claire Legras ; BDCF, n° 3, mars 2011, n° 30 ; RJF, n° 3, mars 2011, n° 296 ; note Cyril Sniadower, Dr. Fisc., n° 13, 31 mars 2011, comm. 287 ; note Gilbert Orsoni, RTD Com, n° 2, avril 2011, pp. 322-323 ; note Christophe Mondou, RLCT, n° 67, avril 2011, pp.12-14 ; note Laëtitia Ourly-Dore, RLCT, n° 68, mai 2011, pp. 11-13 ; Rec. p.527.

[7] CJUE, 19 janvier 2017, aff. C-344/15, « National Roads Authority » (N° Lexbase : A2078S9T), conclusions Maciej Szpunar ; point 41.

[8] CJUE, 29 octobre 2015, aff. C-174-14 (N° Lexbase : A2298NUN), conclusions Niilo Jaaskinen, note Audrey Zians, RTD Eur., n° 1 janvier 2016, pp. 191-192 ; commentaire Anne-Laure Mosbrucker, Europe, n° 12, décembre 2015, comm. 515 ; note Dominique Berlin, JCP G, n° 46, 9 novembre 2015, n° 1255 ; point 74.

[9] Communication de la Commission européenne sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, n° 97/C 372/03, 9 décembre 1997.

[10] Conclusions de l’avocat général Maciej Szpunar sous l’arrêt de la CJUE du 19 janvier 2017, aff. C-344/15, précit. ; point 28.

[11] Joseph Stiglitz, Jean-Dominique Lafay et Carl Walsh définissent le surplus du consommateur comme « la différence entre ce que les individus seraient prêts à dépenser pour acheter un montant donné d’un bien et la somme qu’ils doivent effectivement payer […]. Le surplus du consommateur est une mesure des gains de l’échange procurés aux consommateurs par le marché du bien concerné ». Joseph Stiglitz et al., Principes d’économie moderne, De Boeck, 4ème éd, traduction par Françoise Nouguès, 2014, p.110.

[12] Directive 2006/112/CE Du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, point 4.

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