La lettre juridique n°797 du 3 octobre 2019 : Contrats administratifs

[Conclusions] La combinaison des procédures contractuelles d'exécution financière du contrat avec les prérogatives dont dispose par nature la personne publique cocontractante - conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 20 septembre 2019, n° 419381, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3208ZPI) et n° 421064, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3217ZPT)

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[Conclusions] La combinaison des procédures contractuelles d'exécution financière du contrat avec les prérogatives dont dispose par nature la personne publique cocontractante - conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/53994111-conclusions-la-combinaison-des-procedures-contractuelles-d-execution-financiere-du-contrat-avec-les
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par Gilles Pellissier, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

le 03 Octobre 2019

Les deux affaires qui viennent d'être appelées, partiellement identiques et que vous pourrez joindre, vous permettront de compléter votre jurisprudence relative à la combinaison des procédures contractuelles d'exécution financière du contrat avec les prérogatives dont dispose par nature la personne publique cocontractante.

Les deux litiges portent sur le remboursement de sommes réclamées au titre de trop-perçus par le syndicat mixte du développement durable de l’Est Var (SMIDDEV) à la société X, aux droits de laquelle est venue la société Y, à laquelle il avait délégué depuis le 31 décembre 2002 le service public de l’exploitation du centre d’enfouissement de déchets non dangereux des « Lauriers », situé sur le territoire de la commune de Bagnols‑en‑Forêt. Ces trop-perçus ont été révélés par l'audit financier réalisé au terme de la délégation. Après l'échec de la procédure de conciliation prévue par la convention, le syndicat mixte a émis successivement le 19 février et le 28 mars 2014 deux titres exécutoires de plus de 630 000 euros pour le premier, au titre de l'année 2005 et de 730 000 euros pour le second, au titre de l'année 2010. La société Y a contesté ces titres exécutoires devant le tribunal administratif de Toulon qui a fait droit à ses conclusions. Il a interprété la clause de l'article 15 de la convention relative aux conséquences de l'échec de la procédure de conciliation, aux termes de laquelle «dans le cas où dans un délai de quinze jours, cette proposition (de la commission de conciliation) ne rencontre pas l’assentiment des parties ou dans le cas où, dans ce même délai, la commission de conciliation ne ferait pas de proposition, le différend serait alors soumis au tribunal administratif […] à la requête de la partie la plus diligente», comme imposant au syndicat mixte de saisir la juridiction administrative sans pouvoir émettre de titre exécutoire. La cour administrative d’appel de Marseille a donné la même portée à cette clause, mais n'en a pas tiré la même conséquence : elle l'a jugée illicite, au motif "qu’une collectivité publique ne peut renoncer contractuellement à la faculté d'émettre un titre exécutoire, d’ordre public", en a écarté l'application, a annulé les jugements et rejeté les conclusions du délégataire. Le principal moyen des deux pourvois est tiré de ce qu'elle aurait ce faisant commis une erreur de droit.

Nous vous proposerons de l'écarter. Autant l'interprétation donnée tant par le tribunal que par la cour de la portée de cette clause comme faisant obstacle à ce que l'autorité concédante puisse, en cas d'échec de la procédure conventionnelle de conciliation, émettre un titre exécutoire au lieu de saisir le juge administratif nous paraît contestable, autant l'appréciation de sa licéité par la cour ne fait à nos yeux aucun doute. L'interprétation souveraine de la portée de cette clause tout à fait classique n'étant pas critiquée devant vous, vous ne pourrez la censurer et devrez vous borner à trancher la question de savoir si une personne publique peut contractuellement renoncer à exercer la faculté dont elle est dotée en tant que personne publique d'émettre des titres exécutoires pour recouvrer ses créances.

Vous savez qu'en matière contractuelle, par dérogation au régime général de l'exécution des décisions administratives, cette prérogative est une faculté que la personne publique cocontractante peut choisir de ne pas utiliser. Ainsi, vous n'opposez pas votre jurisprudence «Préfet de l'Eure» du 30 mai 1913 (Rec., p. 583), selon laquelle une personne publique n’est pas recevable à demander au juge ce qu’elle peut faire elle-même, aux conclusions des personnes publiques tendant à ce que le juge condamne leurs cocontractants à payer les sommes qu’ils leur doivent en application de clauses contractuelles (CE 26 décembre 1924, Ville de Paris c/ Chemin de fer métropolitain, Rec. p. 1065 ; CE Sect., 5 novembre 1982, n° 19413 N° Lexbase : A9613AKA, Rec. p. 380), exception que vous avez étendue à toutes les créances se rattachant au contrat, même lorsqu'elles ne découlent pas d’une obligation contractuelle (CE, 24 février 2016, n° 395194 N° Lexbase : A1632QDS, au Rec, s'agissant d'une responsabilité pour dol).

En matière contractuelle, la personne publique a donc le choix de la modalité d'exécution de ses créances : soit émettre un titre exécutoire, comme pour toutes les créances publiques, soit saisir le juge, comme toute personne privée.

Elle ne peut faire ni l'un ni l'autre avant d'avoir épuisé les voies de règlement amiable conventionnellement prévues. Vous avez jugé, à propos d'une clause similaire à celle de la convention en litige, que vous n'avez donc pas interprété comme l'ont fait en l'espèce les juges du fond, qu'"une stipulation contractuelle subordonnant la saisine du juge, pour le règlement des contestations sur l'interprétation ou l'exécution du contrat, à la mise en oeuvre préalable d'une procédure de conciliation, fait également obstacle à ce que la collectivité publique contractante émette directement des titres exécutoires pour le règlement des sommes correspondant à une contestation relative à l'exécution du contrat, sans mettre en oeuvre la procédure de conciliation préalable" (CE, 28 janvier 2011, n° 331986 N° Lexbase : A7481GQ7, aux Tables sur ce point). Cette solution est la conséquence logique de "l'interchangeabilité", selon l'expression de votre commissaire du gouvernement, N. Boulouis, du titre exécutoire et du jugement. Dès lors que, selon une jurisprudence constante, les parties au contrat, y compris la personne publique, sont tenues de respecter les procédures précontentieuses de règlement de leurs litiges qu'elles ont prévu (CE Sect., 19 janvier 1973, n° 82338 N° Lexbase : A6680A7K, Rec. p. 48), la personne publique ne peut ni saisir le juge avant de les avoir mises en oeuvre, ni émettre un titre exécutoire.

En revanche, l'échec de la procédure de règlement amiable du différend rend aux parties leur liberté de poursuivre l'exécution de leurs droits par les voies de droit commun qui sont, pour le cocontractant personne privée, la saisine du juge et, pour la personne publique, l'émission d'un titre exécutoire ou la saisine du juge.

Mais que la personne publique ait toujours le choix de saisir le juge plutôt que d'émettre un titre exécutoire n'implique pas qu'elle puisse valablement s'obliger à l'avance à renoncer à exécuter elle-même la décision qu'elle a prise. Le titre exécutoire n'est qu'une manifestation du caractère exécutoire de toute décision administrative, que vous avez élevé au rang de "règle fondamentale du droit public" (CE, 2 juillet 1982, n° 25288 N° Lexbase : A1806ALH, Rec. p. 257). Garantie de l'efficacité de l'action publique, ce caractère exécutoire de toute décision administrative est inhérent à la personnalité morale de droit public et si la personne publique cocontractante peut s'imposer d'en différer l'usage pour permettre un règlement amiable du différent ou décider de ne pas l'exercer pour saisir le juge, nous ne pensons pas qu'elle puisse se priver contractuellement, à l'avance, de la faculté de l'exercer. Il s'agit d'une prérogative de puissance publique au même titre que le pouvoir de résiliation ou de modification unilatérale du contrat auquel la personne publique ne peut contractuellement renoncer. La cour n'a donc pas commis d'erreur de droit en écartant une clause du contrat par laquelle une personne publique aurait renoncé à émettre un titre exécutoire pour l'exécution d'une créance contractuelle.

Si vous partagez cette analyse, vous écarterez ce moyen, ainsi que l'autre moyen commun aux deux pourvois, tiré d'une prétendue dénaturation des stipulations du contrat s’agissant des modalités de contrôle des comptes et de calcul des nouveaux tarifs de redevances.

Vous rejetterez en conséquence les pourvois, après avoir prononcé un non-lieu à statuer partiel sur les conclusions de la société Z dans l'affaire n° 421064 portant sur la partie de l'arrêt relative au montant du trop-perçu. Comme l'a admis le syndicat mixte qui a déclaré renoncer au bénéfice de l'arrêt sur ce point, la cour a effectivement commis une erreur de calcul de 20 000 euros. La renonciation du bénéficiaire d'un arrêt au bénéfice d'une partie de celui-ci vous conduit à prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions contestant cette partie (voir en ce sens : CE, 8 juin 2011, n° 323176 N° Lexbase : A5423HTZ).

Et par ces motifs nous concluons : au rejet des autres conclusions des pourvois.

                       

Vous pourrez mettre à la charge de la société Y, dans chacune de ces affaires, le versement au SMIDDEV d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés dans ces instances.

           

           

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