La lettre juridique n°792 du 25 juillet 2019 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Quand la nullité de l’hypothèque emporte annulation du paiement privilégié

Réf. : Cass. com., 10 juillet 2019, n° 18-17.820, F-P+B (N° Lexbase : A3224ZKM)

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur, Co-directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Membre du CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice

le 24 Juillet 2019

L’article L. 632-1, I, 6°, du Code de commerce (N° Lexbase : L7320IZ7) prévoit qu’est nulle, lorsqu’elle est intervenue depuis la date de cessation des paiements, toute hypothèque conventionnelle constituée sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées. Cette nullité est une nullité de droit. Il ne faut pas entendre par là que la nullité intervient automatiquement. Cela signifie seulement qu’en présence d’un cas de nullité de droit de la période suspecte, le tribunal est tenu de prononcer la nullité, et ce sans nécessité de caractériser la mauvaise foi du cocontractant du débiteur ou du créancier accipiens, c’est-à-dire la connaissance par ce dernier de l’état de cessation des paiements du débiteur.

D’évidence, en cas d’annulation de l’hypothèque, le créancier se trouve privé de la qualité de créancier hypothécaire et devient donc, à moins qu’il ne dispose d’une autre sûreté, créancier chirographaire, ce qui lui laisse peu de chance d’être payé dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire. Cependant, si le paiement du créancier est intervenu avant l’ouverture de la procédure collective alors que sa dette était échue, l’annulation de l’hypothèque a-t-elle pour effet d’entraîner la nullité du paiement reçu ? La nullité peut-elle, par contagion, atteindre le paiement reçu ? Telle est la question tranchée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2009 appelé à la publication au Bulletin.

En l’espèce, pour garantir une créance d’honoraires dus en rémunération de prestations antérieures, une société d’avocats avait obtenu de son client une hypothèque conventionnelle. A la suite de la vente de l’immeuble grevé, le notaire instrumentaire a versé au créancier le montant de sa créance et ce dernier a donné mainlevée de l’inscription. Quelques mois plus tard, le débiteur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements ayant été fixée antérieurement à l’octroi de l’hypothèque conventionnelle. Le liquidateur judiciaire a alors, sur le fondement de l’article L 632-1, I, 6°, du Code de commerce, assigné le créancier en annulation de l’hypothèque conventionnelle et du paiement intervenu.

La cour d’appel de Paris [1] a rejeté la demande d’annulation au motif que l’article L. 632-1, 6°, du Code de commerce, sur lequel le liquidateur judiciaire fondait son action, ne vise que la nullité des hypothèques consenties pour dettes antérieurement contractées et non le paiement de dettes échues pour lesquelles le créancier bénéficie d’une hypothèque.

Ainsi, selon la cour d’appel, une action en nullité de la période suspecte fondée sur l’article L. 632-1, 6°, du Code de commerce ne pouvait conduire qu’à la nullité de l’hypothèque et non pas à celle du paiement de la créance garantie.

La solution peut se recommander du principe «pas de nullité sans texte», principe qui impose une interprétation restrictive des textes instituant des nullités.

Sur le pourvoi formé par le liquidateur judiciaire, la Chambre commerciale casse pourtant l’arrêt d’appel en énonçant «qu’est nul de droit le paiement reçu par préférence sur le prix de l’immeuble grevé en vertu d’une hypothèque elle-même nulle de droit pour avoir été consentie au cours de la période suspecte pour dettes antérieurement contractées».

Cette importante solution, inédite à notre connaissance, doit être approuvée.

Les nullités de la période suspecte ont pour objet de reconstituer l’actif du débiteur, ce qui ne pourrait être le cas si la nullité d’une hypothèque n’avait pas pour effet de faire retomber dans l’escarcelle de la liquidation judiciaire certains fonds qui lui auraient échappé en l’absence de prononcé de la nullité… La solution posée par la Chambre commerciale, selon laquelle la nullité de l’hypothèque entraîne la nullité du paiement reçu par préférence sur le prix de l’immeuble grevé, permet de ne pas laisser sans effet tangible la nullité de l’hypothèque conventionnelle en présence d’un paiement d’ores et déjà perçu par le créancier hypothécaire, alors même que ce paiement, envisagé de façon isolée, aurait semblé à l’abri de toute nullité de la période suspecte.

Remarquons, en effet, qu’en l’espèce, le paiement concernait une dette échue, de sorte qu’il ne pouvait, de façon isolée, tomber sous le coup de la nullité de droit prévue au 3° de l’article L. 632-1, I du Code de commerce qui prévoit la nullité de droit de tous paiements pour dettes non échues au jour du paiement. Relevons, en outre, que le paiement de dettes échues n’est susceptible de tomber sous le coup d’une nullité facultative de la période suspecte en application de l’article L. 632-2 (N° Lexbase : L8569LHT) qu’à condition que soit démontrée la connaissance par le créancier accipiens de l’état de cessation des paiements du débiteur.

Pour la Cour de cassation, la nullité de droit de l’hypothèque conventionnelle doit nécessairement avoir pour effet d’entraîner la nullité de droit du paiement reçu par préférence sur le prix de l’immeuble grevé de l’hypothèque annulée. Si, en revanche, la dette échue avait été réglée par un autre moyen que par le prix de l’immeuble grevé, la nullité de l’hypothèque n’aurait pu remettre en cause le paiement reçu.

La solution posée par la Chambre commerciale a, très logiquement, une portée beaucoup plus générale et concerne tous les paiements reçus sur le prix des biens objets des sûretés énoncées au sixièmement de l’article L. 632-1 du Code de commerce. Elle concerne donc non seulement l’hypothèque conventionnelle, mais également l’hypothèque judiciaire, l’hypothèque légale des époux, le nantissement ou le gage constitué sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées.

 

[1] CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 20 février 2018, n° 16/25182 (N° Lexbase : A9673XDM).

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