La lettre juridique n°409 du 23 septembre 2010 : Bancaire

[Textes] La nouvelle ligne bleue du monde bancaire : "Bâle III"

Réf. : Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, communiqué de presse du 12 septembre 2010

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N0960BQM

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 07 Octobre 2010

"Jamais deux sans trois" : l'adage populaire, relevant au moins autant de la vérité générale que du commandement, pétri d'un sens commun que n'aurait pas renié le phénomélogiste Alfred Schütz, présente l'avantage commode d'être susceptible de déclinaisons multiples. Souvent, l'art trouve plus facilement son équilibre naturel dans le triptyque ou la trilogie que dans le diptyque ou la dilogie. A nouveau, cette règle se trouve vérifiée avec l'adoption quasi-achevée par le Comité de Bâle (1) de la version 3.0 des "accords de Bâle". Au coeur -depuis 1988- de la réglementation bancaire prudentielle à l'échelle international, les "accords de Bâle" se veulent pour la sphère bancaire un peu ce qu'est le monolithique extraterrestre à l'humanité "clarko-kubrickienne" : un concentré absolu de savoir, de sagesse, mais aussi, de complexité insondable ! Si bien qu'à chaque ère, on peut y revenir et en tirer quelque chose d'intrinsèquement nouveau sans tout à fait l'être.

L'histoire commence avec "Bâle I" dont la principale construction originale consistait en un ratio de solvabilité (2) minimum de 8 % devant être respecté par tout établissement de crédit et se calculant comme le rapport entre les fonds propres de l'établissement de crédit en cause et ses engagements de crédit pondérés.
En 2004, un nouvel accord, celui de "Bâle II", entendit mieux prendre en considération un risque que les spécialistes avisés avaient appris à mieux circonscrire au cours de la décennie 1990 : le risque de crédit de la "contrepartie" (3) bénéficiaire du crédit. Bâle réorganisa également la matière prudentielle autour de trois piliers : le premier relatif aux exigences minimales en fonds propres (minimum capital requirements), le deuxième consacré au processus de surveillance prudentielle (supervisory review process) et le dernier focalisé sur la discipline de marché (market discipline). Au-delà de cette systématisation, on retient le plus souvent de la deuxième mouture des accords bâlois le remplacement du "ratio Cooke" par un ratio plus fin, intégrant les risques opérationnels et de marché : le "ratio McDonough" (4).

Le vent, l'ouragan, de la crise de 2008 mit en évidence la nécessité d'une profonde refonte de la réglementation prudentielle à l'échelle mondiale. Et, tout naturellement, "Bâle III" poignit à l'horizon. "Bâle I" fêtait son seizième anniversaire lorsque "Bâle II" fut adopté ; certainement, ce dernier profitera tout juste du clignement d'un septennat : y verrait-on une version dégradée de la loi de Moore (5) ?

Des améliorations de "Bâle II" furent envisagées, avec un degré de détail suffisant pour être étudiées, à partir du mois de juillet 2009 (6) avec trois objectifs principaux maintenus depuis, même avec une ambition diminuée :
- l'instauration de "volants de sécurité" (buffers) destinés à amortir les chocs économiques ;
- le renforcement de la qualité des capitaux des banques ;
- et l'introduction d'un ratio de levier comme filet de sécurité (backstop) des dispositifs de "Bâle II".

Par la suite, en décembre 2009, vraisemblablement au nom d'une facilité de l'époque, le Comité de Bâle lança deux consultations ouvertes baptisées avec une pittoresque poésie : "Un cadre international pour la mesure, le suivi et la gestion du risque de liquidité", et surtout "Renforcer la résilience du secteur bancaire" (7). Les projets du Comité furent accueillis avec une froideur peu dissimulée, et le mois de juillet 2010 vit donc l'adoption d'un nouvel accord par le groupe de gouverneurs de banques centrales et de responsables du contrôle bancaire, instance gouvernante du Comité de Bâle, moins ambitieux que la prévision originale. C'est cet accord qui vient d'être officiellement entériné, le 12 septembre 2010 par le même groupe.

A l'heure actuelle, l'instrument ressort pleinement de la "soft law" : comme ses prédécesseurs, il nécessitera une greffe locale, fût-ce à un niveau supranational, à l'image des Directives 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (N° Lexbase : L1385HKI) et 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit (N° Lexbase : L1386HKK) qui constituent l'appropriation européenne des règles de "Bâle II". Il n'en reste pas moins que, à terme, "Bâle III" incarnera le quotidien des hères de la dimension bancaire. Partons nous y frotter à point en étudiant comment les normes nouvelles renforcent le dispositif prudentiel au plan qualitatif (I) et quantitatif (II), le tout étant évidemment centré autour de la question des fonds propres bancaires.

I - Le renforcement qualitatif du dispositif prudentiel : l'exigence de fonds propres de meilleure qualité

Le concept de fonds propres bancaires, qui embrasse des éléments plus variés que le seul capital social auquel le juriste féru de droit des sociétés est accoutumé, est au coeur de la réglementation prudentielle. Sans qu'elle ne procède d'une entreprise aussi vaste que celle de Mendeleïv (8), l'idée de fonds propres bancaires comprend un effort réel de classification des composantes des fonds propres, des plus subordonnées (9) à celles qui le sont le moins. Plus le rang est élevé, plus l'élément est subordonné. En termes visuels, plus la composante figure haut au passif d'un bilan, plus elle est subordonnée.

Depuis le deuxième accord de Bâle, les fonds propres bancaires se décomposent comme suit :
- les fonds propres "Tier 1", le noyau dur (core capital) des fonds propres, très subordonnés. A titre principal, ils comprennent le capital social ;
- les fonds propres "Tier 2" (10), le complément des premiers (supplementary capital), qui incluent les titres hybrides (11) et la dette subordonnée (12) ;
- les fonds propres "Tier 3", qui consistent en des instruments de dette subordonnée à court terme destinés à couvrir certains risques de marché.

L'accord entériné par le Comité de Bâle le 12 septembre 2010 entend procéder à une vaste réorganisation des types d'instruments éligibles à ces strates de fonds propres. On le comprend aisément : c'est un enjeu majeur de la réglementation, puisque les différents ratios sur lesquels se fonde la régulation bancaire prennent d'une manière ou d'une autre pour référence les fonds propres bancaires.

L'impulsion qui vient d'être donnée est double : les catégories existantes sont redéfinies (A) et les "ajustements réglementaires" (regulatory adjustements) introduits (B).

A - La redéfinition des catégories existantes de fonds propres

En la matière, "Tier 1", "Tier 2" et "Tier 3" connaissent des destinées diverses : d'une disparition pure et simple (1°) à une redéfinition sensible (2°).

1° - L'abolition du "Tier 3"

Introduit par "Bâle II", le "Tier 3" ne fera donc pas long feu puisque le principe de sa disparition semble aujourd'hui définitivement acquis au nom d'une volonté du Comité de Bâle de s'assurer que les capitaux auxquels il est recouru pour répondre aux exigences en termes de risques de marché sont de qualité équivalente à ceux destinés à la couverture des risques de crédits et opérationnels.
Il est vrai que le "Tier 3", admis à titre optionnel et subsidiaire, fait figure de parent pauvre des fonds propres : les actifs éligibles à cette catégorie sont définis avec fort peu de contraintes (13) et, en tout état de cause, ils ne sont pas autosuffisants puisque la couverture des risques de marché doit être assurée au minimum à 28,5 % par des fonds "Tier 1".

Ainsi, dès la consultation initiée en décembre 2009, les circonstances ont eu raison de la tolérance du Comité de Bâle pour ces capitaux de troisième zone dont la disparition ne semble pas perturber outre mesure les établissements de crédit.

2° - La refonte du "Tier 1" et du "Tier 2"

Si le Comité de Bâle s'est contenté de balayer d'un revers de main le "Tier 3", il consacre, dans l'ensemble de sa production relative à "Bâle III", de longs développements aux deux niveaux préservés. Sans surprise, la focale est mise sur le "Tier 1", parce qu'il constitue le nec plus ultra de la solidité bancaire.

Le constat de base est relativement simple : il faut faire en sorte que le "Tier 1" demeure ce qu'il aurait toujours dû être, à savoir un fonds quasi-immuable de ressources pérennes pour les établissements de crédit. Animé par ce souci, le Comité de Bâle a non seulement réaffirmé que, par principe, seuls le capital social (common equity) et les réserves (retained earnings) devaient entrer dans le calcul du "Tier 1", mais il a défini avec une plus grande précision tant ce qui peut être considéré comme du capital (14) que les critères auxquels doivent répondre les instruments de "Tier 1" additionnels, c'est-à-dire ceux qui, sans être constitutifs ni de capital social ni de réserves, sont admis à titre subsidiaire dans le saint des saints des fonds propres.

Quant au "Tier 2", dont la vocation d'éponge à premières pertes (gone-concern capital) est rappelée, il subit lui aussi une cure de discipline via l'édiction d'une liste de huit critères. Ici, l'objectif affiché est clairement la simplification d'une catégorie de fonds propres devenue tentaculaire.

Rien de très neuf ou de révolutionnaire sous le soleil, mais il n'en demeure pas moins que la démarche globale est appréciable en ce qu'elle devrait permettre de clarifier et d'uniformiser les calculs de fonds propres. En saupoudrant le tout de règles de transparence, le Comité de Bâle parachève la reconstruction des fonds propres et rend possible leur révélation complète au grand jour.

B - L'apparition des ajustements réglementaires

Le terme "ajustement réglementaire" est absent du discours de "Bâle II". Pourtant, ce dernier est familier de la technique, laquelle consiste à appliquer aux fonds propres un certain nombre de déductions et de "filtres prudentiels" (prudential filters) pour les besoins du calcul des ratios prudentiels (15). Simplement, et le Comité de Bâle le met fort bien en évidence dans les documents relatifs à "Bâle III", le concept à peine exprimé ne pouvait remplir son office. La seule adoption d'un vocable nouveau, une véritable opération de communication, est révélatrice de la volonté du Comité de Bâle de rendre ces règles plus effectives.

En la matière, le progrès est double : la règle d'imputation est plus sévère (1°) et les actifs à déduire des fonds propres sont définis avec une précision jusqu'alors inédite (2°).

1° - La règle d'imputation des ajustements réglementaires

Si "Bâle II" prévoit le principe de déductions grevant les fonds propres, ces dernières n'ont vocation qu'à peser sur le "Tier 1" de manière générale. A l'évidence, c'est un peu court : l'opération de retour aux fondamentaux menée par le Comité de Bâle opte ainsi désormais pour une imputation directe sur le seul capital social (16) (tel que nous l'avons décrit plus avant). En conséquence, l'importance de cette composante majeure des fonds propres se trouve automatiquement renforcée.

2° - La clarification en matière d'actifs à déduire

Le souci de définition est l'un des leitmotivs de "Bâle III". Cette discipline est appliquée à la question des ajustements réglementaires et une liste précise d'actifs, assortie de règles multiples, est incluse dans les documents produits par le Comité de Bâle. La clarification ainsi opérée offre également au Comité l'occasion d'instaurer des règles particulières à certains actifs déductibles. Et, à cette occasion, a été soulevé l'un des points les plus polémiques de la réforme : le traitement des prises de participations des établissements de crédit.
Cela ne peut échapper à quiconque : la concentration du secteur bancaire a atteint un niveau rare. A cet égard, une crainte anime les sages installés en Suisse : celle d'une double comptabilisation des fonds propres, au niveau de la filiale et au niveau de la banque-mère, notamment du fait de l'approche consolidée prévue par les accords de Bâle.

En ce sens, le Comité de Bâle a d'abord souhaité que les participations minoritaires dans le capital d'un établissement de crédit intégré dans un périmètre de consolidation soient décomptabilisées des fonds propres du groupe. Ce faisant, le Comité entendait répondre à la préoccupation selon laquelle ces participations minoritaires ne représentent pas une protection satisfaisante contre le risque au niveau du groupe, mais seulement au niveau de la filiale concernée.
De plus, une déduction des participations dans le capital d'établissements de crédit hors périmètre de consolidation ou de compagnies d'assurance était envisagée : la principale règle consistait à imposer une déduction soit de l'intégralité des participations supérieures à 10 %, soit de la partie des participations agrégées représentant plus de 10 % du capital de l'établissement de crédit actionnaire. A l'évidence, les modèles français de la "bancassurance" (17) et de la banque mutualiste, dans lequel foisonnent les participations croisées, se seraient trouvés fort pénalisés par de telles dispositions.
La réaction virulente de la Fédération bancaire française, entre autres, a poussé le Comité de Bâle à revoir sa position en juillet 2010. Aussi, est-il désormais prévu que :
- seule une partie du capital social émis par une filiale bancaire au-delà des exigences réglementaires devra être déduite, en proportion de l'importance de la participation minoritaire ;
- et seules les prises positions dites "courtes" (18) dans le capital social d'autres institutions financières que celles du périmètre de consolidation bancaire devront être déduites, peu importe la qualité de crédit de la contrepartie de l'établissement considéré à cette occasion.

Le coeur plein de patriotisme économique, on peut se réjouir de cet abaissement des futures exigences, favorable aux banques françaises, tout en admettant qu'il vient limiter assez nettement l'ambition originelle.

En insistant longuement sur ces questions de définition, de sélection de certaines composantes et d'exclusion d'autres, le nouveau dispositif de Bâle s'efforce de distinguer le bon grain de l'ivraie. Ce faisant, n'est pas oublié son amour de toujours : le chiffre, clé d'une réglementation prudentielle qualitative.

II - Le renforcement quantitatif du dispositif prudentiel : l'exigence de fonds propres plus élevés

Pour beaucoup, les règles de Bâle se limitent à la seule exigence traditionnelle du respect par tout établissement de crédit d'un "ratio McDonough" au moins égal à 8 %. En réalité, les règles prévalant en matière de ratios sont plus nombreuses et complexes. Sur la question, "Bâle III" prépare tant un renforcement des ratios existants (A) que la création de nouveaux ratios dédiés à la question de la liquidité (B).

A - Le renforcement des ratios existants

Que les puristes et nostalgiques se rassurent : McDonough et ses 8 % ne sont pas engloutis par la vague de "Bâle III" ! L'attention du Comité de Bâle en matière de niveau minimal de ratios s'est plutôt portée sur les ratios concernant le seul "Tier 1" (1°) et l'introduction de volants de sécurité, complétant les exigences de base en termes de fonds propres (2°).

1° - Le relèvement des ratios portant sur le "Tier 1"

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le deuxième accord de Bâle était relativement clément concernant le niveau du "Tier 1" : ce dernier ne devait représenter au minimum que 4 % des engagements de crédit pondérés de tout établissement de crédit. Cela laissait largement de quoi s'exprimer aux composantes "Tier 2" et "Tier 3", pourtant de qualités moindres.
Echaudé par la crise des subprimes, le Comité de Bâle a opté pour un relèvement significatif du minimum de "Tier 1" requis : ce plancher est désormais fixé à 6 %. Le "Tier 3" ayant disparu, les 2 % nécessaires au respect du "ratio McDonough" minimum ne pourront être que du "Tier 2" (dans le cas le moins favorable).

Dans la même veine, sous l'empire de "Bâle III", le capital social (19) devrait représenter au moins 4,5 % des engagements de crédit pondérés de tout établissement de crédit, contre 2 % à l'heure actuelle. Autrement dit, une fois le dispositif nouveau entièrement déployé, l'enchaînement devrait être le suivant : pour tout établissement de crédit, les fonds propres devront représenter 8 % des engagements de crédits pondérés, dont au moins 75 % de "Tier 1" comprenant au moins 75 % de capital social.

Le durcissement des normes est incontestable et en tenir compte nécessitera que les établissements de crédit lèvent d'importants capitaux sur les marchés financiers, ou diminuent le niveau de leurs engagements de crédit.

2° - L'introduction de volants de sécurité

Pour répondre à l'éventualité, désormais avérée, d'une crise financière soudaine et contaminante, le Comité de Bâle a inclus dans son nouveau jeu de normes prudentielles un concept inédit : celui des volants de sécurité. Il ne s'agit, ni plus ni moins, que de compléments de fonds propres destinés à respecter des ratios venant se superposer à ceux qui viennent d'être décrits.

Le premier des volants, appelé volant de conservation, devrait être d'application permanente et universelle : son niveau est fixé à 2,5 % des engagements de crédit pondéré, étant entendu qu'il devra être constitué exclusivement par du capital social. Le but recherché est de contraindre à la mise en place, au niveau de chaque établissement de crédit, d'un matelas financier, mobilisable en période de difficultés. Toutefois, moins ce matelas sera conséquent (par rapport à la norme), plus l'établissement en cause se verra limité dans sa politique de distribution de profits : c'est l'arme anti-bonus, anti-stock options de "Bâle III".

Le volant contra-cyclique est le second volant de sécurité. Ne pouvant (comme le précédent) comprendre que du capital social, il devrait varier entre 0 % et 2,5 % en fonction d'une conjoncture économico-financière appréciée au niveau national. Cette institution entend protéger le secteur bancaire contre les phases de croissance du crédit non maîtrisé. C'est une réponse directe à l'une des causes de la dernière crise financière : ce volant devrait venir dégonfler toute bulle future du crédit.

Au final, on s'aperçoit à quel point l'exigence en termes de fonds propres s'est accrue lorsque l'on prend en compte l'application de ces deux volants de sécurité : le niveau de fonds "Core Tier 1" pouvant être porté, dans certains cas, à 9,5 % ! Ajoutons à cela qu'une réflexion visant à imposer des contraintes supplémentaires aux établissements d'importance systémique est en cours au sein du Conseil de stabilité financière (20).

B - La création de nouveaux ratios

Comme la physique de Lavoisier, la règlementation prudentielle semble avoir une sainte horreur du vide : l'imagination sans borne de la banque et de la finance globalisée rend indispensable le développement de nouveaux outils destinés à serrer la bride d'un chaos potentiel.
Cette fois, contrairement à ce qui était apparu lors des discussions ayant précédé l'adoption du précédent accord de Bâle en 2004, ce n'est pas une malfaçon du ratio de solvabilité qui a été détectée (21). Plutôt, la crise des subprimes a tout particulièrement mis en lumière deux insuffisances des outils de contrôle de "Bâle II" : le niveau de levier du bilan des établissements de crédit (22) ne peut qu'imparfaitement être surveillé par le seul "ratio McDonough" et liquidité n'est pas solvabilité (23), c'est pourquoi sur la première (1°) comme sur la seconde (2°) de ces problématiques, le Comité de Bâle a proposé la création de nouveaux ratios.

1° - Le ratio de levier

La pratique du levier financier, consistant recourir fortement à l'endettement plutôt qu'à un financement sur fonds propres s'est révélée particulièrement nocive au cours de la dernière crise financière. Pour cette raison, le Comité de Bâle a proposé la création d'un ratio de levier indépendant des risques encourus par un établissement de crédit, lequel se calculerait ainsi comme le rapport entre, d'une part, le "Tier 1" et, d'autre part, la somme des engagements non pondérés et hors bilan.
Finalement, il a été décidé de repousser sensiblement l'application de ce ratio inédit afin de pouvoir le tester et le calibrer au plus juste. Aussi, une phase de test devrait-elle prochainement s'ouvrir, durant laquelle un plancher de 3 % sera expérimenté.

2° - Les ratios de liquidité

L'une des consultations ayant abouti à l'accord trouvé le 12 septembre 2010 portait sur la liquidité. Finalement, il en a été assez peu question jusqu'ici. Il est vrai que le Comité semble s'être plutôt pris de passion pour la question de la résilience, même s'il s'est risqué à formuler des propositions novatrices en matière de liquidité.
Ce faisant, le Comité de Bâle ne faisait que tirer les conclusions d'un des phénomènes les plus remarquables de la récente crise financière : la faillite, le 15 septembre 2008, de Lehman Brothers, faillite essentiellement liée à l'illiquidité de cette banque. D'où, l'idée d'imposer aux établissements de crédit, en plus d'exigences minimales en matière de fonds propres, des contraintes en termes de liquidité de leurs bilans.

En ce sens, le Comité de Bâle avait formulé deux propositions cumulatives de ratios avec deux horizons temporels différents :

  • Un ratio de couverture de la liquidité (liquidity coverage ratio), qui est un ratio à un mois, fondé sur les approches bancaires internes de suivi de la liquidité, qui rapprochait à tout moment le stock d'actifs liquides sans risque de tout établissement de crédit de ses engagements de paiement à 30 jours. Le niveau minimal suggéré pour ce ratio imposait que lesdits engagements puissent être intégralement couverts par une liquidation des actifs considérés ;
  • Un ratio de financement net stable (net stable funding ratio), qui est un ratio à un an, dont l'objet était de mesurer l'importance relative des ressources de financement stables à long terme d'un établissement de crédit par rapport à la liquidité des actifs financés et des besoins potentiels en termes de liquidité résultants d'engagements hors-bilan. L'objectif assigné a minima était de couvrir à tout moment lesdits besoins pendant un an, de favoriser le recours à des ressources stables.

Les établissements de crédit ayant soumis des réponses à l'occasion de la consultation organisée par le Comité de Bâle ont réagi vertement à l'introduction programmée de ces ratios, condamnés comme étant excessifs et inadaptés. Cela a conduit le Comité de Bâle à reconsidérer, pour les élargir, un certain nombre de tolérances déjà prévues dans le calcul de ces ratios, et à repousser l'entrée en vigueur de ces derniers respectivement à 2015 et 2018.

A Bâle, toutes les cloches semblent carillonner pour célébrer l'arrivée du nouvel accord. Le discours prononcé, le 21 septembre 2010, par le directeur général de la Banque des règlements internationaux témoigne bien de cette ambiance de distribution générale de satisfecit : "Bâle III" est un "renforcement significatif", une "refonte radicale", une "étape importante" (24). De cela, on ne doute pas. Toutefois, un scepticisme prudent reste de mise :
- d'abord, les nouveaux seuils minimaux de ratios demeurent raisonnables et sont déjà respectés par un bon nombre d'établissements de crédit ;
- ensuite, la question de la liquidité -au coeur de la récente crise financière- n'est abordée que de manière satellitaire ;
- enfin, l'applicabilité du nouvel accord laisse songeur. Outre le fait que l'accord devra passer sous les fourches caudines du prochain G20 coréen, qu'il doit encore être précisé et qu'il ne devrait pas être transposé avant 2013, il ne faut pas perdre de vue qu'il recèle un foisonnement de dispositions transitoires, réclamées par les banques, repoussant à 2019 son application pleine et entière (25) ! Quant à sa portée territoriale, lorsque l'on sait l'entrain que les Etats-Unis mettent à se conformer à "Bâle II", elle ne peut être que sujette à une dose de pessimisme.

A ces différents égard, "Bâle III" est bel et bien la ligne bleue du monde bancaire : un horizon sérieux, mais lointain, aux contours incertains et mouvants et dissimulant avec peine le malaise des concessions ayant abouti à son tracé.


(1) Hébergé par la Banque des règlements internationaux, installée à Bâle, il dédit ses travaux à la supervision bancaire. Il regroupe aujourd'hui près d'une trentaine de représentants des banques centrales.
(2) Dit "ratio Cooke", d'après Peter Cooke, un anglais qui fut notamment gouverneur de la Banque d'Angleterre et premier président du Comité de Bâle.
(3) Mot savant de l'univers financier pour désigner un débiteur de somme d'argent à terme. Le risque de contrepartie, au fond, est celui de ne jamais voir son débiteur payer (au sens vulgaire) : le boulanger faisant crédit sur la semaine à une cliente fidèle prend sur cette dernière un risque de contrepartie.
(4) McDonough est l'un des successeurs de Cooke à la tête du Comité de Bâle. La méthode de baptême est commode, mais on peut douter de la pertinence d'un futur "ratio Trichet"...
(5) Bien connue en informatique, cette "loi" répute que la puissance des microprocesseurs double tous les dix-huit mois.
(6) Basel II capital framework enhancements announced by the Basel Committee.
(7) International framework for liquidity risk measurement, standards and monitoring -consultative document et Strengthening the resilience of the banking sector- consultative document.
(8) Dimitri Ivanovitch Mendeleïev (1834-1907) est un chimiste russe, principalement connu pour son travail sur la classification périodique des éléments, publié en 1869.
(9) C'est à dire payables en dernier lieu en cas de liquidation de l'établissement de crédit.
(10) Au sein desquels on distingue parfois le "Upper Tier 2" et le "Lower Tier 2", toujours selon l'idée d'une classification en termes de liquidité.
(11) Le droit français parle de "valeurs mobilières donnant accès au capital" (C. com., art. L. 228-91 N° Lexbase : L8336GQS et s.)
(12) Ici bas, les prêts participatifs de l'article L. 313-13 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7977HB3) et les titres participatifs des articles L. 228-36 (N° Lexbase : L6211AIU) et suivants du Code de commerce.
(13) Simplement, ces actifs devaient :
- être libres de gage, subordonnés et intégralement libérés ;
- avoir une échéance initiale d'au moins deux ans ;
- ne pas être remboursable avant la date convenue, sauf accord de l'autorité de contrôle ;
- et être assujettie à une clause de verrouillage (lock-in), stipulant que ni les intérêts ni le principal ne seront payés (même à échéance) si l'exécution du paiement doit entraîner une chute ou un maintien des fonds propres de la banque au-dessous de son exigence minimale.
(14) En proposant une liste de quatorze critères précis.
(15) De fait, l'ajustement règlementaire constitue l'élément négatif des fonds propres.
(16) Une composante du "Tier 1" donc, telle que décrite plus avant.
(17) Puissent nos lecteurs avoir l'extrême bonté de nous pardonner le recours à cet infâme néologisme.
(18) A savoir, répondant à une pure opportunité d'investissement.
(19) Le "core Tier One".
(20) Qui est l'ancien Financial Stability Forum, abrité par le G-20.
(21) Même si, de fait, en modifiant substantiellement le calcul du numérateur de ce ratio, on le modifie.
(22) Le fameux "leverage".
(23) Rien de très ardu à comprendre pourtant !
(24) Cf. Basel III : towards a safer financial system, discours de M. Jaime Caruana du 15 septembre 2010.
(25) Si tout se passe comme prévu cela va de soi : la décennie 2000 a connu deux crises financières, nul ne peut dire ce qu'il en sera de la présente. Le calendrier prévu figure en annexe du communiqué de presse du 12 septembre 2010, publié par le Groupe des gouverneurs de banque centrale et de responsables du contrôle bancaire :

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