La lettre juridique n°408 du 16 septembre 2010 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Septembre 2010

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi, d'abord, de s'arrêter sur un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 juillet 2010 et promis aux honneurs de son Bulletin, dans lequel la Chambre commerciale répond à la question de savoir si, dans le cadre d'une procédure régie par les dispositions de la loi du 25 janvier 1985, un créancier domicilié aux Antilles et confronté à déclarer une créance au passif d'un débiteur domicilié aux Antilles dans le même département bénéficie de l'allongement de délai pour déclarer sa créance. La seconde actualité marquante en la matière est à n'en pas douter l'avant-projet de loi, portant modification du Code de commerce, présenté le 27 juillet 2010 par le Gouvernement, qui envisage, notamment, la création d'une sauvegarde financière expresse et sur laquelle revient, cette semaine, Pierre-Michel Le Corre.
  • Le délai de déclaration de créance du créancier domicilié hors de la France métropolitaine (Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-13.103, FS-P+B N° Lexbase : A6761E48)

Un créancier domicilié aux Antilles et confronté à déclarer une créance au passif d'un débiteur domicilié aux Antilles dans le même département bénéficie-t-il de l'allongement de délai pour déclarer sa créance ? Telle est la question que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a tranchée par un arrêt rendu le 13 juillet 2010, dans le cadre d'une procédure régie par les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR).

En l'espèce, une société avait été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de Fort-de-France du 28 juin 2005, publié au BODACC le 31 juillet 2005. Un créancier martiniquais ayant déclaré sa créance le 14 octobre 2005 avait, dans un premier temps, été admis au passif au motif qu'en application de l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 (décret n° 85-1388, art. 66 N° Lexbase : L5358A49), les créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine bénéficiaient d'un délai supplémentaire de deux mois pour déclarer leur créance.
L'ordonnance ayant ensuite été infirmée par la cour d'appel (CA Fort-de-France, 23 janvier 2009), le créancier s'était pourvu en cassation en arguant d'une prétendue violation de l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 qui disposait, sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985 applicable en la cause, que "le représentant des créanciers, dans le délai de quinze jours à compter du jugement d'ouverture, avertit les créanciers connus d'avoir à lui déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC. Ce dernier délai est augmenté de deux mois pour les créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine".

De la lecture littérale du texte faite par le créancier il ressortait qu'un créancier domicilié hors France métropolitaine pouvait bénéficier de l'allongement de deux mois du délai pour déclarer sa créance, que la procédure s'ouvre en France métropolitaine ou en dehors de la France métropolitaine.

Telle n'est pas l'analyse retenue par la Chambre commerciale qui considère que l'arrêt d'appel "retient à bon droit que l'allongement du délai de déclaration de créance prévu par l'article 66, alinéa premier, du décret, qui édicte un régime dont la seule finalité est de compenser au profit du créancier domicilié hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l'éloignement, ne peut être étendu au créancier domicilié dans un département ou territoire d'outre-mer ayant à déclarer leurs créances dans une procédure ouverte dans le même département ou territoire".

Si, à la lecture du texte, la solution n'était pas évidente, la position adoptée par la Chambre commerciale doit pourtant être approuvée sans réserve.

Le texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985, qui vise le créancier domicilié hors France métropolitaine, ne peut en effet être interprété largement, en le déconnectant de sa ratio legis. Ce texte a été conçu par le pouvoir réglementaire, qui n'a manifestement pas songé à l'ouverture d'une procédure outre-mer. Il n'a pas vocation à donner un avantage immérité aux créanciers hors métropole lorsque la procédure s'ouvre hors métropole. Il a, au contraire, pour but de remédier au fait que le délai de déclaration de créance n'est ni un délai de recours, ni un délai de comparution (1) privant ainsi le créancier d'outre-mer ou étranger de l'augmentation du délai posée par l'article 643 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5814ICC) (2), lequel n'est applicable qu'aux seuls délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation.

Parce que le délai de déclaration des créances n'est ni un délai de recours, ni un délai de comparution, un texte spécial -l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985- a ainsi été nécessaire pour accorder un allongement de délai au créancier domicilié hors de la France métropolitaine. Ce texte est évidemment d'exception, puisqu'il déroge à l'interdiction d'allonger un délai de procédure en dehors des solutions du droit commun prévues par l'article 643 du Code de procédure civile.

Parce que ce texte est d'exception, la Cour de cassation a refusé de l'étendre par analogie à la situation inverse de celle qu'il régit : celle du créancier métropolitain confronté à devoir déclarer sa créance dans une procédure collective ouverte aux Antilles (3). Ainsi, la Cour de cassation n'a pas accordé l'allongement du délai de déclaration de créance à un créancier métropolitain confronté à devoir déclarer sa créance dans une procédure collective ouverte en Guadeloupe (4). Un raisonnement par analogie aurait été tentant au lieu d'un raisonnement a contrario. Pourquoi le premier était-il impossible ? Parce que le texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret est un texte d'exception, lequel ne peut, comme tel, être interprété extensivement. Seule l'interprétation a contrario était concevable. En refusant d'appliquer une solution prévue pour un autre cas à la situation sur laquelle elle avait à raisonner, la Cour de cassation en revient au principe : celui du délai de deux mois pour déclarer les créances.

Il importe d'observer que toute la logique du raisonnement mené tient au constat que l'allongement du délai de déclaration des créances est dérogatoire au droit commun et mérite donc d'être strictement appliqué. Dès lors, l'argument facile consistant à énoncer que là où la loi ne distingue pas, l'interprète n'a pas à distinguer, tombe de lui-même. Pareille méthode d'interprétation ne peut être adoptée en présence d'un texte d'exception. L'adage ubi lex... conduit en effet à mener un raisonnement par analogie, a pari, ce qui est inconcevable en présence d'un texte d'exception.

Le texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985, qui vise le créancier domicilié hors France métropolitaine, ne peut donc être interprété largement, en le déconnectant de sa ratio legis.

L'apport de la législation de sauvegarde des entreprises est à cet égard intéressant. Il s'est agi de rendre strictement symétriques les solutions en permettant à un créancier métropolitain de bénéficier d'un allongement de délai de déclaration de créance, lorsque la procédure collective s'ouvre en dehors de la France métropolitaine (C. com., art. R. 622-24 N° Lexbase : L0896HZ9).

Selon l'alinéa 2 de l'article R. 622-24, issu du décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2005-1677, pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L3297HET), "lorsque la procédure est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai est augmenté de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire".

Selon l'alinéa 3 du même article, "lorsque la procédure est ouverte par une juridiction qui a son siège dans un département ou une collectivité d'outre-mer, le délai est augmenté de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas dans ce département ou cette collectivité".

Ainsi, le pouvoir réglementaire, soucieux de l'amélioration des textes, a-t-il raisonné non seulement par rapport au créancier, mais encore par rapport à la juridiction qui a ouvert la procédure.

Cette précaution n'avait pas été prise par le décret du 27 décembre 1985.

Le décret du 28 décembre 2005, qui s'intéresse au cas du créancier domicilié en dehors de la France métropolitaine, prend bien le soin de préciser qu'il ne bénéficiera de l'allongement du délai de déclaration de créance que si le débiteur ne se trouve pas dans le même territoire ou département d'outre-mer. Aucun auteur en doctrine n'a souligné un changement opéré par le législateur. La raison en est simple : il n'y a pas eu de changement sur la question, mais seulement la volonté de soigner la rédaction des textes, ainsi que certains l'ont relevé (5). Le décret du 28 décembre 2005 est donc parfaitement interprétatif lorsqu'il s'intéresse au cas du créancier situé en dehors de la France métropolitaine.

Au regard de la ratio legis du texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985 et de l'éclairage apporté à ce texte par l'amélioration rédactionnelle contenue dans le décret du 28 décembre 2005, la conclusion qui s'impose est claire : l'allongement du délai de déclaration de créance résultant de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985 ne vaut que pour le créancier domicilié en dehors de la France métropolitaine et seulement si la procédure est ouverte en métropole.

Cette interprétation était donc la seule concevable, de sorte que la solution adoptée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans cet arrêt du 13 juillet 2010 doit être totalement approuvée.

Il aurait, en outre, été pour le moins choquant en l'espèce, régie par les disposition de la loi du 25 janvier 1985, et absolument inexplicable au regard du principe de l'identité législative, qui impose l'application de la loi française aux départements d'outre-mer, sauf texte contraire, qu'un créancier martiniquais puisse déclarer sa créance en Martinique dans un délai de quatre mois alors que le créancier métropolitain, confronté à devoir déclarer sa créance dans une procédure collective ouverte en Martinique ne dispose que d'un délai de deux mois.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Le projet de loi portant création d'une sauvegarde financière expresse (avant-projet de loi portant modification du Code de commerce)

Un projet de loi, émanant conjointement du ministère de la Justice et du ministère de l'Economie, a pour objet d'introduire dans le livre VI du Code de commerce une sauvegarde financière expresse en insérant un chapitre VIII dans le titre II de ce livre, par création des articles L. 628-1 à L. 628-7. Ce projet de loi trouve clairement son inspiration dans un article de Thierry Montéran (6), praticien avisé s'il en est, dans lequel l'auteur évoquait la création d'une procédure de sauvegarde simplifiée, nécessairement précédée d'un mandat ad hoc ou d'une conciliation, qui resterait discrète et ne concernerait que certains créanciers, auxquels une interruption ou un arrêt des poursuites individuelles serait imposé, alors que les autres créanciers ne seraient pas concernés par la procédure ouverte.

L'idée est de faire en sorte que le passage sous procédure collective d'une entreprise, qui n'est pas en état de cessation des paiements, soit le plus court possible, afin de ne pas provoquer un assèchement du crédit fournisseur. On sait, en effet, que l'une des difficultés principales de la procédure de sauvegarde tient à la réticence des assureurs crédits de continuer à assurer les risques sur des clients de leurs assurés, lorsque ces clients ont fait l'objet d'une procédure de sauvegarde.

Cette dernière, bien que préventive, n'en est pas moins une véritable procédure collective de paiement, entraînant l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution et l'interdiction des paiements. Corrélativement, les créanciers sont soumis à l'obligation de déclarer leurs créances au passif.

La lourdeur de la procédure de déclaration et de vérification des créances, dans une procédure préventive, est incontestable. Pourtant, une véritable procédure collective peut difficilement s'affranchir de ce cadre obligé, car les grands corps de règles du droit des entreprises en difficulté ne peuvent suivre des cheminements différents : s'il y a arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, il faut obligatoirement qu'il y ait également interdiction des paiements. S'il y a arrêt des poursuites individuelles, il faut remplacer l'interdiction d'agir en justice pour obtenir condamnation au paiement par une autre démarche procédurale, qui ne peut être que la déclaration de créance au passif. Ainsi, si l'on veut mettre de la souplesse dans la procédure collective, cela ne peut se faire que par la mise à l'écart complète des corps de règles qui assujettissent les créanciers à la discipline collective et qui, au travers de la règle de l'interdiction de paiement, dicte sa conduite au débiteur.

Dans une procédure de conciliation, au contraire, ces grands corps de règles, qui fondent la discipline collective, sont absents. Tout est contractuel et repose ainsi sur le bon vouloir des créanciers.

Evidemment, pour le débiteur, la conciliation est plus attrayante que la sauvegarde, car elle conserve, si elle n'est pas homologuée, toute la confidentialité à la procédure, dont voudrait s'accommoder la recherche du sauvetage des entreprises.

Si des créanciers récalcitrants se manifestent dans la procédure de conciliation, il faut s'orienter vers une procédure collective de paiement, à savoir une sauvegarde s'il n'y a pas cessation des paiements, pour imposer aux récalcitrants au minimum des délais de paiement et, en cas de procédure à comités de créanciers, éventuellement des réductions de dettes à une minorité de récalcitrants grâce à un vote de la majorité.

On comprend ainsi le rôle de bouclier que peut jouer la procédure de sauvegarde par rapport à la procédure de conciliation. Le discours du conciliateur peut facilement être le suivant, même s'il est énoncé généralement par des conciliateurs policés et diplomates : "créanciers, montrez-vous conciliants dans une procédure de conciliation. A défaut on pourrait vous imposer des sacrifices plus lourds dans une procédure de sauvegarde".

Si malgré ce discours, le conciliateur n'obtient pas l'accord recherché de la part de certains créanciers stratégiques pour l'entreprise, la seule issue pour le débiteur est de passer par la procédure de sauvegarde. Mais, alors, la perte de temps, faute de texte articulant les procédures de conciliation et celle de sauvegarde, va être sensible et le placement sous sauvegarde potentiellement catastrophique pour l'entreprise, compte tenu des délais de la procédure collective. C'est ce constat qui a inspiré le projet de loi, qui ambitionne de créer une procédure de sauvegarde financière expresse.

Il s'agirait de placer le débiteur sous sauvegarde, après un passage dans une conciliation où l'accord de conciliation n'aurait pas été obtenu avec tous les créanciers, mais au moins avec une majorité de ceux-ci, pour un temps très réduit, un mois, afin d'imposer aux minoritaires, qui seraient des créanciers bancaires ou des établissements de crédit, au minimum des délais de paiement. On comprend alors l'expression de sauvegarde financière expresse, expresse par la durée, financière par la portée des contraintes imposées à une variété particulière de créanciers. Il reste que la lettre des textes, en l'état du projet de loi, traduit assez mal cette condition.

La sauvegarde financière expresse est, selon le texte de l'article L. 628-1 du Code de commerce soumise aux règles de la sauvegarde, sous réserve des dispositions du chapitre VIII. Cela signifie donc que, par principe, la sauvegarde financière expresse ne constitue qu'une modalité de la procédure de sauvegarde (I), cependant que, par son caractère très partiellement collectif la procédure aboutit à la création d'une nouveauté juridique, que nous pouvons qualifier de "procédure semi-collective" (II).

I - La sauvegarde financière expresse, une modalité de la procédure de sauvegarde

Dire que la sauvegarde financière expresse ne constitue, par principe, qu'une modalité de la procédure de sauvegarde, signifie d'abord que les règles de droit commun de la sauvegarde trouvent application dans le silence des textes dérogatoires de la sauvegarde financière expresse (A). Cela veut dire ensuite que, si dans les délais impartis par la loi, les solutions n'ont pas été trouvées dans le cadre de la sauvegarde financière expresse, il y aura retour au droit commun de la sauvegarde (B).

A - L'application des règles de droit commun de la sauvegarde dans le silence des textes dérogatoires de la sauvegarde financière expresse

Le principe selon lequel les exceptions sont de droit étroit et ne peuvent exister sans texte oblige à une application des règles de droit commun de la sauvegarde dans le silence des textes dérogatoires de la sauvegarde financière expresse. Telle est la solution au demeurant explicitement posée par l'article L. 628-1 du Code de commerce.

Ce principe de solution permet d'apporter des réponses à certaines interrogations, que suscite nécessairement le caractère laconiquement parcellaire et donc "clairement" elliptique du texte du projet de loi.

L'une des conditions d'application de la procédure de sauvegarde financière expresse (SFE) est le recours préalable à la procédure de conciliation, ainsi que le précise l'article L. 628-2 du Code de commerce. Or, la procédure de conciliation peut bénéficier à un débiteur qui n'est pas en état de cessation de paiement ou qui est dans cet état depuis moins de 45 jours. Au contraire, la procédure de sauvegarde ne peut pas bénéficier à un débiteur en état de cessation des paiements. Ainsi, faut-il décider, compte tenu de l'application de principe des règles de la procédure de sauvegarde, que la sauvegarde financière expresse n'est accessible à un débiteur ayant obtenu le bénéfice de l'ouverture d'une procédure de conciliation, que si ce débiteur n'est pas en état de cessation des paiements au jour de la demande d'ouverture de la sauvegarde. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit fermée à un débiteur ayant été en état de cessation des paiements, depuis moins de 45 jours, au jour où il a obtenu l'ouverture de la conciliation. En effet, pendant la recherche de l'accord de conciliation, le débiteur a pu obtenir un moratoire de la part d'un ou plusieurs créanciers, rendant à terme un passif exigible. Même si l'accord de conciliation n'a pu être obtenu, rien n'interdit, semble-t-il, de donner plein effet au moratoire accordé, s'il est retranscrit dans un accord bilatéral entre le débiteur et le créancier, sous l'égide du conciliateur, dès lors que le maintien du moratoire n'est pas conditionné à l'accord de conciliation.

Le recours préalable à la conciliation interdit d'appliquer la SFE aux agriculteurs, qui ne bénéficient pas de la procédure de conciliation, mais qui sont soumis au règlement amiable agricole.

En tout état de cause, le tribunal, saisi d'une demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde financière expresse, devra vérifier que le débiteur n'est pas en état de cessation de paiement et qu'il remplit les conditions visées aux articles L. 620-1 (N° Lexbase : L3237ICU) à L. 621-1 du Code de commerce. L'application de ces articles est, en effet, expressément réservée par l'article L. 628-4 du Code de commerce.

Conformément aux principes qui régissent la matière, le débiteur, et lui seul, pourra saisir le tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure de sauvegarde financière expresse.

L'article L. 628-4 du Code de commerce prévoit que le tribunal statue sur l'ouverture de la procédure après rapport du conciliateur sur le déroulement de conciliation et sur les perspectives sérieuses de conclusion, dans le délai d'un mois, d'un accord de nature à assurer la pérennité de l'entreprise. On pressent ici que l'essentiel de l'accord a été trouvé en amont, dans le cadre de la procédure de conciliation. La notion de "pré pack" est clairement sous-entendue. Précisons, toutefois, qu'une possibilité de report du délai pour un mois supplémentaire est prévue dans le texte, mais elle est tout à fait exceptionnelle et ne peut être accordée, sauf excès de pouvoir du tribunal, que si les délais de réunion des assemblées d'actionnaires le requièrent.

L'article L. 628-3 du Code de commerce, qui sera sans doute déplacé dans la partie réglementaire, prévoit en ce sens que la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse est accompagnée du projet de plan établi avec le concours du débiteur. La formule peut d'ailleurs surprendre car, dès lors qu'il s'agit d'une démarche préalable à l'ouverture de la sauvegarde, cela signifie qu'aucun administrateur judiciaire n'est encore en fonction, d'où il résulte que le projet de plan suppose au minimum le concours du débiteur. Cela signifie sans doute que le projet de plan est l'oeuvre commune du débiteur et du conciliateur. Il serait préférable de l'énoncer clairement, plutôt que d'utiliser des formules absconses.

Ce même article L. 628-3 ajoute que la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse est accompagnée des prévisions d'activité et de financement, celles-ci devant s'entendre, à notre sens, de celles qui présideront à l'exécution du plan, et non de celles devant permettre la poursuite d'activité de la période d'observation, car celle-ci n'est appelée à durer qu'un mois, sauf renouvellement pour la même durée.

Enfin, la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse doit être accompagnée de la liste des dettes établies à la date de la demande d'ouverture par le commissaire aux comptes du débiteur ou par un commissaire aux comptes désigné par ordonnance du tribunal. Observons, au passage, que le débiteur et son conciliateur doivent ici anticiper l'ouverture de la procédure collective, si le débiteur n'a pas de commissaire aux comptes, afin que le président du tribunal, par ordonnance relevant de la matière gracieuse, en désigne un.

L'article L. 628-3 du Code de commerce fait apparaître, en réalité, que cette liste doit isoler, en son sein, les créances détenues par les fournisseurs de biens et services, qui ne subiront pas la procédure collective, et celles détenues par des personnes qui, sans être des fournisseurs, ne seront pas davantage soumises à la discipline collective ou ne le seront que pour un temps limité, leur paiement devant intervenir au plus tard lors de l'admission de leurs créances.

Pour gagner du temps, il est évident que le conciliateur peut devenir l'administrateur. L'opposition du ministère public à la désignation comme administrateur de l'ancien conciliateur ne semble pas ici recevable, contrairement à la solution retenue dans la procédure de sauvegarde de droit commun. La solution se rapproche de celle qui consiste à autoriser le débiteur à proposer au tribunal la désignation d'un administrateur, qui sera celui ayant au préalable fait office d'administrateur. Mais, pour qu'il en soit ainsi, encore faut-il que le conciliateur puisse être nommé administrateur, ce qui, d'évidence, n'est pas le cas s'il est mandataire judiciaire. La formule de l'article L. 628-4, alinéa 2, du Code de commerce est donc trop brutale, pour pouvoir être appliquée à la lettre, car on imagine mal qu'un mandataire judiciaire devienne administrateur, les fonctions étant incompatibles.

Bien que l'article L. 628-1 du Code de commerce fasse apparaître la sauvegarde financière expresse comme une variante de la procédure de sauvegarde classique, il semble qu'elle doive être limitée à l'hypothèse où des comités de créanciers doivent être constitués.

La lettre des textes est en ce sens. On remarque, d'abord, que la présence d'un administrateur judiciaire s'impose, ainsi que l'énonce l'alinéa 2 de l'article L. 628-4, ce qui exclut l'application de la sauvegarde financière expresse en l'absence d'administrateur judiciaire. Ensuite, l'article L. 628-5, alinéa 2, du Code de commerce exclut la prise en compte des créances non affectées par le projet de plan pour la composition des comités de créanciers. La solution serait insuffisante si la sauvegarde financière expresse avait vocation à déborder le cadre des procédures sans comité de créanciers. En effet, les créances non affectées par le projet de plan devraient être prises en compte, faute de texte contraire, pour l'élaboration du plan, en dehors du jeu des comités de créanciers, ce qui serait un non sens au regard de l'architecture et plus encore de l'objet de la sauvegarde financière expresse.

Il faut en effet bien voir à quoi, en pratique, sert cette création. Elle a pour objet, ainsi que le précise la note explicative jointe au projet de loi et emportant demande de consultation, de permettre à un débiteur étant passé par la conciliation, et ayant reçu une très large adhésion des créanciers consultés sur l'accord de conciliation, de faire plier quelques récalcitrants. Or ces derniers, qui n'ont pas donné leur accord dans le cadre de la conciliation, n'ont aucune raison de retourner leur veste. Il faut donc les contraindre, ce qui ne peut passer que par un vote de la majorité des créanciers, déjà acquise au débiteur dans la conciliation, qui imposera sa loi à cette minorité de réfractaires, que la sauvegarde financière expresse a pour ambition de faire plier. La présence du comité des établissements de crédit s'impose donc, cependant que celle du comité des fournisseurs semble bien exclue. Cette remarque conduit à modifier la rédaction de l'article L. 628-5 alinéa 2, qui vise des "comités", le pluriel utilisé pouvant apparaître ici bien singulier.

Tout concorde donc, l'esprit du texte et sa lettre, pour affirmer que la procédure de sauvegarde financière expresse ne peut concerner que des procédures avec comités.

L'esprit du texte ne fait pas de discrimination entre les comités obligatoires et ceux simplement facultatifs. En revanche, la lettre des textes prévoyant la nomination obligatoire d'un administrateur judiciaire, dès l'ouverture de la sauvegarde financière expresse, fait pencher pour une solution réservant celle-ci aux seules procédures avec comités de créanciers obligatoires, c'est-à-dire aux grandes entreprises. Il en est de même de la présence obligatoire, au jour de l'ouverture de la procédure, d'un commissaire aux comptes établissant la liste des créances. Enfin, les délais de la sauvegarde financière expresse semblent s'accommoder assez mal de la nomination d'un administrateur ayant pour seule mission de faire fonctionner les comités, en cours de procédure.

B - Le retour au droit commun de la sauvegarde en cas d'échec de la sauvegarde financière expresse

La sauvegarde financière expresse est enfermée dans un délai extrêmement bref : un mois à compter de l'ouverture. Dans ce mois, le plan doit être arrêté, sous réserve de la prorogation du délai pour un mois, si la réunion des assemblées d'actionnaires le requiert.

On peut, certes, regretter que la prorogation de délai soit enfermée dans des conditions aussi strictes, ce qui fait de la sauvegarde financière expresse, sur le terrain de la temporalité, un mécanisme rigide. Mais, en sens inverse, les dérogations apportées au fonctionnement classique d'une procédure collective ne peuvent perdurer. Les acteurs professionnels du droit des entreprises en difficulté doivent bien comprendre le tempo, et ne demander l'ouverture de la sauvegarde financière expresse que lorsque l'accord est bouclé avec l'essentiel des créanciers et qu'il ne reste donc à consulter que quelques rares créanciers, ce qui peut être fait rapidement. Ils doivent aussi avoir vu en amont, avec le tribunal, la gestion des délais de convocation, pour que les décisions puissent être rendues dans les délais. On est ici dans une mécanique de précision rappelant l'horlogerie suisse.

A défaut d'arrêté du plan dans le délai du mois, le tribunal met fin à l'application des dispositions dérogatoires de la sauvegarde financière expresse. Il en est de même, précise l'article L. 628-7, à tout moment, le tribunal qui se saisit d'office devant alors rendre une décision spécialement motivée.

Les textes sont muets sur les effets du retour au droit commun de la sauvegarde. On pourrait tenter l'analogie avec la procédure de liquidation judiciaire simplifiée et le retour au droit commun de la liquidation judiciaire. Ce rapprochement ne nous paraît pas pertinent. La clé du système pourrait bien reposer sur un différé de publication du jugement d'ouverture : dès lors que la procédure, comme on le verra, n'est pas véritablement collective, on pourrait concevoir de ne pas publier au BODACC la sauvegarde financière expresse et de ne publier que le jugement mettant fin à celle-ci et plaçant le débiteur sous le régime de droit commun de la sauvegarde. Même si le deuxième jugement n'est pas, techniquement, un vrai jugement d'ouverture de la procédure collective, tout se passerait pour les personnes assujetties à la discipline collective comme si le jugement de retour à la sauvegarde de droit commun constituait le jugement d'ouverture. Seul ce dernier ferait alors courir les délais de recours, et notamment la tierce opposition. Seul ce jugement aurait pour effet de faire courir les délais de déclaration des créances et de revendication.

C'est ainsi que nous comprenons l'article L. 628-7 du Code de commerce, disposition finale de la procédure de sauvegarde expresse. Le texte s'intéresse au jugement qui statue sur l'issue de la sauvegarde. Il s'intéresse également à une autre hypothèse, celle dans laquelle à l'issue des délais de la sauvegarde financière expresse, le plan n'est pas arrêté. En ce cas, un jugement va mettre fin à l'application des dispositions spécifiques de la procédure de sauvegarde financière expresse et emporter application du droit commun de la procédure de sauvegarde. A ce stade, et à ce stade seulement, est envisagée une publication du jugement. Il faut donc comprendre que le jugement d'ouverture de la sauvegarde financière expresse n'est pas publié, seul l'étant le jugement qui statue sur l'issue de la procédure en arrêtant le plan, ou qui met fin à l'application des dispositions spéciales de la sauvegarde financière expresse.

Par cette publication retardée, les difficultés liées au recours des tiers sur le jugement d'ouverture sont écartées, seul le jugement décidant l'application des dispositions de droit commun de la sauvegarde étant susceptible de recours. De même, les délais de déclaration des créances et ceux de l'action en revendication commenceraient à courir à compter de la publication de ce second jugement et ne pourraient jamais courir à compter du jugement d'ouverture de la sauvegarde financière expresse. Pour les créanciers non soumis aux contraintes de la procédure de sauvegarde financière expresse, ceux pour lesquels le jugement de sauvegarde expresse n'a eu aucun impact, les règles de l'arrêt ou de l'interruption des poursuites individuelles et des voies d'exécution, et corrélativement la règle de l'interdiction des paiements, commenceraient leur jeu au jour du jugement assurant le passage de la sauvegarde financière expresse à la procédure de sauvegarde de droit commun, et cela sans rétroactivité, laquelle, comme toute fiction juridique, supposerait un texte ici absent.

Il serait toutefois opportun de tenir expressément en échec le principe d'opposabilité erga omnes du jugement d'ouverture de la sauvegarde financière expresse, dans la partie réglementaire du texte. Ainsi, les questions d'opposabilité du jugement de la sauvegarde financière expresse seraient esquivées. Seraient, par exemple, évitées toutes les discussions sur la validité des paiements de créances antérieures intervenus entre l'ouverture de la sauvegarde financière expresse et le jugement mettant fin à l'application des dispositions spéciales de cette procédure et faisant entrer la procédure dans l'ère du droit commun.

S'il est exact que la sauvegarde financière expresse ne constitue qu'une modalité de la procédure de sauvegarde, cependant, par l'absence de caractère collectif de la procédure, elle aboutit, ainsi que nous venons de l'observer, à la création d'une nouveauté juridique, que nous pouvons qualifier de "procédure semi-collective".

II - La sauvegarde financière expresse, une procédure semi-collective

En droit français, il existe une procédure contractuelle, la conciliation, et trois procédures judiciaires, qui sont toutes trois de véritables procédures collectives de paiement : la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires.

Dans la première, la conciliation, les grands corps de règles qui permettent de considérer qu'une procédure de paiement est collective font défaut. Les créanciers ne sont soumis ni à l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, ni à la règle de l'interdiction des paiements et corrélativement n'ont pas à déclarer leurs créances au passif. Les créanciers ne sont pas représentés par un organe assurant leur défense collective et, pour sa part, le débiteur n'est dessaisi d'aucune de ses prérogatives.

Dans les procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, au contraire, nous sommes en présence de véritables procédures collectives de paiement avec les traits caractéristiques qui viennent d'être signalés. Cela est vrai même dans la procédure de sauvegarde, qui pour être préventive, n'en est pas moins collective. Ainsi, tous les créanciers autres que ceux éligibles au traitement préférentiel réservé à certains créanciers postérieurs sont soumis à la discipline collective. Ils ne peuvent plus être payés, ne peuvent plus agir en justice pour obtenir la condamnation de leur débiteur au paiement ou exécuter des titres obtenus. Corrélativement, ils doivent se soumettre à l'obligation de déclaration au passif, pour rendre opposable à la procédure collective leur droit de créance. Pour leur part, les propriétaires de meubles corporels ou incorporels, afin de rendre opposable à la procédure collective l'ordre de propriété doive revendiquer, dès lors que le contrat, qui fonde la détention précaire du débiteur, n'est pas publié.

L'élaboration du plan de sauvegarde est lourde. Tous les créanciers antérieurs, sous réserve des créanciers d'aliments et des salariés, doivent être consultés, soit dans le cadre d'une consultation individuelle, soit dans le cadre des comités de créanciers. Parallèlement, une consultation particulière intéresse les remises de dettes que peuvent consentir les créanciers publics.

La durée d'élaboration du plan, et celle de la procédure de déclaration de vérification et d'admission des créances, aboutissent à laisser le débiteur sous procédure collective pendant un temps relativement long, ce qui n'est pas favorable pour son image et donc son crédit.

Si l'on veut accélérer la procédure, il faut gagner du temps sur les deux tableaux, celui de l'élaboration du plan, mais aussi, et surtout peut-être, sur celui de la procédure de déclaration, de vérification et d'admission des créances. Alors le postulat est le suivant : limiter strictement les consultations des créanciers aux seuls créanciers sur lesquels le plan doit avoir un impact. De la même façon, il faut limiter la procédure de vérification des créances aux seuls titulaires de créance sur lesquels le plan aura un impact.

On peut ainsi constater que la sauvegarde financière expresse conduit à une "balkanisation" (7) des créances (A) et débouche sur une procédure de vérification et d'admission des créances présentant un grand particularisme (B).

A - Une "balkanisation" des créances

L'un des traits les plus saillants de la sauvegarde financière expresse est l'éclatement du traitement des créances traditionnellement soumises aux contraintes de la discipline collective. Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, on sait que la discipline collective a vu son périmètre s'accroître pour concerner toutes les créances autres que celles postérieures méritantes, les créances bénéficiant du traitement préférentiel réservé à certains créanciers postérieurs élus. La sauvegarde financière expresse ne s'intéresse pas aux créances postérieures. En revanche, elle soumet à des régimes distincts des créanciers antérieurs au jugement d'ouverture, qui, éventuellement, ne sont pas dans des situations juridiques différentes. Autrement dit, il pourra s'agir de traiter différemment des créanciers chirographaires, voire de traiter plus durement des créanciers privilégiés par rapport à certains créanciers chirographaires. La démarche est nouvelle et il n'est pas certain que la nouveauté s'accompagne d'une grande orthodoxie juridique, au regard du principe de l'égalité des créanciers, qui interdit de traiter différemment des créanciers placés dans une situation identique. Il restera peut-être à voir ce qu'en pense le Conseil constitutionnel, s'il est saisi.

Certains créanciers échapperont complètement aux contraintes de la procédure collective. Les traditionnelles règles de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, qui accompagnent la règle de l'interdiction des paiements, seront sans application pour eux.

Il en sera d'abord ainsi des fournisseurs de biens ou de services, catégorie au demeurant très vaste, comme avait permis de s'en apercevoir l'étude de la question de la cession judiciaire des contrats, qui s'intéresse identiquement à ces fournisseurs.

Si l'on veut que le texte ait une véritable portée, sans doute serait-il bon d'exclure certains fournisseurs de services, qui sont des établissements de crédit, et auquel le législateur n'entend sans doute pas, si l'on en juge par l'expression sauvegarde "financière", faire profiter du régime enviable réservé aux fournisseurs. Ainsi, le banquier qui consent un cautionnement est-il fournisseur de services. Il en est de même du crédit-bailleur.

Eviteront tout autant les contraintes de la discipline collective, les créanciers détenant des créances que le débiteur et son conciliateur, aujourd'hui relayé par son administrateur, ont décidé de payer dans les conditions contractuelles ou à l'échéance, en présence de créances non contractuelles, par exemple des créances publiques.

Le silence du texte sur les créances publiques pourrait conduire à considérer que le droit commun de la sauvegarde leur est applicable, ce qui autoriserait la mise en place de la consultation des créances publiques, pour l'octroi de remises de dettes. Le dispositif de remises des dettes publiques ne semble pas contrarié par le fait de l'exclusion des remises de dettes de la part de certains créanciers, dont les fournisseurs. En effet, l'article D. 626-15, alinéa 1er in fine, du Code de commerce (N° Lexbase : L0163IER), qui résulte du décret n° 2009-385 du 6 avril 2009 pris en application de l'article L. 626-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L0036IE3 ; JO du 8 avril 2009) énonce que "les efforts des créanciers publics sont coordonnés avec ceux des autres créanciers en vue de faciliter le redressement durable de l'entreprise et permettre le recouvrement de recettes publiques futures". Il ne subordonne donc pas les remises publiques au fait que tous les créanciers privés consentent des remises.

L'on peut, toutefois, douter de la possibilité d'appliquer le dispositif de consultation des créanciers publics, dans la sauvegarde financière expresse, pour deux raisons.
D'une part, la notion même de sauvegarde financière expresse fait ressortir que les efforts doivent être consentis par des créanciers financiers, non par les autres.
D'autre part, les délais de la procédure de sauvegarde expresse, qui oblige à l'arrêté du plan dans le mois de l'ouverture de la procédure, apparaissent inconciliables avec la procédure de consultation des créanciers publics.

Ces deux raisons nous amènent donc à poser en postulat que les créanciers publics seront au rang des créanciers non affectés par le projet de plan.
Rien n'interdit toutefois d'envisager que certains créanciers, autres que les fournisseurs, et notamment les créanciers publics, ne soient payés qu'au jour de l'arrêté du plan, ce qui entraîne alors un différé de paiement.
Rien n'interdit également de suggérer au mandataire judiciaire une contestation de certaines créances, et notamment les créances publiques. En ce cas, il faut prévoir que la créance ne sera payée qu'au jour de l'admission de la créance. Il y alors un arrêt des poursuites individuelles de la part de ces créanciers, qui sont soumis au passage obligé de la vérification des créances.

Il y aura enfin la catégorie des créances sur lesquelles le projet de plan exercera une incidence. Ces créances seront, selon l'article L. 628-6 du Code de commerce "affectées par le projet de plan". Ces créances subiront les règles de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution et l'interdiction des paiements. Bien qu'elles ne soient pas soumises à déclaration au passif, elles seront vérifiées et pourront faire l'objet d'une proposition de rejet, qui déclenchera une phase contentieuse, si le créancier entend exercer un recours sur la liste des créances, qui sera publiée.

Ainsi, le régime applicable aux créances sera très variable, ce qui justifie l'expression de procédure semi-collective, car les contraintes seront extrêmement variables en fonction des créanciers concernés.

B - Un particularisme de la procédure de vérification et d'admission des créances

L'article L. 628-6 du Code de commerce énonce que "par dérogation aux articles L. 622-24 (N° Lexbase : L3455ICX) et L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC), le mandataire judiciaire établi dans le délai fixé par le tribunal, après avoir pris en compte la liste des créances prévues au 2° de L. 628-3 et en prenant en compte, le cas échéant, les déclarations de créance effectuées spontanément par des créanciers, la liste des créances affectées par le projet de plan avec ses proposition d'admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente. Le greffe en assure la publication dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. Le mandataire judiciaire transmet aux créanciers concernés les propositions le concernant, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au plus tard cinq jours à compter de la publication des propositions. Le créancier peut contester la proposition le concernant dans un délai de 15 jours à compter de sa publication".

L'article L. 628-6 commence ainsi par une dérogation aux articles L. 622-24 et L. 622-25 du Code de commerce. Il faut donc comprendre que l'une des nouveautés saisissantes de la sauvegarde financière expresse est la dispense de déclaration des créances. Cette dispense est absolument générale. Les créanciers confrontés, dans une sauvegarde classique, à devoir déclarer leurs créances au passif, en sont ici dispensés. C'est pourquoi la procédure de sauvegarde financière expresse n'est pas une véritable procédure collective. Nous l'avons qualifiée de semi-collective, non seulement au regard des créanciers qu'elle va affecter, mais encore par la mise à l'écart de règles caractérisant fondamentalement toute procédure collective.

La première étape dans le processus conduisant à l'admission ou au rejet des créances est donc supprimée.

On commence immédiatement par la deuxième étape, la vérification des créances.

Le mandataire doit établir une liste des créances, dont il a connaissance de deux façons : d'une part, le débiteur aura dû, lors de la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse, joindre une liste des créances établie par son commissaire aux comptes ou par un commissaire aux comptes qui aura été désigné avant l'ouverture de la sauvegarde par le président du tribunal sollicité en ce sens. Cette liste devra faire ressortir les créances susceptibles d'être affectées par le projet de plan. La solution résulte de la combinaison des 3° et 4° de l'article L. 628-3 du Code de commerce.

La procédure de vérification des créances n'a donc absolument pas la portée générale qu'elle peut avoir dans la procédure de sauvegarde de droit commun. Le mandataire judiciaire doit, énonce l'article L. 628-5 du Code de commerce, élaborer une liste des créances "affectées par le projet de plan". Il faut donc, a contrario, décider que si les créances ne sont pas affectées par le projet de plan, elles ne doivent pas figurer sur la liste du mandataire judiciaire.

Il en sera d'abord ainsi des créances détenues par les fournisseurs de biens ou de services, puisqu'elles doivent, en application de l'article L. 628-5, alinéa 1er, du Code de commerce, être payées suivant les modalités contractuelles.

Il en sera de même des créances non affectées par le projet de plan, que le débiteur aura décidé de payer sans que l'ouverture de la procédure collective n'y fasse obstacle. Il pourra ici s'agir des créances détenues par les créanciers publics ou par des établissements de crédit.

Ainsi, devront figurer sur la liste établie par le mandataire judiciaire les créances affectées par le projet de plan, mais encore les créances que le débiteur aura entendu faire contester par le mandataire judiciaire, et dont il est prévu qu'elles seront payées après admission. Si le débiteur avait entendu que ces créances soient payées sans que l'ouverture de la procédure constitue un obstacle, logiquement, il n'aurait pas demandé qu'elles soient vérifiées.

Sur la liste des créances établie par le mandataire judiciaire, figureront ses propositions d'admission, de rejet ou d'incompétence. Observons que le texte, par rapport à l'éventail de solutions classiquement ouvertes au juge-commissaire, n'évoque pas la question des instances en cours.

Le greffe assure la publication de liste des créances ainsi vérifiées, à l'instar de la solution retenue dans la liquidation judiciaire simplifiée. Comme dans cette procédure, aucune intervention judiciaire n'est prévue ab initio.

Le mandataire judiciaire doit adresser un courrier recommandé avec demande d'avis de réception à chaque créancier figurant sur la liste, au plus tard cinq jours à compter de la publication des propositions d'admission, de rejet ou d'incompétence. Le créancier est ainsi doublement informé : en théorie, par la publication de la liste des créances et, en pratique, par l'information individuelle qu'il reçoit de la part du mandataire judiciaire.

La brièveté du délai institué -5 jours- nous conduit, sans grande prophétie, à voir là une source sérieuse de problème. Que faudra-t-il décider si le mandataire informe tardivement le créancier ?

La réponse semble devoir être trouvée dans les possibilités de recours ouvertes aux créanciers. Tout créancier, indique l'article L. 628-6 du Code de commerce, peut contester la proposition du mandataire judiciaire dans les 15 jours de la publication -sans doute au BODACC- de la liste des créances vérifiées. Si la double information n'est pas effectuée, le délai ne devrait pas courir contre le créancier. Le point de départ du délai devrait alors être décalé au jour de l'avertissement reçu par le créancier. La solution rejoindrait celle qui avait été posée, sous l'empire de la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, 10 juin 1994, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7), et dans le silence des textes sur ce point, en matière d'inopposabilité de la forclusion, lorsque le créancier titulaire d'une sûreté publiée n'avait pas été averti personnellement d'avoir à déclarer sa créance, alors que le représentant des créanciers ou le liquidateur avait l'obligation de l'avertir dans les 15 jours du jugement d'ouverture (8).

On remarquera encore que la réclamation n'est pas ouverte ici aux personnes intéressées autres que les parties, par exemple les cautions, ce qui pourrait être de nature à faire naître un sérieux problème d'accès au juge. Mais, pour qu'il en soit ainsi, encore faudrait-il qu'un juge ait statué, dont la décision aurait autorité de chose jugée à l'égard des cautions, ce qui ne sera pas le cas, dès lors que seule existe une liste émanant d'un mandataire de justice, que l'on aura quelques scrupules, quel que soit le respect porté aux professionnels, à ériger en une décision de justice.

En conclusion, ce texte peut surprendre, voire désarçonner, mais, à y regarder de plus près, il semble, sous réserves de quelques précieuses précisions réglementaires, conciliable avec la sécurité juridique, tout en augmentant les chances de sauvetage des entreprises. Encore faudra-t-il toutefois, qu'il passe avec succès l'éventuelle épreuve du Conseil constitutionnel, une fois sa rédaction sensiblement améliorée, faisant s'éclipser quelques zones d'ombre, contenues dans certaines de ses dispositions, qui, pour l'heure, apparaissent un peu absconses...

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cette analyse a été posée par la Cour de cassation : Cass. com., 23 novembre 1999, n° 96-21.034, (N° Lexbase : A4554AGR), Bull. civ. IV, n° 207, D., 2000, AJ p. 31, obs. A. L. ; JCP éd. E, 2000, chron. 752, n° 3-b-10, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2000, p. 185, obs. J.-L. Vallens.
(2) C. proc. civ., art. 643: "lorsque la demande est portée devant une élection qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de :
1. un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à la Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les terres australes et antarctiques françaises ;
2. deux mois pour celles qui demeurent à l'étranger
".
(3) Cass. com., 23 novembre 1999, préc. ; Act. proc. coll., 1999/20, n° 271 ; Act. proc. coll., 2000/1, n° 5 ; D., 2000, préc. ; JCP éd. E, 2000, préc.; RTDCom., 2000, préc..
(4) Cass. com., 23 novembre 1999, préc., et les obs. préc..
(5) V. ainsi, Ph. Rousel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 529 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2010/2011, n° 665.31.
(6) Th. Montéran, Pour améliorer le droit des entreprises en difficulté, osons la réforme, Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 3.
(7) Le terme est emprunté à notre collègue François-Xavier Lucas.
(8) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-20.715 (N° Lexbase : A3504AUC), Bull. civ. IV, n° 56 ; D., 2000, AJ p. 168, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2000/8, n° 88 ; RTDCom., 2000, p. 716, obs. A. Martin-Serf ; RD banc. et fin., 2000/2, n° 69, obs. F.-X. Lucas.

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