La lettre juridique n°403 du 14 juillet 2010 : Droit de la famille

[Questions à...] Exequatur d'un jugement étranger prononçant l'adoption d'un enfant par un couple homoparental - Questions à Maître Caroline Mécary, avocate spécialisée en droit de la famille

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[Questions à...] Exequatur d'un jugement étranger prononçant l'adoption d'un enfant par un couple homoparental - Questions à Maître Caroline Mécary, avocate spécialisée en droit de la famille. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211055-cite-dans-la-rubrique-bdroit-de-la-famille-b-titre-nbsp-iexequatur-d-un-jugement-etranger-prononcant
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

le 07 Octobre 2010

Aux termes d'un arrêt rendu le 8 juillet 2010 et destiné à une publication maximale, la Cour de cassation fait un pas en avant vers l'égalité de traitement des enfants élevés par deux femmes ou deux hommes en reconnaissant qu'un enfant peut juridiquement avoir deux parents d'un même sexe (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 08-21.740, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1235E4I). Pour faire le point sur cet arrêt riche d'enseignements, Lexbase Hebdo - édition privée générale à rencontré Maître Caroline Mécary, avocate spécialisée en droit de la famille, qui travaille en particulier sur les questions relatives aux nouvelles familles. On lui doit, notamment, la première décision de la Cour de cassation sur la délégation de l'autorité parentale en février 2006 (Cass. civ. 1, 24 février 2006, n° 04-17.090, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1782DNC), ou encore la condamnation, par la Cour européenne des droits de l'Homme, sur le fondement des articles 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la Convention européenne, d'un refus d'agrément opposée par le Conseil général du Jura à une jeune femme homosexuelle (CEDH, 22 janvier 2008, Req. 43546/02, E. B. c/ France N° Lexbase : A8864D3P). Lexbase : Pouvez-vous, brièvement, nous présenter les faits de cette affaire ?

Caroline Mécary : En l'espèce, Mme B., qui est de nationalité française vit aux Etats-Unis où elle a fait la connaissance de Mme N., qui est de nationalité américaine. Ensemble, elles ont souhaité avoir un enfant ; elles ont fait les démarches nécessaires afin que Mme N. puisse avoir recours à une procréation médicalement assistée. C'est ainsi que cette dernière a donné naissance, en mars 1999, à une petite fille, A. N, de nationalité américaine. Mme B a ensuite déposé une demande d'adoption de la petite fille auprès de la Cour supérieure du comté de Dekalb. En 1999, la Cour après avoir examiné l'ensemble de la situation a estimé que la demande d'adoption était dans le meilleur intérêt de l'enfant. C'est ainsi que Mme B. a adopté aux Etats-Unis, A. N, l'enfant ayant deux parents de même sexe et son acte de naissance ayant été modifié en conséquence. Mme B. a, ensuite, sollicité la reconnaissance juridique en France de cette décision. Par un jugement rendu en 2007, le TGI a refusé d'accorder l'exequatur. Appel ayant été interjeté, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 9 octobre 2008 (CA Paris, 1ère ch., sect. C, 9 octobre 2008, n° 07/12218 N° Lexbase : A9098EA9), a confirmé le jugement ayant refusé de prononcer l'exequatur du jugement d'adoption américain. Un pourvoi en cassation a été formé.

Lexbase : Sur quels fondements les premières juridictions ont-elles refusé de prononcer l'exequatur du jugement américain ?

Caroline Mécary : Le jugement du TGI, rendu le 23 mai 2007, a rejeté la demande de Mme B., en affirmant que l'octroi de l'exequatur est soumis à cinq conditions : incompétence du tribunal étranger qui a rendu la décision, régularité de la procédure suivie devant cette juridiction, application de la loi compétente d'après les règles françaises de conflit de loi, absence de toute fraude à la loi et conformité à l'ordre public international. Il a estimé que si les quatre premières conditions étaient réunies, la dernière ne l'était pas. En effet, pour les juges du TGI, le jugement américain devait être assimilé à une adoption simple, ce qui aurait pour conséquence l'application de l'article 365 du Code civil (N° Lexbase : L2884ABG), et donc la perte par la mère biologique de l'enfant de l'autorité parentale, ce qui serait contraire à l'intérêt de l'enfant.

En appel, j'ai soutenu différents arguments.

D'abord, la Cour de cassation a, le 20 février 2007, dans un arrêt de principe, jugé que pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont réunies et non pas cinq, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement au juge saisi , la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi (Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 05-14.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2537DUI).

Ensuite, sur la question de la conformité à l'ordre public international français, l'atteinte résulterait de ce que, en France, l'article 365 prévoit en cas d'adoption simple que l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de l'autorité parentale car la mère biologique perd cette autorité parentale. Or, le jugement présenté à l'exequatur n'a pas été rendu en application du droit civil français mais en application du droit civil géorgien, qui, lui, maintient intégralement l'autorité parentale de la mère biologique, qui la partage avec l'adoptante, ainsi que le dit expressément le jugement présenté à l'exequatur.

Dès lors, le tribunal pouvait, conformément à une jurisprudence constante, procéder à une adaptation de la situation aux regards des règles de conflits de lois. Il aurait dû constater que la situation dont il était saisi se caractérisait par le fait que le droit américain et la loi française, telle que la jurisprudence l'interprète, prescrivent également le maintien de l'autorité parentale à la mère biologique. Il aurait dû comprendre que, dans les circonstances de l'espèce, une application mécanique des articles 370-5 (N° Lexbase : L8430ASZ) et 365 du Code civil engendrerait précisément un transfert écarté par l'une et l'autre législation, tandis que l'acceptation de la décision américaine les satisfaisait toutes les deux.

Néanmoins, la cour d'appel n'a pas souhaité aller dans ce sens et a confirmé le jugement déféré considérant que, selon les dispositions de l'article 365 du Code civil, l'adoptante est seule investie de l'autorité parentale, de sorte qu'il en résulte que la mère biologique est corrélativement privée de ses droits bien que vivant avec l'adoptante.

Lexbase : Quelle a été la position de la Cour de cassation ? Quelles sont les conséquences d'une telle décision ?

Caroline Mécary : Saisie d'un pourvoi, la Haute juridiction va censurer l'arrêt des juges parisiens, au visa de l'article 509 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6627H7L), ensemble l'article 370-5 du Code civil. A cet égard, elle énonce que le refus d'exequatur fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français. Et il n'en est pas ainsi de la décision qui partage l'autorité parentale entre la mère et l'adoptante d'un enfant. En conséquence, la Cour annule l'arrêt et ordonne l'exequatur de la décision rendue le 10 juin 1999.

Cette décision a des effets considérables.

Tout d'abord, l'arrêt reconnaît la validité de l'adoption d'un enfant par le second parent de fait, et cela indépendamment de l'orientation sexuelle du second parent. La Cour de cassation admet donc qu'un enfant peut avoir deux parents de même sexe, c'est en ce sens que cet arrêt est une première. Il y aura un avant le 8 juillet 2010 et un après. Tous les couples placés dans la même situation que mes clientes (un parent biologique, un second parent adoptif avec un partage de l'autorité parentale) pourront bénéficier de cette jurisprudence.

Ensuite, je pense même que les adoptions conjointes devront, elles aussi, être reconnues, car il n'y pas à faire de différence entre un lien de filiation qui a été établi sur la base d'une naissance biologique et d'une adoption puisque on ne fait plus de différence entre les différentes filiations.

En conséquence, se retrouve posée la question de la pertinence de la législation française actuelle, qui ne permet pas l'adoption par le second parent de même sexe, ni l'adoption par des concubins ou des pacsés quelle que soit leur orientation sexuelle. En effet cette législation conduit à créer une discrimination à rebours, puisque des couples de même sexe résidant à l'étranger peuvent bénéficier sur le sol français de la reconnaissance de l'adoption, qui a été prononcée dans le pays étrangers, alors pour les couples de personnes de même sexe résidant en France, le second parent ne peut même pas adopter.

Lexbase : Justement, le même jour, la Cour de cassation a refusé, dans un arrêt concernant également un couple de femmes, d'accorder une délégation d'autorité parentale. Depuis, l'arrêt de 2006, qui avait permis la délégation pour les couples homoparentaux, la Cour de cassation semble en rester à une interprétation stricte des dispositions du Code civil. Quel est votre avis sur ce point ?

Caroline Mécary : Ce second arrêt  (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 09-12.623, FS-P+B+I N° Lexbase : A1240E4P) me paraît être un arrêt d'espèce, liée aux circonstances de l'espèce, et s'il ne l'était pas je crois qu'il faut alors analyser conjointement les trois arrêts de la Cour de cassation en date du 8 juillet 2010, c'est-à-dire en y incluant l'arrêt concernant le renvoi au Conseil constitutionnel d'une QPC portant sur la validité de l'article 365 du Code civil (Cass. QPC, 8 juillet 2010, n° 10-10.385, F-P+B N° Lexbase : A2176E4D), ces trois arrêts montrant que la loi de 1966 est totalement inadaptée à la situation des enfants élevés par deux femmes ou deux hommes.

Si l'on se replace, quelques années plus tôt, la Cour de cassation, par deux décisions très remarquées rendues le 20 février 2007, a mis un coup d'arrêt à l'adoption simple à la possible création de liens juridiques entre l'enfant, le parent et son concubin de même sexe (Cass. civ. 1, 20 février 2007, deux arrêts,  n° 04-15.676, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2536DUH et n° 06-15.647, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2676DUN). Dans ces deux affaires soumises à l'appréciation des juges, il s'agissait de femmes qui étaient liées par un Pacs et les enfants n'avaient pas de lien de filiation établi à l'égard du géniteur. Dans la première affaire, la cour d'appel de Paris avait rejeté la requête aux fins d'adoption simple présentée par la compagne de la mère biologique des enfants, aux motifs, d'une part, qu'une telle demande était contraire à leur intérêt dans la mesure où leur mère perdrait automatiquement son autorité parentale en cas d'adoption et, d'autre part, que les circonstances justifiant la délégation de l'autorité parentale à son profit n'étaient pas établies. Dans la seconde affaire, au contraire, la cour d'appel de Bourges avait prononcé, le 13 avril 2006, l'adoption simple par une femme du fils de sa compagne, estimant que l'adoption était conforme à l'intérêt de l'enfant et que la mère biologique pouvait solliciter un partage ou une délégation d'autorité parentale. La Cour de cassation a mis fin à cette apparente opposition en affirmant que l'article 365 du Code civil ne profite qu'au conjoint stricto sensu et non au partenaire d'un Pacs, car le prononcé de l'adoption simple a pour effet de déposséder le parent par le sang de l'autorité parentale alors même qu'il continue à élever l'enfant. La Cour de cassation a refusé d'assimiler le partenaire d'un Pacs à un conjoint, ce qui aurait permis à la mère biologique de partager avec l'adoptante les prérogatives de l'autorité parentale. Un recours a été déposé devant la CEDH sur cette question et l'affaire est en attente d'une fixation de date d'audience.

Lexbase : Au final, avec cet arrêt, un couple homoparental, binational ou non, d'ailleurs, vivant à l'étranger et bénéficiant d'un jugement d'adoption en sa faveur, peut le faire reconnaître juridiquement sur le sol français, alors que cela n'est pas possible au couple homoparental vivant sur le sol français. N'y a-t-il pas là un problème d'égalité devant le droit ?

Caroline Mécary : L'arrêt du 8 juillet 2010 relatif à l'exequatur du jugement d'adoption étranger est un arrêt de principe. Il a vocation à s'appliquer aux mêmes situations (couple vivant à l'étranger avec un parent biologique et un parent social, qui a pu adopter l'enfant de son partenaire) ; il devrait aussi s'appliquer aux couples vivants à l'étranger ayant pu bénéficier d'une adoption conjointe car il n'y a pas lieu de distinguer selon l'origine de la parenté. Or cela crée une discrimination à rebours car les couples sont traités différemment selon le lieu ou ils vivent : à l'étranger ou en France.

En tout état de cause, les trois arrêts ont une certaine cohérence : le premier sur l'exequatur est un pas très important, voire une révolution, puisqu'il reconnaît qu'un enfant peut avoir deux parents de même sexe ; le deuxième, qui semble limiter la voie de la délégation partage de l'autorité parentale, est une manière de dire ce n'est pas la bonne voie pour protéger un enfant ; et le troisième arrêt qui a transmis au Conseil constitutionnel une QPC portant sur le caractère discriminatoire de l'article 365 du Code civil (selon que vous êtes mariés ou non le parent par le sang perd ou non l'autorité parentale : si les couples hétérosexuels peuvent se marier et éviter cette perte ce n'est pas le cas des couples de femmes ou d'hommes, il y a donc bien une différence de traitement indirecte fondée sur le sexe). Et il se pourrait bien que le Conseil constitutionnel le dise. Ainsi si l'on regarde l'arc de ces trois décisions rendues par la Cour de cassation on peut penser qu'elle a décidé de tenir compte de l'évolution de la société en reconnaissant qu'un enfant peut avoir deux parents de même sexe, en limitant le partage de l'autorité parentale car ce n'est pas la voie la plus protectrice pour un enfant et en transmettant la QPC qui pourrait aboutir à une "abrogation" de l'article 365, ce qui lèverait l'obstacle juridique qui pèse actuellement sur l'adoption simple de l'enfant du partenaire dans un couple de personnes de même sexe.

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