La lettre juridique n°595 du 18 décembre 2014 : Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Décembre 2014

Lecture: 10 min

N5083BUS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Décembre 2014. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/22018593-cite-dans-la-rubrique-bassurances-b-titre-nbsp-ichronique-de-droit-des-assurances-decembre-2014-inbs
Copier

par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

le 20 Décembre 2014

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique mensuelle de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. Trois arrêts ont retenu l'attention de l'auteur : le premier est relatif à la nullité du contrat assurant une exposition de cadavres humains (Cass. civ. 2, 23 octobre 2014, n° 13-19.729, FS-P+B+I) ; le deuxième revient sur la distinction à opérer entre les conséquences d'un accident (prises en charge par le contrat) et les conséquences d'une pathologie, en matière d'assurance accident corporel (Cass. civ. 2, 29 octobre 2014, n° 12-35.306, F-D) ; le troisième a trait à la mise en oeuvre d'une assurance de responsabilité, couvrait en l'espèce intermédiaire immobilier (Cass. civ. 2, 29 octobre 2014, n° 13-23.506, F-P+B). I - Validité du contrat
  • Le contrat d'assurance ayant pour objet de garantir les conséquences de l'annulation d'une exposition utilisant des dépouilles et organes de personnes humaines à des fins commerciales, la cour d'appel en a exactement déduit que, bien qu'ayant été conclu avant l'entrée en vigueur de l'article 16-1-1 du Code civil, le contrat litigieux avait une cause illicite et, partant, qu'il était nul. Les assureurs devaient attirer l'attention de l'assuré sur les risques d'annulation de l'exposition litigieuse (Cass. civ. 2, 23 octobre 2014, n° 13-19.729, FS-P+B+I N° Lexbase : A2832MZW)

L'affaire ayant donné lieu au présent arrêt est connue dans la mesure où elle a, d'abord, eu un retentissement en dehors de la sphère juridique : l'émotion qu'a pu susciter l'exposition de restes humains. Indépendamment des débats mêlant l'art et la morale (toujours très riches !), une autre discussion a lieu sur le terrain du droit et plus particulièrement du droit des assurances (1).

De ce point de vue, on peut d'ailleurs se demander si la morale ne plane pas un peu sur la décision de la Cour de cassation qui décide que le contrat d'assurance garantissant l'exposition est nul, mais que les assureurs engagent leur responsabilité sur le fondement du devoir de conseil. En résumé, si la première partie de la décision paraît indiscutable, la deuxième partie l'est peut-être un peu plus.

Sur la question de la nullité du contrat d'assurance, cet arrêt vient illustrer l'exigence d'un risque licite lors de la souscription du contrat (2). Les faits permettaient de discuter de l'exigence du point de vue temporel. Un des arguments du pourvoi est, en effet, de souligner que la nullité de l'exposition pour cause illicite se fonde sur un texte postérieur à la souscription du contrat (3) : la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, relative à la législation funéraire (N° Lexbase : L3148ICL) adoptant l'article 16-1-1 du Code civil (N° Lexbase : L3148ICL). L'objection est facilement écartée par la Cour de cassation : "le principe d'ordre public, selon lequel le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, préexistait à la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 d'où est issu l'article 16-1-1 du Code civil". Il est évident, qu'il n'a pas fallu attendre le début du 21ème siècle pour décider que le principe de respect de dignité de la personne humaine s'étendait à la dépouille !

En l'espèce, la nullité du contrat d'assurance procède par voie incidente. Ce n'est pas le fait d'assurer qui est considéré, en soi, comme illicite. La nullité pour cause illicite du contrat d'assurance sur le fondement de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), résulte de la reconnaissance du caractère illicite de l'activité qui est l'objet de l'assurance : une exposition. Il est d'ailleurs reproché aux assureurs de ne pas avoir mis en garde les assurés contre le risque d'annulation de l'exposition litigieuse.

Sur la question du devoir de conseil de l'assureur, la solution de l'arrêt paraît sévère. L'argumentation de la cour d'appel sur cette question était essentiellement orientée vers la qualité des parties en présence. Les assureurs avaient affaire à une entreprise spécialisée dans l'événementiel et cette société était elle-même conseillée par un courtier. Il est certain que l'intensité du devoir de conseil dépend en partie de la compétence des personnes assurées (4). En l'espèce, les assureurs avaient sollicité cette compétence en s'inquiétant auprès des assurés de la tenue de l'exposition. Il leur est reproché, en quelque sorte, de ne pas avoir adopté l'attitude inverse en mettant en question les certitudes de leur client !

La question pourrait, cependant, être considérée d'un autre point de vue. Au lieu d'être envisagée sous l'angle des protagonistes, elle pourrait être considérée sous l'angle du périmètre du devoir de conseil. Quelle est l'étendue du devoir de conseil de l'assureur ? Il convient de rappeler qu'il consiste à favoriser la souscription d'une garantie conforme aux intérêts de l'assuré quant aux risques garantis et leur tarification (5). Or, si l'on suit la logique de la Cour de cassation, il était demandé aux assureurs d'émettre un avis sur l'activité garantie elle-même. C'est-à-dire, hors du domaine de l'assurance, demander à l'assureur d'émettre un avis pertinent sur les chances d'annulation de l'événement assuré alors même que l'assuré lui a indiqué que cet événement n'a pas fait l'objet d'interdictions dans d'autres pays. De ce point de vue, le devoir de conseil semble être étendu au-delà de son domaine raisonnable : ce qui relève de la maîtrise technique de l'assureur. Autrement dit : "l'obligation de conseil de l'assureur ne peut s'étendre à des circonstances qui excèdent le cadre de l'opération d'assurance qu'il propose" (6).

On ne peut s'empêcher de penser que les assureurs sont ici sanctionnés pour avoir prêté leur concours à une macabre affaire. Ne sont-ils pas simplement punis pour avoir contribué à rendre possible l'exposition litigieuse dont ils auraient dû empêcher la tenue en refusant, comme d'autres assureurs avant eux, la couverture demandée ?

II - Contenu de la garantie

  • L'assuré a été amené, au cours d'un exercice intensif et soutenu, à solliciter son dos, de manière importante et répétée, et ce pendant une durée de deux heures, ce qui exclut le caractère soudain de l'événement. Ce dernier ne peut être qualifié d'accident au sens des conditions générales du contrat d'assurance souscrit (Cass. civ. 2, 29 octobre 2014, n° 12-35.306, F-D N° Lexbase : A0472MZI)

La présente solution vient alimenter une jurisprudence classique en matière d'assurance accident corporel : la distinction entre les conséquences d'un accident (prises en charge par le contrat) et les conséquences d'une pathologie. Elle permet, en outre, d'illustrer le fait que la notion d'accident est relative en droit, ce qui ne contribue pas à en préciser le sens. En effet, la lésion ressentie par la victime a pu être qualifiée d'accident du travail, mais les circonstances de sa survenance ne permettent pas de retenir la qualification d'accident au sens du contrat souscrit par la victime. La qualification retenue dans un cas n'a donc pas d'incidence sur l'autre, ce qui peut être source d'incompréhension pour les victimes pour lesquelles un accident est un accident !

Ce n'est pas la nature de la lésion, une douleur lombosciatique, qui justifie l'exclusion de la qualification d'accident. Celui-ci peut procéder d'une lésion interne à la victime : le décès provoqué par le paludisme (7), un infarctus (8), une asphyxie due à une fausse route alimentaire (9). Pour distinguer la lésion provenant d'un accident de la simple pathologie, les contrats, comme en l'espèce, exigent "une atteinte à l'intégrité corporelle de l'assuré non intentionnelle de sa part et provenant de l'action soudaine d'une cause extérieure". Ce qui compte, c'est donc l'origine de la lésion (10).

En l'espèce, le rejet de la garantie de l'assureur est justifié au regard des circonstances de la survenance de la lésion : elle est intervenue alors que la victime tentait d'empêcher la chute de placoplâtres mais au terme de deux heures d'efforts continus pendant lesquels elle a particulièrement sollicité son dos. L'événement à l'origine de l'accident étant dépourvu de soudaineté, la garantie ne pouvait être accordée. La solution aurait pu être différente si la lésion de la victime était survenue à l'occasion d'un effort unique produit pour échapper à un écrasement : la condition de soudaineté se serait trouvée remplie (11). Cela montre à quel point la garantie dépend de l'enchaînement des faits souverainement appréciés par les juges du fond.

Cette distinction, purement contractuelle, entre pathologie et accident se conçoit parfaitement au regard des finalités de la garantie : couvrir l'assuré ou ses proches contre les conséquences, parfois dramatiques, d'un événement qui, par nature, ne leur permet pas de se préparer.

On peut être plus réservé au regard de la tendance actuelle de la jurisprudence de réduire l'accident à des événements purement fortuits excluant la négligence de l'assuré (12).

III - Mise en oeuvre de la garantie

  • La décision judiciaire condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est dès lors opposable, à moins de fraude à son encontre (Cass. civ. 2, 29 octobre 2014, n° 13-23.506, F-P+B N° Lexbase : A4956MZL)

Dans la présente espèce, relative à la mise en oeuvre d'une assurance de responsabilité, il est reproché à un intermédiaire dans le domaine de l'immobilier d'avoir entretenu un bailleur dans la croyance de l'existence d'une assurance de loyers impayés. Les faits se doublent d'une particularité : le mandat en vertu duquel l'intermédiaire intervient ne respecte pas les conditions légales et il est susceptible d'être annulé. Le professionnel serait dès lors intervenu en dehors d'un cadre légal et réglementaire.

Le tiers lésé suit, ici, une voie classique (action contre l'assuré, puis assignation en intervention forcée de l'assureur du professionnel) qu'il n'est plus obligé de suivre depuis que la Cour de cassation a décidé que la mise en oeuvre de l'action directe ne nécessite pas la mise en cause de l'assuré responsable (13). Les faits montreront que cette voie lui permet d'obtenir ce dont il aurait été privé en suivant l'autre.

Les juges du fond considèrent que la responsabilité de l'intermédiaire est engagée pour les loyers impayés, cependant l'assureur est fondé à se prévaloir de la nullité du mandat qui, selon lui, exclut l'activité considérée du cadre de la couverture. La décision est cassée. La Cour de cassation estime que la décision des juges du fond (reconnaissance d'une faute professionnelle de l'assuré) est opposable à l'assureur pour lequel elle constitue la réalisation du risque couvert (14). La jurisprudence est, sur cette question, constante. Elle est renforcée par le fondement que lui donne ici la Cour de cassation : l'article L. 113-5 du Code des assurances (N° Lexbase : L0066AAP) qui évoque la réalisation du risque et l'obligation pour l'assureur de verser l'indemnité. Il faut mettre cette disposition en perspective avec l'article L. 124-1-1 (N° Lexbase : L6252DIE) qui définit le sinistre en assurance de responsabilité comme étant constitué d'un "dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable de l'assuré, et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations". En l'espèce on se trouve dans l'étape suivante puisque la réclamation a donné lieu à condamnation de l'assuré. Le sinistre est complétement réalisé !

La garantie est due. Le fondement textuel choisi par la Cour de cassation paraît préférable à celui qu'elle utilise parfois comme visa de la même solution, l'article L. 124-3. Il ne s'agit pas, en effet, d'une solution propre à l'action du tiers lésé mais de l'application, à une forme particulière d'assurance, d'une règle générale du droit des assurances.

La règle d'opposabilité ainsi posée a pour effet de limiter les arguments susceptibles d'être invoqués par l'assureur à l'encontre d'une demande de garantie. Sans préjuger de la validité au fond de ces arguments, il ne peut se prévaloir de ceux qui sont susceptibles de remettre en question l'existence de la responsabilité de son assuré qui est considérée comme acquise.

Dans cette situation, il ne reste à l'assureur que deux possibilités proposées par l'arrêt. La première consiste à démontrer l'existence d'une fraude dont il serait victime. La seconde est de contester sa garantie "au regard des stipulations de la police" (15).


(1) L. Bloch, Our body : une exposition nulle à tous points de vue, RCA, 2013, alerte 11.
(2) S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, Ellipses, 2013, n° 268.
(3) Cass. civ. 1, 16 septembre 2010, n° 09-67.456, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4756E9Z), RTDCiv., 2010, 760, obs. J. Hauser.
(4) Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 08-17.586, F-D (N° Lexbase : A0752EIP), RGDA, 2009, 885, note S. Abravanel-Jolly.
(5) Ibidem.
(6) Cass. civ. 1, 2 juillet 2002, n° 99-14.765, F-P (N° Lexbase : A0638AZN), Bull. civ. I, n° 178 ; RGDA, 2002, 688, note A. Favre-Rochex ; RCA, 2002, 347, obs. H. Groutel.
(7) Cass. civ. 1, 20 janvier 1993, n° 89-19.322 (N° Lexbase : A3709CXN), RGAT, 1993, 328, note A. Favre-Rochex.
(8) Parmi de nombreux exemples : Cass. civ. 1, 22 avril 1992, n° 90-11.546 (N° Lexbase : A5914CYP), RGAT, 1992, 582, note Vincent.
(9) Cass. civ. 2, 24 mai 2006, n° 05-13.639, F-D (N° Lexbase : A7597DP3), RGDA, 2006, 721, note Maleville.
(10) Pour un autre cas de rejet fondé sur une réaction endogène : Cass. civ. 2, 25 février 2010, n° 09-10.136, FS-D (N° Lexbase : A4473ESH).
(11) Cass. civ. 1, 30 novembre 1977, n° 76-11.426 (N° Lexbase : A5934CKY), Bull. civ. I, n° 452.
(12) Sur ce point : Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsabilité et des contrats, régimes d'indemnisation, Dalloz Action, 2014/2015, n° 2781.
(13) Sur cette question : Ph. le Tourneau et alii, Droit de la responsabilité et des contrats, régimes d'indemnisation, Dalloz Action, 2014/2015, n° 2853.
(14) Cass. civ. 1, 12 juin 1968, JCP 1968, II, n° 15584 ; D., 1969, 249, note Besson ; Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-19.823, F-D (N° Lexbase : A4644DQ3), RCA, 2006, 354, obs. H. Groutel.
(15) Cass. civ. 1, 26 avril 1972, n° 71-10.779 (N° Lexbase : A0562CKZ), Bull. civ. I, n° 110 ; Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 08-12.041, F-D (N° Lexbase : A9236EBP).

newsid:445083

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.