La lettre juridique n°814 du 27 février 2020

La lettre juridique - Édition n°814

Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Adam (toujours) plus fort qu'Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 3)

Réf. : Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I (N° Lexbase : A39993G9)

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par Dr. Nicolas Catelan, Maître de conférences à Aix-Marseille Université – LDPSC EA 4690 Directeur du Master 2 Lutte contre la criminalité financière et organisée

Le 19 Janvier 2023

Mots-clés : Femen • exposition d'une poitrine • exhibition sexuelle • 222-32 du Code pénal • protestation politique • liberté d'expression

L’exhibition de la poitrine d’une femme entre dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, même si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle.

Si le comportement d’une militante féministe qui dénude sa poitrine, sur laquelle est inscrite un message politique, dans un musée en plantant un pieu dans une statue de cire représentant le dirigeant d’un pays, constitue l’infraction d’exhibition sexuelle, la relaxe de la prévenue n’encourt pas la censure dès lors que ce comportement s’inscrit dans une démarche de protestation politique et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.


Selon l’auteur américain Christopher Priest [1], chaque illusion comporterait trois étapes : le prestidigitateur exposerait tout d'abord une problématique semblant ordinaire (I) ; puis il réaliserait une performance (II) relevant à proprement parler de l’extraordinaire ; enfin surviendrait l’inattendu, le prestige (III).

I - La configuration : une querelle ordinaire

« Nous autres victoriens ». En à peine plus de deux ans, la Chambre criminelle a eu l’occasion de se prononcer à trois reprises sur le délit d’exhibition sexuelle tel que reproché à des militantes Femen. Plus incroyable encore, ce contentieux a amené la Chambre criminelle sur la même période à prendre parti à deux reprises dans la même affaire. Si les arrêts de 2018 [2] et de 2019 [3] n’avaient pas marqué d’inflexion dans l’approche de la Cour, la décision rendue le 26 février 2020 emporte à la fois confirmation et évolution. Pour en saisir la subtilité encore faut-il rappeler les faits litigieux fussent-ils particulièrement médiatisés. Le 5 juin 2014, la prévenue se présentait au Musée Grévin : la poitrine dénudée sous une veste ouverte, laissant apparaître l'inscription « Kill Putin », elle fit tomber la statue du président russe. Elle y plantait alors à plusieurs reprises un pieu métallique peint en rouge, en déclarant « Fuck dictator, Fuck Vladimir Poutine ». Poursuivie devant le tribunal correctionnel de Paris des chefs d'exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d'autrui, la militante Femen fut retenue dans les doubles liens de la prévention, puis condamnée à une amende de 1 500 euros et à réparer le préjudice subi par le Musée Grévin. Le 12 janvier 2017, la cour d'appel de Paris infirmait partiellement cette décision [4] en confirmant la condamnation pour dégradations volontaires et relaxant la prévenue du chef d'exhibition sexuelle. Or, la Chambre criminelle estima qu'en prononçant cette relaxe « alors qu'elle relevait, indépendamment des motifs invoqués par la prévenue, sans effet sur les éléments constitutifs de l'infraction, que celle-ci avait exhibé volontairement sa poitrine dans un musée, lieu ouvert au public, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée » de l'article 222-32 du Code pénal [5]. De retour devant la cour d’appel, les juges affirmèrent, pour relaxer derechef la prévenue du chef d’infraction d’exhibition sexuelle, que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entrait pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal (N° Lexbase : L5358IGK), si l’intention exprimée par son auteur était dénuée de toute connotation sexuelle, et ne visait pas à offenser la pudeur d’autrui, mais relevait de la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Marri, le procureur général saisit la Cour de cassation d’un nouveau pourvoi [6]. Le rejet de son recours est un modèle de nuance :

« 14. C’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle.

15. Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ».

Cette décision emporte donc, en premier lieu, confirmation des jurisprudences antérieures. La Chambre criminelle estime encore que le défaut de connotation sexuelle ne fait pas obstacle à la qualification d’exhibition sexuelle même lorsque les seuls seins féminins sont exhibés. Évolution, en second lieu, puisque la Cour estime cette fois-ci qu’un contrôle de proportionnalité fait échec à l’incrimination des faits à l’aune de la liberté d’expression. Cette perspective n’est certes pas inconnue, la Chambre criminelle ayant eu l’occasion d’initier ce type de contrôle en des termes similaires dans une célèbre décision en date du 26 octobre 2016 [7]. La nouveauté tient au fait que ce contrôle est ici mobilisé dans le contentieux des Femen et non dans le cadre d’une escroquerie aux dépens de feu le front national. Qu’on ne se méprenne pas pour autant quant à cette confirmation/évolution. Cet arrêt, bien qu’il confirme une relaxe, n’en demeure pas moins une illusion qui, sans aucun doute se transformera rapidement, la doctrine faisant son œuvre, en une paréidolie : bien que justifiée, l’infraction demeure consommée selon la Chambre criminelle.

Déjà-vu. Les termes de la problématique sont bien connus. Les dispositions de l’article 222-32 du Code pénal disposent : « L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ». Les objectifs visés par le législateur lors du vote du Code pénal de 1992 furent ici particulièrement flous. Il ressort en effet des travaux parlementaires, tant de l'exposé des motifs que du rapport « Jolibois », que personne n’estima opportun de préciser le sens du texte [8] ! Tout au plus apprend-on qu’une contravention (jamais créée) était censée prendre le relais de l’ancien attentat à la pudeur. La doctrine hésite quant à la question de savoir si de jure le délit prend ou non, sur le plan de ses éléments constitutifs, le relais de l’outrage aux bonnes mœurs. La lettre du texte commande une interprétation plus mesurée du texte puisqu’est seule incriminée « l’exhibition sexuelle ». A priori, le délit se comprend comme le fait d’exposer publiquement soit des organes sexuels, soit une « scène » à caractère sexuel. Il en résulterait que si la partie du corps exposée n’est pas sexuelle par nature, seule sa connotation sexuelle emporterait la qualification pénale. Comme nous l’avons déjà affirmé « le délit d’exhibition sexuelle devrait comporter deux modes opératoires distincts. Soit la partie exposée est une zone sexuelle par nature et l’élément moral se limiterait au dol général. Soit la partie exposée n’est pas par nature sexuelle, et alors l’élément moral devrait inclure un dol spécial afin de prendre en considération la connotation de l’acte » [9].

Cette lecture n’est pas, on le sait, celle de la Cour de cassation quand bien même l’article 111-4 du Code pénal (N° Lexbase : L2255AMH) commande la légendaire interprétation stricte des lois pénales [10].

II - La performance : une exhibition consommée

Une prévention retenue. Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il est acquis que l’exhibition publique d’une poitrine féminine est nécessairement constitutive d’une exhibition sexuelle. L’arrêt sous commentaire le rappelle avec éclat puisque la chambre affirme que « 14. C’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle ».

Cette appréciation de l’élément matériel par le truisme de l’intention coupable mérite une fois de plus un minimum d’attention. Nous avons cru ici même et à deux reprises avoir suffisamment exposé l’aspect particulièrement incorrect de cette appréciation : sur le plan juridique, rappelons les propos du recteur Beignier : « La loi sanctionne l'exhibition, d'une part, sexuelle, d'autre part. Qu'est-ce à dire ? Il s'agit d'exhiber : c'est-à-dire de rechercher, explicitement et volontairement, à commettre un acte public. Il s'agit de sexe […] : il doit s'agir soit de montrer son sexe, soit d'accomplir un acte de nature sexuel. Dans la rigueur des termes, la poitrine d'une femme n'est pas son sexe. Moins encore, l'exhibition de ses seins n'est pas un acte sexuel » [11]. Au-delà, il est acquis, tout du moins scientifiquement, que les organes sexuels primaires sont ceux destinés à la reproduction humaine. A l’inverse ce que l’on nomme les caractères sexuels secondaires ne jouent pas un rôle direct dans le cadre de la reproduction ; ils sont en revanche mobilisés par les naturalistes pour discriminer les genres au sein d’une espèce. Chez les femmes, la poitrine appartient à cette seconde catégorie. Il en va pareillement de la taille moyenne plus basse, du bassin plus large que les épaules, du rapport taille-hanche plus faible que chez l’homme, de la moindre pilosité faciale et corporelle, de la croissance plus rapide des cheveux, du grain de peau plus fin, du tissu adipeux distribué davantage sur la surface du corps et son accumulation au niveau des fesses, des cuisses et des hanches, et enfin des seins (développés) avec des glandes mammaires fonctionnelles. On s’aperçoit que ces caractères sexuels secondaires n’entretiennent qu’un rapport indirect avec la sexualité [12]. Plus précisément, ils servent à reconnaître le genre autre afin d’utilement et éventuellement envisager une reproduction. Il ne s’agit pas en première intention d’éléments destinés à exciter l’autre sexe (au sens de genre), même si évidemment, d’une personne à l’autre ces éléments peuvent être de nature à nourrir fantasmes et désirs, au même titre d’ailleurs que d’autres éléments non qualifiés de sexuels (visage, jambes, fessiers, bras… personnalité ?). Bref, on l’aura compris il serait particulièrement dangereux, en termes de liberté individuelle, qu’un caractère sexuel dit secondaire (un simple caractère de genre donc) puisse donner lieu en cas d’exposition publique, à la qualification d’exhibition sexuelle. A cet égard, du côté masculin on se contentera de mentionner que la pomme d’Adam, la barbe et la moustache sont des caractères sexuels secondaires. On n’ose alors imaginer le nombre d’exhibitions sexuelles pouvant être poursuivies si les caractères sexuels secondaires étaient à même, per se, de caractériser le délit. Et il ne serait pas plus judicieux d’étendre le texte aux zones érogènes tant celles-ci sont nombreuses et varient d’un individu à l’autre [13].

La cour d’appel avait pourtant fort opportunément placé le débat sur le terrain de l’intention en tachant de ne pas confondre dol et mobile : « l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle ». L’argument est donc à nouveau balayé par la chambre criminelle. Au demeurant, il est bien inutile de poursuivre le raisonnement plus avant. La femme est évidemment le seul membre de l’espèce humaine dont l’exhibition d’un caractère sexuel secondaire donne lieu à la consommation du délit. La poitrine féminine est la seule à faire l’objet de poursuites pénales. La discrimination [14] qu’emporte l’application de l’infraction ne semble pas pour autant perturber la Chambre criminelle. Il est évident que la consommation du délit participe en réalité d’une certaine vision sociale du corps de la femme. Cette particularité mérite une nouvelle fois d’être interrogée.

Hystérisation du corps de la femme. Dans le volume 1er de son Histoire de la sexualité, Michel Foucault centrait le dispositif de sexualité autour de quatre concepts : hystérisation du corps de la femme, pédagogisation du corps de l’enfant, socialisation des conduites procréatrices, et psychiatrisation du plaisir pervers. Même s’il fut brillamment développé dans ce premier volume que le dispositif de sexualité ne participait pas, loin de là, d’une simple hypothèse répressive [15], il n’en demeure pas moins qu’une partie du discours continue de passer par la loi, et plus particulièrement par la loi pénale. L’exhibition sexuelle participe évidemment, en première instance, d’une psychiatrisation du plaisir pervers. Celui qui aime se dénuder et/ou se livrer à des actes sexuels en public est un pervers. Ita est. Il s’agit d’une pathologie que la médecine comme technologie devra corriger et que la loi pénale doit donc condamner, justice et médecine marchant main dans la main le long du chemin de normalisation. Lorsque le délit est appliqué à une femme se livrant à une « performance politique », il est manifeste que ce discours médical est difficile à mobiliser. Le dispositif légal que la Cour de cassation tisse autour des femmes participe d’un autre pilier du discours portant sur la sexualité : la pénalisation ressort à l’hystérisation du corps des femmes. Il s’agit selon Foucault d’un « triple processus par lequel le corps de la femme a été analysé qualifié et disqualifié comme corps intégralement saturé de sexualité ; par lequel ce corps a été intégré, sous l'effet d'une pathologie qui lui serait intrinsèque, au champ des pratiques médicales ; par lequel enfin il a été mis en communication organique avec le corps social (dont il doit assurer la fécondité réglée), l'espace familial (dont il doit être un élément substantiel et fonctionnel) et la vie des enfants (qu'il produit et qu'il doit garantir, par une responsabilité́ biologico­ morale qui dure tout au long de l'éducation) : la Mère, avec son image en négatif qui est la femme nerveuse constitue la forme la plus visible de cette hystérisation » [16]. 44 ans après la parution de cet ouvrage, peut-on nier que le corps féminin soit encore saturé de sexualité dans les discours et l’espace public ? Il serait ô combien heureux que la photographie de la société française réalisée par Foucault en 1976 ne corresponde plus à celle de 2020. Et pourtant, qui nierait que l’arrêt rendu le 26 février 2020 participe d’une telle hystérisation ? Qui contesterait que cette saturation doit encore de nos jours habilement et tactiquement osciller entre un trop et un trop peu puisque la femme doit, on le sait, montrer assez (exeunt les burka et burkini) mais point trop (exit la poitrine dénudée). Il ne s’agit peut-être pas tant d’une domination masculine, que d’un effet de structure dont les femmes sont les victimes mais également les éléments moteurs. Les Femen elles-mêmes reconnaissent que depuis que leurs actions s’accomplissent « à découvert », leur propos est davantage relayé par les média traditionnels.

L’appréhension légale du corps de la femme s’inscrit évidemment dans un dispositif global de sexualité que les discours attisent ou calment en fonction des besoins et intérêts. La loi pénale à travers la bouche de la Cour de cassation accompagne le mouvement en rappelant que dans un environnement saturé de sexualité, il est des comportements qui méritent réprobation sans doute car ils mettent en exergue les paradoxes inhérents à un discours incroyablement plus permissif qu’on ne l’imagine. Puisque le corps des femmes a été investi à des fins de pouvoir et de savoir, ces dernières ne devraient se le réapproprier pour délivrer un message politique [17]. En renvoyant le corps des femmes à une analyse d’un autre temps, la Cour assure surtout les objectifs assignés au droit dans la sphère de la sexualité : masquer les diverses stratégies de pouvoir par lesquelles la sexualité est investie ad nauseam. Le fait que la Chambre criminelle fasse de la poitrine féminine l’objet per se d’une exhibition sexuelle n’amènera pas la police à faire la chasse à la pratique du topless sur les plages [18] ; et les marques de prêt à porter continueront à l’approche de l’été à inonder les murs de maillots en 4mx3m, le prix de l’espace de publicité étant inversement proportionnel à la quantité de tissu couvrant le corps de la femme [19]. Pareillement le fait que l’algorithme de Facebook censure ce qui s’apparente à une aréole féminine, n’empêche aucunement de trouver sur la toile une quantité colossale de matériel pornographique.

Bref la saturation sexuelle de la société française vectorisée par le corps de la femme -et plus ou moins excitée par les jeux et stratégies de pouvoir/savoir - ne ressortira pas allégée par la décision de la Cour. On connaît la célèbre phrase prononcée par Verbal Kint dans l’immense œuvre cinématographique Usual suspects : « Le coup le plus rusé que le Diable ait jamais réussi, ça a été de faire croire à tout le monde qu'il n'existe pas ». La sexualité participe d’une logique similaire : le coup le plus rusé que le dispositif de sexualité n’ait jamais réussi à accomplir, a consisté à donner l’illusion d’une répression de la sexualité en provoquant des discussions interdisant d’en parler… pour mieux la susciter. Bref parlons de ce dont il ne faut pas parler. Et puisque « dire c’est faire » [20]

Ajoutons alors que le fait que cette décision surcharge à très court terme l’espace médiatique et doctrinal ne devrait amener à passer sous silence la récente condamnation de Harvey Weinstein, la légitime polémique relative à Roman Polanski et la merveilleuse intelligence d’Adèle Haenel.

III - Le prestige : une exhibition justifiée

Un mécanisme connu : le contrôle de proportionnalité. Le 26 octobre 2016, alors qu’une journaliste était poursuivie pour avoir au moyen d’une fausse identité infiltré une fédération locale du front national, la Cour de cassation justifiait le non-lieu aux motifs suivants : « Si c'est à tort que la chambre de l'instruction retient que l'élément moral de l'escroquerie s'apprécie au regard du but poursuivi par l'auteur présumé des faits", la cassation n'est toutefois pas encourue, car "les agissements dénoncés se sont inscrits dans le cadre d'une enquête sérieuse, destinée à nourrir un débat d'intérêt général sur le fonctionnement d'un mouvement politique". Il en résulte que, "eu égard au rôle des journalistes dans une société démocratique et compte tenu de la nature des agissements en cause, leur incrimination constituerait, en l'espèce, une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression ». Le raisonnement est très proche de celui développé par la Chambre criminelle en sa décision du 26 février 2020 : est toutefois ajoutée en 2020 la référence au « contexte », ce qui n’est pas anodin, on le verra. La cour d’appel s’est ainsi trompée dans les deux cas [21] en estimant que l’intention faisait défaut, mais cela n’emporte pas cassation car l’incrimination des faits litigieux constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté consacrée à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. On sait que par cet arrêt, la Chambre criminelle inscrivait sa production prétorienne dans le mouvement initié par l’ancien premier président de la Cour de cassation et apparu officiellement [22] avec la célèbre décision relative au mariage entre bru et ancien beau-père [23]. On sait en outre que ce contrôle de proportionnalité fut imposé par la Cour européenne dans de nombreuses décisions [24]. Si certains ont pu craindre que la proportionnalité submerge la Cour de cassation et transforme notre droit positif en un ordonnancement des équilibres instables, l’histoire a su les rassurer. Le contrôle de proportionnalité, à tout le moins en matière pénale, joue une mélodie minimaliste. Si l’argument est très souvent soulevé dans le champ des saisies et confiscations [25], il n’est pas l’équarrissoir redouté. Sur le strict plan des incriminations et sanctions, tout au plus peut-on isoler une décision en date du 31 janvier 2017 [26] aux termes de laquelle « sans répondre aux conclusions du prévenu selon lesquelles une démolition porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et à son domicile, en ce qu'elle viserait la maison d'habitation dans laquelle il vivait avec sa femme et ses deux enfants, et que la famille ne disposait pas d'un autre lieu de résidence malgré une demande de relogement, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ».

Il en résulte que cette décision en date du 26 février 2020 ne constitue que la première itération de la solution dégagée le 26 octobre 2016 : le contrôle désiré et imposé par la Cour européenne des droits de l’homme n’a donc pas submergé l’activité prétorienne de la Cour de cassation. Un esprit retors pourrait peut-être y déceler une tactique opportuniste permettant à la Chambre criminelle de contourner certaines problématiques fort gênantes.

Un mécanisme illusoire : une faveur évanescente. En jugeant comme elle le fait en sa décision du 26 février 2020, la Cour de cassation doit estimer s’en être tirée à bon compte. Le « mini » [27] revirement auquel vient de se livrer la Chambre criminelle lui permet en effet de ne pas revenir sur sa controversée définition du délit d’exhibition sexuelle, tout en imputant la relaxe à la cour européenne des droits de l’homme. Le prestige est ainsi formulé : « je considère que le délit est toujours parfaitement consommé. Mais la liberté d’expression, telle qu’interprétée par la juridiction strasbourgeoise, m’incite à affirmer que les faits ne doivent être ici incriminés ».

Nous avions en 2016 appréhendé cette proportionnalité à la lueur d’un « principe de faveur » qui de temps à autre amène la loi ou les juges à opter, en cas d’option, en faveur de la solution favorisant la personne poursuivie. Il en va ainsi de la rétroactivité in mitius,  de la  non réformation in pejus, ou encore, sans être bien évidemment exhaustif, de la fixation du point de départ de la de la garde à vue… Or, il est évident que si faveur il y a, la qualification de principe apparaît des plus délicates en raison de la contingence de ses apparitions ; contingence qui confine plus à l’opportunisme qu’au légalisme. En effet, la loi comme les juges ne privilégient pas nécessairement et systématiquement la branche de l’alternative favorisant un suspect ou un prévenu, loin s’en faut. Que l’on songe à l’opportunité des poursuites, à la possibilité de recourir à une peine alternative en lieu et place d’une peine d’emprisonnement fût-elle prononcée avec sursis. Pensons encore au choix entre audition libre et garde à vue, entre comparution immédiate ou CPPV, à une qualification délictuelle plutôt que criminelle devant un juge d’instruction, ou encore à l’octroi d’un aménagement de peine, d’une libération conditionnelle… Bref, la loi pénale, littéralement la règle qui peine, n’est pas majoritairement une disposition normative qui fait le choix de favoriser un prévenu. Il serait particulièrement indélicat de le soutenir, le droit positif fût-il infiniment plus humaniste que celui appliqué sous l’Ancien Régime.

Un gambit : le contexte plus que le texte. Reste alors l’interrogation suivante : pourquoi la loi, ou les juges font-ils le choix parfois de favoriser la personne incriminée ? A la lumière de la décision rendue le 26 février 2020 on pourrait être tenté de soutenir que les libertés fondamentales sont au cœur de la solution ; cette construction juridique destinée à protéger les citoyens contre les excès (oserait-on parler d’abus) imputables aux États commanderait a priori une telle lecture. Qu’il soit cependant permis d’esquisser une autre théorie.

Il semble, ici comme ailleurs, que la rationalité de l’action répressive soit à même de bien mieux expliquer l’évolution identifiée. L’économie générale du doit souverain de punir n’exige pas en toutes occasions de sanctionner. Pour que certaines condamnations ne donnent pas lieu, à terme, à une condamnation de la Cour européenne, il faudra évidemment prouver que l’on se livre au contrôle que Strasbourg effectue et impose. Il est évident, et nous le ne nierons pas, que cette économie de la répression profite au suspect ou au condamné. Cela ne peut être combattu. Mais il serait parfaitement controuvé de penser que cette manifestation visait en première intention à favoriser l’intéressé. On pourrait dire que la faveur est ici bien plus un effet qu’un objectif de la règle de droit. La décision de la Cour de cassation peut se comprendre à l’aune d’une stratégie judiciaire. Prima facie, et même si ce n’est pas décisif, la position de la Chambre criminelle était difficilement tenable tant tout (sauf le droit) démontre que la poitrine d’une femme n’est pas sexuelle per se. Et la réflexion de la Cour de cassation poussée jusqu’à son terme aurait amené à sanctionner tout ou n’importe quoi, donc à transformer la société française en une civilisation encore plus puritaine que l’Angleterre à l’ère victorienne. Surtout, il était particulièrement dangereux d’exposer les anciennes jurisprudences à un contrôle irrité de la juridiction strasbourgeoise faute de contrôle de proportionnalité ayant jamais bénéficié à un prévenu. Certes, nul précédent n’existe pour véritablement contredire ou cautionner la position prétorienne française. Recourir à la décision « Gough c/ RU » [28] ne présente ici que peu d’intérêt puisque l’individu invoquant l’article 10 demandait à pouvoir se balader… intégralement nu [29]. La situation des Femen participe d’une logique sensiblement différente, cela va de soi. La décision de la Cour européenne a toutefois le mérite de circonscrire la décision des juges français. En plaçant le débat sur la justification politique, la Cour de cassation laisse indécis le champ corporel couvert par la liberté d’expression. Écueil considérable qui aurait été contourné si la Cour avait simplement constaté que le défaut de connotation sexuelle, quand des seins sont exhibés, faisait échec à la consommation du délit d’exhibition sexuelle. En affirmant que la liberté d’expression n’allait pas jusqu’à accepter un nu intégral - donc réellement sexuel - la Cour européenne a donc fort heureusement borné le jeu de la liberté d’expression.

Reste que sous couvert de proportionnalité in favorem, la solution de la Cour de cassation participe d’une démarche [30] stratégique dont la bienveillance bénéficiant à la prévenue n’est qu’une suite et non sans doute l’objectif visé. Si la Cour avait désiré appréhender ces circonstances avec bienveillance, elle aurait pu dès janvier 2018 initier un tel mouvement.

Il ne faut pas d’ailleurs sur-interpréter la décision sous commentaire. Il ressort de la position défendue par la Cour de cassation qu’en dehors, tout d’abord, d’un contexte politique, l’exhibition de la seule poitrine féminine continuera à rendre les faits punissables. Par ailleurs, il est acquis que le contrôle de proportionnalité participe d’une balance des intérêts. Et si en la présente espèce, la balance penche en faveur de la prévenue au détriment de l’État partie poursuivante, cela ne préjuge pas de tous les autres déséquilibres à venir.. ou déjà survenus. Dans l’affaire de l’Église de la Madeleine, la liberté d’expression fut à corréler avec le droit des croyants à exercer leur culte en toute sérénité. De sorte que la balance ne pencha pas en faveur de l’activiste Femen poursuivie. La Cour de cassation l’a parfaitement démontré il y a un an en rejetant, alors, l’argument fondé sur l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme : la décision de condamnation « n'a pas apporté une atteinte excessive à la liberté d'expression de l'intéressée, laquelle doit se concilier avec le droit pour autrui, reconnu par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion » [31].

La cour d’appel dans l’affaire du Musée Grévin ne s’y est d’ailleurs pas trompée et la Cour de cassation le relève fort utilement dans sa décision en date du 26 février 2020 : « 13. La juridiction du second degré souligne que, si certaines actions menées par les membres du mouvement “Femen” ont été sanctionnées comme des atteintes intolérables à la liberté de pensée et à la liberté religieuse, le comportement de la prévenue au musée Grévin n’entre pas dans un tel cadre et n’apparaît contrevenir à aucun droit garanti par une prescription légale ou réglementaire ». Observons avec le professeur Conte qu’en droit pénal c’est désormais la lutte entre intérêts privés qui permet de maintenir la répression d’un comportement [32]… Le fait que la Cour se réfère expressis verbis à la nature et au contexte [33] de l’agissement en cause en témoigne. Le contrôle casuistique de proportionnalité est à ce prix : la concurrence des droits fondamentaux permet de neutraliser la liberté de l’un au profit du droit de l’autre, ce que Michel Villey avait très tôt anticipé [34].

Cette décision montre ainsi à la Cour européenne des droits de l’homme que le contrôle de proportionnalité tel qu’opéré par la Chambre criminelle est efficient : il a indubitablement permis à l’activiste poursuivie de ne pas être retenue dans les liens de la prévention ; si cette balance des intérêts ne bénéficie pas toujours au prévenu (tel par exemple le cas d’une exhibition.. au sein d’une église) ce n’est pas car le contrôle n’est pas opérationnel mais bien car les croyants peuvent également revendiquer un droit fondamental (i.e CESDH, art. 9 N° Lexbase : L4799AQS). Aux échecs, cette stratégie porte le nom de gambit [35].

L’histoire ne connaît-elle pas des victoires aussi impétueuses que la mémoire est fugace ?

 

[1] V. ainsi Christopher Priest, Le Prestige, Denoël, 2001.

[2] Cass. crim., 10 janvier 2018, n° 17-80.816, F-D (N° Lexbase : A1903XAQ) : v. Lexbase Pénal, février 2018, Adam (toujours) plus fort qu'Ève : quand un sein est un sexe ! (N° Lexbase : N2680BXK) ; Lexbase Pénal, 19 avril 2018, L. Saenko, Panorama de droit pénal spécial, n° 16, « Féminisme nouveau » (N° Lexbase : N3668BX7) ; Lexbase Pénal, juin 2018, E. Raschel, Panorama de droit de la presse, n° 14 (N° Lexbase : N4564BXC).

[3] Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-81.618, FS-P+B (N° Lexbase : A9843YSD) : v. Lexbase Pénal, février 2019, Adam (toujours) plus fort qu’Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 2) (N° Lexbase : N7700BXH) ; Lexbase Pénal, avril 2019, L. Saenko, Panorama de droit pénal spécial (avril 2018 - mars 2019), « Féminisme nouveau ou renouveau du féminisme ? » (N° Lexbase : N8552BXZ) ; Lexbase Pénal, juin 2019, E. Raschel, Panorama de droit pénal de la presse (janvier - mai 2019), n° 16 (N° Lexbase : N9408BXQ).

[4] CA Paris, 17 janvier 2017, n° 15/00309 (N° Lexbase : A9582XDA).

[5] Cass. crim., 10 janvier 2018, n° 17-80.816, F-D (N° Lexbase : A1903XAQ), précit.

[6] « 9. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a prononcé la relaxe de la prévenue pour le délit d’exhibition sexuelle, alors que, d’une part, le dol spécial de l’article 222-32 du Code pénal consiste seulement dans l’exposition à la vue d’autrui, dans un lieu public ou accessible aux regards du public d’un corps ou d’une partie de corps dénudé, d’autre part, l’arrêt s’est fondé, à tort, sur l’argumentation de la prévenue qui invoquait, pour justifier son comportement, un mobile politique ou prétendument artistique, et, enfin, l’arrêt a ajouté au texte d’incrimination une condition qu’il ne prévoit pas, en exigeant que le délit, pour être constitué, contrevienne à un droit garanti par une prescription légale ou réglementaire ».

[7] Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-83.774, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3210SCU). V. Consécration de la proportionnalité in favorem en droit pénal, Lexbase Privé, 2016, n° 675 (N° Lexbase : N5066BWK).

[8] Projet de loi n° 2014, p. 8, et Rapport n° 295, p. 88 : « Le projet de Code pénal opère une distinction nouvelle entre « l'outrage public à la pudeur dont l'exposé des motifs indique sans autre précision qu'il ne sera plus qu'une contravention ; et l'exhibitionnisme sexuel, volontairement infligé à un tiers, dans des lieux accessibles aux regards du public, considéré́ comme «une forme d'agression contre autrui et particulièrement contre les enfants», qui doit donc rester un délit mais pour lequel la peine applicable est cependant réduite en ce qui concerne la privation de liberté́ : un an d'emprisonnement et 100 000 francs d'amende.

Il ressort de ce commentaire des auteurs du projet dans l'exposé des motifs que la contravention d'outrage public à la pudeur et le délit d'exhibitionnisme sexuel ne se distingueraient pas par la nature de l'acte impudique. En outre, dans les deux cas, la publicité́ resterait requise. En revanche, le délit serait caractérisé́ par l'intention coupable d'imposer l'acte à la vue d'autrui, alors que la contravention serait constituée par l'acte aperçu d'autrui sans qu'il y ait eu volonté́ d'offenser la vue d'autrui ».

[9] Adam (toujours) plus fort qu’Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 2), précit. (N° Lexbase : N7700BXH).

[10] Observons que la Chambre commerciale est plus prompte à en tirer les leçons même en dehors du champ pénal stricto sensu : v. ainsi Cass. com., 8 janvier 2020, n° 18-23.991, F-P+B (N° Lexbase : A46593AS), Lexbase Pénal, février 2020, A. Bavitot, L’interdiction de gérer inapplicable aux membres du conseil de surveillance (N° Lexbase : N2207BYE).

[11] B. Beignier, Droit de la presse et des médias - Chronique, JCP éd. G, n° 47, 19 novembre 2018, doctr. 1222, § 8.

[12] V. ainsi L. Sherwood, Physiologie humaine, De Boeck, 3ème éd. (trad.), p. 549.

[13] V. Lexbase Pénal, février 2018, Adam (toujours) plus fort qu'Eve : quand un sein est un sexe !, précit. Pour l’apport de la science à l’identification des zones érogènes (le corps entier étant potentiellement érogène), v. L. Nummenmaa, J. T. Suvilehto, E. Glerean, P. SanttilaJari, K. Hietanen, Topography of human erogenous zones, Archives of Sexual Behavior, juillet 2016, vol. 45, n° 5, pp 1207-1216 [en ligne] ; « Reports of intimate touch : Erogenous zones and somatosensory cortical organization », Oliver H. Turnbull, Victoria E. Lovett, Jackie Chaldecott and Marilyn D. Lucas, in Cortex (2013) [en ligne].

[14] Sur la discrimination et la nécessité d’une QPC v. nos observations précédentes in Adam (toujours) plus fort qu’Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 2) (N° Lexbase : N7700BXH). V. également B. Beignier, précit et JCP éd. G, n° 28, 15 juillet 2019, doctr. 786, n° 6.

[15] M. Foucault, Histoire de la sexualité, vol. 1, La volonté de savoir, précit. p. 20-21 : « Je ne dis pas que l'interdit du sexe est un leurre ; mais que c'est un leurre d'en faire l'élément fondamental et constituant à partir duquel on pourrait écrire l'histoire de ce qui a été dit à propos du sexe à partir de l'époque moderne. Tous ces éléments négatifs - défenses, refus, ce sures, dénégations - que l'hypothèse répressive regroupe en un grand mécanisme central destiné à dire non, ne sont sans doute que des pièces qui ont un rôle local et tactique à jouer dans une mise en discours, dans une technique de pouvoir, dans une volonté de savoir qui sont loin de se réduire à eux ».

[16] M. Foucault, Histoire de la sexualité, vol. 1 : La volonté de savoir, Gallimard, Tel, 1976, p. 137.

[17] « 11. Les juges énoncent que la prévenue déclare appartenir au mouvement dénommé “Femen”, qui revendique un “féminisme radical”, dont les adeptes exposent leurs seins dénudés sur lesquels sont apposés des messages politiques, cette forme d’action militante s’analysant comme un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci par les militantes, au moyen de l’exposition de sa nudité » : Cass. crim. 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I (N° Lexbase : A39993G9).

[18] On doute par ailleurs que des femmes allaitant en public fassent l’objet de poursuites, l’état de nécessité étant de toute manière à même de les faire échapper à une éventuelle condamnation.

[19] « 12. L’arrêt ajoute que le regard de la société sur le corps des femmes a évolué dans le temps, et que l’exposition fréquente de la nudité féminine dans la presse ou la publicité, même dans un contexte à forte connotation sexuelle, ne donne lieu à aucune réaction au nom de la morale publique » : Cass. crim. 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I (N° Lexbase : A39993G9).

[20] Selon la plus que convaincante démonstration de J. L Austin in Quand dire c’est faire, Seuil, Éd. Points / Essais, 1er novembre 1991. Sur la réception juridique de ces conférences prononcées à Harvard, v. S. Laugier, Performativité, normativité et droit, Archives de Philosophie, 2004/4, tome 67, p. 607 à 627 [en ligne].

[21] En 2016 car elle a cru que la noblesse du mobile effaçait l’intention, en 2019 car elle a estimé que le défaut de connotation sexuelle écartait l’intention coupable.

[22] Pour la matière pénale v. déjà Cass. crim., 12 mai 2010, F-P+F, n° 10-82.746 (N° Lexbase : A7460EXL).

[23] Cass. crim. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.066 FS-P+B+I, (N° Lexbase : A5510KQ7) : D., 2014. 179, note Chénedé ; ibid. 153, obs. Fulchiron ; AJ Famille., 2013. 663, obs. Chénedé ; ibid. 2014. 124, obs. Thouret, RTDCiv., 2014. 88, obs. Hauser ; ibid. 307, obs. Marguénaud ; JCP éd. G, 2014, n° 93, note Lamarche ; Gaz. Pal., 2014. 264, obs. Viganotti ; Defrénois 2014. 140, note Bahurel ; Dr. Famille, 2014, n° 1, obs. Binet ; RLDC, 2014/112, n° 5308, obs. Dekeuwer-Défossez. V. A. Lauret, L’intensification du contrôle de proportionnalité en droit de la filiation, Lexbase Privé, 2018, n° 766 (N° Lexbase : N6932BXZ).

[24] V. par exemple CEDH, 12 juillet 2016, Reichman c/ France, Req. 50147/11, § 71 (N° Lexbase : A9892RWB). Quant à la liberté de parole des avocats, v. CEDH, 23 avril 2015, Morice c/ France, Req. 29369/10 (N° Lexbase : A0406NHI).

[25] Pour un succès dans le champ des saisies de l’instrument de l’infraction v. dernièrement Cass. crim., 6 novembre 2019, n° 19-82.683, FS-P+B+I  (N° Lexbase : A8757ZTI) : Lexbase Pénal, décembre 2019, Panorama de droit pénal des affaires (2019), n° 33, « Celui qui saisit l’instrument ne saisit pas le produit » (N° Lexbase : N1586BYE).

[26] Cass. crim., 31 janvier 2017, n° 16-82945, FS-P+B (N° Lexbase : A4124TBD).

[27] La solution de 2020 s’inscrit certes dans le prolongement de l’arrêt rendu en 2019… mais contredit la solution apportée dans la même affaire en 2018. La Cour aurait pu en 2018, comme elle l’a fait le 26 octobre 2016, relever spontanément le moyen tiré de l’article 10 de la CESDH. Ce qu’elle décida de ne pas faire… alors.

[28] CEDH, 28 octobre 2014, Gough c/ Royaume-Uni, Req. 49327/11 (disponible en anglais uniquement).

[29] V. § 171.

[30] Nous n’oserions parler de philosophie puisque depuis le décret n° 2020-151 du 20 février 2020 (N° Lexbase : L1792LWB) une opinion philosophique peut faire l’objet d’un fichage (v. Lexbase, Le Quotidien du 27 février 2020, Collecte de données à caractère personnel : autorisation de la mise en œuvre d'un traitement permettant la dématérialisation de la prise de notes par les gendarmes ("GendNotes") (N° Lexbase : N2378BYQ). Qu’il soit permis tout de même de s’interroger sur cet étrange concept d’opinion philosophique et la qualité de ceux susceptibles de s’en faire une idée dans le cadre de cet énième fichier…

[31] Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-81.618, FS-P+B, précit (N° Lexbase : A9843YSD).

[32] Dr. Pénal, n° 4, avril 2019, comm. 61.

[33] Rappelons que la référence au « contexte » n’apparaît pas dans le précédent en date du 26 octobre 2016.

[34] V. Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, Paris PUF, 1990, spé. p. 13.

[35] La cire a été sacrifiée au profit de la madeleine…

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Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Affaire « Barbarin » : Et la prescription fut !

Réf. : CA Lyon, 4ème ch., 30 janvier 2020, n° 19/01395 (N° Lexbase : A27813G4)

Lecture: 22 min

N2349BYN

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par Laurent Saenko, Maître de conférences à l’université Paris-Sud, Membre du CERDI (Centre d’Études et de Recherche en Droit de l’Immatériel)

Le 02 Mars 2020

 

Mots-clés : action publique • prescription • agressions sexuelles • mineurs • non-dénonciation d’agressions sexuelles

Résumé : la cour d'appel de Lyon infirme la décision du tribunal qui a jugé que l'infraction de non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs reprochée au cardinal n'était pas constituée et que la même infraction, commise en 2010, ne pouvait être poursuivie étant couverte par la prescription. Pour se prononcer ainsi, la cour prend acte de ce que le premier acte interruptif de la prescription doit être fixé au 26 février 2016 - c’est à dire au jour du soit-transmis par lequel le parquet saisit les services de police de la plainte déposée par les parties civiles contre le cardinal -, et distingue les faits commis plus de trois ans avant de ceux commis moins de trois ans avant ce acte.

 

Remise en cause depuis longtemps de par les effets - émotionnellement - dévastateurs qui sont les siens [1], la prescription de l’action publique n’en finit pas de soulever d’épineuses questions juridiques, comme l’illustre cet arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 30 janvier 2020 dans cette affaire désormais tristement célèbre [2]. En l’espèce, il était reproché au cardinal du diocèse de Lyon de ne pas avoir dénoncé, de 2002 [3] à 2015 [4], les agressions sexuelles sur mineurs commises avant 1991 par Bernard Preynat, à cette époque vicaire, puis curé, d’une paroisse à Sainte-Foy-Lès-Lyon. Après qu’à cette période, des parents se sont inquiétés de tels agissements auprès des autorités ecclésiastiques, Bernard Preynat fut muté à plusieurs reprises jusqu’en 2002, date à laquelle il prit la direction d’une paroisse - dont la fondation fut au demeurant célébrée par Philippe Barbarin, fraîchement nommé à la tête du diocèse. En 2010, ayant eu vent des rumeurs le concernant, le cardinal Barbarin convoqua Bernard Preynat à un entretien au cours duquel furent évoquées les accusations portées contre lui par certains parents. Mais c’est au terme des nombreux échanges qu’il eut de juin 2014 à juin 2015 avec l’une des victimes, un enfant devenu majeur, que le cardinal, conformément au droit canonique, prit des mesures contre le prêtre Preynat. Le 5 juin 2015, cette victime déposa plainte contre ce dernier pour attouchements sexuels commis sur elle entre 1981 et 1985 alors qu’elle était un jeune scout. Une enquête préliminaire fut alors ouverte, suivie d’une information judiciaire, le 25 janvier 2017 [5]. Au cours de sa garde à vue, Bernard Preynat reconnut avoir commis des attouchements sexuels sur de nombreux enfants de 1962 à 1991. Sur certaines des victimes constituées partie civile dans la présente procédure, il admit avoir commis des caresses sur les cuisses, sur le sexe, sur les fesses ainsi que la réalisation de fellations. Il fut alors renvoyé devant le tribunal correctionnel de Lyon par ordonnance du 29 octobre 2019. D’autres victimes de Bernard Preynat [6] reprochèrent toutefois au cardinal Barbarin de ne pas avoir agi auprès des autorités publiques ; de n’avoir rien fait. Le 17 février 2016, elles déposèrent dans ce sens contre lui une plainte auprès du juge d’instruction des chefs de non-assistance à personne en danger [7] et non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs. Cette plainte fut transmise au parquet qui, au terme d’une enquête, classa l’affaire sans suite au motif que la première infraction ne pouvait être qualifiée faute de l’existence d’un danger imminent [8] et que, pour la seconde, les faits étaient soit non constitués, soit prescrits. Par acte d’huissier délivré en 2017, ces parties civiles firent néanmoins citer le cardinal Barbarin devant le tribunal correctionnel. Le 7 mars 2019, le tribunal jugea que l’infraction de non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs reprochée au cardinal avant 2010 n’était pas constituée et que la même infraction, commise en 2010, ne pouvait être poursuivie étant couverte par la prescription [9]. Qu’en revanche, les faits commis de juillet 2014 au 5 juin 2015 n’étaient pas prescrits, de sorte le cardinal devait être condamné à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. Saisie de l’appel tant de ce dernier que du parquet - qui avait requis la relaxe - la cour d’appel de Lyon, par l’arrêt commenté, infirme la décision du tribunal. Pour se prononcer ainsi, la cour prend acte de ce que le premier acte interruptif de la prescription doit être fixé au 26 février 2016 - c’est à dire au jour du soit-transmis par lequel le parquet saisit les services de police de la plainte déposée par les parties civiles contre le cardinal -, et distingue les faits commis plus de trois ans avant (I) de ceux commis moins de trois ans avant ce acte (II).

I - Les faits commis avant le 26 février 2013

Avant le 26 février 2013, le cardinal Barbarin a-t-il commis le délit de non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ? Aurait-il dû dire, et n’a-t-il rien dit ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par rappeler que ce délit est prévu à l’article 434-3, alinéa 1er, du Code pénal (N° Lexbase : L6209LLK) qui, à l’époque des faits, disposait que : « Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ». Ce délit - dont l’écriture évolua avec les lois n° 2016-297 du 14 mars 2016 [10] (N° Lexbase : L0090K7H) et n° 2018-703 du 3 août 2018 [11] (N° Lexbase : L6141LLZ) - consiste donc en une inaction : l’auteur, qui a connaissance de ce que des personnes dotées d’une certaine qualité (ici, « un mineur de quinze ans ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse ») sont victimes de certaines infractions (ici, de « privations, [de] mauvais traitements ou [d’] atteintes sexuelles »), n’en informe pas les autorités judiciaires ou administratives [12]. La structure constitutive du délit est donc limpide : l’inaction est commise au sens du texte si elle est réalisée dans le cadre (c’est à dire en cas de réunion) de toutes les conditions préalables au délit. Aussi bien, au cas présent, pour savoir si le cardinal Barbarin a commis ce délit dans la période de la prévention, il convient de vérifier si ces conditions préalables étaient réunies : ce dernier avait-il connaissance de ce que des mineurs de quinze ans étaient victimes d’atteintes sexuelles ? La réponse est positive. Selon la cour d’appel - qui reprend ici le raisonnement du tribunal -, « il était établi qu’en mars 2010 Philippe Barbarin était précisément informé d’agressions sexuelles commises par Bernard Preynat sur l’enfant François Devaux lorsque celui-ci avait 11 ans ». La chose paraît entendue puisque l’enquête avait établi que le cardinal Barbarin avait convoqué Bernard Preynat en mars 2010 pour, selon ses dires, « avoir le cœur net » sur les accusations portées contre lui, notamment par les parents de François Devaux qui avaient saisi les autorités ecclésiastiques en place à l’époque des faits, c’est à dire en 1991. Au terme de cet entretien, tous les conditions préalables au délit étaient donc réunies : le cardinal savait qu’un mineur avait été la victime d’atteintes sexuelles. Qu’en est-il alors de l’élément matériel ? Celui-ci, selon la cour d’appel toujours, a valablement été commis puisque le cardinal Barbarin, fort de cette information, n’a pas informé la moindre autorité, fut-elle judiciaire ou administrative. Si le délit semble constitué en tous ses éléments, se pose néanmoins la question de savoir si sa consommation est instantanée ou continue. La question est ici d’une importance capitale car, si le délit est instantané, il aura fatalement été commis plus de trois avant le premier acte interruptif de la prescription - rendant alors l’action publique éteinte pour cause de prescription - alors que si sa consommation est continue, il aurait éventuellement pu être commis moins de trois ans avant ce même acte - rendant alors les poursuites possibles. Pour répondre à cette question, il convient de mentionner l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 avril 2009 par lequel elle considéra que le délit en question était de nature instantanée [13]. En l’espèce, un homme était renvoyé devant la juridiction criminelle pour des agressions sexuelles commises sur mineurs entre 1994 et 1998 et, avec lui, une femme mise en examen pour le délit de l’article 434-3 du Code pénal (N° Lexbase : L6209LLK) pour ne pas avoir, entre 2002 et 2005, informé les autorités desdites atteintes sexuelles dont elle avait pourtant connaissance. Pour casser sans renvoi la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Angers - qui l’avait renvoyée de ce chef devant la cour d’assises [14] -, la Chambre criminelle considéra qu’ « en prononçant ainsi, [...], alors que la prescription de l'action publique concernant les agressions sexuelles a été interrompue en novembre 2005, à une date où celle relative au délit instantané de non-dénonciation était acquise, la chambre de l'instruction a méconnu [l'article 8 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0383LDK ». En somme, pour la Haute juridiction, le délit de l’article 434-3 du Code pénal est de nature instantanée car il est consommé au moment précis où l’inaction est réalisée dans les conditions prévues par la loi. De ce fait, ce n’est pas parce que la femme n’a pas dénoncé les faits dont elle avait connaissance de 2002 à 2005 qu’elle a pour autant commis continuellement l’infraction pendant cette période et que, par voie de conséquence, le point de départ de la prescription doive être fixé au terme de cette inaction continue - soit en 2005. Bien au contraire, c’est à l’instant précis où l’inaction est commise (c’est à dire à l’instant précis où la personne qui sait ne fait pas) que le délit est constitué et que, la concernant, la prescription était acquise en 2005. Le délit de non-dénonciation ne pouvait donc pas - ou plus - être connexe au crime [15], de sorte qu’il ne pouvait plus justifier le renvoi de la femme devant la juridiction criminelle. C’est cette position que le tribunal correctionnel adopta dans l’affaire commentée pour prononcer la prescription des faits reprochés au cardinal Barbarin en 2010 : « Le délit de non-dénonciation était commis en 2010 par le Cardinal Barbarin » (...) ; « L’infraction étant toutefois instantanée, et le premier acte susceptible d’être interruptif de la prescription de trois ans étant intervenu le 31 mars 2010, il convient de constater la prescription de l’action publique de ce premier chef de poursuite ».

Pour contester cette approche et soutenir la non-prescription des faits, les parties civiles développèrent devant la cour d’appel une argumentation qui, quoi qu’intéressante, n’emporta pas la conviction des magistrats. À titre principal, ces dernières soutinrent que le délit de l’article 434-3 du Code pénal était de nature continue et que, de façon subsidiaire, il était de nature clandestine. Sur le premier point [16], la cour d’appel, après avoir rappelé la portée de l’arrêt précité du 7 janvier 2009, considère que « le délit est commis instantanément dans sa matérialité lorsque la personne a connaissance de faits susceptibles de constituer l'infraction principale et ne la dénonce pas ». Elle rajoute à cet égard que « [même] si la loi ne prévoit pas de délai particulier, dans la logique du caractère utilitaire ou utilitariste de cette infraction [...], ce délai se doit d'être le plus court possible, une fois que la personne a acquis la conviction de la réalité des faits ». Le propos, - même s’il reprend en réalité la substance du raisonnement qu’avait tenu le tribunal - pourrait surprendre. Pourquoi la Cour fait-elle ainsi référence au caractère « utilitaire ou utilitariste » de l’infraction pour en déduire que, le texte n’encadrant pas l’obligation de délation dans un délai précis, ce dernier doive être « le plus court possible » ? La chose n’était selon nous pas nécessaire. C’est qu’en effet, la cour d’appel aborde ici un point très délicat qui tient à la détermination de la durée de consommation des infractions d’inaction. Le fait de ne pas faire est-il continu ou instantané ? Cette question très complexe a déjà été abordée par la jurisprudence et la doctrine à propos d’autres infractions, notamment le délit d’abandon de famille. On sait que selon l’article 227-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2585LBD) : « Le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire, une convention judiciairement homologuée [...] lui imposant de verser au profit d'un enfant mineur, d'un descendant, d'un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l'une des obligations familiales [...], en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Ce délit est-il instantané ou continue ? Implicitement, la Cour de cassation a considéré qu’il était instantané [17]  et cette explication nous paraît être la bonne [18] : dans la mesure où la lettre de l’infraction comporte un délai au-delà duquel l’infraction est constituée ( : « en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation »), cela signifie que l’inaction va devenir punissable à l’instant précis où le terme du délai sera atteint sans pour autant que cette consommation continue si l’inexécution de l’obligation se poursuit au-delà. Pourquoi ? Car le terme d’un délai étant condamné à être instantanément atteint, la consommation de l’infraction ne peut qu’être de même nature, c’est à dire instantanée. Par exemple, lorsqu’une personne demeure moins de deux mois sans exécuter son obligation, certes elle réalise l’élément matériel - elle n’exécute pas - mais cette inaction ne tombera pas sous le coup de l’incrimination car le délai, tel qu’il conditionne la consommation, n’est pas arrivée à son terme. De la même façon, lorsqu’une personne ne paie pas sa pension alimentaire pendant trois mois, le point de départ de la prescription de l’action publique du délit n’est pas fixé au terme de ces trois mois mais au terme des deux mois - car c’est à cet instant précis que l’infraction est constituée. Et si l’inaction vient à durer cinq mois, alors un second terme sera atteint et une deuxième infraction, qui entrera en concours avec la première, sera commise au terme du quatrième mois [19]. Mais qu’en est-il lorsque, comme l’article 434-3 du Code pénal, la lettre de l’incrimination ne prévoit pas de délai en deçà ou au-delà duquel l’inaction devient coupable ? Dans pareille hypothèse, il n’est aucune raison de considérer que le délai d’action doive être raisonnable - puisque la loi pénale, explicitement tout du moins, n’impose en rien une action mais réprime une inaction. Par conséquent, dans cette hypothèse, le délit se trouvera constitué dès lors que toutes les conditions préalables, nécessairement antérieures à l’inaction - qui est toujours continue par principe -, se trouvent réunies. C’est ce qui explique que, selon la Cour de cassation, le délit de l’article L. 820-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L3312IQQ) par exemple, qui réprime « le fait, pour toute personne exerçant les fonctions de commissaire aux comptes, [...] de ne pas révéler au procureur de la République les faits délictueux dont elle a eu connaissance », voit son point de départ de la prescription de l’action publique fixé « au jour où le commissaire aux comptes a connaissance des faits délictueux et l'obligation de les révéler au procureur de la République » [20]. Ou qu’en matière de non-assistance à personne en danger, il a été décidé à propos du médecin qui n’était pas intervenu auprès du patient qu’il avait opéré alors qu’il avait été informé par le centre de transfusion sanguine de la contamination par le virus VIH du sang qu’il lui avait transfusé, que l’infraction était commise « au moment où le médecin a eu connaissance de la contamination et avait l’obligation de la révéler » [21]. Aussi bien, dans l’arrêt commenté, la cour d’appel n’avait en réalité aucune raison de faire référence au caractère nécessairement raisonnable du délai dans le cadre duquel l’action, dont la non-réalisation est constitutive du délit, devait être réalisée. L’inaction devient en réalité instantanée au moment précis où les conditions préalables sont réunies, c’est à dire à l’instant où le cardinal Barbarin apprend que des mineurs étaient victimes d’atteintes sexuelles. C’est à cet instant précis que son inaction devient coupable. La raison s’en trouve dans le fait qu’en matière d’inaction, la matérialité - ici, « ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives » - est par essence continue (le fait de ne pas faire, ça dure...), et ne devient instantanée qu’avec la conjonction des conditions préalables à l’infraction  - ici la connaissance, par l’auteur, de ce que des mineurs ont été l’objet d’atteintes sexuelles. En d’autres termes, on peut dire que la durée de consommation des infractions d’inaction est fonction de la durée de la violation de l’obligation d’agir et non de celle de l’obligation d’agir elle-même [22]. C’est donc de façon fort opportune que la cour d’appel de Lyon souligne que « La persévérance est sans emport » (la phrase est superbe...) et « qu’il n'y a pas continuité de l'élément matériel constitutif de l'infraction comme, par exemple, pour le recel avec la continuation de la détention ou de la dissimulation du produit d'un délit, mais seulement une permanence des effets du délit de non-dénonciation » [23]. De la même façon, pour mieux souligner la nature instantanée de l’infraction, la cour a raison de faire référence à la modification que l’article 434-3 du Code pénal subit avec la loi du n° 2018-703 du 3 août 2018 (N° Lexbase : L6141LLZ) qui, à certaines conditions (« tant que ces infractions n’ont pas cessé ») [24], rendit l’inaction continue (« [ou] de continuer à ne pas informer ces autorités ») [25]. La conclusion de la cour s’imposait donc d’elle-même : « Pendant la période de prévention, le délit était donc constitué chaque fois que s'étaient commis des atteintes ou agressions sexuelles sur mineur de quinze ans et que la personne qui avait connaissance de ces infractions n'en informait pas les autorités lorsqu'elle avait acquis cette connaissance ».

Selon la cour d’appel, les faits imputés au cardinal Barbarin avant le 26 février 2013, quoique commis, sont donc prescrits. Mais qu’en est-il des faits commis après [26] ?

II - Les faits commis après le 26 février 2013

La seconde question soulevée par l’arrêt est relative à la prescription des faits commis après le 26 février 2013 et qui, cette fois, concernent les informations qui lui ont été directement rapportées par une autre victime en 2014. Au cas présent, la difficulté juridique réside dans le fait que, en droit, lesdits faits étaient atteints de prescription, la victime ayant dépassée les 38 ans. Une question qui se pose est donc la suivante : le délit de non-dénonciation d’atteintes sexuelles sur mineurs peut-il valablement être commis si les atteintes sexuelles sur lesquelles porte l’inaction sont atteintes de prescription et, à ce titre, ne peuvent être poursuivies ? Pour répondre par la négative, le tribunal s’était livré à une analyse relativement originale de la ratio legis. Ce dernier s’était en effet demandé si « l’obligation de dénoncer [...] perdure si les faits d’origine sont prescrits et si la victime n’est plus dans une situation de minorité ou de vulnérabilité ». Ce à quoi il répondit par la positive en rappelant que l’article 434-3 du Code pénal « figure dans le libre quatrième du Code pénal consacré aux crimes et délits contre la nation [...] et plus spécialement au chapitre quatre portant sur les atteintes à l’autorité de la justice et à la section 1 sur les entraves à la justice ». Le tribunal considère alors qu’« à la différence de l’article 434-1 du Code pénal, l’article 434-3 ne précise pas, pour ce qui le concerne, que les infractions qui doivent être dénoncées sont celles dont il est encore possible de prévenir ou limiter les effets et dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés ». Il en conclut alors que « ce texte ne vise pas exclusivement une fonction utilitariste, visant à prévenir, limiter ou empêcher la réitération des faits répréhensibles ». Que de fait, il importe peu que les faits constitutifs des atteintes sexuelles aient été atteints de prescription, ou que les personnes qui s’en prétendent les victimes furent majeures au jour de leur dénonciation : pour éviter des drames futurs, il y avait (ou il y aurait), selon le tribunal, toujours une raison - donc une obligation - de dénoncer ces faits.

Cette conception du délit sera remise en cause par la juridiction du second degré, qui considère que : « c’est à tort que les premiers juges [ont] déduit qu'il était indifférent pour la caractérisation de l'infraction d'une part que l'infraction qu'il convenait de dénoncer était ou non prescrite et d'autre part que la victime supposée soit ou non majeure au moment de la commission de l'infraction ». Au visa du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, elle en conclut alors que « ce serait ajouter aux exigences du législateur que de considérer que l'obligation de dénoncer disparaissait lorsque la victime n'est plus dans une situation de minorité ou de vulnérabilité, afin de pouvoir s'exonérer des conséquences de l'application du texte dans le cas notamment de faits anciens révélés tardivement alors que la victime est devenue majeure, les premiers juges, avaient en réalité [...] ajouté à la loi et étendu, par leur interprétation, le champ d'application de l'article 434-3 du Code pénal ». Cette position doit encore selon nous être soutenue sans réserve [27]. Car au-delà de la fonction du texte, c’est pour des raisons purement théoriques que la prescription de l’action publique des agressions sexuelles censées être dénoncées prive le délit de l’article 434-1 du Code pénal de toute constitution : comme le rappelle la cour d’appel, la prescription de l’action publique ôte aux faits poursuivis tout caractère délictueux [28]. Cela, d’une part, prive le texte de tout intérêt - comment pourrait-il y avoir entrave la justice si, pour cause de prescription, la justice ne peut plus être rendue [29] ? - et, d’autre part et surtout, cela prive l’infraction de l’une de ses conditions préalables. Or si, en droit, il n’y a pas d’agression sexuelle, il ne saurait non plus y avoir connaissance d’une agression sexuelle. C’est donc de façon fort cohérente que la cour d’appel conclut que : « L’obligation sanctionnée par le texte ne saurait être considérée comme juridiquement maintenue dès lors que l'infraction principale ne peut plus faire l'objet de poursuites en raison de son ancienneté et que l'intérêt protégé par l'article 434-3 n’existe plus » [30]. La relaxe s’imposait dès lors.

Cette approche du délit semble parfaitement conforme à la théorie de l’infraction, dont la constitution ne saurait faire l’économie de l’une de ses conditions préalables : autant, le délit de recel ne devrait pas valablement être constitué si l’infraction d’origine sur lequel repose sa matérialité est atteinte de prescription [31], autant il ne saurait y avoir de délit de non-dénonciation si l’infraction qui aurait dû être dénoncée l’est aussi. Certes, une partie de la doctrine soutient que « l’obligation de dénonciation est maintenue, même si l’infraction “principale” ou “originaire” ne peut être poursuivie [pour cause de prescription] » au motif qu’ « il n’appartient pas au “dénonciateur” d’apprécier la validité des poursuites de l’infraction d’origine » et que « la prévention de la réitération des mauvais traitements rend essentiel que la répression de l’auteur de l’infraction puisse être assurée » [32]. L’argument a une force certaine : n’est-il pas exagéré, sinon inconscient, de priver l’incrimination de toute efficacité sur la base de la prescription de l’action publique, qui n’est qu’un mécanisme purement juridique dont la personne qui prend connaissance des agressions sexuelles, ne sait sans doute rien ? Il revient de toute évidence aux autorités publiques de poursuites, d’instruction ou de jugement, et non à elle, de la constater et d’en tirer des conséquences de droit. Pourtant, aussi légitimes que soient ces doutes, ils ne surmontent pas le fait que la prescription de l’action publique est un dispositif légal qui s’impose à tous et de lui-même. C’est là que réside son caractère d’ordre public [33]. Alors qu’il en soit ainsi.

 

[1] On renverra sur ce point le lecteur aux passages de l’arrêt où l’une des victimes évoque implicitement la prescription des faits qui la concernent comme une source de souffrance mais qui l’incite à rechercher d’autres victimes afin que la vérité éclate au grand jour.

[2] CA Lyon, 4ème ch., 30 janvier 2020, n° 19/01395 (N° Lexbase : A27813G4)

[3] Date de son entrée en fonction.

[4] Date du dépôt d’une plainte par l’une des victimes.

[5] Des chefs d’agressions sexuelles sur mineurs commises de janvier 1986 au 31 décembre 1991.

[6] Notamment l’une dont les parents s’étaient manifestés dès les années 1991.

[7] Le présent commentaire ne portera que sur la première infraction.

[8] Aucune agression sexuelle n’étant imputée au prêtre après 1991.

[9] J. Perot, La majorité des faits, grâce à Dieu [ne] sont [pas] prescrits, Lexbase Pénal, mars 2019 (N° Lexbase : N8079BXI) ; C. Dounot ; E.-C. Frety, Un cardinal condamné pour l'exemple ? Regards croisés sur la non-dénonciation de mauvais traitements, Dr. Pénal, 2019, n° 9, p. 12.

[10] Qui, aux infractions devant être l’objet de la dénonciation, ajouta les agressions sexuelles.

[11] Qui modifia l’alinéa 1er ( : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n'ont pas cessé est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ») et créa un alinéa 2 (: « Lorsque le défaut d'information concerne une infraction mentionnée au premier alinéa commise sur un mineur de quinze ans, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende »).

[12] Sur les infractions d’omission, v. X. Pin, Droit pénal général, Cours, Dalloz, 11ème éd., 2019, n° 45 ; B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, 26ème éd. 2019, n° 250 ; E. Dreyer, Droit pénal général, Litec, 5ème éd. 2019, n° 346.

[13] Cass. crim., 7 avril 2009, n° 09-80.655, F-P+F (N° Lexbase : A5049EHH).

[14] Au nom de la connexité qui existait entre ce délit et les crimes imputés à l’auteur des agressions sexuelles.

[15] Comme on le sait, la connexité ne peut permettre de ressusciter une infraction prescrite.

[16] Le second point ne sera pas ici développé davantage la cour d’appel considérant que les victimes avaient connaissance des infractions dont elles étaient les victimes à l’époque. Elles ou leurs parents, lorsqu’ils étaient au courant, auraient donc pu agir.

[17] A propos d’un individu qui persévérait à ne pas honorer la prestation de famille dont il était débiteur, la Cour de cassation considéra que : « [...] le délit d'abandon de famille, qui, selon l'article 227-3 du Code pénal, est constitué, notamment, par le défaut de paiement intégral, pendant plus de 2 mois, d'une prestation compensatoire définie et ordonnée par une décision judiciaire sous forme de capital ou de rente, se renouvelle chaque fois que son auteur démontre par son comportement sa volonté de persévérer dans son attitude » (Cass. crim., 2 décembre 1998, n° 97-83671 N° Lexbase : A8024CEW). Par le prisme de la notion de « renouvellement », elle considère donc que le délit est instantané.

[18] Compar. : D. Rebut, comm. ss. Cass. crim., 2 décembre 1998, précit. : « L’abandon de famille devrait être une infraction continue parce que l’obligation de payer, qui fonde l’abstention dont il est constitué, n’est pas instantanée mais continue. […] » ; dans le même sens : Y. Mayaud, comm. sous Cass. crim., 2 décembre 1998, précit., D., 2000, somm., p. 36, qui considère le délit continu en ce que « en incriminant le fait, pour le débiteur, de “demeurer” plus de deux mois sans l’acquittement de ses obligations, le texte sanctionne moins une succession de bimestrialités, que la continuité de l’abandon lui-même ».

[19] Mais la prescription ne commencera pas à courir au terme du 5ème mois.

[20] Cass. crim., 10 avril. 2013, n° 12-82.351, F-D (N° Lexbase : A1509KDA).

[21] Cass. crim., 17 septembre 1997, n° 96-84.972 (N° Lexbase : A1320ACU).

[22] Dans ce sens, D. Rebut, comm. sous Cass. crim., 2 décembre 1998, précit. : « la durée d’une infraction d’omission est fonction de celle de l’obligation d’agir dont elle punit l’inexécution ». Dans le même sens : Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF, 2007, 2ème éd., n° 181, spéc. p. 188 in fine.

[23] Quoi que la référence aux effets de l’infraction soit sans doute surabondante : en réalité, c’est simplement la matérialité de l’infraction qui continue après que l’infraction a été consommée. En soi, elle n’est donc plus un fait générateur de responsabilité pénale.

[24] Attention toutefois, contrairement à ce qu’on a pu soutenir (S. Fucini, obs ss. TGI Lyon, 7 mars 2019, Dalloz actualité, in fine), la continuité de la consommation ne semble pas pouvoir être déduite de ce que nouveau texte incrimine « quiconque ayant connaissance » au lieu de « quiconque ayant eu connaissance ». La raison s’en trouve dans le fait que cette connaissance est la condition préalable au délit, non sa matérialité. Elle est donc sans influence aucune sur la durée de la consommation.

[25] Cette partie du texte n’étant évidemment pas applicable à la cause pour des questions d’application de la loi dans le temps.

[26] S’ils l’ont été.

[27] Compar, en sens différent, S. Fucini, obs. ss. arrêt commenté, Dalloz actualité, 4 février 2020.

[28] Cass. crim., 27 octobre 1993, n° 92-82.374 N° Lexbase : A2461CKD ; Cass. crim., 27 octobre 1993, n° 92-82.374 (N° Lexbase : A2461CKD) ; Cass. crim., 19 septembre 1996, n° 96-80.436 (N° Lexbase : A1103ACT) ; Cass. crim., 30 octobre 2001, n° 00-87.981, F-P+F (N° Lexbase : A1029AXE).

[29] Dans ce sens, Y. Mayaud, La condamnation de l'évêque de Bayeux pour non-dénonciation, ou le tribut payé à César..., D., 2001, p. 3154.

[30] Quoique, selon nous, la référence à l’obligation sanctionnée par le texte ne s’imposait guère, même si elle constitue un outil pédagogique important pour mieux comprendre les subtilités induites par les infractions à la matérialité négative.

[31] Ph. Conte, Droit pénal spécial, Litec. n° 627, note n° 6.

[32] Ph Bonfils, J.-Cl., Pénal, par P. Bonfils, art. 434-3, fasc. 20, n° 24.

[33] B. Bouloc, Procédure pénal, Dalloz, 2019, 27e éd., n° 231 et s.

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Couple - Mariage

[Brèves] Ordonnance de protection : délivrance non justifiée en cas de violences vraisemblables mais « isolées », sans exposition à un danger

Réf. : Cass. civ. 1, 13 février 2020, n° 19-22.192, F-D (N° Lexbase : A75143EZ)

Lecture: 5 min

N2354BYT

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 26 Février 2020

► Alors même que les violences physiques invoquées par le demandeur sont vraisemblables, elles ne sauraient justifier la délivrance d’une ordonnance de protection dès lors que ces violences restent isolées et non répétées, et qu’il n’est alors pas démontré l'existence d'un danger actuel pour le demandeur ou pour ses enfants.

Telle est la solution qui se dégage d’un arrêt rendu le 13 février 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 13 février 2020, n° 19-22.192, F-D N° Lexbase : A75143EZ).

Dans cette affaire, la demandeuse faisait grief à l'arrêt attaqué de rejeter sa demande d'ordonnance de protection, soutenant, notamment, que, dès lors qu'il constate que les faits de violence dénoncés par la femme à l'égard de son conjoint sont vraisemblables, le juge est tenu de faire droit à la demande d'ordonnance de protection dont elle le saisit, peu important que les torts, à l'origine des violences, soient imputables à l'un ou l'autre des conjoints.

Mais la Cour de cassation vient rappeler les dispositions de l'article 515-11 du Code civil (N° Lexbase : L9320I3L), dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 (N° Lexbase : L2114LUT), selon lesquelles l'ordonnance de protection est délivrée, dans les meilleurs délais, par le juge aux affaires familiales, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés.

♦ La Cour de cassation vient utilement rappeler que ces deux conditions sont cumulatives.

En l’espèce, après avoir constaté que les relations du couple étaient manifestement difficiles depuis plusieurs années et empreintes de violences verbales imputables tant à l'un qu'à l'autre des conjoints, l'arrêt relève que si des violences physiques invoquées par la demandeuse dans la nuit du 13 au 14 novembre 2018 étaient vraisemblables, la crainte décrite par celle-ci que le défendeur s'en prenne physiquement à elle et aux enfants, ce qui l'avait conduite à quitter le domicile conjugal, apparaissait quelque peu excessive, dès lors qu'elle n'avait jamais soutenu que d'autres scènes de violences physiques aient pu avoir lieu et n'avait pas plus rapporté la preuve d'éléments permettant d'établir que des menaces de mort avaient été proférées par le défendeur à son encontre. L’arrêt ajoutait que, depuis la décision déférée, ce dernier avait pu rencontrer ses enfants à son domicile et qu'aucun élément médical ne permettait de soutenir que ceux-ci éprouvaient de la crainte à rencontrer leur père.

En l'état de ces constatations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, qui était tenue de se placer à la date où elle statuait, a, sans inverser la charge de la preuve, estimé que la demandeuse ne démontrait pas l'existence d'un danger actuel pour elle ou pour ses enfants, de sorte que la délivrance d'une ordonnance de protection n'était pas justifiée.

Cette arrêt mérite d’être signalé, en tant qu’il constitue l’une des rares décisions de la Cour de cassation en matière d’ordonnance de protection et vient confirmer une solution déjà posée par les juges d’appel lyonnais (CA Lyon, 13 septembre 2016, n° 15/06159 N° Lexbase : A6466RZI, retenant, de même, que s'il existait des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de violence allégués, ces violences, dont l'épouse ne justifiait pas qu'elles n'avaient pas été isolées ni qu'elles s’étaient reproduites depuis la date de sa plainte, n'établissaient pas un danger auquel la victime était exposée au sens de l'article 515-11 du Code civil) (cf. l’Ouvrage « Mariage - Couple - PACS, Les conditions et la procédure de délivrance d'une ordonnance de protection N° Lexbase : E1144EUW).

Il faut, donc, retenir que la délivrance, par le juge aux affaires familiales, d’une ordonnance de protection, est conditionnée à une double constatation de raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables :

- la commission des faits de violence allégués ;

- le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés.

Et c’est dans son appréciation souveraine que le juge aux affaires familiales peut estimer que des faits de violence isolés ne rendent pas vraisemblables l’existence d’un danger.

♦ A noter que la solution ici dégagée demeure applicable dans le cadre du régime tel que modifié par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2114LUT), laquelle n’a pas modifié les conditions de délivrance ici mentionnées (parmi les modifications, on rappellera notamment que la loi précise désormais que le dépôt d’une plainte n’est pas une condition préalable ; elle fixe, par ailleurs, désormais, à six jours le délai de délivrance, le juge aux affaires familiales n’ayant plus le loisir de statuer « dans les meilleurs délais » ; il est également prévu que les auditions des demandeurs se tiennent séparément de leurs conjoints ou compagnons ; pour plus de détails, cf. le commentaire d’Isabelle Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, Lexbase, éd. priv., n° 809 N° Lexbase : N1877BY8).

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Fiscalité des entreprises

[Questions à...] La fiscalité du plan d'épargne retraite

Lecture: 6 min

N2342BYE

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par Marie-Claire Sgarra, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 27 Février 2020

Thomas Rone, Associé, Spécialiste en gestion de patrimoine chez Exco Nexiom patrimoine a accepté de répondre à nos questions sur la fiscalité du plan d’épargne retraite.

Lexbase Hebdo Edition Fiscale : Dans un premier temps, pouvez-vous expliquer ce qu’est un PER ?

Thomas Rone : Le PER est un plan d’épargne retraite. Comme son nom l’indique, il se structure autour de deux composantes : l’épargne et la retraite. Il s’agit d’un contrat de capitalisation c’est-à-dire que de l’argent est versé sur ce plan par le souscripteur de façon plus ou moins régulière sur le moyen/long terme, et qu’il porte des intérêts. Ce produit a une durée de blocage allant jusqu’à la retraite sauf lors de l'acquisition d’une résidence principale où existe la possibilité de récupérer le capital accumulé de façon anticipée. Il a une philosophie de retraite à la fois dans sa durée de blocage et à la fois dans ses modalités de sortie. L’argent peut être sorti soit sous forme de rente viagère, soit, depuis la loi PACTE, sous forme de capital au moment de la retraite, de façon fractionnée ou « à la demande ».

Lexbase Hebdo Edition Fiscale : A qui s’adresse le PER ?

Thomas Rone : Le PER est accessible à tous. Il se décline sous 2 formes : le PER individuel (PERI) et le PER d’entreprise (PERE) lequel peut être « collectif facultatif » ou « obligatoire ». Le PERI, qui succède au PERP et au contrat Madelin, s’adresse à toutes les personnes physiques souhaitant souscrire un produit d’épargne retraite à titre individuel, indépendamment de leur situation professionnelle ou de leur âge. Une fois contracté auprès d’un assureur, le plan est alimenté par des versements volontaires du contractant. Bien qu’ouvert à tous, le PERI se destine toutefois à des personnes ayant une capacité d’épargne relativement longue et étant fortement imposées puisqu’il s’agit d’un produit avec un avantage fiscal.

 Le PERE « collectif facultatif », qui succède au Perco, un plan ouvert à tous les salariés d'une entreprise, sans obligation de souscription. Dans le cas d’un PERE « obligatoire », successeur du contrat Article 83, l’employé est obligé de souscrire au plan mis en place par son entreprise. En plus des versements obligatoires auxquels il est contraint, il pourra y rajouter des versements personnels. A terme on pourra avoir des personnes qui ont un PERE et un PERI.  

Lexbase Hebdo Edition Fiscale : L’épargne retraite permet-elle de réaliser des économies d’impôts ?

Thomas Rone : Effectivement. Les versements effectués sur le PER bénéficient d’un report d’imposition, c’est-à-dire qu’ils sont déductibles du revenu imposable.  L’économie d’impôt à l’entrée dépend de la tranche marginale d’imposition du contribuable. Par exemple, pour une tranche marginale de 30 % un versement de 1000 euros permet une économie d’impôt de 300 euros. En contrepartie, la part de capital accumulée sera fiscalisée à la sortie à la tranche marginale dans la catégorie des pensions retraites, tandis que celle d’intérêts et plus-value sera soumise à la tax flat. Ainsi, dans les faits, il s’agit plus d’un différé de fiscalité que d’économies d’impôt.  Cela reste tout de même très intéressant pour deux raisons. Premièrement, si vous avez un taux d’imposition de 41 % en cours d’activité et que vous avez au moment de la retraite une tranche d’imposition plus faible, 14 % ou 30 % par exemple, vous bénéficiez d’un réel avantage fiscal. Deuxièmement, il existe un effet de levier de l’économie d’impôts sur le placement. Par exemple, une personne avec une tranche marginale de 30 %, souhaitant faire un effort d’épargne de 1000 euros va pouvoir épargner sur son PER jusqu’à 1400 euros, car assurée de récupérer 30 % d’économie d’impôts ensuite, soit 400 euros. Les intérêts et plus-values générés seront logiquement plus importants qu’avec un dépôt de 1000 euros.

A noter qu’une personne non imposable peut elle aussi effectuer des versements sur un PER. Toutefois, ces derniers seront non déductibles de l’impôt sur le revenu. A la sortie, seuls les produits du capital seront soumis à la flat tax.

Lexbase Hebdo Edition Fiscale : quelle sera l’imposition du PER prévue par la loi PACTE et quels sont les avantages du nouveau PER ?

Thomas Rone :  Avant la loi PACTE, il existait déjà des dispositifs d’épargne retraite (le Plan d’épargne retraite populaire ou encore la loi Madelin). Sur l’aspect déduction des versements, ce qui était cotisé sur un PERP ou sur une loi Madelin était déductible des revenus dans une certaine limite. La loi Pacte n’a donc pas introduit de grands changements sur ce point. En revanche, elle a permis de sortir certaines cotisations de l’avantage fiscal afin d’éviter que les cotisations n’ayant pas bénéficié pas de l’avantage fiscal soient fiscalisées à la sortie.

L’une des grandes nouveautés permises par la loi Pacte touche aux conditions de sortie. Elle les a totalement libéralisés. Contrairement aux anciens produits de l'épargne-retraite, le PER va permettre aux épargnants de récupérer en une seule fois le capital accumulé. Avant, la sortie n’était possible que sous forme de rentes viagères. Elle a également instauré une possibilité généralisée de débloquer la totalité de l’épargne pour l’accession à la résidence principale.

Sur le plan fiscal, le principe reste identique : les sommes liquidées au moment de la retraite sont fiscalisées. Le seul ajustement réalisé concerne les retraits de capital. Ce qui est issu des cotisations sera imposé à la tranche marginale dans la catégorie des traitements et salaires tandis que les intérêts et plus-values seront imposés à la tax flat. Ce changement est lié aux nouvelles modalités de sortie évoquées précédemment.

Par ailleurs, avant les contrats Madelin et PERP n’avaient que pour seul objectif de constituer un complément de retraite et de sortir de l’argent sous forme de rente viagère. Dorénavant, le PER va pouvoir répondre aussi aux objectifs d’épargne défiscalisée.

 Un redevable qui veut épargner et défiscaliser pourrait verser de l’argent sur le PER en cours de vie, épargner, défiscaliser à due concurrence de la tranche d’impôt sur le revenu et au moment de la retraite, en fonction de ses besoins en matière de revenus complémentaires, pourrait ne pratiquer aucun retrait sur son PER et n’avoir aucune fiscalité sur les retraits et donc gérer son épargne comme une épargne à objectif de transmission. L’argent restant sur le PER au moment du décès de l’épargnant sera fiscalisé comme tous les autres biens du patrimoine du redevable.

Lexbase Hebdo Edition Fiscale : Que deviennent les anciens placements ?

Thomas Rone : Plusieurs possibilités s’offrent aux titulaires d’anciens placements. Ils peuvent choisir de conserver leurs contrats actuels et continuer de les alimenter comme précédemment. Les règles de fonctionnement de leurs contrats restent alors inchangées : aucune sortie de manière anticipée ni sous forme de capital. Ils peuvent aussi les conserver mais décider de ne plus les alimenter ou de les alimenter au minimum contractuel tout en réorientant la nouvelle capacité d’épargne retraite vers un nouveau PER. Enfin, ils ont la possibilité de transférer leur épargne sur un nouveau PER. Ce choix de transfert peut se faire à n’importe quel moment, au plus tard avant la retraite de la personne.

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Licenciement

[Brèves] Annulation pour discrimination du licenciement d’un salarié après l’annonce de son burn out

Réf. : Cass. soc., 5 février 2020, n° 18-22.399, F-D (N° Lexbase : A92353DE)

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N2345BYI

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par Charlotte Moronval

Le 26 Février 2020

► L’engagement d’une procédure de licenciement quelques jours après la réception par l’employeur du courrier du salarié l’informant de ses difficultés de santé en relation avec ses conditions de travail, laisse supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé.

Telle est la solution énoncée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 février 2020 (Cass. soc., 5 février 2020, n° 18-22.399, F-D N° Lexbase : A92353DE ; voir aussi Cass. soc., 28 mai 2014, n° 13-12.311, F-D N° Lexbase : A6106MPT, à propos du licenciement discriminatoire d’un salarié qui avait demandé à son employeur de passer d'un mi-temps thérapeutique à un trois-quarts temps thérapeutique en raison de son état de santé).

Dans les faits. Un salarié, comptant 25 ans d’ancienneté dans une entreprise de fourniture de matériel médical, est licencié pour insuffisance professionnelle. Or, l’employeur engage cette procédure de licenciement huit jours après avoir reçu un courriel du salarié l'informant de ses difficultés de santé en relation avec ses conditions de travail. Il saisit la juridiction prud'homale afin de solliciter la nullité de son licenciement, considérant qu'il a été victime d'une discrimination en raison de son état de santé.

La position de la cour d’appel. La cour d'appel (CA Grenoble, 5 juillet 2018, n° 16/03646 N° Lexbase : A4835XWY) le déboute de sa demande de nullité du licenciement, estimant que les éléments qu’il produit ne permettent pas de présumer que son licenciement a été prononcé en raison de son état de santé.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel. Elle rappelle que lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En l’espèce, la Cour de cassation estime que le salarié présente bien des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé. Il appartenait à l’employeur de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, ce qu’il ne démontrait pas (sur La prohibition des discriminations liées à l'état de santé ou au handicap, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E2585ETW).

newsid:472345

Licenciement

[Jurisprudence] Licenciement nul et indemnisation de la période couverte par la nullité

Réf. : Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-21.862, FS-P+B (N° Lexbase : A89793CK)

Lecture: 10 min

N2323BYP

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par Bernard Gauriau, Professeur à l’Université d’Angers

Le 26 Février 2020


Faits et procédure : un conseil de prud’hommes prononce la nullité du licenciement d’une salariée enceinte et ordonne sa réintégration dans le même jugement, lequel est exécuté. Elle se voit toutefois condamnée à restituer à l'employeur les revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction.  Ce qu’elle conteste en appel.

La cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 5 juin 2018, n° 15/10871 N° Lexbase : A2950XQC) confirme le prononcé de la nullité du licenciement pour discrimination liée à l'état de grossesse de la salariée, et ordonne que soit déduit du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de réintégration de la salariée dans l'entreprise, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement. Elle condamne en conséquence la salariée à restituer à son employeur les dites sommes.


Solution : sous le visa de  l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) et les articles L. 1132-1 (N° Lexbase : L4958LU8) et L. 1132-4 (N° Lexbase : L0680H93) du Code du travail, la Chambre sociale casse l’arrêt rendu par la cour d’appel à raison de ce qu’en  application de ces dispositions, tout licenciement prononcé à l'égard d'une salariée en raison de son état de grossesse est nul ; que, dès lors qu'un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme, garanti par l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, (alors que la cour d’appel s’était située sur le terrain de la discrimination)  la salariée qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période.

La cassation est donc prononcée seulement en ce que le seconds juges ont dit qu'il convenait de retrancher les sommes en question et ont condamné la salariée à restituer celles-ci à son employeur.


 

Observations

Historique. Que de chemin parcouru depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 66-1044 du 30 décembre 1966, relative « à la garantie de l’emploi en cas de maternité » !  Le premier cas de nullité textuelle du licenciement a donné lieu à une jurisprudence assez prudente dans les premiers temps. Le licenciement nul d’une femme enceinte fut, pendant longtemps, par suspension-report de ses effets à l’issue de la période couverte par la nullité, assimilé à un licenciement sans cause réelle et sérieuse [1]. Il fallut attendre quelques arrêts rendus après l’intervention de la formation des référés [2] pour sentir poindre un frémissement d’évolution. Le point culminant fut sans conteste l’arrêt « Velmon » [3] affirmant de façon générale que lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration, et faisant application de ce principe à la nullité du licenciement d’une salariée enceinte.

Restait la difficile question de l’indemnisation à laquelle le salarié illégalement licencié peut prétendre pendant l’intervalle qui court du licenciement à sa réintégration. La présente décision s’inscrit de ce point de vue dans une longue série d’arrêts rendus par la Chambre sociale sur la question.

Illustrations. Selon les cas de nullités du licenciement, les réponses varient. Schématiquement, deux solutions sont adoptées : soit le salarié reçoit une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période, soit sont déduits de cette même indemnité les revenus qu'il a pu percevoir d’un tiers au cours de cette période.

Au titre de la première solution, la Cour de cassation a d’abord rangé le droit de grève : « les salariés avaient droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'ils auraient dû percevoir entre leur éviction de l'entreprise et leur réintégration, peu important qu'ils aient ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période » [4].

Même solution s’agissant du licenciement d'un salarié protégé, prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation administrative : son licenciement est évidemment nul et ouvre droit, pour le salarié qui demande sa réintégration pendant la période de protection, au versement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration ; il n'y a pas lieu de déduire de cette indemnité les revenus qu'il a pu percevoir de tiers au cours de cette période [5].

S’agissant d’un licenciement économique nul pour insuffisance du PSE, en revanche, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé [6].

Retour à la solution première s’agissant d’un licenciement discriminatoire en raison de l'activité syndicale [7], ou en raison de l'état de santé [8] voire d’un licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié ayant refusé de subir une mesure  de rétorsion à la suite de sa participation à une grève [9].

Depuis les lois « Auroux » (le législateur d’alors avait « trempé sa plume dans les encriers du droit public » disait-on), il est devenu banal de rappeler combien les droits et libertés fondamentaux se sont immiscés dans la relation de travail.

Or, il apparaît clairement que la protection des droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution justifie la solution ici reprise dans notre arrêt, à propos de la protection de la femme enceinte.  Le visa de l'alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (« la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ») est très éclairant de ce point de vue.

Pourtant, la Cour avait adopté la position contraire il y a 10 ans et affirmé que la salariée dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont elle avait été privée [10]. La chose était d’autant plus étonnante que la loi n° 66-1044 du 30 décembre 1966, ayant organisé toute la protection de la femme enceinte contre le licenciement, était précisément relative « à la garantie de l’emploi en cas de maternité ». Le droit à l’emploi figurant dans l’alinéa 5 du Préambule de 1946 suffisait à justifier une indemnisation forfaitaire. Mais notre époque est à l’égalité de traitement et c’est sur ce fondement désormais que la Cour de cassation a statué. Il y a donc eu revirement sur ce point.

La situation du licenciement économique nul, illustre ce qui est habituellement présenté comme la solution de principe, face à laquelle les autres situations marquées du sceau des libertés fondamentales tiennent lieu d’exceptions.

Principe et exceptions. Le droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui va du licenciement à la réintégration, dans la limite du montant des salaires dont le salarié a été privé. Lorsque la protection des libertés fondamentales n’exerce pas son empire, les seuls mécanismes associés à la nullité d’un acte juridique opèrent alors. Le salarié étant réintégré, le licenciement nul est véritablement inefficace, raison pour laquelle le salarié n'a pas droit à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité compensatrice de préavis [11].

Quant à l’indemnisation compensant la période d’éviction du salarié, elle doit tenir compte des sommes que le salarié a pu percevoir dans l’intervalle. Le contrat n’ayant jamais cessé d’être exécuté, il faut en quelque sorte neutraliser les situations qui n’ont eu d’existence que parce que le salarié s’est trouvé illégalement évincé de l’entreprise : rémunérations d’un autre employeur, allocations chômage.

Les exceptions relatives à la protection des droits et libertés fondamentales occupent une bonne partie des situations rencontrées, ce qui n’est guère surprenant tant les licenciements nuls sanctionnent le plus souvent les atteintes aux droits et libertés fondamentaux.  Dans ces conditions, l’indemnisation s’apparente à un forfait et il ne saurait être question d’y retrancher les revenus tirés d'une autre activité professionnelle [12] ou les ressources servies par un organisme social [13].

Il est donc crucial pour le salarié licencié de démontrer une atteinte à une liberté fondamentale ou à un droit garanti par la Constitution. Ce n’est pas le cas lorsqu’il fait face à un licenciement discriminatoire en raison de l’âge dans la mesure où le principe de non-discrimination en raison de l'âge ne constitue pas une liberté fondamentale consacrée par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni par la Constitution du 4 octobre 1958 [14]. Idem en cas de licenciement nul d'un salarié pour avoir relaté des agissements répétés de harcèlement moral [15]. Idem enfin, et de façon énigmatique au regard de l’arrêt du 11 juillet 2002 précité, pour un licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié dont le contrat est suspendu en raison d’un accident du travail, en violation des articles L. 1226-9 (N° Lexbase : L1024H9S) et L. 1226-13 (N° Lexbase : L1031H93) du Code du travail, et malgré l’invocation par le pourvoi du droit à la protection de la santé, garanti par l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958 [16].

Nature juridique des sommes allouées. Reste une dernière question essentielle en pratique, relative à la nature juridique des sommes ainsi allouées. L’administration [17] s’est appuyée sur cette distinction jurisprudentielle pour en déduire que lorsque la somme allouée au salarié devait être amputée des revenus perçus par ailleurs, c’est qu’elle réparait un préjudice et n’avait pas la nature juridique d’un salaire. Position qui renvoie à celle de la Cour de cassation, laquelle a jugé que la nullité du licenciement ne privait pas le salarié du droit à l’allocation d’assurance servie par Pôle emploi pendant l’intervalle [18].

Dans le cas contraire, lorsque l’employeur est condamné à verser à son ancien salarié l’intégralité des salaires sans déduction d’aucune sorte, c’est que la nature salariale des sommes versées s’impose alors. En conséquence de quoi le revenu de remplacement est constitutif d’un indu [19] et doit être restitué ; les sommes que l’employeur est condamné à verser sont soumises au paiement des cotisations sociales et, notamment des contributions d’assurance chômage. Il convient donc de prendre en compte la période afférente au versement de ces sommes dans le calcul de l’affiliation.

Toutefois, un récent arrêt de la Cour de cassation donne un nouvel éclairage sur la question [20], s’agissant d’une somme qui, selon la distinction précitée, ne devait a priori pas avoir une nature salariale.

Une cour d’appel a, dans un premier temps, rejeté la demande de régularisation des cotisations sociales afférentes aux sommes versées (et de remise des bulletins de salaire correspondants), à raison de ce que les sommes allouées au salarié présentaient un caractère indemnitaire et ne constituaient pas des salaires.  

Par un arrêt de cassation, et sous le visa de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4986LR4),  la Chambre sociale a jugé que la somme allouée au salarié dont le licenciement a été annulé, correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, est versée à l'occasion du travail et entre dans l'assiette des cotisations sociales. La régularisation des cotisations sociales afférentes aux sommes versées doit être effectuée et la remise des bulletins de salaire afférents opérée.

Cette décision neutralise totalement la distinction jusqu’alors opérée par l’administration. Le salarié est regardé comme n’ayant jamais cessé d’occuper son emploi, raison pour laquelle la somme allouée est considérée comme étant versée à l’occasion du travail. Elle s’attache à la seule nullité du licenciement sans distinguer selon que des droits et libertés fondamentaux sont ou non en cause. Le droit civil (la théorie des nullités) reprend l’avantage sur le droit public (les libertés fondamentales) dans cette tentative de conciliation permanente. Et les entreprises vont devoir en tirer de sérieuses conséquences.


[1] Cass. soc., 12 mars 1991, n° 88-40806, publié (N° Lexbase : A4404ABQ), RJS, 1991, p. 236 ; Cass. soc., 4 avril 1991, n° 89-42.406 (N° Lexbase : A6768AAW), Bull.civ. V, n° 167.

[2] Cass. soc., 16 juillet 1997, RJS 10/97, n° 1084 ; Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 94-42.540 (N° Lexbase : A1617ACU), Bull. civ. V, n° 382.

[3] Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7501BSM), nos obs., Dr. soc. 2003, pp. 827 et s..

[4] Cass. soc., 2 février 2006, n° 03-47.481, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6225DMI), qui résulte du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

[5] Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-47.623, FS-P+B (N° Lexbase : A7719DRC).

[6] Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, F-P+B (N° Lexbase : A9335D4I).

[7] Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-43.277, FP-D (N° Lexbase : A2119EY7) ; Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-16.434, FS-P+B (N° Lexbase : A4264MUH) : visa de l'article 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

[8] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 10-15.905, FS-P+B (N° Lexbase : A8095IQU) : droit à la protection de la santé, garanti par l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

[9] Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-20.527, FS-P+B (N° Lexbase : A0867NYR) : visa de l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

[10] Cass. soc., 30 septembre 2010, n° 08-44340, FP-D (N° Lexbase : A7546GAQ).

[11] Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 09-41.363, F-D (N° Lexbase : A7446GN4).

[12] Cass. soc., 3 juillet 2003, n° 01-44.522, publié (N° Lexbase : A0223C97).

[13] Cass. soc., 29 septembre 2014, n° 13-15.733, FS-P+B (N° Lexbase : A7845MXT) : pour une pension d’invalidité en cas d’annulation d’une autorisation administrative de licenciement, assimilée à tort, selon nous, à un licenciement nul.

[14] Cass. soc., 15 novembre 2017, n° 16-14.281, FS-P+B (N° Lexbase : A7050WZ7).

[15] Cass. soc., 14 décembre 2016, n° 14-21.325, FS-P+B (N° Lexbase : A2172SXQ) :  la référence à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales étant ici insuffisante.

[16] Cass. soc., 16 octobre 2019, n° 17-31.624, FS-P+B (N° Lexbase : A9474ZRC).

[17] Instr. Pôle emploi n° 2012-144, 10 octobre 2012 (N° Lexbase : L9632I4I), BO Pôle emploi, n° 2012-109, 29 octobre 2012.

[18] Cass. soc., 11 mars 2009, n° 07-43.335, inédit.

[19] V. instructions PE_CSP_2010_28 du 15 février 2010 et PE_CSP_2010_115 du 6 juillet 2010.

[20] Cass. soc., 16 octobre 2019, n° 17-31.624, préc..

newsid:472323

(N)TIC

[Brèves] Faute grave caractérisée en cas d’installation par un salarié d’un système de vidéosurveillance à l’insu de ses collègues

Réf. : Cass. soc., 5 février 2020, n° 19-10.154, F-D (N° Lexbase : A93323DY)

Lecture: 1 min

N2346BYK

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par Charlotte Moronval

Le 26 Février 2020

► Le salarié qui place un système de vidéosurveillance dans des locaux de travail à l’insu de ses collègues et sans aucune autorisation de l’employeur commet une faute grave.

Telle est la solution énoncée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 février 2020 (Cass. soc., 5 février 2020, n° 19-10.154, F-D N° Lexbase : A93323DY).

Dans les faits. Un salarié, chargé de la maintenance dans une administration pénitentiaire, installe une caméra dans les locaux, et filme ses collègues à leur insu et sans aucune autorisation. Il est licencié pour faute grave et conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale.

La position de la cour d’appel. La cour d'appel confirme le licenciement pour faute grave du salarié. Celui-ci forme alors un pourvoi en cassation.

La solution de la Cour de cassation. Appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, la cour d'appel, écartant par là-même toute autre cause de licenciement, a relevé que le salarié avait mis en place, à l'insu de ses collègues de travail et sans autorisation, une caméra dans les locaux de l'administration pénitentiaire et a pu décider que ce fait était constitutif d'une faute grave (sur La mise en place du contrôle des salariés par les NTIC, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E1366Y9H).

newsid:472346

Procédure civile

[Brèves] Réforme procédure civile 2020 : publication au Journal officiel de deux arrêtés relatifs au « Portail du justiciable »

Réf. : Arrêté du 18 février 2020 modifiant l'arrêté du 28 mai 2019 autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L1858LWQ) et arrêté du 18 février 2020 modifiant l'arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via ce portail (N° Lexbase : L1833LWS).

Lecture: 3 min

N2333BY3

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 26 Février 2020

► Ont été publiés au Journal officiel du 22 février 2020, deux arrêtés relatifs au « Portail du justiciable » (arrêté du 18 février 2020 modifiant l'arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » N° Lexbase : L1833LWS ; et arrêté du 18 février 2020 modifiant l'arrêté du 28 mai 2019 autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » correspondant au suivi en ligne par le justiciable de l'état d'avancement de son affaire judiciaire N° Lexbase : L1858LWQ).

Il ressort du premier arrêté que :

- le « Portail du justiciable » permet à celui-ci d'adresser une requête à une juridiction. Cette dernière est composée des informations saisies par le justiciable et des pièces qu'il souhaite joindre à sa demande. La réception de la requête génère automatiquement un avis électronique de réception à destination du justiciable. Cet avis contient la date de la saisine, le numéro de la saisine ainsi que la juridiction saisie. Il tient lieu de visa par le greffe au sens de l'article 769 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9311LTZ) ;

- le justiciable qui adresse sa requête via le « Portail du justiciable »  doit accepter les conditions générales d'utilisation.

Il ressort du second arrêté que la création par le ministère de la Justice d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « Portail du justiciable ». Il permet au justiciable, via son espace personnel sécurisé accessible depuis justice.fr :

- la consultation à distance de l'état d'avancement de son affaire judiciaire ;

- l'accès à certains documents dématérialisés, relatifs à ces procédures (avis, des convocations, récépissés) ;

- la transmission électronique à la juridiction de sa requête et de pièces ;

- la consultation d'une affaire judiciaire, aux fins d'information du justiciable, via le portail du service d'accueil unique du justiciable, service interne au ministère de la Justice.

Le portail du justiciable permet l’accès par les agents de greffe, la consultation d'une affaire judiciaire, aux fins d'information du justiciable, via le portail du service d'accueil unique du justiciable.

Le portail permet, également, aux agents de greffe et aux magistrats la consultation et l'enregistrement des requêtes numériques qui leur sont adressées, et sera ajouté au onzième alinéa les mentions suivantes relatives aux requêtes :

« - Le statut de la requête : brouillon, échec, envoyée, enregistrée ;

- Les éléments constitutifs de la requête ;

- Les pièces jointes complétant la requête ;

- Les éléments identifiant les tiers mentionnés dans la requête : civilité, nom, nom d'usage, prénom(s), raison sociale et forme juridique pour les personnes morales, le titre pour les autorités administratives»

Il énonce dans son article 5, les différentes durées de conservations des données :

- « Dans le cadre des finalités mentionnées aux troisième, quatrième et sixième alinéas de l'article 1er, les données sont conservées pendant toute la procédure puis pour une durée d'un an à compter de la date de la clôture du dossier.

- Dans le cadre des finalités mentionnées aux cinquième et septième alinéas de l'article 1er, les données des requêtes en ligne au statut brouillon sont conservées pendant une durée de trente jours à compter du premier jour où le justiciable a initié sa requête.

- Les données des requêtes en ligne au statut envoyée sont conservées pendant toute la procédure puis pour une durée de 5 ans à compter de la date de clôture du dossier ».

newsid:472333

Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Le régime dérogatoire de l'INA : aménagement de la preuve du consentement et non exception au droit exclusif

Réf. : Cass. civ. 1, 22 janvier 2020, n° 17-18.177, FS-P (N° Lexbase : A14933CB)

Lecture: 15 min

N2318BYI

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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour, Cabinet Nataf Fajgenbaum et Associés

Le 03 Mars 2020

Le régime juridique dont bénéficie l'INA n'instaure pas une exception au droit exclusif des artistes-interprètes mais un aménagement du régime probatoire de leur consentement. Le principe d'interdiction d'exploitation des prestations des artistes-interprètes sans leur accord, tel que consacré à l'article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2484K9U), reste donc intact. L'INA peut en revanche se prévaloir d'une présomption réfragable d'autorisation lorsque l'artiste a participé à l'enregistrement d'une œuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion et si un accord a été conclu avec les organisations syndicales.
Il s'agit là des enseignements d'un important arrêt du 22 janvier 2020, destiné à la plus large diffusion et entérinant les conclusions de l'arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la CJUE, en réponse à la question préjudicielle qui lui était posée.

I - La mise en œuvre des missions de l'INA à l'épreuve des droits voisins d'artiste-interprète

La question du consentement en matière de droit d'auteur et de droits voisins est évidemment fondamentale. Dans la relation contractuelle, l'auteur et l'artiste-interprète sont en effet considérés par le législateur comme la partie faible, qu'il convient donc de protéger. Les dispositions du Code de la propriété intellectuelle ambitionnent de rétablir un équilibre en organisant cette relation contractuelle et en imposant aux parties un certain nombre de garde-fous [1]. Cette protection peut d'ailleurs s'exercer contre les auteurs et artistes eux-mêmes : afin de les empêcher de céder inconsidérément certaines prérogatives de leur droit moral, les dispositions des articles L. 121-1 (N° Lexbase : L3346ADB) et L. 212-2 (N° Lexbase : L2485K9W) du Code de la propriété intellectuelle les ont ainsi soumises à un régime d'inaliénabilité.
Le plus souvent, c'est, malgré tout, contre les appétits aiguisés de leurs cocontractants que les auteurs et artistes-interprètes doivent être protégés. Outre un principe prétorien d'interprétation in favorem auctoris [2] de toute disposition contractuelle, le Code de la propriété intellectuelle soumet toute cession des droits patrimoniaux à un régime contractuel qu'il est légitime de qualifier de formaliste. Ainsi, toute prérogative qui n'a pas été expressément cédée reste la propriété de l'auteur ou de l'artiste.

L'article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle illustre parfaitement l'approche suivie par le législateur français puisque « sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image ». L'article L. 212-4 (N° Lexbase : L2479K9P) dispose quant à lui : « la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une œuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète ». Pour dire les choses simplement : aucune exploitation de sa prestation n'est possible sans un accord, nécessairement écrit, de l'artiste-interprète.
Quoique rigoureux, ce formalisme permet d'assurer la protection effective des intérêts des artistes-interprètes. Pour autant, il a naturellement suscité quelques critiques, compte tenu notamment de son absence de pragmatisme, le geste artistique s'accommandant parfois difficilement d'un carcan contractuel trop rigide. Propriété littéraire et artistique et réalités économiques ne forment pas nécessairement un ménage harmonieux.

C'est la raison pour laquelle le législateur français a parfois prévu quelques aménagements, notamment au bénéfice de l'institut national de l'audiovisuel (INA). Créé par la loi n° 74-696 du 7 août 1974, l'INA est un établissement public à caractère industriel et commercial, en charge notamment d'une mission de service public de conservation des archives, des recherches de création audiovisuelle et de la formation professionnelle. Il s'est ainsi vu transférer la propriété matérielle des archives de l'ORTF, qu'il remplace, avec pour mission de les exploiter [3].
Or, l'INA s'est trouvé dans l'impossibilité d'exploiter une partie de son fonds, faute pour lui de détenir certains contrats de travail conclus avec les artistes-interprètes ce qui, d'une part, lui interdisait de se prévaloir de la présomption de cession prévue à l'article L. 212-4 précité et, d'autre part, lui imposait d'obtenir l'autorisation écrite des artistes-interprètes ou de leurs ayants-droit, dont l'identification et la recherche pouvaient s'avérer difficile, voire impossible.

Dans ce contexte particulier et pour pallier cette incapacité pratique de mener à bien ses missions, sous l'impulsion déterminante du Sénat [4], le législateur français a instauré au profit de l'INA un régime dérogatoire en habilitant les syndicats des artistes-interprètes à conclure des accords fixant les conditions d'exploitation de ses archives en contrepartie d'une rémunération équitable, sous réserve que ces accords précisent notamment le barème des rémunérations et leurs modalités de versement ; rappelons à cet égard que, aux termes de l'article L. 7121-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3102H9R), les artistes du spectacle sont présumés salariés. L'article 49 II de la loi du 30 septembre 1986 (loi n° 86-1067 N° Lexbase : L8240AGB), modifié par l'article 44 de la loi du 1er août 2006 (loi n° 2006-961 N° Lexbase : L4403HKB) rappelle par ailleurs que l'Institut exerce les droits d'exploitation dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d'auteurs ou de droits voisins du droit d'auteur, et de leurs ayants-droit.
Ce dispositif a été validé par le Conseil constitutionnel. Saisi par des députés, il a en effet jugé que l'article 44 de la loi « DADVSI » est conforme à la Constitution, retenant notamment que, « eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine audiovisuel national, le législateur a pu prévoir un régime dérogatoire d'exploitation des prestations des artistes-interprètes au bénéfice de l'Institut national de l'audiovisuel » [5].

II - La conformité du régime simplifié d'autorisation de l'INA à la Directive 2001/29

Le régime juridique dérogatoire dont bénéficie l'INA a trouvé une actualité particulière dans le cadre d'un litige opposant cet établissement au batteur de jazz Kenny Clarke et à la société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse (SPEDIDAM) [6] au sujet de l'atteinte prétendument portée aux droits d'artiste-interprète de ce musicien. La question au cœur des débats pouvait alors être synthétisée comme suit : le régime simplifié d'autorisation de l'INA constitue-t-il une exception au droit exclusif de l'artiste-interprète qui, non prévue par l'article 5 de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L8089AU7), est donc contraire au droit européen ?

Dans cette affaire, reprochant à l'INA de commercialiser sur son site internet, sans son autorisation, 26 vidéogrammes et un phonogramme reproduisant les prestations de Kenny Clarke [7], ses ayants-droit l'ont assigné pour obtenir réparation de l'atteinte ainsi prétendument portée aux droits d'artiste-interprète dont ils sont titulaires, en invoquant les dispositions de l'article L. 212-3 précité. La SPEDIDAM est intervenue volontairement en cours de procédure [8].

Ils ont d'abord obtenu gain de cause devant le tribunal de grande de Paris [9], au motif que l'INA ne disposait d'aucun élément sur le consentement donné par Kenny Clarke à l'exploitation des émissions en cause ; les premiers juges proposaient ainsi une application stricte de son régime dérogatoire. La cour d'appel de Paris [10] a rendu un arrêt confirmatif mais a été censurée par la première chambre civile de la Cour de cassation -pour violation de la loi-, au motif que, en subordonnant l'application du régime dérogatoire institué au profit de l'INA à la preuve de l'autorisation par l'artiste-interprète de la première exploitation de sa prestation, la cour avait ajouté à la loi une condition qu'elle ne comportait pas [11] ; à l'inverse des juges du fond, la Haute Cour a, pour sa part, privilégié une lecture littérale des dispositions  de l'article 49, II.
Le régime simplifié d'autorisation dont bénéficie l'INA, expressément dérogatoire aux articles L. 212-3 et L. 212-4, s'est ainsi trouvé conforté une première fois. Sous réserve de l'existence d'accords avec des organisations de salariés représentatives, l'Institut se trouve dispensé d'avoir à communiquer l'accord écrit de l'artiste-interprète dont il exploite l'enregistrement.  En l'espèce, un tel accord avait été conclu le 16 juin 2005 : sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Versailles a donc présumé le consentement de Kenny Clarke [12].

Faisant évoluer quelque peu leurs moyens devant les juges versaillais, les demandeurs ont par ailleurs remis en cause la conformité même de ce régime dérogatoire à la Directive 2001/29/CE précitée. Leur argumentation n'a toutefois pas trouvé l'écho escompté.
La cour d'appel a en effet jugé que, en exonérant l'INA de prouver par un écrit l'autorisation donnée par l'artiste-interprète, l'article 49, II ne supprime pas l'exigence de ce consentement mais instaure une présomption dont la mise en œuvre est elle-même soumise à des accords collectifs. Afin de combattre cette présomption de consentement, l'artiste-interprète conserve donc la possibilité d'invoquer son absence de consentement ou des stipulations particulières contenues dans son contrat initial.

III - La mise en balance des intérêts en présence, de même valeur

La motivation développée par l'arrêt de la cour d'appel de Versailles est plus particulièrement intéressante, en ce qu'elle justifie le régime juridique dérogatoire dont bénéficie l'INA en procédant à une analyse des intérêts en présence. Ce raisonnement, que l'on retrouvera dans l'arrêt rendu par la CJUE le 14 novembre 2019 [13], est par ailleurs conforme à celui du Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 27 juillet 2006 [14].

Les conseillers versaillais précisent que ce régime dérogatoire, limité à l'INA, est justifié tant par des considérations liées aux missions d'intérêt général qu'il poursuit que par des raisons plus pragmatiques, cet établissement ne disposant pas de l'ensemble des contrats des artistes-interprètes compte tenu de l'ancienneté de certains enregistrements. Ils soulignent par ailleurs que ce mécanisme profite aux artistes-interprètes eux-mêmes, dont la rémunération se trouve préservée.

La cour d'appel en conclut que le régime dérogatoire prévu par l'article 49, II instaure un équilibre entre l'intérêt général, la liberté d'expression (garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne) ainsi que le droit de propriété intellectuelle des artistes-interprètes, conformément aux objectifs énoncés au considérant 3 de la Directive communautaire. Pour le dire autrement, nécessité faisant loi, le régime simplifié d'autorisation de l'INA apparaît justifié et proportionné afin de lui permettre de poursuivre ses missions et, plus généralement, dans l'intérêt de l'ensemble des artistes-interprètes.

Un second pourvoi en cassation a été régularisé, par les ayants-droit de Kenny Clarke et la SPEDIDAM cette fois. Se prévalant de certains enseignements de l'arrêt « Soulier et Doke », rendu par la Cour de justice le 16 novembre 2016 concernant la législation française sur les livres indisponibles [15], ils soutenaient en effet que, si la mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national assumée par l'INA est d'intérêt général, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation, non prévue par le législateur de l'Union, à la protection assurée aux artistes-interprètes par la Directive 2001/29 permettant à l'INA d'exploiter commercialement les supports sur lesquels ont été fixées leurs interprétations, sans qu'il soit démontré que ceux-ci aient donné leur consentement préalable [16].
Bien que considérant que cet arrêt n'était pas transposable à la présente espèce, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle relative à la compatibilité avec les articles 2, 3 et 5 de la Directive 2001/29/CE précitée du régime juridique prévu à l'article 49, II modifié[17].
La Cour de justice y a répondu par un arrêt du 14 novembre 2019 [18], confirmant la conformité au droit européen du régime juridique dérogatoire de l'INA, à l'inverse des préconisations de l'Avocat général [19].

Renvoyant à l'arrêt « Soulier et Doke » précité, la Cour rappelle tout d'abord que l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la Directive 2001/29 ne sauraient être interprétés comme imposant qu’un consentement soit nécessairement exprimé de manière écrite ou explicite. Au contraire, ces dispositions permettent de l’exprimer également de manière implicite, pour autant que les conditions dans lesquelles un consentement implicite peut être admis soient définies strictement, afin de ne pas priver de portée le principe même du consentement préalable [20].

La Cour de justice met par ailleurs en avant un argument pragmatique et qui nous semble relativement convaincant et explique en partie que la solution de l'arrêt « Soulier et Doke » ne soit pas transposable : « un artiste-interprète qui participe lui-même à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion par des sociétés nationales de programme, et qui est ainsi présent sur le lieu d’enregistrement d’une telle œuvre à ces fins, d’une part, a connaissance de l’utilisation envisagée de sa prestation (voir, par analogie, arrêt du 16 novembre 2016, Soulier et Doke, C‑301/15, EU:C:2016:878, point 43), et, d’autre part, effectue sa prestation aux fins d’une telle utilisation, de sorte qu’il est permis de considérer, en l’absence de preuve contraire, qu’il a, du fait de cette participation, autorisé la fixation de ladite prestation ainsi que l’exploitation de celle-ci » [21]. La Cour en appelle en quelques sortes à un principe de cohérence, légitimant donc la consécration d'une présomption de consentement au bénéfice de l'INA, pour autant qu'elle soit réfragable [22].
Assez récemment, la Cour de cassation a d'ailleurs approuvé une cour d'appel d'avoir jugé qu'une simple feuille de présence constituait un contrat conclu avec le producteur entrant dans les prévisions de l’article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle, dispensant donc l'INA d'avoir à solliciter à nouveau l'autorisation de l'artiste-interprète [23].

Enfin, dans la droite ligne de l'arrêt précité rendu par la cour d'appel de Versailles le 10 mars 2017, la Cour de justice souligne qu'une telle présomption permet de maintenir le juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits. L'incapacité dans laquelle se trouve l’INA de communiquer les autorisations écrites des artistes‑interprètes ou de leurs ayants-droit ou les contrats de travail conclus par ceux-ci avec les producteurs des programmes audiovisuels en cause remettant en cause l'exploitation même des archives, d’autres titulaires de droits, tels que ceux des réalisateurs, des producteurs ou encore d’autres artistes-interprètes pourraient se voir privés de rémunération. Le mécanisme proposé par l'article 49, II modifié apparaît donc justifié au regard des objectifs poursuivis par la Directive et conforme au droit de l'Union européenne.

La première chambre civile a rendu son arrêt le 22 janvier 2020. Sans surprise, elle approuve la cour d'appel de renvoi d'avoir énoncé qu'en exonérant l'INA de prouver par un écrit l'autorisation donnée par l'artiste-interprète, l'article 49 II de la loi du 30 septembre 1986 modifiée ne supprime pas l'exigence de ce consentement mais instaure une présomption simple d'autorisation qui peut être combattue et ne remet pas en cause le droit exclusif de l'artiste-interprète d'autoriser ou d'interdire la reproduction de sa prestation, ainsi que sa communication et sa mise à la disposition du public. Tout artiste-interprète est donc présumé avoir cédé ses droits exclusifs sur l'œuvre audiovisuelle à laquelle il a participé, sauf démonstration concrète d'une opposition à son exploitation.
Cette solution, équilibrée, met un terme bienvenu à cette procédure.


[1] Cf. Directive 2001/29 du 22 mai 2001 (N° Lexbase : L8089AU7) et ses considérants 9 et 10.

[2] En faveur de l'auteur.

[3] Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, sur la communication audiovisuelle (N° Lexbase : L0991IEG) et loi n ° 86-1067 du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (N° Lexbase : L8240AGB), modifiée par la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L4403HKB, dite loi « DADVSI »).

[4] Cf. rapport du Sénat n° 308 du 12 avril 2006, annexe au procès-verbal de la séance du 12 avril 2006 ; Monsieur le Sénateur Michel Charasse avait toutefois exprimé son opposition à ce régime simplifié d'autorisation, notamment à l'occasion de la séance du 10 mai 2006, rappelant les précédentes tentatives de l'INA pour se voir reconnaître un régime dérogatoire.

[5] Cons. constit., décision n° 2006-540 DC, du 27 juillet 2006 (N° Lexbase : O4419APD).

[6] Intervenue volontairement en cours de procédure et définitivement déclarée irrecevable par la première chambre civile au terme de son arrêt du 11 juillet 2018 (Cass. civ., 1, 11 juillet 2018, n° 17-18.177, FS-P+B N° Lexbase : A9537XXI).

[7] Décédé en 1985.

[8] Devant la Cour de cassation.

[9] TGI Paris, 3ème ch., 24 janvier 2013, n° 11/15443 (N° Lexbase : A1800KAW).

[10] CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 11 juin 2014, n° 13/01862 (N° Lexbase : A2831MRB).

[11] Cass. civ. 1, 14 octobre 2015, n° 14-19.917, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2713NTN).

[12] CA Versailles, 10 mars 2017, n° 15/07483 (N° Lexbase : A2375T3D).

[13] CJUE, 14 novembre 2019, préc..

[14] Cons. constit., décision n° 2006-540 DC, préc..

[15] CJUE, 16 novembre 2016, aff. C-301/15 (N° Lexbase : A0720SH7).

[16] A noter que la cour d'appel de Versailles, sur renvoi, avait déjà jugé que « l'arrêt du 16 novembre 2016 prononcé par la CJUE porte sur une question spécifique au droit d'auteur et, surtout, s'oppose à ce que celui-ci soit exercé par une société de gestion collective non choisie par lui ce qui n'est pas le cas en l'espèce ». Elle avait donc refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice.

[17] Cass. civ. 1, 11 juillet 2018, n° 17-18.177, préc..

[18] CJUE, 14 novembre 2019, préc..

[19] Conclusions de l’Avocat général M.G Hogan présentées le 16 mai 2019, relevant des différences avec l'affaire « Luksan » du 9 février 2012 (CJUE, 9 février 2012, aff. C‑277/1 N° Lexbase : A2684IXP) : « la réglementation en cause va beaucoup plus loin, en ce qu’elle prévoit non pas une licence implicite au profit de l’INA, mais un consentement implicite du transfert des droits des artistes-interprètes. C’est donc le caractère disproportionné de la manière dont s’applique la réglementation nationale qui la rend incompatible avec les exigences du droit de l’Union » (Point 45).

[20] Point 40.

[21] Point 42.

[22] En ce sens, déjà, en faveur d'une présomption de cession réfragable : CJUE, 9 février 2012, aff. C‑277/10, préc..

[23] Ass. plén., 16 février 2018, n° 16-14.292, P+B+R+I (N° Lexbase : A7564XDI) ; il s'agit d'un revirement de jurisprudence, par rapport à Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-16.583, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3721KEK).

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Transport

[Brèves] Vols à réservation unique divisés en plusieurs segments : compétence des juridictions du lieu de départ du premier segment pour connaître de l’indemnisation en raison de l’annulation du dernier segment

Réf. : CJUE, 13 février 2020, aff. C-606/19 (N° Lexbase : A05143G7)

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N2309BY8

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par Vincent Téchené

Le 26 Février 2020

► En cas de vols à réservation unique confirmée, divisés en plusieurs segments et assurés par des transporteurs aériens distincts, l’indemnisation pour l’annulation du dernier segment de vol peut être demandée devant les juridictions du lieu de départ du premier segment.

Tel est l’enseignement d’une ordonnance rendue par la CJUE le 20 février 2020 (CJUE, 13 février 2020, aff. C-606/19 N° Lexbase : A05143G7).

L’affaire. Deux passagers ont réservé un vol avec correspondances qui a fait l’objet d’une réservation unique confirmée. Le vol comprenait trois segments : le premier segment, reliant Hambourg (Allemagne) à Londres (Royaume-Uni), opéré par la compagnie aérienne britannique British Airways ; les deux autres, l’un reliant Londres à Madrid (Espagne) et l’autre Madrid à Saint-Sébastien (Espagne) opérés par la compagnie aérienne espagnole Iberia. Le troisième segment du vol a été annulé mais les passagers n’en ont pas été informés en temps utile.

La juridiction allemande, saisie d’une demande d’indemnisation (250 euros par passager la distance entre Hambourg et Saint-Sébastien étant d’environ 1 433 km) fondée sur le Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L0330DYU), s’interroge alors sur sa compétence pour connaître du litige portant sur le segment de vol annulé étant donné que le lieu de départ et le lieu d’arrivée de ce segment de vol, à savoir, respectivement, Madrid et Saint-Sébastien, se situent hors de son ressort. Elle a donc saisi la CJUE d’une question préjudicielle.

La décision. La Cour retient que le Règlement sur la compétence judiciaire (Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 N° Lexbase : L9189IUU) doit être interprété en ce sens que, en cas de vols à réservation unique confirmée, divisés en plusieurs segments effectués par deux transporteurs aériens distincts, les recours en indemnisation pour l’annulation du dernier segment de vol peuvent être introduits devant les juridictions du lieu de départ du premier segment de vol même s’ils sont dirigés contre le transporteur aérien chargé du dernier segment.

Selon la Cour, dans le cas d’un contrat de transport aérien à réservation unique confirmée pour l’ensemble du trajet, un transporteur aérien a l’obligation de transporter un passager d’un point A à un point D. Partant, dans le cas d’un vol avec correspondances à réservation unique confirmée et comprenant plusieurs segments, le lieu d’exécution de ce vol, au sens du règlement sur la compétence judiciaire, peut être le lieu de départ du premier segment de vol, en tant que l’un des lieux de fourniture principale des services faisant l’objet d’un contrat de transport aérien. La Cour estime que le critère du lieu de départ du premier segment de vol satisfait à l’objectif de proximité entre le contrat de transport aérien et la juridiction compétente ainsi qu’au principe de prévisibilité, préconisés par le règlement sur la compétence judiciaire. Il permet en effet tant au demandeur qu’au défendeur d’identifier la juridiction du lieu de départ du premier segment de vol, tel qu’il est inscrit dans ce contrat de transport, comme juridiction susceptible d’être saisie. S’agissant de la possibilité d’attraire le transporteur aérien chargé du dernier segment de vol (Iberia) devant la juridiction dans le ressort de laquelle (Hambourg) se trouve le point de départ du premier segment, la Cour relève que le transporteur aérien effectif n’ayant pas conclu de contrat avec le passager est réputé agir au nom de la personne qui a conclu ce contrat et remplit des obligations dont la source est le contrat de transport aérien.

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