La lettre juridique n°809 du 16 janvier 2020

La lettre juridique - Édition n°809

Durée du travail

[Brèves] Conditions de recours au travail de nuit : la présomption de conformité de l'accord collectif ne suffit pas

Réf. : Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 18-83.074, F-P+B+I (N° Lexbase : A11673AH)

Lecture: 3 min

N1827BYC

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par Charlotte Moronval

Le 15 Janvier 2020

► Les juges du fond ne peuvent, pour relaxer les prévenus du chef de mise en place illégale du travail de nuit dans une entreprise, énoncer que celui-ci est autorisé dans les conditions énoncées aux articles L. 3122-1 (N° Lexbase : L6858K9U) et L. 3122-15 du Code du travail (N° Lexbase : L6858K9U) et ajouter que l’article 5-12 de la Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, négociée et signée par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et applicable à la société, envisage le travail de nuit comme étant celui qui se déroule entre 21 heures et 7 heures du matin, que l'utilité sociale d'un commerce alimentaire ouvrant après 21 heures dans une grande métropole où de nombreux travailleurs finissent leur activité professionnelle très tard le soir et doivent entreprendre de longs trajets pour rentrer chez eux, répond à un besoin profond des consommateurs, ce dont témoigne le décalage des rythmes de vie observé dans la société depuis de nombreuses années, que l'accord de branche étendu du 12 juillet 2001 l'autorise expressément en prévoyant des compensations et des garanties liées au volontariat des salariés concernés, et précisent encore que depuis l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail (N° Lexbase : L7629LGN), il est conféré à un tel accord collectif une présomption de légalité que les parties civiles n'ont pas renversé en l'espèce, alors que ces motifs ne répondent pas aux exigences des dispositions d’ordre public de l’article L. 3122-32, devenu L. 3122-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6858K9U), et qu’il leur appartenait de mieux contrôler si ces exigences étaient remplies dans le cas de l’établissement en cause, fût-ce en écartant les clauses d’une convention ou accord collectif non conformes ;

► Il résulte par ailleurs de la combinaison des articles L. 3132-3 (N° Lexbase : L6342IEM) et L. 3132-13, alinéa 1er (N° Lexbase : L2093KGM) du Code du travail, que la possibilité de déroger à la règle du repos dominical après 13 heures ne peut résulter que d’une disposition légale précise.

Telles sont les solutions dégagées par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 janvier 2020 (Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 18-83.074, F-P+B+I N° Lexbase : A11673AH).

Dans les faits. Une société ainsi que le gérant de l’un des établissements de cette société à Paris dans le 11ème arrondissement, exploitant un commerce de détail non spécialisé à prédominance alimentaire, ont été cités devant le tribunal de police pour y répondre des chefs de mise en place illégale du travail de nuit, commis du 1er février au 30 juillet 2015, l’enquête ayant permis d’établir que des salariés avaient été employés en février, mars, avril, juin et juillet 2015 après 21 heures. Le premier juge ayant déclaré les faits établis, prononcé des amendes et alloué des sommes aux parties civiles, les prévenus et le Ministère public ont interjeté appel de sa décision.

La position de la cour d’appel. La cour d’appel infirme le jugement et relaxe les prévenus de l’infraction de mise en place illégale du travail de nuit dans une entreprise. Elle relaxe également les prévenus du chef d’infractions à la règle du repos dominical dans les commerces de détail alimentaires.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel (sur Le principe de la mise en place du travail de nuit par accord collectif, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E0576ETI et sur Le repos le dimanche à partir de treize heures, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E0316ETU).

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Entreprises en difficulté

[Brèves] Interdiction de gérer : pas d’application aux membres du conseil de surveillance

Réf. : Cass. com., 8 janvier 2020, n° 18-23.991, F-P+B (N° Lexbase : A46593AS)

Lecture: 3 min

N1855BYD

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par Vincent Téchené

Le 16 Janvier 2020

► L’interdiction de gérer, prévue par l’article L. 653-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L2082KG9), ne concerne pas les membres du conseil de surveillance d’une société anonyme qui, en vertu de l’article L. 225-68 du même code (N° Lexbase : L2375LRE), n’exercent qu’une mission de contrôle de la gestion de la société par le directoire, et non une fonction de direction.

Tel est le sens d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 janvier 2020 (Cass. com., 8 janvier 2020, n° 18-23.991, F-P+B N° Lexbase : A46593AS)

L’affaire. Dans le cadre de la procédure collective d’une société, un arrêt a prononcé contre l’un de ses dirigeants une mesure d'interdiction de gérer d’une durée de trois années. Considérant que l’interdiction de gérer s’appliquait aux membres du conseil de surveillance d’une société anonyme, le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés a enjoint à l’intéressé en sa qualité de membre du conseil de surveillance d’une autre société anonyme de régulariser sa situation dans un certain délai, à défaut de quoi il serait procédé à sa radiation du RCS.

L’arrêt d’appel. La cour d’appel confirme la décision du juge commis à la surveillance du RCS, retenant que le mandat de membre du conseil de surveillance est affecté par l'interdiction de gérer prononcée, dès lors qu’une telle fonction, certes étrangère à celles de gestion et de direction, constitue cependant une fonction de contrôle.

La décision. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation, énonçant la solution précitée, censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 225-68 et L. 653-8, alinéa 1er, du Code de commerce (cf. l’Ouvrage «Entreprises en difficulté» N° Lexbase : E3878EXW).

Précisions. Dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, la Cour de cassation avait déjà retenu que les membres du conseil de surveillance ne sont pas des dirigeants de droit et ne peuvent voir leur responsabilité engagée dans le cadre d'une procédure collective ouverte à l'égard de la société que s'ils peuvent être qualifiés de dirigeants de fait, c'est-à-dire qu'est constaté que, en dehors de l'exercice de leur mission de membres du conseil de surveillance, ils ont, en fait, exercé, séparément ou ensemble, et en toute indépendance, une activité positive de direction dans la société (Cass. com., 12 juillet 2005, n° 03-14.045, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A9154DIU). Pour certains, à l’époque (R. Kaddouch, Lexbase éd. Affaires, 2005, n° 182 N° Lexbase : N8592AI3), cette solution paraissait difficilement contestable : l'essence même de la société anonyme dualiste est la séparation des fonctions de gestion, dévolues au directoire, et celles de contrôle, attribuées au conseil de surveillance. En d'autres termes, les membres de ce dernier ne jouissent que d'un pouvoir de surveillance, et non d'un pouvoir de présider aux destinées de la société. La nature de leurs fonctions est incompatible avec la reconnaissance de la qualité de dirigeant. En revanche, la Cour de cassation a retenu que les administrateurs sont des dirigeants de droit (Cass. com., 31 mai 2011, n° 09-13.975, F-P+B N° Lexbase : A3305HTL).

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Famille et personnes

[Textes] Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales

Réf. : Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2114LUT)

Lecture: 24 min

N1877BY8

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par Isabelle Corpart, Maître de conférences à l’Université de Haute Alsace, Membre du Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes

Le 14 Février 2020

Mots clés : famille • couple • violences conjugales • Grenelle • enfant • autorité parentale • ordonnance de protection • bracelet anti-rapprochement • téléphone grand-danger

Le législateur n’a pas tardé à réagir après le «Grenelle des violences conjugales» [1] pour tenter d’éradiquer un fléau [2] dont les textes qui y sont consacrés peinent à venir à bout. Il a notamment utilisé la procédure accélérée (engagée le 16 septembre 2019 par le Premier ministre) afin que la proposition de loi n° 2201, déposée à l’Assemblée nationale le 28 août 2019 puisse rapidement parfaire le dispositif législatif de lutte contre ces violences qui se perpétuent dans un cadre familial, le plus souvent dans l’intimité des couples.

L’ambition de cette nouvelle réforme est grande, comme en témoigne le changement de nom de la proposition de loi (initialement «visant à agir contre les violences faites aux femmes» ; modification faite par un amendement lors de sa première lecture [3]). Elle ne saurait se limiter à organiser la protection des femmes, victimes de violences dans le cercle familial car, d’une part, si ces dernières sont les principales victimes, des hommes sont parfois agressés par leurs épouses ou compagnes [4] et d’autre part, les enfants des couples sont tout autant impactés par les démonstrations de violence. Surtout, il faut se garder de toute ambiguïté et ne pas réserver les mesures de sauvegarde, d’accompagnement et les sanctions aux conjoints, ce qui exclurait les couples non mariés.

Tel était historiquement le problème car les dispositions de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (N° Lexbase : L2150DYB), qui ont créé le référé-violence, remplacé ensuite par l’ordonnance de protection, étaient précisément insérées dans l’article 220-1 du Code civil (N° Lexbase : L7169IMH), lequel permet au juge de prescrire des mesures «si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille». Elle visait donc exclusivement les couples encore mariés [5], ce que la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7042IMR) s’est efforcée de corriger [6]. Depuis cette date, il est clairement acté que les mesures prises tendent à la protection des conjoints, mais également à celle des partenaires de PACS ou des concubins ou encore des anciens époux, partenaires ou concubins (C. civ., art. 515-9 N° Lexbase : L7175IMP) [7]. Dans tous ces cas, s’il y a danger, le juge peut délivrer en urgence à la victime une ordonnance de protection (C. pr. civ., art. 1136-3 N° Lexbase : L9357LTQ). Un titre visant les violences faites aux femmes n’était pas, dès lors, souhaitable, raison pour laquelle l’accent a été mis, dans le libellé de la loi nouvelle, sur les violences au sein de la famille.

A notre sens, si l’intention est louable, le résultat est perfectible car, en l’état actuel du droit, il est difficile de considérer que tous ces couples bénéficient de liens familiaux, seuls le mariage et la naissance d’un enfant permettant de fonder une famille, au sens juridique. Dès lors, viser seulement les violences faites en famille est réducteur, les couples mariés sans enfant semblant exclus. Néanmoins, il s’agit simplement d’une maladresse rédactionnelle dans la mesure où le législateur entend précisément éradiquer toutes formes de violences perpétrées dans l’ensemble des foyers et faire en sorte que les relations familiales soient apaisées et bienveillantes, que la famille soit un havre de paix où chacun puisse s’épanouir sans crainte.

Comme pour les violences éducatives ordinaires, la domination du sexe masculin dans le huis-clos des foyers repose sur des modes comportementaux qui s’inscrivent dans le temps, liés aux attributs du paterfamilias. Il faudra patienter encore pour que toute violence soit éradiquée dans les relations familiales et que, tant les habitudes que les mentalités, changent [8].

Cette loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences faites en famille [9] n’est pas une réforme de plus [10], avec ses 19 articles, mais un texte qui ambitionne de proposer des mesures concrètes et qui apporte sa pierre à l’édifice de la lutte contre les violences conjugales, laquelle se construit pas à pas depuis de nombreuses années, mettant davantage que par le passé l’accent sur les enfants (I). La reconnaissance du statut de victimes pour les enfants a tardé mais, désormais, il sera tenu compte de l’attitude de leur parent, père ou mère, pour réfléchir à la pertinence de maintenir des relations familiales. Ils ne sont pas de simples témoins mais bien des victimes, même lorsque le parent violent ne les vise pas spécialement. C’est toute leur enfance qui est menacée. Il est important que le législateur ait pris la pleine mesure de leur statut de victimes, victimes indirectes s’ils ne sont pas maltraités, afin qu’une protection adaptée soit recherchée.

La protection des victimes directes est, quant à elle, revue et améliorée (II). Des mesures opérationnelles déjà depuis quelques années ont montré leur utilité mais sont mal exploitées (telle que l’ordonnance de protection), d’autres sont à rendre plus performantes (bracelet anti-rapprochement, téléphone grand-danger) pour véritablement permettre aux victimes de retrouver leur autonomie (accès au logement). Bien protéger, c’est aussi faire en sorte que les moyens de lutte soient dissuasifs et efficaces.

Il faudra toutefois du temps pour savoir si cette loi, qui sera suivie d’autres [11], a atteint ses objectifs et sécurise suffisamment les relations familiales, de sorte que nul n’ait plus peur de vivre en famille ou tout simplement en couple.

I - Des mesures nouvelles pour les enfants, victimes indirectes

Après le «Grenelle des violences conjugales», il est encourageant que les réflexions aient permis de bien cerner la situation des enfants.

Si l’exercice de l’autorité parentale doit être remis en question quand l’un des parents adopte un comportement anormal, la filiation quant à elle est maintenue, aussi les obligations parentales, notamment financières, doivent-elles perdurer.

Dans les deux cas, il s’agit de sauvegarder l’enfant, de le préserver en évitant des rencontres avec le parent violent, mais aussi d’assurer financièrement son entretien.

A - La remise en cause des liens parentaux

Que l’enfant soit une victime directe ou indirecte des violences conjugales, il mérite protection et doit être préservé des agissements violents de son parent, au mieux de ses intérêts.

Lorsqu’il est visé lui-même, son sort est assuré de longue date car les coups qui lui sont portés ou les menaces qu’il subit, permettent de mettre fin aux relations parentales. Dans les cas les plus graves, des mesures d’assistance éducative avec placement hors du foyer peuvent être ordonnées mais il est aussi admis de priver le parent de l’exercice de l’autorité parentale ou de lui retirer l’autorité parentale.

Désormais, tout enfant pourra bénéficier de ces mesures de sauvegarde car il est admis que, même sans souffrir directement des violences, l’enfant est bien plus qu’un simple témoin. Il faut désormais admettre que tout parent représente un danger pour son enfant quand celui-ci est témoin de pressions ou de violences à caractère physique ou psychologique exercées par son père sur sa mère ou inversement.

L’enfant est pleinement reconnu en tant que victime et le législateur insiste sur deux types de mesures qui, à terme, pourront éviter qu’il ne demeure en contact avec ce parent. Il s’agit de mettre fin à la coparentalité toutes les fois où l’un des parents exerce sur l’autre et a fortiori sur les mineurs, des violences physiques ou psychologiques. L’idée n’est pas nouvelle [12], mais avec la loi, un véritable dispositif protecteur des mineurs est mis en place.

Depuis la loi du 9 juillet 2010, la situation de l’enfant est bien prise en compte lorsque le juge aux affaires familiales prononce une ordonnance de protection. Il doit effectivement se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, qu’il s’agisse d’une résidence alternée ou d’une résidence habituelle fixée chez l’un des parents, et sur la prise en charge financière des enfants.

La loi du 28 décembre 2019 ajoute que le juge doit également tenir compte des droits de visite et d’hébergement, sachant «la décision de ne pas ordonner l'exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d'un tiers de confiance est spécialement motivée» (C. civ., art. 515-11, 5° N° Lexbase : L5377LTC).

Il peut décider que même les rencontres médiatisées ne sont pas souhaitables mais il doit s’en justifier. Il est en effet possible de priver le parent violent des droits de visite et d’hébergement pour que l’enfant puisse pleinement se reconstruire et s’épanouir. Les rencontres en lieu médiatisé ne semblent pas toujours suffisamment protectrices et l’on veut éviter de faire violence à l’enfant en l’obligeant à rencontrer un parent dont il a peur.

Prenant acte des effets des violences conjugales sur les tentatives de médiation familiale, il est prévu que le juge aux affaires familiales ne pourra ni proposer aux parents de mesure de médiation ni les enjoindre de rencontrer un médiateur familial, en cas de violences non plus uniquement «commises» par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant, mais même, dorénavant, seulement «alléguées».

Pour bien protéger l’enfant, le législateur utilise encore les techniques de la délégation et du retrait d’autorité parentale.

D’abord, une délégation de l’exercice de l’autorité parentale peut être réclamée au juge par le particulier, l’établissement ou le service de l’ASE ayant recueilli l’enfant quand un parent est poursuivi ou condamné pour un crime commis sur l’autre parent qui a succombé aux coups (C. civ., art. 377, al. 2 N° Lexbase : L0254K7K) [13]. En pareil cas, l’enfant a perdu son parent protecteur et il se retrouverait à devoir vivre avec son autre parent ou, pour le moins, à devoir le rencontrer. Pour y mettre fin, et mieux prendre en compte le drame des enfants orphelins qui subissent le deuil de leur parent, victime des violences conjugales, le législateur offre une réorganisation des liens parentaux.

Ensuite, de nouvelles mesures de retrait, retrait de l’exercice de l’autorité parentale, peuvent être décidées, cette précision étant apportée dans plusieurs textes (C. civ., art. 378 N° Lexbase : L7192IMC, art. 379-1 N° Lexbase : L2931AB8 et art. 380 N° Lexbase : L2932AB9 ; C. pén., art. 221-5-5 N° Lexbase : L0256K7M, art. 222-48-2 N° Lexbase : L0255K7L, art. 222-31-2 N° Lexbase : L0263K7U et art. 227-27-3 N° Lexbase : L0262K7T).

Face au drame des enfants victimes, même indirectes de violences conjugales, le législateur prévoit aussi la suspension de l’exercice de l’autorité parentale en cas de crime commis sur l’autre parent (C. civ., art. 378-2, nouveau) : suspension de six mois, à charge pour le procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) dans les huit jours. Les praticiens pourront se référer à ce texte qui prévoit une suspension de plein droit en cas de crime ou de poursuites pour crime d’un parent sur l’autre parent de son enfant.

Etre parent, à savoir avoir un lien de filiation paternelle ou maternelle, ne rend pas le parent tout puissant et le juge doit avant tout tenir compte de l’intérêt de l’enfant.

B - Les conséquences du maintien des liens filiaux

Si être parent n’offre pas tous les droits et si, un parent ne peut pas exiger de vivre avec son enfant ou, à tout le moins de conserver des liens étroits avec lui, le lien de filiation n’est pas, quant à lui, remis en cause dans le processus de lutte contre les violences conjugales.

L’enfant héritera un jour de son parent (et inversement, son père pourrait hériter à sa mort, sous réserve du jeu de l’indignité successorale, C. civ., art. 727 N° Lexbase : L3334AB4) mais, en attendant, il peut lui réclamer des aliments, ce dernier devant continuer à participer à la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, même s’il ne vit plus avec lui et n’a plus de ses nouvelles.

Quelles que soient les circonstances et, que le parent soit seulement privé de droit de visite et d’hébergement ou de l’exercice de l’autorité parentale ou, encore, fasse l’objet d’une mesure de retrait, l’obligation d’entretien perdure, ce que précise le législateur en modifiant l’article 371-2 du Code civil (N° Lexbase : L2895ABT).  Dès lors, même sanctionné, même emprisonné dans les cas les plus graves, l’auteur des violences conjugales devra continuer à verser des aliments à son enfant mineur, voire majeur si ce dernier est dans le besoin, sans pouvoir se retrancher derrière un retrait de l’autorité parentale.

Il n’y est toutefois tenu que dans les limites de ses ressources, ce qui pose problème, en particulier s’il est condamné à des peines de prison. Pour qu’il soit mis fin au versement de la pension alimentaire, il reviendra, toutefois, au demandeur de rapporter la preuve de sa situation financière.

Même si les dispositions visant les enfants étaient fort attendues, l’essentiel de la loi concerne les relations entre les victimes directes et les auteurs des violences conjugales.

II - Des mesures complémentaires pour les victimes directes

Dans l’idéal, il s’agit d’éviter que le pire ne survienne, aussi s’efforce-t-on d’agir en amont, en protégeant les conjoints et en leur permettant d’obtenir le soutien des forces de police à temps, mais il faut aussi mieux assurer la protection des victimes [14]. Tels sont les objectifs poursuivis par la loi. Avec cette nouvelle série de mesures, le législateur concrétise effectivement la volonté gouvernementale de lutter plus efficacement contre les violences conjugales et d’améliorer la performance des dispositifs existants. Le nombre des homicides conjugaux montre bien que, malheureusement, les réformes mises en place ces dernières années n’ont pas suffi à éradiquer ces graves cas de violence [15]. De nouvelles pistes préventives sont insérées dans la loi qui s’attache également à rendre plus efficaces les aides apportées aux victimes.

A - Pour mieux anticiper les drames

Avant que des mesures ne soient déjà décidées, notamment qu’une ordonnance de protection soit prise ou que l’un des conjoints n’ait plus le droit de se rapprocher de l’autre, la protection peut déjà s’organiser.

Les personnes qui vivent dans la crainte des réactions de leur conjoint seront sécurisées de pouvoir détenir un moyen d’appeler rapidement les secours. Sur ce point, la loi améliore l’utilisation du téléphone «grave danger» (TGD) [16] dont l’attribution peut être sollicitée par tous moyens (C. pr. pén., art. 41-3-1 N° Lexbase : L9163I3R).

Le législateur élargit effectivement les conditions d’attribution du TGD, le procureur de la République pouvant l’attribuer à une victime si l’auteur est en fuite. Il peut, en effet, en faire bénéficier la victime «en cas de danger avéré et imminent, lorsque l'auteur des violences est en fuite ou n'a pas encore pu être interpellé ou lorsque l'interdiction judiciaire d'entrer en contact avec la victime […] n'a pas encore été prononcée». Il n’est donc plus nécessaire d’attendre qu’une décision de justice soit rendue.

De plus, ce moyen de secours peut être proposé lorsque le juge aux affaires familiales a été saisi d’une demande d’ordonnance de protection en vue de mettre en place une interdiction judiciaire d'entrer en contact avec la victime dans le cadre d'une ordonnance de protection, mais également quand l’auteur des violences a fait l’objet «d'une alternative aux poursuites, d'une composition pénale, d'un contrôle judiciaire, d'une assignation à résidence sous surveillance électronique, d'une condamnation, d'un aménagement de peine ou d'une mesure de sûreté».

Lorsque le conjoint est condamné à demeurer éloigné du domicile familial, il peut tenter d’y passer outre ou chercher à entrer en contact avec sa victime en dehors de la sphère familiale. Dans tous ces cas, le bracelet anti-rapprochement permet de rassurer les victimes en imposant son port à l’auteur des violences en cas de placement sous contrôle judiciaire, d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve et d’aménagement de peine (C. pén., art. 131-4-1 N° Lexbase : L9918I3Q, art. 132-45 N° Lexbase : L2522LBZ, art. 132-45-1 N° Lexbase : L8958HZS ; C. pr. pén., art. 138, 17° bis N° Lexbase : L9762LPA, art. 138-3). La mise en œuvre de ce dispositif doit, toutefois, garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne et ne doit pas entraver son insertion sociale [17].

On pourra dorénavant y recourir même en amont, avant tout jugement pénal, dans le cadre d'un contrôle judiciaire et, de même, en dehors de toute plainte, dans le cadre civil d'une ordonnance de protection [18].

En effet, en cas d’interdiction faite à l’auteur des violences de se rapprocher de certaines personnes spécialement désignées par le juge (C. civ., art. 515-11, 1° N° Lexbase : L5377LTC), après avoir recueilli le consentement des deux parties, le juge peut ordonner le port par chacune d'elles d'un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant à tout moment de signaler que la partie défenderesse se trouve à moins d'une certaine distance de la partie demanderesse, fixée par l'ordonnance (C. civ., art. 515-11-1) [19].

Grâce au déclenchement d'un signal, ce bracelet permet de géo-localiser les conjoints ou ex-conjoints violents et, surtout, de les maintenir à distance. Désormais, sous réserve du consentement du conjoint violent [20], le bracelet anti-rapprochement pourra être mis en place à titre de peine (travail d’intérêt général, sursis probatoire, détention à domicile sous surveillance électronique).

L’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit la plainte doit rendre la victime attentive au fait qu’elle peut demander à bénéficier de ce dispositif électronique mobile anti-rapprochement (à la fois oralement et par la remise d’un document, C. pr. pén., art. 15-3-2).

B - Pour mieux répondre aux situations de violences conjugales

Une fois les constats faits, il est indispensable de mieux accompagner les victimes, de les aider à se reconstruire, mais aussi de les sécuriser.

L’un des objectifs de la loi est, d’abord, de rendre plus efficaces les ordonnances de protection.

Le référé-violence qui a donné lieu, ensuite, à cette ordonnance de protection a été créé par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce (N° Lexbase : L2150DYB), introduit dans l’alinéa 3 de l’article 220-1 du Code civil (N° Lexbase : L7169IMH). Il prévoyait que «lorsque les violences exercées par l'un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, le juge peut statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal». Le recours à la force publique était toutefois difficile à obtenir, mais ce texte constituait une avancée par rapport au droit antérieur qui permettait seulement aux époux de se référer à l’article 257 du Code civil (N° Lexbase : L7170IMI), lequel autorise le juge à prendre des mesures d’urgence et, notamment, à autoriser le demandeur à résider séparément, le cas échéant avec ses enfants, dans le cadre d’une procédure de divorce ou de séparation de corps [21]. Certes une protection était obtenue, mais ce n’était pas l’époux victime qui continuait de bénéficier du logement familial et le texte ne semblait pas suffisamment performant [22].

C’est la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (N° Lexbase : L7042IMR) [23] qui a créé de nouveaux articles dans le Code civil (art. 515-9 et s. N° Lexbase : L7175IMP) pour permettre au juge de délivrer en urgence une ordonnance de protection de la victime et de ses enfants, le cas échéant, le juge pouvant prendre des mesures civiles et pénales.

Cette ordonnance de protection permet au juge d’attester de la réalité des violences subies et de mettre en place des mesures d’urgence, telles que l’éviction du conjoint violent, le relogement de la victime en cas de départ du domicile conjugal pour être hors de portée du conjoint ou l’interdiction pour le conjoint violent de porter une arme [24], avant même que la victime se décide à déposer plainte [25].

La loi du 28 décembre 2019 fixe, désormais, à six jours son délai de délivrance et le juge aux affaires familiales n’a plus le loisir de statuer «dans les meilleurs délais» (C. civ., art. 515-11, al. 1er N° Lexbase : L5377LTC) [26]. Cela devrait mettre fin à des pratiques disparates sur l’ensemble du territoire car certains juges refusaient de la délivrer, arguant du fait que la victime n’avait pas porté plainte, ce qui, désormais, n’est plus du tout une condition préalable (C. civ., art. 515-10 N° Lexbase : L7174IMN).

Pour mieux entendre les victimes, il est prévu aussi que leurs auditions se tiennent séparément de leurs conjoints ou compagnons (C. civ., art. 515-10, al. 2).

Le nouveau texte apporte, également, une autre précision car, si la loi de 2010 avait spécialement visé les couples non mariés et les ex-conjoints, le libellé de l’article 515-9 du Code civil (N° Lexbase : L7175IMP) est clarifié, mentionnant que la mesure peut être ordonnée pour les époux, «y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation» et pour les concubins, «y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation».

Pour donner encore de meilleurs atouts à l’ordonnance de protection, le législateur élargit également le champ de compétences du juge, lui permettant d’«interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse» (C. civ., art. 515-11, insertion d’un 1° bis), sachant que si, dans ce cas, une décision de ne pas interdire la détention ou le port d’arme est prise, elle doit être spécialement motivée, et de «proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes. En cas de refus de la partie défenderesse, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République» (C. civ., art. 515-11, insertion d’un 2° bis).

La loi ajoute que toutes les mesures ne peuvent être prises par le juge qu’après le recueil des observations des parties (C. civ., art. 515-11, deuxième phrase du premier alinéa).

Il revient aussi au juge de statuer sur la résidence séparée du couple en donnant une priorité à la victime, ce qui est à saluer dans la loi. Deux paragraphes sont modifiés, l’un concernant les couples mariés, «à la demande du conjoint qui n'est pas l'auteur des violences, la jouissance du logement conjugal lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée, et même s'il a bénéficié d'un hébergement d'urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint violent» (C. civ., art. 515-11, 3°) et l’autre les couples non mariés, «se prononcer sur le logement commun de partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de concubins. A la demande du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin qui n'est pas l'auteur des violences, la jouissance du logement commun lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée[27], et même s'il a bénéficié d'un hébergement d'urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du partenaire ou concubin violent» (C. civ., art. 515-11, 4°).

Il est, également, intéressant de noter que des frais peuvent être mis à la charge de l’auteur des violences.

Espérons que cette mesure de protection devienne plus familière aux praticiens et que la loi nouvelle ne demeure pas lettre morte [28].

Un autre volet essentiel de la loi touche à l’accès au logement pour les victimes de violences conjugales. Assurer un toit aux victimes est primordial afin de leur permettre de se reconstruire après un drame, mais aussi, en échappant à l’auteur des violences, d’éviter d’être durement touchées par les attaques de leur conjoint [29]. Tout est fait pour apaiser la victime qui peut, si elle le souhaite, obtenir de conserver son domicile.

Pendant les trois ans suivant l’entrée en vigueur de la loi, deux dispositifs sont mis en place à titre expérimental pour améliorer le sort des victimes. Il est d’abord prévu que les organismes HLM soient autorisés à louer, meublés ou non, des logements à des organismes déclarés qui pourront, à leur tour, les sous-louer à titre temporaire à des personnes victimes de violences attestées par une ordonnance de protection ; les sous-locataires, assimilés à des locataires, pourront aussi bénéficier des aides au logement (CCH, art. L. 442-8 N° Lexbase : L5858IDC).

Ensuite, la loi institue, sous conditions de ressources, un accompagnement financier aux victimes qui ont quitté le logement conjugal ou commun, même si elles ont pris elles-mêmes cette décision, dès lors qu’elles bénéficient d’une ordonnance de protection. Ainsi, si la victime préfère déménager pour échapper à l’auteur des violences, elle peut bénéficier d’une aide financière pour son relogement (notamment prise en charge de la caution, de la garantie locative et avance des premiers mois de loyers…) [30].

Enfin, l'article 16 de la loi vise à permettre de donner accès au parc locatif social à des femmes qui ont fui le logement qu'elles partageaient avec l'auteur des violences, sans que la propriété de ce logement, dont elles n'ont plus la jouissance, puisse leur être opposée (CCH, nouv. art. L. 441-2-2).

L’attitude du conjoint est aussi mieux sanctionnée par le législateur qui s’attache au volet pénal de la lutte contre les violences conjugales, mais qui met aussi en place quelques intéressantes dispositions.

Ainsi, lorsque la victime a péri sous les coups de son époux, il est désormais relevé que la pension de réversion ne peut pas être perçue (CSS, art. L. 342-1-1 et L. 353-1-1 ; C. rur., art. L. 732-41-1 et L. 732-62) lorsque le conjoint survivant est ou a été condamné pour avoir commis à l'encontre de l'époux assuré un crime ou un délit [31].

«Continuons le combat» serait une formule trop violente mais il faut continuer d’être vigilant et d’offrir aux victimes des protections adaptées à chacune et, ce, de manière efficace.

C’est l’intérêt de cette nouvelle loi que de porter à la connaissance de tous, la prise en compte globale des violences, assortie d’une meilleure prise en charge des victimes [32].

Il restera aux acteurs du droit de s’assurer que ces dispositions seront véritablement appliquées pour que ce nouveau texte ait un effet dissuasif et qu’il débouche sur le recul des violences faites en famille.

Il faudrait encore améliorer le repérage des victimes, mieux analyser la dangerosité des situations et s’attacher davantage au suivi des auteurs de violence [33]. Tout doit être fait pour sécuriser suffisamment les victimes afin qu’elles entament des procédures judiciaires ou, au moins, se fassent connaître.

Pour autant, il faut se féliciter d’une réforme qui répond à une urgence vitale, l’actualité faisant malheureusement état constamment de nouvelles victimes qui meurent sous les coups de leurs proches et de drames familiaux.

Ces violences conjugales ne sont pas des fatalités. On doit pouvoir les éviter si l’on s’en donne les bons moyens et en faisant évoluer les mentalités, ce à quoi contribue chaque nouvelle réforme.


[1] I. Corpart, Après le Grenelle des violences conjugales, suppression de la coparentalité ? Grenelle des violences conjugales du 3 septembre au 25 novembre 2019, RJPF 2019-12/22.

[2] Ou scandale : C. Guesnier, Le scandale des violences conjugales, L’Harmattan, 2017 et aussi, problème sociétal : F. Vasseur-Lambry, Penser les violences conjugales comme un problème de société, PU Artois, 2018.

[3] TA AN, n° 2201, 2019-2020, amendement CL128.

[4] Sans oublier que la communauté LGBT est tout autant affectée !

[5] I. Corpart, Inapplicabilité de l’article 220-1 du Code civil : les lacunes du dispositif de protection civile des concubines subissant des violences «conjugales», note sous TGI Lille 21 février 2006, Dr. fam. juillet-août 2006, comm. n° 141.

[6] I. Corpart, Intensification de la lutte contre les violences conjugales, Dr. fam. 2010, étude 27.

[7] I. Corpart, Conjugalité et violence, les liaisons dangereuses, LPA 2017, n° 207, p. 6.

[8] Pour faire évoluer les mentalités, rappelons que le président de la République a fait de l’égalité entre les hommes et les femmes la grande cause de son quinquennat.

[9] JO du 29 décembre 2019.

[10] Voir déjà, loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (N° Lexbase : L9766HH8) : I. Corpart, Haro sur les violences conjugales, RLDC 2007/35, n° 2403 ; loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 : I. Corpart, Intensification de la lutte contre les violences conjugales, préc. ; N. Fricero, La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes : nouvelles armes juridiques, RJPF 2010-9, p. 8 ; E. Mulon et J. Casey, La loi du 9 juillet 2010 et le décret du 29 septembre 2010 sur les violences conjugales : aspects de droit civil et pénal, Gaz. Pal. 2010, n° 315, p. 6 ; loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N) : J. Alix, Le dispositif français de protection des victimes de violences conjugales, AJ pénal 2014. 208 ; A. Bourrat-Guégen, Le renforcement de la protection des personnes victimes de violences au sein du couple dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, LPA 2015, n° 31, 7 ; A.-M. Leroyer, Egalité hommes et femmes. Luttes contre les violences, RTDCiv., 2014. 947. Adde, M. Couturier, Les évolutions du droit français face aux violences conjugales. De la préservation de l’institution familiale à la protection des membres de la famille, Dialogue 2011/1 (n° 191), p. 67 ; M.-J. Grihom, M. Grollier, Femmes victimes de violences conjugales, Presses universitaires de Rennes, 2013 ; E. Herman, Lutter contre les violences conjugales, Presses universitaires de Rennes, 2016 ; M. Jaspard, Les violences contre les femmes, La Découverte, coll. Repères, 2005 ; M. Juston, Violences conjugales et affaires familiales, AJ famille 2014.489 ; C. Metz et A. Thevenot (dir.), Lutter contre les violences conjugales, Presses universitaires de Strasbourg, à paraître ; M. Pichard et C. Viennot (dir.), Le traitement juridique et judiciaire des violences conjugales, Mare & Martin, 2016.

[11] Proposition de loi n° 2478 visant à protéger les victimes de violences conjugales http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion2478.asp, déposée à l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019 qui contient, notamment, une disposition intéressante visant à décharger de son obligation de secret, le professionnel de santé qui dénoncerait au procureur, sans l’accord de la victime, des violences conjugales «lorsqu’il a l’intime conviction que la victime majeure est en danger immédiat et qu’elle se trouve sous l’emprise de leur auteur» et, suite à des condamnations pour violence, à décharger les enfants de leur obligation alimentaire.

[12] R. Cario, L'enfant exposé aux violences familiales : contextualisation, in R. Cario (dir.), L'enfant exposé aux violences familiales. Vers un statut spécifique ?, L'Harmattan, coll. Controverses, 2012, p. 11 ; E. Durand, Violences conjugales et parentalité. Protéger la mère, c’est protéger l’enfant, L’Harmattan, 2013 ; A. Dionisi-Peyrusse et M. Pichard, La prise en compte des violences conjugales en matière d’autorité parentale, AJ famille 2018, p. 34 ; C. Gatto, L’enfant face aux violences conjugales, AJ famille 2013, p. 271 ; A. Gouttenoire, La prise en compte des violences dans le cadre de l'autorité parentale, AJ fam. 2010. 518 ; K. Sadlier (dir.), Violences conjugales : un défi pour la parentalité, Dunod, 2015.

[13] Les deux parents doivent toutefois être appelés à l’instance et, si l’enfant a fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative, la délégation ne peut intervenir qu’après avis du juge des enfants (C. civ., art. 377, al. 4 N° Lexbase : L0254K7K).

[14] Voir déjà l’instauration d’une «culture de la protection des victimes» : Circulaire du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2019/05/cir_44706.pdf, Journal des accidents et des catastrophes, n° 188, juin 2019. Dans le même esprit, la loi de 2019 modifie l’article L. 114-3 du Code du service national (N° Lexbase : L3014LU8) : «une information consacrée à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises au sein du couple est dispensée».

[15] Depuis janvier 2019, plus de 70 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint, chiffres cités par C. Duparc, Les homicides conjugaux sous l’angle judiciaire. A propos du rapport de l’Inspection générale de la justice, JCP éd. G, 2019, 16 déc. 2019. 1320. Le rapport rendu public le 17 novembre 2019 a révélé de nombreux dysfonctionnements dans la prise en charge des dossiers.

[16] Appareil, muni d'une seule touche, ce qui permet aux victimes d'appeler plus facilement les secours.

[17] Un décret en Conseil d’Etat après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en précisera les modalités d’application (art. 10 et 11 de la loi).

[18] Vu le succès de ce dispositif, un millier de bracelets supplémentaires devraient être mis à disposition au cours de l’année.

[19] «Ce dispositif fait l'objet d'un traitement de données à caractère personnel, dont les conditions et les modalités de mise en œuvre sont définies par décret en Conseil d'Etat» : C. civ., art. 515-11-1, II.

[20] Si le conjoint refuse le port du bracelet anti-rapprochement, il viole les obligations qui lui incombent et l’on peut en tenir compte. Cela peut pourra donner lieu à la révocation de la mesure dont il bénéficie et conduire à son incarcération.

[21] A l’occasion d’une procédure de divorce, il est possible également d’invoquer le devoir de respect introduit dans l’article 212 du Code civil par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006.

[22] Abrogé par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 22.

[23] Complétée par la loi n° 2004-873 du 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

[24] L’interdiction du port d’arme, une fois l’ordonnance de protection prononcée (C. civ., art. 515-11, 2°), est renforcée par la loi du 28 décembre 2019 qui complète le Code de la sécurité intérieure, interdisant notamment toute acquisition d’armes (C. séc. int., art. L. 312-3-2, art. L. 312-16, al. 4).

[25] Pour ses insuffisances : M. Doucet, Le combat contre les violences conjugales doit passer par une reformulation de l’article 515-9 du Code civil, Gaz. Pal. 24 sept. 2019, n° 359, p. 14.

[26] La formule était critiquée car sujette à interprétations divergentes.

[27] On notera qu’à plusieurs reprises, le législateur exige que la décision du juge soit spécialement motivée, renforçant ainsi les obligations du juge.

[28] Le Gouvernement devra rendre au Parlement, dans les trois ans, un rapport relatif à l’application de ce dispositif (art. 7 et 18 de la loi).

[29] I. Corpart, Assurer un toit aux victimes de violences conjugales, premier jalon d’une protection efficace et pérenne, Journal des accidents et des catastrophes, n° 167, mai 2017.

[30] Mesures qui doivent entrer en vigueur le 28 juin 2020.

[31] Cette mesure fait suite à un amendement du Sénat, sachant que les sénateurs auraient également souhaité étendre à l’auteur des violences conjugales l’indignité successorale mais qu’ils n’ont pas été entendus.

[32] Une application mobile permettant aux victimes de violences d'obtenir toutes les informations utiles sur les démarches à accomplir, les professionnels du droit et de la santé installés à proximité du domicile, les associations et services susceptibles d'aider les victimes doit être mise en place également, pour mieux les accompagner. Il est demandé au Gouvernement de présenter au Parlement, à la fin mars, un rapport sur les perspectives de cette application venant en aide aux victimes.

[33] Voir en ce sens les recommandations faites par l’Inspection générale de la justice dans le rapport précité du 17 novembre 2019.

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Conformité à la Constitution du plafonnement de la déductibilité fiscale des frais généraux des entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-819 QPC, du 7 janvier 2020 (N° Lexbase : A9130Z9Z)

Lecture: 2 min

N1819BYZ

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Janvier 2020

Les dispositions de l’article 21 du Code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2015-5 du 18 décembre 2015, sont conformes à la Constitution.

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 7 janvier 2020 (Cons. const., décision n° 2019-819 QPC, du 7 janvier 2020 N° Lexbase : A9130Z9Z).

Pour rappel, l’article 21 du Code général des impôts de la Nouvelle-Calédonie prévoit que les entreprises n’ayant pas en Nouvelle-Calédonie leur siège social ou leur direction effective ne pourront déduire de leur chiffre d’affaires imposable qu’un montant de frais généraux plafonné à 5 % du montant des services extérieurs.

Pour la banque requérante, cette disposition introduit entre les établissements exerçant des activités sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie une inégalité selon qu’elles y ont ou non leur siège social ou leur direction effective.

Le Conseil d’Etat avait renvoyé au Conseil constitutionnel la conformité de ces dispositions (CE 10° et 9° ch.-r., 4 octobre 2019, n° 432615, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5130ZQ3).

Pour le Conseil constitutionnel, par les dispositions contestées, le législateur du pays a entendu lutter contre les transferts indirects de bénéfices consistant pour les entreprises établies en Nouvelle-Calédonie à réduire leur bénéfice imposable en surévaluant le montant des frais généraux qu'elles acquittent à des entreprises situées hors de ce territoire avec lesquelles elles entretiennent des liens. Il a donc poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il a ainsi été tenu compte des possibilités de transferts indirects de bénéfices dont disposent ces entreprises en raison de la nature des liens qu'elles entretiennent avec des entreprises situées hors de la Nouvelle-Calédonie à l'égard desquelles l'administration ne dispose pas des mêmes pouvoirs de vérification et de contrôle que sur les entreprises situées en Nouvelle-Calédonie. Eu égard au plafond de déduction retenu, le législateur du pays s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels pour établir cette présomption de transfert indirect de bénéfices.

Le Conseil constitutionnel émet cependant une réserve. «Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que l'entreprise soit autorisée à apporter la preuve que la part de ses frais généraux qui excède le montant de 5 % de ses services extérieurs ne correspond pas à un transfert indirect de bénéfices. Sous cette réserve, les dispositions contestées, qui ne conduisent par ailleurs pas à une imposition confiscatoire, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques».

newsid:471819

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Redressement intégrant la prise en compte de recettes non comptabilisées et de charges non justifiées ainsi qu'une variation négative des stocks : absence de présomption de distribution

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 19 décembre 2019, n° 429309, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6401Z8L)

Lecture: 3 min

N1836BYN

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Janvier 2020

Le redressement d’un exercice déficitaire devenant ainsi bénéficiaire en intégrant la prise en compte de recettes non comptabilisées et de charges non justifiées ainsi qu’une variation négative des stocks ne laisse pas présumer d’une distribution au sens de l’article 109, 1, 1° du Code général des impôts (N° Lexbase : L2060HLU).

Telle est la solution retenue par un arrêt en date du 19 décembre 2019 (CE 8° et 3° ch.-r., 19 décembre 2019, n° 429309, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6401Z8L).

En l’espèce, une société qui exerce une activité de marchand de biens et d’agence immobilière a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle son bénéfice au titre de l’année 2013 a été fixé par l’administration. Des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés ont été établies selon la procédure de taxation d’office en l’absence de dépôt de déclaration par la société. Cette dernière a sollicité que soit imputé sur le bénéfice de son exercice clos en 2013, une fraction du déficit constaté au titre de l’exercice clos en 2014. L’administration rejette cette demande au motif que les bénéfices clos en 2013 devaient être regardés comme distribués. Le tribunal administratif d’Orléans rejette la demande de la société. La cour administrative d’appel confirme ce jugement (CAA de Nantes, 31 janvier 2019, n° 17NT01574 N° Lexbase : A2900ZDR).

Pour rappel, sont considérés comme revenus distribués tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. Les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés (CGI, art. 110 N° Lexbase : L2063HLY).

Le bénéfice de l'exercice clos en 2013 de la société a été déterminé par l’administration, d’une part, en réintégrant dans les recettes des produits exceptionnels non comptabilisés et en remettant en cause des charges non justifiées, et, d'autre part, en corrigeant à la baisse la valeur d'inscription, au bilan d'ouverture de l'exercice, d'un immeuble cédé en cours d'exercice, ce qui a eu pour effet une réduction de la variation négative des stocks.

En jugeant que le bénéfice de l'exercice clos en 2013 devait être regardé comme distribué au seul motif qu'il procédait, pour un total supérieur à ce montant, de la réintégration dans les recettes de la société de produits non comptabilisés et de la remise en cause de charges non justifiées, et en écartant comme sans incidence à cet égard l'argumentation de la société tirée de ce que le rehaussement de résultat provenait, pour un montant supérieur au bénéfice net ainsi retenu par l'administration, d'une modification de la variation de ses stocks procédant de la correction de leur valeur d'inscription dans le bilan d'ouverture et n'ayant entraîné, par elle-même, aucun désinvestissement, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

Sur les conditions d’application de la présomption de distribution des bénéfices sociaux non conservés par une société (CE 7°, 8° et 9° ch.-r., 5 décembre 1984, n° 49962 N° Lexbase : A3973B7B ; CE 8° et 3° ch.-r., 7 septembre 2009, n° 309786, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8918EKI) (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X9340ALI).

 

newsid:471836

Fiscalité internationale

[Brèves] La France met à jour sa liste de paradis fiscaux

Réf. : Arrêté du 6 janvier 2020, modifiant l'arrêté du 12 février 2010 pris en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 238-0 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L2899LUW)

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N1828BYD

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Janvier 2020

► Un arrêté du 6 janvier 2020 (N° Lexbase : L2899LUW), publié au Journal officiel du 7 janvier 2020, modifie la liste des Etats et territoires non coopératifs en matière fiscale.

Pour rappel, la notion d’Etat ou territoire non coopératif est un des principaux instruments de lutte contre l’évasion fiscale.

En application de l’article 238-0 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L6050LMZ), sont retirés de cette liste les Etats ou territoires qui, au 1er janvier, ont conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant d’échanger tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties et y sont ajoutés les Etats ou territoires ayant conclu avec la France une telle convention, mais dont les stipulations ou la mise en œuvre n’ont pas permis à l’administration des impôts d’obtenir les renseignements nécessaires à l’application de la législation fiscale française.

Le Botswana, Brunei, le Guatemala, les Iles Marshall, Nauru et Niue sont retirés de cette liste. Sont ajoutés à la liste Anguilla, les Bahamas, les Iles Vierges britanniques et les Seychelles ainsi que le Vanuatu, Fidji, Guam, les Iles Vierges américaines, Oman, les Samoa américaines, Samoa et Trinité-et-Tobago.

Le texte est entré en vigueur le 8 janvier 2020.

newsid:471828

Procédure

[Brèves] Contrôle du respect, par une société exerçant des activités de surveillance à distance des biens, de l'obligation de lever le doute avant de solliciter les forces de l'ordre

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 31 décembre 2019, n° 419311, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4065Z9G)

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N1842BYU

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par Yann Le Foll

Le 15 Janvier 2020

► Les juges du fond apprécient souverainement, sauf dénaturation, le respect, par une société exerçant des activités de surveillance à distance des biens, de son obligation, prévue à l'article L. 613-6 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5517IS7), de lever le doute avant de solliciter les forces de l'ordre.

Tel est le principe rappelé par le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 31 décembre 2019 (CE 5° et 6° ch.-r., 31 décembre 2019, n° 419311, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4065Z9G).

Faits. A la suite d'appels adressés aux forces de l'ordre par la société X en raison d'alertes sur des locaux dont cette société assurait la surveillance, le préfet de la zone de défense et de sécurité Ouest a infligé à la société sept sanctions pécuniaires sur le fondement des dispositions précitées. Par sept jugements du 20 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les demandes d'annulation des titres de recette correspondants.

La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 janvier 2018 de la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 26 janvier 2018, n° 16NT04068 N° Lexbase : A5886XPP), en tant que cet arrêt, après avoir annulé deux des sept titres de recette et déchargé la société de l'obligation de verser les sommes correspondantes, a rejeté le surplus de ses conclusions relatives aux cinq autres titres de recette.

Rappel. L'article L. 613-6 du Code de la sécurité intérieure énonce qu’«est injustifié tout appel des services de la police nationale ou de la gendarmerie nationale par les personnes physiques ou morales exerçant des activités de surveillance à distance des biens meubles ou immeubles qui entraîne l'intervention indue de ces services, faute d'avoir été précédé d'une levée de doute consistant en un ensemble de vérifications, par ces personnes physiques ou morales, de la matérialité et de la concordance des indices laissant présumer la commission d'un crime ou délit flagrant concernant les biens meubles ou immeubles».

Application. La cour administrative d’appel a relevé qu'après réception d'une alerte portant sur un local le 13 octobre 2012 à 19h47, la société de surveillance, si elle avait procédé à plusieurs appels téléphoniques infructueux aux numéros fournis par le propriétaire de ce local, n'avait toutefois pas attendu le rapport de l'agent qu'elle avait dépêché sur place à 19h55 avant d'alerter, dès 20h05, les forces de l'ordre.

En estimant que, dans ces circonstances, la société de surveillance n'avait pas procédé à l'ensemble de vérifications permettant de regarder comme remplie l'obligation qui pesait sur elle, en application des dispositions citées ci-dessus, de lever le doute avant de solliciter les forces de l'ordre, la cour administrative d'appel, qui a pu sans erreur de droit juger que, même lorsque l'alerte résultait de l'émission d'un code d'alerte par l'abonné lui-même, le recours à des "contre-appels" aux numéros de téléphone fournis par ce dernier n'assurait pas nécessairement, par lui-même, une telle levée de doute, s'est livrée à une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, des pièces du dossier qui lui était soumis.

newsid:471842

Procédure administrative

[Brèves] Rappel du principe de l’impossibilité pour le juge judiciaire de se prononcer sur la légalité d’un acte administratif

Réf. : Cass. civ. 1, 8 janvier 2020, n° 19-10.001, F-P+B+I (N° Lexbase : A5580Z9K)

Lecture: 3 min

N1821BY4

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par Yann Le Foll

Le 15 Janvier 2020

Hors les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant en matière civile ne peuvent porter une appréciation sur la légalité d’un acte administratif, sauf lorsqu’il apparaît, au vu d’une jurisprudence établie, que cette illégalité est manifeste.

Tel est le principe rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 janvier 2020 (Cass. civ. 1, 8 janvier 2020, n° 19-10.001, F-P+B+I N° Lexbase : A5580Z9K).

Rappel. Au terme d’un principe acquis de longue date, si le juge civil peut interpréter un acte administratif réglementaire, il n’appartenait qu’à la seule juridiction administrative d’en apprécier la légalité (T. confl., 16 juin 1923, n° 00732, Septfonds N° Lexbase : A9729A7H). Ainsi, le juge civil ne peut pas apprécier la validité d'une convention de délégation de service public (Cass. com., 11 février 2003, n° 00-16.935, FS-P N° Lexbase : A0165A7A). Toutefois, la décision «SCEA du Chéneau» a tempéré ce principe en énonçant que «si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d’un acte administratif, les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir jusqu’à ce que la question préjudicielle de légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal» (T. confl., 17 octobre 2011, n° 3828 N° Lexbase : A8382HY4).

Décision attaquée. Pour ordonner à la société de procéder à la remise en état des parcelles litigieuses, dans les conditions prévues à la convention conclue entre les parties, l’arrêt retient que la lettre du 22 novembre 2010 ne peut être considérée comme une décision du préfet, dès lors qu’elle émane de la direction des affaires juridiques et de l’administration locale de la préfecture de la Somme, qu’elle est signée «pour le préfet et par délégation, le directeur», qu’elle se borne à donner une «suite favorable» à un projet et ne contient donc aucune obligation, qu’elle ne mentionne aucun délai ni voie de recours possible, qu’elle ne fait référence à aucune autre décision ni à un quelconque arrêté préfectoral et, enfin, qu’elle n’est adressée qu’à la société.

Application. En se prononçant ainsi sur le caractère décisoire de l’acte administratif unilatéral en cause et, en conséquence, sur sa légalité, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe et la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III (cf. l'Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E5320EXC).

newsid:471821

Procédure civile

[Brèves] Communication par voie électronique devant la cour d’appel : absence de disproportion de la sanction de l’irrecevabilité prévue par l’article 930-1 CPC

Réf. : Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-24.513, F-P+B+I (N° Lexbase : A47083AM)

Lecture: 4 min

N1864BYP

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 27 Février 2020

L'absence de remise par voie électronique au greffe de la copie de l’assignation à jour fixe constitue une irrecevabilité relevée d’office entraînant la caducité de la déclaration d’appel, en l’absence de justification de cause étrangère ayant empêché le recours à la voie électronique ;

►cette sanction de l’irrecevabilité est proportionnée au but légitime que poursuit cette disposition, qui est d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel, de sorte qu'elle ne procède, par elle-même, d'aucun formalisme excessif, dans la mesure où l’obligation prévue par l’article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0969H4N) est dénuée d’ambiguïté pour un avocat, professionnel averti.

Telles sont les précisions apportées par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendu le 9 janvier 2020 (Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-24.513, F-P+B+I N° Lexbase : A47083AM).

En l’espèce, dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière engagée devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance, au stade de l’audience d’orientation, il a été retenu un certain montant pour la créance d’une société qui avait la qualité de créancier inscrit. Cette dernière a interjeté appel du jugement d’orientation, après avoir été autorisée à assigner à jour fixe selon les dispositions de l’article 917 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0969H4N). Le conseil de l’appelante a déposé une copie de l’assignation en version «papier» au greffe avant le jour de l’audience. La cour d’appel de Paris, a déclaré caduc son appel, par un arrêt rendu le 13 septembre 2018.

Le demandeur au pourvoi invoque que la cour d'appel aurait violé avec l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), ensemble les articles 922 (N° Lexbase : L0982H47) et 930-1 du Code de procédure civile, compte tenu de l’excès de formalisme en matière de procédure portant atteinte au droit d’accès à un tribunal, et l’abstention de tout examen du caractère disproportionné avec la sanction prononcée d’office par le juge (pour rappel, l’article 930-1 précité indique en effet clairement la sanction : «A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique»).

L’argument est balayé par la Haute juridiction qui relève, d’abord, que, dans la mesure où le moyen invoquait pour la première fois une violation de l'article 6, § 1, de la CEDH, elle ne pouvait apprécier le caractère proportionné de la sanction prononcée par la cour d'appel qu'au regard des textes applicables au litige et des éléments que cette dernière avait constatés.

En tout état de cause, selon la Cour de cassation, cette sanction ne procède, par elle-même, d'aucun formalisme excessif, comme indiqué supra.

Aussi ayant exactement retenu qu'il résulte des dispositions des articles 922 et 930-1 du Code de procédure civile que, dans le cadre d'une procédure à jour fixe, la cour d'appel est saisie par la remise d'une copie de l'assignation au greffe avant la date de l'audience à peine de caducité de la déclaration d'appel, cette remise devant être effectuée par voie électronique, puis constaté que l'appelante n'avait pas déposé par voie électronique au greffe une copie de l'assignation à jour fixe qu'elle avait délivrée, c'est à bon droit que la cour d'appel a déduit de l'irrecevabilité de la remise de la copie de l'assignation, la caducité de la déclaration d'appel.

On ajoutera que seuls les actes de procédure destinés à la cour d'appel doivent être remis par la voie électronique (en ce sens, Cass. civ. 2, 7 décembre 2017, n° 16-19.336, F-P+B+I N° Lexbase : A6749W4Q).

newsid:471864

Propriété intellectuelle

[Textes] La transposition de la Directive «Marques» en droit français ou l’émergence d’un «nouveau» droit des marques

Réf. : Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, relative aux marques de produits ou de services (N° Lexbase : L5296LTC) et décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, relatif aux marques de produits ou de services (N° Lexbase : L8139LTM)

Lecture: 17 min

N1876BY7

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par Yann Basire, Maître de conférences au CEIPI, Directeur général et Directeur de la section française du CEIPI

Le 16 Janvier 2020

En décembre 2015, le Parlement européen adopta, définitivement, le «Paquet Marques» [1], comprenant une nouvelle Directive harmonisant le droit national des marques des Etats membres (ci-après Directive «Marques» ) [2] et un nouveau Règlement portant sur le titre unique délivré par l’Office d’Alicante (ci-après RMUE) [3]. Si ce dernier est rapidement entré en vigueur [4], les Etats membres avaient jusqu’au 14 janvier 2019 pour transposer la Directive dans son ensemble, sauf s’agissant des nouvelles compétences administratives [5] conférées aux offices nationaux, pour lesquelles les Etats membres se voyaient accorder un délai supplémentaire de transposition de quatre ans [6]. Les objectifs poursuivis par cette réforme étaient nombreux : rendre plus accessibles et plus efficients les systèmes d'enregistrement des marques [7], tout en assurant une plus grande cohérence, une plus grande complémentarité des systèmes -nationaux et européens- qui se superposent [8]. Ce faisant, la marge de manœuvre des Etats membres, s’agissant tant du droit matériel que des règles de procédure, s’est trouvée réduite à sa portion congrue.

Près de quatre ans après cette adoption et plus de dix mois après la date imposée par le législateur européen, la Directive «Marques» est enfin transposée en droit français. C’est par le biais d’une ordonnance, autorisée en cela par l’article 201 de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises [9] -dite  loi «Pacte»-, que le Gouvernement français a décidé de procéder. Le texte, l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, relative aux marques de produits ou de services [10], est entrée en vigueur le 11 décembre 2019 à la suite de la publication de son décret d’application -sauf s’agissant des nouvelles dispositions relatives à la procédure en nullité et en déchéance de marques dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er avril 2020-. L’impatience, mêlée à l’inquiétude des spécialistes français du droit des marques, doit ainsi désormais laisser place à la réalité du droit positif.

Tout comme la Directive«Marques» à son époque, une première lecture du Livre VII du Code de la propriété intellectuelle ne laisse pas de place aux doutes : les modifications sont nombreuses et concernent l’ensemble de la matière, à tel endroit qu’il ne semble pas erroné d’évoquer l’émergence d’un nouveau droit des marques en France [11]. Si l’assertion peut paraître excessive, elle permet toutefois de mettre en exergue le changement de paradigme auquel la pratique devra faire face, tant sur le fond de la matière (I), que sur la forme (II). En effet, en sus d’un changement de numérotation qui impliquera un temps d’adaptation, l’ordonnance intègre en droit français de nombreuses nouveautés résultant non seulement de la Directive, mais aussi de choix discrétionnaires faits par le Gouvernement français. 

I - Les modifications du droit matériel

La suppression de l’exigence de représentation graphique. La première modification concerne l’exigence de suppression graphique. Condition jusqu’alors indispensable pour, notamment, déterminer avec exactitude la portée du droit [12], l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L5842LTK), reprenant sur ce point l’article 3 de la Directive [13], la supprime. Peuvent ainsi constituer des marques les signes qui sont propres à distinguer des produits ou des services pouvant être représentés dans le registre d’une manière permettant aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à leur titulaire. Cette disposition est, par ailleurs, complétée par l’article R. 711-1 (N° Lexbase : L8667LT8) qui reprend, dans son alinéa premier, les exigences dégagées par la Cour de justice dans l’arrêt «Sieckmann» [14] : la marque doit être représentée dans le registre national des marques sous une forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible, sous réserve de pouvoir être représentée dans ce registre de façon claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective.

Les motifs absolus de refus ou de nullité. A la manière de la Directive «Marques», mais aussi du Règlement sur la marque de l’Union européenne, l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L5843LTL) recense désormais l’ensemble des motifs absolus de refus et/ou de nullité. Si l’on y retrouve les traditionnelles exclusions des signes contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs, déceptifs, descriptifs ou bien encore génériques [15], le texte intègre quelques nouveautés. Il consacre l’exigence de distinctivité autonome [16], oubliée jusqu’alors par le législateur français. L’exclusion des formes des produits tenant à la nature des produits, à l’obtention d’un résultat technique ou à sa valeur substantielle est, en outre, étendue aux autres caractéristiques de ces produits [17]. L’avenir nous le confirmera sans aucun doute, mais il est probable que la nouvelle rédaction de ce paragraphe soit un frein supplémentaire à l’enregistrement des marques non traditionnelles. Sont également refusés à l’enregistrement les signes exclus en vertu de la législation nationale, du droit de l’Union européenne ou d’accords internationaux auxquels la France ou l’Union européenne sont parties et qui prévoient la protection des appellations d’origine, des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties [18]. De même, l’article L. 711-2, 10° indique expressément qu’une dénomination variétale ne peut faire l’objet d’un dépôt, sauf à ce qu’elle soit accompagnée d’autres éléments et qu’elle n’occupe pas dans cet ensemble une position dominante [19]. Enfin, le texte prévoit que la mauvaise foi du déposant constitue un motif absolu de refus [20]  -et non de nullité-.

Les motifs relatifs de refus. L’article L. 711-3 (N° Lexbase : L5844LTM) -auparavant article L. 711-4 (N° Lexbase : L3713ADU)- recense ensuite la liste des motifs relatifs de refus. Il est heureux de constater que la version finale du texte prévoit [21], comme l’impose l’article 5 § 3 sous a) de la Directive «Marques», qu’une marque renommée peut constituer une antériorité opposable au-delà de la spécialité [22]. S’ajoutent à cela les noms de domaine [23], lorsque leur portée n’est pas seulement locale, et le nom des entités publiques [24], si, dans les deux cas, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public. Enfin, l’article L. 711-3, III vise l’hypothèse spécifique du dépôt de marque, s’apparentant à un dépôt de mauvaise foi, opéré par l’agent ou le représentant du titulaire d’une marque protégée dans un Etat partie à la Convention de Paris, en son propre nom et sans l’autorisation du titulaire à moins que cet agent ou ce représentant ne justifie de sa démarche.

Les conditions de l’atteinte au droit de marque. S’agissant de la question de l’atteinte au droit de marque, l’ordonnance de transposition vient, tout d’abord, réparer les manquements de la loi de 1991 (loi n° 91-7 du 4 janvier 1991 N° Lexbase : O9957B38). Est ainsi consacrée l’exigence d’usage dans la vie des affaires, appliquée par la jurisprudence, mais absente jusqu’à présent des articles L. 713-2 (N° Lexbase : L5885LT7) et L. 713-3 (N° Lexbase : L5868LTI). De même, les nouveaux articles L. 713-2 et L. 713-3, respectant une fois de plus la lettre de la Directive «Marques», indiquent que l’atteinte sera constatée à la condition que le signe soit utilisé. La précision n’est pas anodine en ce qu’elle pourrait mettre fin au débat quant aux actions à mener contre les signes déposés, mais non encore exploités [25].

La protection de la marque renommée et de la marque notoire. Envisagée auparavant à l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2200ICH) dans le cadre d’une action en responsabilité civile spécifique, la protection de la marque renommée dans et au-delà de la spécialité est désormais visée à l’article L. 713-3 du même Code. La protection intègre, conformément au souhait du législateur européen [26], le giron du droit exclusif. Si des conséquences théoriques ne manqueront pas d’apparaître, notamment s’agissant de la question des fonctions de la marque renommée, ce sont les conséquences pratiques dont il conviendra de tenir compte dans l’immédiat, le titulaire d’une marque renommée pouvant dorénavant jouir des bénéfices [27], mais aussi pâtir des contraintes, liés à l’action en contrefaçon [28]. Il est en outre intéressant de noter que la marque notoire n’a pas suivi la même destinée, l’atteinte à celle-ci étant sanctionnée sur le seul terrain de la responsabilité civile, à l’exclusion de la contrefaçon [29]. Ce choix doit être salué en ce qu’il est conforme à l’article L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L5884LT4) qui dispose que c’est l’enregistrement de la marque qui confère à son titulaire un droit de propriété sur celle-ci pour les produits et services désignés.

Les actes préparatoires. Transposant l’article 11 de la Directive «Marques», l’article L. 713-3-3 (N° Lexbase : L5867LTH) prévoit la possibilité de sanctionner les actes préparatoires portant sur l’utilisation des différents supports sur lesquels sont apposées les marques. Ainsi, dès lors qu’il existe un risque qu’un de ces supports soit utilisé pour des produits ou services et que cet usage porte atteinte à une marque, le titulaire a la possibilité de faire interdire non seulement l’apposition du signe litigieux sur le support en question, mais aussi l’offre, la mise sur le marché ou la détention à ces fins, l’importation ou l’exportation de ceux-ci. L’intérêt de ce texte dépendra de l’interprétation que les juges lui donneront. Espérons en effet qu’une interprétation large soit retenue, afin de pouvoir sanctionner les différents opérateurs économiques intervenant dans la chaine de la contrefaçon, qu’ils soient intermédiaires physiques ou techniques.

Le transit. L’arrêt «Nokia/Philipps» avait eu pour conséquence de limiter de manière significative la portée du droit de marque en matière de transit[30]. Le législateur européen a pourtant fait le choix dans le cadre de la Directive «Marques»de revenir sur cette jurisprudence. Comme le prévoit le nouvel article L. 713-3-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L5866LTG), les titulaires de marques peuvent empêcher tout tiers d’introduire des produits dans un Etat membre où la marque est enregistrée, sans qu’ils soient mis en libre pratique, lorsque ceux-ci, conditionnement inclus, proviennent d’un pays tiers et portent sans autorisation une marque qui est identique à la marque enregistrée pour ces produits ou qui ne peut être distinguée, dans ses aspects essentiels, de cette marque. Cette faculté s’éteint toutefois si le déclarant ou le détenteur des produits apporte la preuve que les produits en question ne portent pas atteinte à la marque dans le pays de destination finale [31].

Les exceptions au droit de marque. L’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L5886LT8), relatif aux exceptions au droit de marque, est également modifié de manière significative. Il consacre à son premier alinéa la notion d’«usages loyaux du commerce». A l’inverse, l’exception relative aux indications géographiques pour les produits industriels et artisanaux disparaît. L’exception tenant à l’usage de son nom de famille voit ensuite sa portée réduite, celui-ci ne pouvant plus être invoqué par une personne morale. De même, absente de sa précédente rédaction, l’article consacre la notion d’«usages loyaux du commerce». Tout aussi regrettable est la limitation du rôle du juge dans l’appréciation de ces exceptions, l’ancien article L. 713-6, dernier alinéa (N° Lexbase : L7855IZX), permettant d’interdire, mais surtout de limiter l’usage litigieux.

L’usage sérieux. L’article L. 714-5, 3° du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L5890LTC) consacre partiellement [32], comme la Directive avant lui, la solution dégagée par la Cour de justice dans l’arrêt «Rintisch» [33]. L’absence d’usage d’une marque peut par conséquent être couverte par l’usage d’un signe, enregistré ou non, qui diffère de la marque non utilisée par des éléments n’altérant pas son caractère distinctif.

L’usage comme moyen de défense. L’une des innovations majeures de la réforme réside dans la place qu’elle laisse à l’usage comme moyen de défense dans le cadre des actions en nullité et des actions en contrefaçon [34]. L’article L. 716-2-3, 2° (N° Lexbase : L5896LTK) indique par exemple qu’est irrecevable une demande en nullité formée par le titulaire d’une marque antérieure enregistrée depuis plus de cinq à la date de dépôt ou à la date de priorité de la marque postérieure qui ne rapporte pas la preuve que la marque antérieure avait fait l’objet, pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée et qui sont invoqués à l’appui de la demande, d’un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque seconde. Dans le même ordre d’idée, l’article L. 716-2-4, 1° (N° Lexbase : L5897LTL) précise qu’une demande en nullité est jugée irrecevable lorsque le titulaire d’une marque antérieure n’est pas en mesure de rapporter la preuve que sa marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage, en cas de défaut de celui-ci au moment du dépôt, à la date de dépôt ou à la date de priorité de la marque seconde litigieuse.

Les signes de qualité. L’ordonnance du 13 novembre 2019 introduit d’importants changements s’agissant des signes de qualité et d’origine. En sus de l’inclusion des indications géographiques, des spécialités traditionnelles garanties et des mentions traditionnelles pour les vins dans les motifs absolus de refus, elle consacre les marques de garantie, dont le régime est calqué sur celui des marques de certification de l’Union européenne créées dans le cadre du Règlement sur la marque de l’Union européenne.

II - Les modifications des règles de procédures

La désignation des produits et des services. Reprenant l’article 39 de la Directive «Marques», l’article R. 712-3-1 (N° Lexbase : L8717LTZ) apporte des précisions importantes quant à la problématique de la désignation des produits et des services. Les produits et les services pour lesquels la protection est demandée doivent ainsi être désignés avec suffisamment de clarté et de précision. A défaut, les autorités compétentes et les opérateurs économiques ne sont pas en mesure de déterminer l’étendue de la protection demandée. Il est par ailleurs possible d’utiliser des termes généraux et, notamment, les intitulés de classe de la Classification de Nice pour désigner les produits et les services. Pour autant, l’utilisation de ces intitulés est possible à la condition que soit respectée l’exigence de clarté et de précision. Une désignation trop vague ou imprécise entrainera le rejet de la demande.

Les taxes. Comme le préconisait l’article 42 de la Directive «Marques», sans pour autant l’imposer, le choix a été fait de renoncer à une taxe de dépôt permettant de couvrir trois classes de produits ou services. L’arrêté du 9 décembre 2019, relatif aux redevances de procédures de l’INPI (N° Lexbase : L8187LTE) prévoit en effet, à son article 2, qu’il convient désormais de s’acquitter d’une redevance de 190 euros pour une classe et de 40 euros pour chaque classe supplémentaire au-delà de la première. La redevance pour le renouvellement s’élèvera quant à elle à 290 euros pour une classe et à 40 euros pour chaque classe supplémentaire.

L’opposition. La procédure d’opposition, facultative dans la précédente Directive et s’imposant dorénavant à l’ensemble des Etats membres, est élargie, de manière assez significative, à de nouveaux droits antérieurs : la dénomination sociale, le nom commercial, l’enseigne, le nom de domaine ainsi que les noms des entités publiques. En sus de cet élargissement, comme devant l’EUIPO -et les titulaires de famille de marques peuvent s’en réjouir-, il est dorénavant possible de former opposition sur la base de plusieurs droits antérieurs. Cette ouverture est contrebalancée par un renforcement du contrôle par l’INPI de l’usage des marques antérieures. Enfin, il apparaît que la procédure est elle-même repensée avec la mise en place d’une phase d’instruction [35] et d’un calendrier strict pendant lequel les parties pourront échanger [36].

Les procédures administratives. L’article 45 de la Directive «Marques»invitait les Etats membres à mettre en place une procédure administrative efficace et rapide permettant de demander la déchéance ou la nullité d’une marque. Face au silence du texte, l’enjeu était toutefois de déterminer la portée de cette compétence : exclusive au profit de l’INPI ou partagée avec le juge judiciaire. C’est la compétence exclusive qui a emporté les faveurs du Gouvernement français, l’article L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L7294LQ9) précisant que ne peuvent être formées que devant l’INPI «les demandes en nullité exclusivement fondées sur un ou plusieurs des motifs énumérés à l’article L. 711-2 (N° Lexbase : L5843LTL), aux 1° à 5°, 9° et 10° du I de l’article L. 711-3 (N° Lexbase : L5844LTM), au III du même article ainsi qu’aux articles L. 715-4 (N° Lexbase : L5818LTN) et L. 715-9 (N° Lexbase : L5819LTP)» et «les demandes en déchéances» pour défaut d’usage sérieux ou dégénérescence. Cette nouvelle procédure administrative, qui s’accompagne par ailleurs d’une disparition de l’exigence d’intérêt à agir, n’empêche pas, toutefois, de former un recours, avec effet dévolutif, devant la cour d’appel compétente. En outre, le juge judiciaire conserve sa compétence lorsque la demande en nullité ou en déchéance est connexe à toute autre action relevant de sa compétence. De même, elle sera tout autant préserver lorsque des mesures probatoires ou conservatoires ont été ordonnées, afin de faire cesser une atteinte à un droit, et sont en cours d’exécution avant l’engagement d’une action au fond.

Si ce rapide tour d’horizon suffit à révéler l’ampleur de la réforme, il ne s’avère cependant pas suffisant, en ce qu’il ne permet d’apprécier toutes les subtilités qui y sont liées. L’ensemble des questions survolées dans la présente introduction de ce numéro spécial de Lexbase affaires, dédié à la réforme du droit des marques, sont ainsi traités de manière plus substantielle par Marion Vidal-Lachaud [37], Caroline Le Goffic [38], Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski [39], ainsi que Bénédicte Lhomme-Houzai [40]qui envisagent respectivement les modifications tenant à la validité de la marque, aux signes de qualité, aux procédures et, enfin, aux atteintes au droit de marque.

 

[1] V. sur le sujet, La réforme du droit des marques en Europe : quid novi ?, Europe 2016, n° 5, étude n° 4 ; A. Bouvel et J. Canlorbe, Le «paquet marques» ou l’occasion manquée d’une vraie clarification, Propr. intell., 2016, n° 59, p. 186 ; O. Thrierr, Quel(s) nouveau(x) droit(s) des marques dans l’Union européenne, Propr. industr., 2016, n° 7, étude 14.

[2] Directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du conseil du 16 décembre 2015 (N° Lexbase : L6109KW8).

[3] Règlement (UE) n° 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 (N° Lexbase : L3614KWR), aujourd’hui Règlement (UE) n° 2017/1001 du 14 juin 2017 (N° Lexbase : L0640LGS). 

[4] Le 23 mars 2016 et le 1er octobre 2017.

[5] V. Directive «Marques», art. 45.

[6] Directive «Marques», art. 54. Les Etats membres ont ainsi jusqu’au 14 janvier 2023 pour transposer la nouvelle Directive. 

[7] Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil, Bruxelles, exposé des motifs, art. 1.2

[8] Ibid., exposé des motifs, art. 2.2.

[9] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK).

[10] V. également, O. Thrierr et S. Buchillot, (R)évolution(s) ? La transposition du «paquet marques», Propr. industr., 2020, n° 1, alerte 1.

[11] L’ouvrage de Mathély faisant suite à la transposition en 1991 de la première Directive d’harmonisation (Directive 89/104 du 21 décembre 1988 N° Lexbase : L9827AUI) s’intitulait «Le nouveau droit français des marques», éd. JNA, 1994.

[12] V. F. Pollaud-Dulian, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2ème éd., 2011, n° 1326, p. 732 ; J. Passa, Traité de droit de la propriété industrielle, t. 1, «Marques et autres signes distinctifs, Dessins et modèles», LGDJ, 2ème éd., 2009, n° 72, p. 85

[13] RMUE, art. 4.

[14] CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-273/00 (N° Lexbase : A3717A4G), point 55. V. également, CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-283/01 (N° Lexbase : A2988DAW), point 55. V. aussi, CJCE, 6 mai 2003, aff. C-104/01 (N° Lexbase : A9174B4K), point 29.

[15] C. prop. intell., art. L. 711-2, 3°, 4°, 7°, 8° (N° Lexbase : L5843LTL).

[16] C. prop. intell., art. L. 711-2, 2°.

[17] C. prop. intell., art. L. 711-2, 5°.

[18] C. prop. intell., art. L. 711-2, 9°.

[19] V. sur cette question, TUE, 18 juin 2019, aff. T-569/18 (N° Lexbase : A6664ZEK), Propr. intell., 2019, n° 73, nos obs..

[20] C. prop. intell., art. L. 711-2, 11° et L. 712-7 (N° Lexbase : L5843LTL).

[21] Le premier projet soumis à la consultation publique n’envisageait pas expressément la marque renommée comme antériorité opposable.

[22] C. prop. intell., art. L. 711-3, 2° (N° Lexbase : L5844LTM).

[23] C. prop. intell., art. L. 711-3, 4°.

[24] C. prop. intell., art. L. 711-3, 10°. 

[25] V. à ce sujet la note de la DGE relative à la transposition du «Paquet Marques» en droit français, p. 2 : «Seule l’utilisation effective du signe pour désigner des produits ou services peut être constitutive d’un acte de contrefaçon, à l’exclusion du simple dépôt à titre de marque». 

[26] Directive, art. 10 § 2 c).

[27] La saisie-contrefaçon, l’interdiction provisoire, etc..

[28] La forclusion par tolérance par exemple.

[29] C. prop. intell., art. L. 713-5 (N° Lexbase : L5812LTG).

[30] CJUE, 1er décembre 2011, aff. jointes C-446/09 et C-495/09 (N° Lexbase : A4607H3Z).

[31] C. prop. intell., art. L. 716-4-4 (N° Lexbase : L5892LTE).

[32] Quid des familles de marque ?

[33] CJUE, 25 octobre 2012, aff. C-553/11 (N° Lexbase : A8895IUY), Propr. industr., 2012, n° 12, comm. 88, obs. A. Folliard-Monguiral ; Légipresse, 2013, n° 310, p. 634, nos obs..

[34] C. prop. intell., art. L. 716-4-3 (N° Lexbase : L5905LTU).

[35] C. prop. intell., art. R. 712-16 (N° Lexbase : L1448LU8).

[36] C. prop. intell., art. R. 712-16-1 (N° Lexbase : L8723LTA).

[37] M. Vidal-Lachaud, Transposition de la Directive «Marques» : la validité de la marque, Lexbase, éd. Affaires, 2020, n° 620 (N° Lexbase : N1899BYY).

[38] C. Le Goffic, Transposition de la Directive «Marques» : la protection des signes d’identification de la qualité et de l’origine, Lexbase, éd. Affaires, 2020, n° 620 (N° Lexbase : N1868BYT).

[39] F. Fajgenbaum et Th. Lachacinski, Transposition de la Directive «Marques» : les (r)évolutions procédurales en questions, Lexbase, éd. Affaires, 2020, n° 620 (N° Lexbase : N1875BY4).

[40] B. Lhomme-Houzai,Transposition de la Directive «Marques» : l’atteinte au droit de marque, Lexbase, éd. Affaires, 2020, n° 620 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 56049773, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Textes] Transposition de la Directive \u00abMarques\u00bb : l\u2019atteinte au droit de marque", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N1893BYR"}}).

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Responsabilité

[Brèves] Droit du tiers à un contrat de se prévaloir du seul manquement contractuel pour obtenir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation du dommage qui en résulte, sans devoir démontrer une faute délictuelle distincte

Réf. : Ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963, P+B+R+I (N° Lexbase : A85133AK)

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par Manon Rouanne

Le 15 Janvier 2020

► Le tiers à un contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement, de sorte que, la société productrice de sucre de canne, qui, en application de la conclusion, entre une autre société de production de sucre et elle, d’une convention d’assistance mutuelle en période de campagne sucrière «en cas d’arrêt accidentel prolongé de l’une des usines», a été contrainte, du fait de l’incendie s’étant déclaré dans une usine électrique exploitée par une société tierce qui alimentait en énergie l’usine de son cocontractant, entraînant la fermeture de cette usine pendant quatre semaines, d’assurer une partie du traitement de la canne qui était dévolue à son partenaire, peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir du seul manquement contractuel du fournisseur d’énergie dans l’exécution de son obligation de fourniture d’énergie à l’égard de son cocontractant, pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de cette défaillance dans l’exécution du contrat.

Par cet arrêt en date du 13 janvier 2020, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, en confirmant sa position adoptée dans l’arrêt rendu le 6 octobre 2006 (Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255 N° Lexbase : A5095DR7 ; arrêt rendu pour faire cesser les positions différentes des chambres de la Cour, par exemple, Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, n° 99-13.135 N° Lexbase : A3975CZA vs Cass. com., 8 octobre 2002, n° 98-22.858 N° Lexbase : A9636AZW), vient, une nouvelle fois, mettre un terme aux «divergences» jurisprudentielles (Cass. civ. 3, 22 octobre 2008, n° 07-15.583, FS-P+B N° Lexbase : A9327EAP ; Cass. com., 8 février 2011, n° 09-17.034, F-P+B N° Lexbase : A7230GWP ; Cass. com., 18 janvier 2017, n° 14-16.442, F-D N° Lexbase : A7002S99 ; Cass. civ. 3, 18 mai 2017, n° 16-11.203, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2751WDA), source d’incertitudes, relatives au fait générateur pouvant être utilement invoqué par un tiers poursuivant l’indemnisation du dommage qu’il impute à une inexécution contractuelle (Ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963, P+B+R+I N° Lexbase : A85133AK).

Selon l'Assemblée plénière, la victime, qui est en dehors du champ contractuel, impute au contractant son manquement contractuel qui est une faute délictuelle à son égard. 

En l’espèce, deux sociétés, ayant pour objet social la fabrication et la commercialisation du sucre de canne, ont conclu un protocole aux fins de concentrer le traitement de la production sur deux usines, chacune appartenant respectivement aux deux sociétés contractantes. En outre, dans ce même objectif de collaboration, elles ont, deux mois après la conclusion du protocole, conclu une convention de travail à façon déterminant la quantité de sucre à livrer au commettant et la tarification du façonnage. Dans le même temps, les deux sociétés contractantes se sont engagées par la conclusion, entre elles, d’un contrat d’assistance mutuelle en période de campagne sucrière entre les deux usines «en cas d’arrêt accidentel prolongé de l’une des usines». Une nuit, un incendie s’est déclaré dans une usine exploitée par une société tierce en charge d’alimenter en énergie l’usine de production de l’une des deux sociétés ayant pour conséquence la fermeture de cette usine pendant un mois. Aussi, en vertu de la convention d’assistance mutuelle, l’autre société a assuré, à la place de la société n’ayant plus d’électricité, le traitement d’une partie de la canne qui aurait dû être effectué par cette dernière et a, dès lors, subi un dommage consistant dans des pertes d’exploitation. Son assureur ayant indemnisé la société du préjudice subi, il a, en exerçant son action subrogatoire, engagé une action en responsabilité à l’encontre du cocontractant de son assuré et de la société en charge de fournir l’énergie pour obtenir le remboursement du montant de la réparation versé.

La cour d’appel (CA Saint-Denis de la Réunion, 5 avril 2017, n° 15/00876 N° Lexbase : A4087UXN), ayant refusé de faire droit à ses demandes, d’une part, en rejetant, l’engagement de la responsabilité du cocontractant de son assuré aux motifs que l’assureur ne pouvait avoir davantage de droits que son assuré et qu’en raison de la convention d’assistance mutuelle conclue entre les deux sociétés, la société, venue en aide à l’autre du fait de l’incendie, ne pouvait exercer d’action contre son cocontractant et, d’autre part, en refusant de retenir la responsabilité de l’usine fournisseur d’énergie en affirmant que la faute, la négligence ou l’imprudence de celle-ci à l’origine de sa défaillance contractuelle n’était pas établie.

Contestant l’arrêt rendu par les juges du fond, l’assureur, subrogé dans les droits de la société ayant apporté son assistance, a, alors formé un pourvoi en cassation. Dans un premier temps, pour voir la responsabilité de la société aidée engagée, le demandeur a, notamment, allégué, comme moyens, que la convention d’assistance mutuelle n’induisait pas une renonciation des parties à agir l’une contre l’autre en raison du préjudice pouvant résulter de l’exécution de ce contrat. Dans un second temps, le demandeur, pour contredire le refus de la cour d’appel d’engager la responsabilité délictuelle du fournisseur d’énergie, a argué qu’il pouvait se prévaloir, à l’encontre de celui-ci, de sa seule défaillance contractuelle pour obtenir réparation du préjudice qui en résulte sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Rejoignant la position adoptée par la juridiction de second degré, la Cour de cassation a, dans le sillage des motifs développés par la cour d’appel, rejeté l’engagement de la responsabilité de la société ayant subi l’arrêt de sa production en affirmant que, dans la mesure où, d’une part, il relève de la convention d’assistance mutuelle, qui procédait d’une démarche de collaboration, qu’en cas de difficultés technique, une entraide devait être mise en place conduisant à la répartition des cannes à brasser et, d’autre part, les parties contractantes s’étaient entendues sur la mise en œuvre de cette convention à la suite de l’arrêt complet de l’usine, l’assureur ne pouvait invoquer la faute contractuelle du cocontractant de son assuré pour engager sa responsabilité contractuelle.

En revanche, ne confortant pas la position adoptée par les juges fond quant au refus d’engager la responsabilité délictuelle du fournisseur d’énergie, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel.

Rappelant son interprétation initiale de l’article 1165 ancien du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK, devenu l'article 1199 du Code civil N° Lexbase : L0922KZ8) (Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255 N° Lexbase : A5095DR7), l’Assemble plénière, pour mettre fin aux divergences jurisprudentielles relatives au fait générateur pouvant être utilement invoqué par un tiers poursuivant l’indemnisation du dommage qu’il impute à une inexécution contractuelle, affirme, à nouveau, que le manquement par un contractant à une obligation contractuelle étant de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage, le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est, dès lors, pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement pour en obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Ainsi, en l’occurrence, l’assureur pouvait se prévaloir du seul manquement du fournisseur d’énergie dans l’exécution de ses obligations contractuelles dans apporter la preuve de la commission d’une faute délictuelle pour engager, à son égard, sa responsabilité délictuelle.

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Responsabilité administrative

[Jurisprudence] La responsabilité de l’Etat du fait d’une loi inconstitutionnelle

Réf. : CE Ass., 24 décembre 2019, n°s 428162 (N° Lexbase : A2890Z9W) et 425983 (N° Lexbase : A2871Z99), publiés au recueil Lebon et n° 425981, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2870Z98)

Lecture: 18 min

N1856BYE

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par Pierre Tifine, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz

Le 15 Janvier 2020

Par trois arrêts d’Assemblée rendus le 24 décembre 2019, le Conseil d’Etat affirme pour la première fois que la responsabilité de l’Etat peut être engagée pour réparer les préjudices résultant de lois contraires à la Constitution. Il soumet toutefois la condamnation de l’Etat législateur à des conditions particulièrement sévères, qui ce qui laisse planer un sérieux doute sur l’avancée réelle que constitue cette innovation jurisprudentielle.

Ces trois affaires mettaient en cause les mêmes dispositions de l’article 7, alinéa 1er, de l’ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986, relative à l’intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise et à l’actionnariat des salariés (N° Lexbase : L0264AIM).  Ces dispositions soumettaient toute entreprise, «quelles que soient la nature de son activité et sa forme juridique […] aux obligations de la présente section, destinées à garantir le droit de ses salariés à participer aux résultats de l’entreprise». L’article 15 de la même ordonnance, actuellement codifié à l’article L. 442-9 alinéa 1er du Code du travail (N° Lexbase : L1870DCA), renvoyait à un décret en Conseil d’Etat la détermination des entreprises publiques et sociétés nationales concernées. Les textes opéraient ainsi une distinction entre les entreprises publiques et les entreprises privées. Cette différence de traitement était accentuée par le fait que selon la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance susvisée devaient s’appliquer à toute personne de droit privé ayant pour objet une activité purement commerciale, quelle que soit l’origine de son capital et cela même s’il «est détenu en partie par une entreprise publique» [1].

Saisi dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 1er août 2013 a ensuite déclaré le premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance contraire à la Constitution [2]. Ce n’est toutefois pas l’inégalité de traitement entre les entreprises publiques et les entreprises privées qui motive cette décision, mais l’incompétence négative du législateur qui n’a pas «encadré le renvoi au décret et a conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour modifier le champ d’application de la loi» entravant ainsi la liberté d’entreprendre.

Consécutivement à cette décision, le tribunal administratif de Paris a été saisi de trois demandes indemnitaires qui ont été rejetées [3], solutions ensuite confirmées par la cour administrative d’appel de Paris [4]. Le Conseil d’Etat rejette à son tour le pourvoi en cassation formé par les requérants. Il admet surtout, pour la première fois, une responsabilité de l’Etat législateur du fait d’une loi inconstitutionnelle dont il définit les contours. S’agissant du fait générateur, le Conseil d’Etat confirme qu’il existe une dualité des régimes de responsabilité du fait des lois et, s’agissant du régime de responsabilité pour faute qu’il organise, il précise que le fait générateur ne sera établi qu’à condition que la loi incriminée ait fait l’objet au préalable d’une déclaration d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel (I). Il opère ensuite une appréciation stricte du lien de causalité et du préjudice (II).

I - Le fait générateur : dualité des régimes de responsabilité et soumission aux déclarations d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel

Du point de vue du fait générateur, la responsabilité du fait des lois contraires à la Constitution présente deux caractéristiques majeures. L’une est désormais connue et elle concerne la responsabilité du fait des lois en général : cette responsabilité présente un double visage puisqu’il peut s’agir d’une responsabilité sans faute ou d’une responsabilité pour faute (A). Ce qui est plus original, ici, c’est que le Conseil d’Etat considère que cette condition de l’engagement de la responsabilité de l’administration n’est satisfaite que si la loi incriminée a été au préalable jugée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel (B).

A - Un fait générateur non fautif ou fautif

La responsabilité du fait des lois a été admise pour la première fois en droit français à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 14 janvier 1938 «Société des produits laitiers La Fleurette» [5].  Il s’agit ici d’un régime de responsabilité sans faute pour rupture de l’égalité devant les charges publiques. L’Etat est condamné en raison du préjudice anormal et spécial que peut avoir subi le requérant, à la condition que la loi elle-même n'exclue pas l’indemnisation. Cette solution, dont les contours ont été par la suite précisés par le Conseil constitutionnel [6] et par le Conseil d’Etat [7], permet au juge administratif d’engager la responsabilité de l’Etat, mais sans pour autant que cela implique qu’il se prononce sur la validité de la loi. C’est le même raisonnement qui a ensuite été suivi par la juridiction administrative suprême s’agissant de la réparation des dommages causés par les conventions internationales [8].

Cette hypothèse, désormais ancienne, de responsabilité de l’Etat législateur s’applique maintenant à l’hypothèse d’une loi inconstitutionnelle. Ainsi, la «responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée […] sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l’adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés».

La problématique de la responsabilité de l’Etat législateur a ensuite été renouvelée, du fait de deux évolutions jurisprudentielles concordantes.

Il s’agit, d’abord, de l’affirmation par le Conseil d’Etat, à l’occasion de l’arrêt de Section du 26 janvier 1973 «Ville de Paris c/ Driancourt» [9], que toute illégalité est fautive.

Il s’agit ensuite de l’affirmation qu’en ne respectant pas cette hiérarchie, l’Etat commet en effet une illégalité fautive. C’est ce raisonnement que l’on trouve sous-jacent dans le célèbre arrêt d’Assemblée «Nicolo» du 20 octobre 1989 [10].

Cette solution a été reconnue sans difficultés dans un cas où étaient en cause des règles nationales de type règlementaire à l’occasion de deux arrêts d’Assemblée du Conseil d’Etat du 28 février 1992, «Société Arizona tobacco products» [11] et «SA Philip Morris France et Rothmans International France» [12].

Il est toutefois apparu difficile, pour le juge, d’admettre qu’en ne respectant pas la hiérarchie établie par la Constitution entre les traités internationaux et la loi, le législateur pouvait lui-même avoir un comportement fautif. L’admission d’une responsabilité pour faute de l’Etat législateur s’est en effet très longtemps heurtée au vieux principe, hérité du légicentrisme, selon lequel «le souverain ne peut mal faire». En d’autres termes, le Parlement, parce qu’il représente la nation souveraine, ne saurait commettre de faute dans le cadre de son action.

Après avoir longtemps esquivé la question, le Conseil d’Etat a finalement admis la responsabilité de l’Etat législateur pour non-transposition des objectifs d’une Directive à l’occasion de l’arrêt «Gardedieu» du 8 février 2007 [13]. Il reconnaît en l’espèce que «la responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée […] en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France».

Si dans ces conclusions le commissaire du Gouvernement Laurent Derepas considère qu’il s’agit ici d’un régime de responsabilité sui generis -c’est-à-dire ni un régime de responsabilité pour faute ni un régime de responsabilité sans faute-  il s’agit pourtant bien de sanctionner l’Etat législateur qui n’a pas rempli ses obligations eu égard au principe de primauté du droit de l’Union européenne. L’arrêt «Gardedieu» établit donc bien un régime de responsabilité pour faute de l’Etat législateur que le juge, pour des raisons plus historiques et politiques que juridiques, est bien embarrassé de reconnaître comme tel.

C’est cette solution qui est adaptée ici à l’hypothèse d’une loi inconstitutionnelle. Ainsi la responsabilité de l’Etat «peut également être engagée […] en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l’application d'une loi méconnaissant la Constitution […]». Toutefois, cette hypothèse de responsabilité pour faute -qui ne dit pas son non- est cantonnée aux hypothèses où le Conseil constitutionnel a au préalable déclarée inconstitutionnelle la loi incriminée.

B - Une responsabilité pour faute de l’Etat législateur cantonnée aux lois préalablement déclarées inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel

Alors que dans l’arrêt «Nicolo» le Conseil d’Etat se reconnaît compétent pour se prononcer sur la conformité d’une loi à un Traité international, il refuse en l’espèce de se prononcer sur la conformité d’une loi à la Constitution : seules les lois préalablement déclarées inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel peuvent déclencher la responsabilité pour faute de l’Etat.

Il s’agit ici d’une conséquence logique à la fois de la théorie de la loi écran énoncée par l’arrêt de Section «Arrighi» du 6 novembre 1936 [14], qui interdit au Conseil d’Etat de se prononcer sur la conformité des lois à la Constitution et des articles 61 (N° Lexbase : L0890AHG) et 61-1 (N° Lexbase : L5160IBQ) de la Constitution qui font du Conseil constitutionnel le juge de la constitutionnalité des lois.

En conséquence, comme le précise le Conseil d’Etat c’est la «décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause». En d’autres termes, il est exigé que la déclaration d’inconstitutionnalité découle d’une décision rendue dans le cadre d’une procédure de question prioritaire de constitutionnalité ou d’une décision de contrôle a priori remettant en cause une loi antérieurement promulguée.

Deux autres précisions sont apportées par le Conseil d’Etat, en liaison avec l’article 62 de la Constitution ([LXB=]) qui veut que les décisions du Conseil constitutionnel «s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles».

 D’une part, le principe de l’indemnisation peut être écarté par la décision du Conseil constitutionnel, «soit qu’elle l’exclue expressément, soit qu’elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause».

Cette première précision est à mettre en relation avec l’exclusion du principe de responsabilité sans faute de l’Etat dans l’arrêt «La Fleurette» dans les hypothèses où le législateur exclut tout indemnisation. Elle n’est pas réellement surprenante dès lors que les décisions du Conseil constitutionnel ont elles-mêmes une valeur supra législative et qu’elles appartiennent au bloc de constitutionnalité.

La seconde précision s’explique par le fait que le Conseil d’Etat s’attache au dispositif des décisions du Conseil constitutionnel : dans le cas où une loi n’est abrogée qu’en partie et qu’il laisse subsister des dispositions à caractère pécuniaire, on voit mal, en effet, la responsabilité de l’Etat engagée au motif que ces dispositions seraient inconstitutionnelles.

C’est justement cette seconde restriction qui permet au Conseil d’Etat de rejeter l’action en responsabilité dans l’arrêt M.A. En effet, dans sa décision QPC du 1er août 2013 [15], le Conseil constitutionnel a voulu circonscrire les conséquences de sa déclaration d’inconstitutionnalité en précisant notamment que «les salariés des entreprises dont le capital est majoritairement détenu par des personnes publiques ne peuvent, en application du chapitre II de l’ordonnance du 21 octobre 1986 susvisée ultérieurement introduite dans le Code du travail, demander, y compris dans les instances en cours, qu’un dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur» . Or, M. A. était salarié d’une filiale de la caisse des dépôts et consignations, CDC Gestion, qui entre dans le champ d’application de l’article 15 alinéa 1 de l’ordonnance. Il ne saurait donc bénéficier d’une indemnité pour l’absence de bénéfice de la participation sur la période de vigueur des dispositions déclarées contraires à la Constitution.  Cette appréciation assez stricte du fait générateur est relayée par une appréciation toute aussi stricte du lien de causalité et du préjudice indemnisable.

II - Une appréciation stricte du lien de causalité et du préjudice indemnisable

A la lecture des arrêts du Conseil d’Etat il apparaît que le lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice dont il est demandé réparation est difficile à établir (A). Quant au préjudice, sa réparation est encadrée par une application stricte de la règle de la déchéance quadriennale (B)

A - L’établissement difficile du lien de causalité

Si toute illégalité est fautive, elle n’est pas nécessairement à l’origine du préjudice dont il est demandé réparation. Cette difficulté est renforcée, au cas d’espèce, par le fait que ce n’est pas la déclaration d’inconstitutionnalité en elle-même qui permet d’appréhender le lien de causalité mais le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel, ainsi que les motifs qui le soutiennent.

Dans les affaires n° 425981 et n° 425983, les deux sociétés réclamaient l’indemnisation des sommes qu’elles estimaient avoir indûment versées à leurs salariés après l’abrogation par le Conseil constitutionnel du premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986. Le Conseil d’Etat prend en compte le motif de la déclaration d’inconstitutionnalité en relevant que les dispositions litigieuses avaient été déclarées inconstitutionnelles «en raison de la seule méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans la détermination du champ d’application de l’obligation faite aux entreprises d’instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats, affectant l’exercice de la liberté d’entreprendre». Il ajoute que le Conseil constitutionnel «n’a, ainsi, pas regardé comme contraire aux droits et libertés reconnus par la Constitution la portée que la Cour de cassation a conférée à cette disposition, dans le souci de garantir la libre concurrence et l’égalité des droits entre salariés d’entreprises exerçant une même activité dans les mêmes conditions, par son arrêt du 6 juin 2000 et ses arrêts ultérieurs, qui excluent qu’une société de droit privé ayant une activité purement commerciale soit regardée comme  une  entreprise  publique  au  sens  de  cette  disposition».

On ne manquera pas de relever que cette appréciation peut paraître surprenante. De fait, la soumission des entreprises du secteur privé aux règles relatives à l’intéressement salarial ne provient pas de l’article 15 de l’ordonnance, mais bien de son article 7, codifié à l’article L. 442-1 du Code du travail. En effet, selon le premier alinéa de cet article, dans sa rédaction antérieure au 30 décembre 2004, «toute entreprise employant habituellement au moins cinquante salariés, quelles que soient la nature de son activité et sa forme juridique, est soumise aux obligations de la présente section, destinées à garantir le droit de ses salariés à participer aux résultats de l’entreprise». Comme on l’a mentionné plus haut, la Cour de cassation, considère que cet article s’applique à toutes les entreprises du secteur privé [16]. Il semble donc, en réalité, que ce n’est pas l’absence de lien de causalité entre le fait générateur -c’est-à-dire la déclaration d’inconstitutionnalité- et le préjudice allégué qui aurait dû conduire à rejeter les pourvois des sociétés requérantes mais, tout simplement, l’absence de fait générateur.

B - La réparation du préjudice encadrée par une application stricte de la règle de la déchéance quadriennale

Dans ses trois décisions du 24 décembre 2019 le Conseil d’Etat affirme que «la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de l’application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime, sans qu’elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l’existence de sa créance jusqu’à l’intervention de la déclaration d’inconstitutionnalité».

La règle de la déchéance quadriennale est régie par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 (N° Lexbase : L6499BH8), l’article 1er de cette loi prévoit que «sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis». L’article 3 de la loi ajoute, quant à lui que «la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l’intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance ou de la créance de celui qu’il représente légalement».

C’est une interprétation sévère des textes pour les justiciables qui est donc retenue par le Conseil d’Etat, dès lors que le délai va commencer à courir avant la déclaration d’inconstitutionnalité laquelle, rappelons-le, peut survenir dans le cadre de la procédure de QPC des années après l’adoption de la loi. On peut aussi considérer que la détermination du point de départ du délai est susceptible de poser de grosses difficultés d’appréciation. En effet, si l’on suit le raisonnement du Conseil d’Etat, il faut considérer que ce délai court à partir du moment où les victimes alléguées auraient un soupçon «sérieux» concernant l’inconstitutionnalité de la loi génératrice du préjudice dont il est demandé réparation. Pour le dire autrement c’est le soupçon «légitim » d’inconstitutionnalité par les victimes alléguées qui fait courir le délai, alors que ce n’est pourtant qu’à partir du moment où le juge constitutionnel se sera prononcé que celles-ci ne pourront connaître l’existence de leur créance.  Il aurait été intéressant que le Conseil d’Etat mette en pratique son raisonnement. Mais comme on l’a vu, il n’en a pas eu l’occasion en l’espèce, les requérants ayant déjà vu leurs espoirs anéantis par une appréciation toute aussi sévère du fait générateur et du lien de causalité.

 

[1] Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-20.304 (N° Lexbase : A8760AHW), Bull. civ. V, n° 216, D. 2000, p.183, Dr. soc. 2000, p. 1023, obs. J. Savatier.

[2] Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, (N° Lexbase : A1823KKQ), Rec. Cons. const., p. 918, Constitutions 2013, p. 592, note P. Gervier et Ch. Radé, RFDA, 2013, p. 1255, chron. A. Roblot-Troizier, RTD civ. 2014, p. 71, note P. Deumier.

[3] TA Paris, 7 février 2017, n° 1505725/3-1 (N° Lexbase : A4700YG8) et n° 1507725 (N° Lexbase : A0650YTA), et n° 1505740 (N° Lexbase : A4701YG9), Dr. adm., 2017, comm. 30, note G. Eveillard.

[4] CAA Paris, 5 octobre 2018, n° 17PA01180 (N° Lexbase : A6948YE3), n° 17PA01188 (N° Lexbase : A6949YE4) et n° 17PA01169 (N° Lexbase : A4158YSS).

[5] Rec. p. 25, D. 1938, 3, p. 41, concl. G. Roujou de Boubée, note L. Rolland, RDP, 1938, p. 87, concl., note G. Jèze, S. 1938, 3, p. 25, concl., note P. Laroque

[6] Cons. const., décision n° 2000-440 DC du 10 janvier 2001 (N° Lexbase : A2090AIA), LPA, 16 février 2001, p. 13, chron. J.-E. Schoettl, RFDC, 2001, p. 354, chron. J. Trémeau.

[7] CE 6° et 1er s-s-r., 2 novembre 2005, n° 266564 (N° Lexbase : A2760DLS), Rec. p. 468, AJDA, 2006, p. 142, chron. C. Landais et F. Lenica, RDP, 2007, p. 1427, note C. Broyelle, concl. M. Guyomar, RFDA, 2006, p. 349, concl. M. Guyomard, note Ch. Guettier.

[8] CE Ass., 30 mars 1966, n° 50515 (N° Lexbase : A0632B9B), Rec. p. 257, D. 1966, p. 582, note J-F. Lachaume, RDP, 1966, p. 774, concl. A. Bernard.

[9] Rec. p. 77, AJDA 1973, p. 245, chron. P. Cabanes et D. Léger, Gaz. Pal., 1973, 2, p. 859, note J.-P. Rougeaux, Rev. adm., 1974, p. 29, note F. Moderne.

[10] CE Ass., 20 octobre 1989, n° 108243 (N° Lexbase : A1712AQH), Rec. p. 190, concl. P. Frydman, AJDA, 1989, p. 756, chron. E. Honorat et E. Baptiste, p. 788, note D. Simon, D. 1990, jurispr. p. 135, note P. Sabourin, JCP éd. G, 1989, II, 21371, concl. P. Frydman, LPA, 11 décembre 1989, p. 11, note G. Lebreton, RFDA, 1989, p. 813, concl., note B. Genevois, RMCUE, 1990, p. 389, note J.-F. Lachaume, RTDE, 1989, p. 771, concl. note G. Isaac.

[11] CE n° 87753 ([LXB=]), Rec. p. 78, AJDA, 1992, p. 210, concl. M. Laroque et p. 329, chron. Ch. Maugüé et R. Schwartz, RFDA, 1992, p. 425, note L. Dubouis, RDP, 1992, p. 1480, note F. Fines, D. 1992, jurispr. p. 208, chron. R. Kovar, CJEG, 1992, p. 525, note P. Sabourin, JCP éd. G, 1992, II, 21859, note G. Teboul.

[12] CE n° 56776 ([LXB=]), Rec. p. 81, AJDA, 1993, p. 141, obs. P. Bon et Ph. Terneyre, RDP, 1992, p. 1480, note F. Fines.

[13] CE n° 279522 (N° Lexbase : A2006DUT), Rec. p.78, concl. L. Derapas, RFDA, 2007, p.631, concl. L. Derepas, p. 525, note D. Pouyaud et p.789, note M. Canedo-Paris, AJDA, 2007, chron. F. Lénica et J. Boucher, JCP éd. A, 2007, 2083, note C. Broyelle.

[14] Rec. p. 966, DP, 1938, III, p. 1 concl. R. Latournerie, note Ch. Eisenmann, RDP, 1936, p. 671, concl. R. Latournerie, S. 1937, III, p. 33, concl. R. Latournerie, note A. Mestre.

[15] Préc.

[16] Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-20.304, préc.

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