La lettre juridique n°433 du 24 mars 2011

La lettre juridique - Édition n°433

Éditorial

L'immunité de juridiction d'un Etat étranger : entre courtoisie et rififi à l'égard de Kadhafi

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N7540BRP

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Il y a peu, on accusait le Quai d'Orsay d'avoir un train de retard, dans la conduite des affaires du monde et dans son appréciation des révolutions démocratiques arabes agitant le pourtour méditerranéen et le golfe Persique. La diplomatie française était ainsi raillée, de toutes parts, pour son manque de perspicacité à l'égard, plus particulièrement, du soulèvement démocratique tunisien, au point que son ministre des Affaires étrangères fut limogé, sans tambour, ni trompette. Pour conjurer le sort, la France s'est, aussitôt, empressée de soutenir la révolution égyptienne conduisant son vieil "ami" Président à une retraite à taux plein, et les insurgés libyens contre le régime d'un colonel portant si bien les lunettes noires et les gants blancs, comme tout démocrate qui se respecte. Ce faisant, prenant partie, jusqu'à reconnaître les opposants à la Jamahiriya comme nouveaux représentants du pouvoir régulier libyen, la France, contre l'avis même de ses partenaires européens, contrevenait, de facto, au principe selon lequel un Etat ne saurait juger son égal. Certes, ce jugement de valeur sur la junte Libyenne ne s'est pas fait dans les prétoires, mais sur le perron de l'Elysée. Mais, dans le même temps, de l'autre côté de la Seine, le Quai de l'Horloge -du même avis que le Quai d'Orsay- répondait au couac présidentiel par l'adage : "par in parem non habet jurisdictionem". En effet, au plan diplomatique ou politique, le principe de l'indépendance et de l'égalité souveraine des Etats s'oppose, ne serait-ce qu'au nom de la "courtoisie internationale", à l'ingérence d'un Etat dans l'exercice de la puissance publique d'un autre Etat. Mais, au lendemain d'une intervention militaire internationale, autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU, pour protéger les civiles libyens de la répression militaire, cette courtoisie juridictionnelle prête grandement à sourire...

Aussi, par un arrêt rendu le 9 mars 2011, la Cour de cassation rappelait, à corps défendant, que le fait d'avoir soutenu des actes de terrorismes commis par ses ressortissants à l'égard de victimes étrangères ne permet pas de lever l'immunité de juridiction d'un Etat -un second arrêt, rendu le même jour et relatif aux mêmes faits, rappelait, également, que le moyen tiré de l'immunité de juridiction des Etats ne constitue pas une exception de procédure relevant de la compétence du juge de la mise en état-. Cette décision est intervenue à la suite de l'explosion, au-dessus du désert du Ténéré, au Niger, d'un aéronef DC 10 de la compagnie UTA, ralliant Brazzaville à Paris, le 19 septembre 1989, provoquant la mort de ses 170 occupants, due à un acte de terrorisme. Les sociétés garantissant la compagnie aérienne, qui avait souscrit des polices d'assurance au titre de l'aéronef, sont intervenues volontairement à l'instance et ont sollicité la condamnation des six personnes reconnues coupables de cet acte et de leur Etat d'origine (la Libye) au remboursement des indemnisations allouées. Par jugement du 7 décembre 2005, le tribunal de grande instance de Paris avait, notamment, dit que cet Etat bénéficiait de l'immunité de juridiction des Etats, et avait donc déclaré irrecevables les demandes formées contre lui, sauf en ce qui concernait certains demandeurs français à l'égard desquels elle avait renoncé à cette immunité en 2003. Les sociétés d'assurances faisaient grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré leurs demandes irrecevables contre l'Etat mis en cause. Mais, la Cour suprême relève que les Etats étrangers et les organisations qui en constituent l'émanation ne bénéficient de l'immunité de juridiction, immunité relative et non absolue, qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige ou qui leur est imputé participe, par sa nature et sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats, et n'est donc pas un acte de gestion. En l'espèce, il est reproché à cet Etat, non pas d'avoir commis les actes de terrorisme incriminés, mais de ne les avoir ni réprimés, ni désavoués, ou même de les avoir soutenus. Toutefois, la responsabilité de cet attentat ne pouvait être imputée à cet Etat étranger et seuls six de ses ressortissants avaient été pénalement condamnés. La cour d'appel a donc pu juger que cet Etat pouvait opposer une immunité de juridiction, dès lors que la nature criminelle d'un acte de terrorisme ne permet pas, à elle seule, d'écarter une prérogative de souveraineté. En outre, si un Etat peut renoncer à son immunité de juridiction dans un litige, cette renonciation doit être certaine, expresse et non équivoque. Et, le paiement d'une indemnité n'est pas constitutif, nous le verrons, d'une telle renonciation.

En soit, cet arrêt, promis à la plus large publication, entre dans le sillon d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation relative à la question complexe et "sensible", selon les termes même de Régis de Gouttes, premier avocat général, de l'immunité de juridiction des Etats étrangers. Il faut dire que, depuis le milieu du XIXème siècle, les "règles universellement reconnues du droit des gens", la "courtoisie internationale" et les "règles de droit international public gouvernant les relations entre Etats" commandent au principe d'immunité de juridiction des Etats ; un principe qui a, toutefois, connu une évolution, elle-même, sensible, puisque de valeur absolue, il a fait les frais d'un relativisme inhérent à l'évolution du rôle et des prérogatives des Etats. A l'Etat-gendarme aux prérogatives de souveraineté incontestables s'est substitué un Etat-providence aux ramifications sociales et économiques telles qu'il peut, dans ce cadre-ci, être considéré comme un sujet de droit commun. Et, c'est dans le cadre de ses actions relevant plus du droit privé ou du droit des affaires -jure gestionis-, que de la puissance publique -jure imperii-, que l'immunité de juridiction des Etats étrangers peut être écartée, et que la France peut juger un Etat étranger, comme la Libye, dans ses prétoires (cf. l'affaire "Vestwig et autres" du 5 février 1946). C'est, bien entendu, l'arrêt de la Chambre mixte, du 20 juin 2003, qui a donné l'occasion à la Cour de cassation de préciser sa position sur cette importante question à propos d'un contentieux de nature sociale. L'arrêt du 9 mars 2011 semble plus timoré à l'égard d'un contentieux de responsabilité civile. On aurait pu se contenter d'une immunité d'exécution, ayant pour effet de soustraire l'Etat étranger qui en bénéficie à toute contrainte administrative ou judiciaire résultant de l'application d'un jugement ou d'une décision française, mais la Haute juridiction aura préféré faire montre de déférence à l'égard de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste, en lui accordant le bénéfice de l'immunité de juridiction, au nom de la courtoisie internationale et réciproque (sic), traitant d'égal à égal avec la Libye de Mohamed Abou el-Kassim Zouaï -oui, Mouammar al-Kadhafi n'est que le Guide spirituel et chef d'Etat de facto et non de jure de la Libye-. La peur sans doute de se voir condamné, une fois encore, par la Cour européenne des droits de l'Homme pour laquelle le principe de l'immunité de juridiction de l'Etat étranger ne fait "qu'observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d'un autre Etat" (cf. arrêts "Al Adsani et Forgaty" et "Mac Elhinney" du 21 novembre 2001).

Là où le bât blesse, c'est que, pour caractériser les "actes d'autorité" bénéficiant de l'immunité de juridiction, la Cour de cassation exige, traditionnellement, que ces actes relèvent bien de la "puissance publique" ou qu'ils soient "accomplis dans l'intérêt d'un service public", suivant en cela, tantôt un critère objectif ou formaliste, qui prend en considération la nature intrinsèque de l'acte litigieux et la forme dans laquelle il a été passé (ce critère autorisant l'Etat étranger à se prévaloir de l'immunité de juridiction notamment lorsque l'acte litigieux comporte des clauses exorbitantes du droit commun) ; tantôt un critère finaliste, tiré du but poursuivi par l'auteur de l'acte (ce critère visant à cantonner le domaine de l'immunité aux actes poursuivant un but d'intérêt public, c'est à dire accomplis dans l'intérêt d'un service public) ; tantôt combinant ces deux critères.

Or, le terrorisme ne peut relever ni de la puissance publique, ni de l'intérêt public. Et, si, dans l'affaire en cause, la preuve certaine que l'Etat Libyen fut le commanditaire de l'attentant de 1989 manque, il est de notoriété commune qu'en mars 1999, à l'occasion du procès des responsables présumés de l'attentat contre le DC-10 d'UTA, à Paris, la Libye consentait à verser des indemnités substantielles à certaines parties. Ce "geste courtois" entraîna, étonnamment, la suspension des sanctions décrétées en 1992 par le Conseil de sécurité de l'ONU, et consacra le retour du colonel Kadhafi sur la scène internationale. Le 10 septembre 2003, un accord intermédiaire étant, également, trouvé avec les proches des victimes du vol 772 UTA, la France ne s'opposa plus à la levée des sanctions de l'ONU, le 12 septembre 2003...

La courtoisie internationale ne pouvait donc supporter que les juridictions françaises aient à juger d'un Etat ayant accepté de verser de substantielles indemnités, sans avoir été déclaré coupable d'exaction : car, après tout, le versement d'une indemnité réparatrice ne constitue pas la reconnaissance d'un acte civilement ou pénalement répréhensible, pourrait nous rétorquer l'ancien locataire de l'Elysée -on notera que l'Etat libyen, dont la preuve des exactions terroristes n'a pas été apportée, menace à nouveau de sévir en Méditerranée-.

Reste que la Libye est le deuxième producteur de pétrole brut en Afrique, disposant de l'une des plus grandes réserves mondiales ; et que 1,8 millions de barils par jour sont exportés en majorité (85 %) dans les pays européens. Et c'est bien connu, en France, inventeur de la geste courtoise, on n'a pas de pétrole mais on a de la suite dans les idées...

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Agent immobilier

[Questions à...] Le démarchage à domicile des agents immobiliers - Questions à Maître Romain Rossi-Landi, avocat au barreau de Paris

Lecture: 4 min

N7573BRW

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 27 Mars 2011

En vertu de l'article L. 121-21 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6585ABI), est soumis aux dispositions de ce code relatives au démarchage à domicile "quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services. Est également soumis aux dispositions de la présente section le démarchage dans les lieux non destinés à la commercialisation du bien ou du service proposé et notamment l'organisation par un commerçant ou à son profit de réunions ou d'excursions afin de réaliser les opérations définies à l'alinéa précédent". Ces dispositions visent tous les biens et donc en particulier les biens immobiliers. L'application aux agents immobiliers des dispositions du Code de la consommation relatives au démarchage à domicile est une solution bien acquise par la jurisprudence (cf., notamment, Cass. crim., 28 novembre 2000, n° 00-81.963 N° Lexbase : A3898CKL). Elle constitue toutefois une spécificité française eu égard au droit communautaire puisque la Directive 85/577 du 20 décembre 1985, relative à la protection des consommateurs dans le cas des contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (N° Lexbase : L9639AUK), exclut expressément de son champ d'application, en son article 5, les "contrats relatifs à la construction, à la vente et à la location des biens immobiliers ainsi qu'aux contrats portant sur d'autres droits relatifs à des biens immobiliers". Le législateur français a ainsi choisi d'assurer une protection renforcée au consommateur immobilier. Mais qu'advient-il de cette spécificité dans le cadre de la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs (1) ? Pour faire le point sur cette question du démarchage à domicile en matière immobilière qui peut soulever des difficultés en pratique, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Romain Rossi-Landi, avocat au barreau de Paris (2), qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Dans quels cas précis la législation relative au démarchage à domicile est-elle applicable en matière immobilière ?

Romain Rossi-Landi : La réglementation relative à la protection de la personne démarchée des articles L. 121-21 à L. 121-23 du Code de la consommation s'applique dès l'instant où le contrat est bien conclu "à la suite d'un démarchage à domicile", même demandé par la personne démarchée.

Peu importe donc que le démarchage soit spontané ou ait été provoqué par une demande du client.

Par ailleurs, l'application de la réglementation n'opère aucune distinction suivant la nature de l'opération réalisée en conséquence du démarchage. Elle suppose la présence physique du démarcheur, professionnel, au domicile du non-professionnel.

Peu importe donc que l'opération envisagée soit une vente, un achat, une location-vente.

La promesse de vente immobilière conclue en suite du démarchage au domicile du vendeur, à son initiative, est soumise aux dispositions relatives au démarchage à domicile (Cass. civ. 1, 3 juillet 2008, n° 06-21.877, FS-P+B+R N° Lexbase : A4821D9G)

Lexbase : Dans quels cas le dispositif n'est-il pas applicable ?

Romain Rossi-Landi : La réglementation relative au démarchage à domicile ne s'applique pas dans tous les cas où le contrat est signé dans un lieu habituel de vente (agences immobilières, notamment).

La jurisprudence a également précisé que la signature au domicile du consommateur d'un contrat dont les conditions essentielles avaient été arrêtés dans un salon professionnel, lieu destiné à la commercialisation, ne procède pas d'un démarchage à domicile (Cass. crim., 7 juin 2006, n° 05-86.956 N° Lexbase : A7684HEC).

Par ailleurs, il convient de distinguer la signature d'un contrat de mandat de recherche, de la signature de l'offre de vente qui fait suite à ce contrat de mandat. En effet, selon un arrêt récent de la première chambre civile de la Cour de cassation, "ne constitue pas un acte de démarchage, la transmission d'une offre d'achat, faite au domicile des vendeurs par un agent immobilier auquel ceux-ci avaient précédemment confié un mandat de recherche d'acquéreurs pour le bien considéré" (Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n° 09-11.832, FS-P+B N° Lexbase : A3116EQH).

S'agissant d'une transmission par courrier, il faut considérer que le déplacement d'un professionnel au domicile d'un consommateur, pour l'étude des lieux et la prise de mesures nécessaires à l'établissement d'un devis envoyé ultérieurement par voie postale, qui n'a donné lieu à aucun engagement du destinataire ne constitue pas un démarchage au domicile.

Lexbase : Quels sont les conseils pratiques à donner aux agents immobiliers pour éviter de tomber sous le coup de la sanction ?

Romain Rossi-Landi : Dans la pratique, il est très fréquent que l'agent immobilier soit contacté à la demande du propriétaire vendeur pour qu'il procède à l'évaluation de son bien immobilier en vue de sa mise en vente.

Il faut alors éviter que le mandat de vente soit signé le jour de l'estimation du bien sur place au domicile du vendeur.

Il est préférable dans cette hypothèse pour l'agent immobilier de demander à son mandant de se déplacer à l'agence pour signer le mandat.

A défaut, le mandat devra prévoir la faculté de rétractation et répondre au formalisme prévu par l'article L. 121-23 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6587ABL).

Le mandat devra ainsi :

- préciser la durée du délai de rétractation (sept jours au bénéfice du mandant à compter de la date de signature) ;
- prévoir au mandat un coupon détachable ;
- reproduire littéralement les articles concernés du Code de la consommation.

Les agents immobiliers doivent donc être vigilants car le non-respect de ce formalisme est sanctionné par la nullité relative de la convention litigieuse (Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-16.055 N° Lexbase : A8061C4C) et, partant, le non-versement de la commission (Cass. civ. 1, 26 juin 2001, n° 99-14.642 N° Lexbase : A8042ATZ).

Lexbase : La spécificité française d'une protection renforcée des consommateurs en matière de démarchage à domicile des agents immobiliers est-elle susceptible d'évoluer dans le cadre de la proposition de Directive européenne relative aux droits des consommateurs ?

Romain Rossi-Landi : Un compromis semble avoir été trouvé en raison des exigences françaises de protection du consommateur.

La France s'est, en effet, opposée à la rédaction initiale de la proposition de Directive qui induisait la suppression de certains dispositifs légaux ou réglementaires nationaux, comme justement les règles de formation des contrats en matière de démarchage à domicile.

La dernière mouture de la proposition de Directive issue de ce compromis prévoit le principe et les modalités d'un droit de rétractation pour le consommateur dans le cadre des contrats de vente à distance et des contrats hors établissement, afin de permettre au consommateur de s'assurer du bon fonctionnement du bien dans le cas d'un contrat de vente à distance, et de pouvoir exercer son libre arbitre sans pression psychologique dans le cadre d'un contrat hors établissement.

Ce principe est fixé par l'article 12 du nouveau texte qui prévoit que "le consommateur a le droit de se rétracter d'un contrat à distance ou d'un contrat hors établissement sans avoir à motiver sa décision et sans autres coûts que ceux visés à l'article 17".

Le consommateur dispose de ce droit de rétractation durant un délai de quatorze jours, ce qui constitue pour lui une avancée par rapport à notre droit interne, qui fixe ce délai à sept jours.

Il faut donc s'attendre à une modification de l'article L. 121-23 du Code de la consommation lors de la transposition de la Directive qui devrait intervenir dès l'été prochain.


(1) Cf. le rapport du sénateur Gérard Cornu, déposé le 9 février 2011, sur la proposition de résolution européenne n° 250 (2010-2011) sur la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs (E 4026).
(2) Cf. www.rossi-landiavocat.fr.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Didier Lecomte, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau du Val d'Oise

Lecture: 8 min

N7566BRN

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 24 Mars 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des Barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le Barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Didier Lecomte, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau du Val d'Oise.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau du Val d'Oise ?

Didier Lecomte : Très simplement le barreau du Val d'Oise regroupe aujourd'hui 403 avocats (dont une majorité de femmes !) et il fait partie des vingt plus gros barreaux de France ce qui lui a valu d'ailleurs la possibilité de rentrer dans la Conférence des Cents. Le tissu économique ne nous est pas très favorable puisque nous sommes dans un département qui rencontre quelques difficultés. Cela entraîne un fort recours à l'aide juridictionnelle et donc forcément des difficultés au niveau économique, puisque la rémunération n'est pas à la hauteur du travail effectué ; je me permets de rappeler que nous en sommes encore, et malheureusement, au régime de l'indemnisation. Et la question va se poser avec d'autant plus d'acuité avec la réforme de la garde à vue... Sinon, le barreau du Val d'Oise est un barreau classique, plutôt jeune -moyenne d'âge de 41 ans-, dynamique, avec une ambiance assez sympathique et conviviale. D'ailleurs nous n'avons aucune difficulté particulière au niveau de la confraternité. Les avocats du barreau exercent le plus souvent de manière individuelle ; mais je suis assez fier d'annoncer la création récente d'une grosse SCP de neuf associés qui devrait nous servir de locomotive et tirer le barreau vers le haut.

Lexbase : Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à devenir Bâtonnier ?

Didier Lecomte : C'est avant tout l'envie de faire passer des idées qui m'a poussé à présenter ma candidature. J'appréhende la profession avec un aspect un petit peu plus entrepreunarial que les autres. Et à ce niveau là il y a beaucoup de choses à dire, à réclamer, et à faire ! Bref, j'aspire à faire passer des idées et à les faire partager. Ce mandat de deux ans est à la fois court et long. Court, parce que si l'on veut mettre des choses en place il faudra être sûr que le successeur suive ; long, parce que cela prend du temps sur le reste de l'activité, un bon mi-temps, voire deux tiers de temps selon les périodes.

Lexbase : Bâtonnier depuis le 1er janvier 2011, qu'envisagez-vous justement pendant ces deux années pour votre barreau ?

Didier Lecomte : Je souhaiterais vraiment faire quelque chose en matière d'aide juridictionnelle de façon à ce que l'on passe enfin de l'indemnisation à la rémunération. Vu le niveau de formation des avocats, il n'y a aucune raison qu'ils ne touchent que 8 ou 9 euros de l'heure, voire moins.

Par ailleurs, je souhaiterais développer le secteur du droit de l'entreprise qui ne l'est pas assez dans le département en raison, notamment, de la grosse concurrence de Paris. Nous devons bouger et nous faire connaître auprès des entreprises du département de façon à ce que ces dernières sachent que notre barreau a toutes les compétences représentées.

Ce développement a déjà été amorcé par mon prédécesseur et nous allons continuer de prendre des contacts avec tous les organes qui représentent les entreprises (Chambre de commerce, Chambre des métiers, syndicats dont la CGPME, Université avec qui nous avons des accords de formation). Par exemple, un DU Création d'entreprise est en cours de création à l'Université de Cergy dont le barreau sera le partenaire. A cet égard, nous allons mettre à leur disposition des avocats pour dispenser de la formation. L'idée finale étant de montrer à ces futurs créateurs d'entreprise que leur barreau est là et a les compétences nécessaires pour les aider.

Et ces compétences, nous les avons acquises et nous continuerons de les acquérir grâce à la formation continue qui est absolument indispensable.

Egalement, d'ici décembre 2011, le barreau va organiser un grand colloque national sur les droits de l'Homme et faire venir des intervenants très intéressants, ce qui devrait être gage d'un très beau colloque ! Le sujet nous paraît vraiment d'actualité notamment avec tout ce qu'il se passe au Moyen-Orient, notamment. Au niveau interne, nous allons sans doute avoir un sujet qui traitera de la prison et de la récidive parce que là aussi on a tout entendu, tout et n'importe quoi, tant dans le populisme que dans la démagogie. C'est un sujet dont on parle toujours de la même façon, toujours dans le même sens sans regarder ce qu'il se fait, sans regarder les vrais problèmes. Je souhaite donc que ce colloque et cette table ronde soient l'occasion de faire enfin quelque chose d'un peu prospectif. Enfin, pour l'année prochaine, le barreau réfléchit à l'organisation d'un autre gros colloque national qui portera sur la profession d'avocat, ce qu'elle était, ce qu'elle est, ce qu'elle sera.

Lexbase : Quel regard portez vous sur le contrat de collaboration et son avenir ?

Didier Lecomte : La demande récurrente de requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de salariat relève du phénomène de société, étant précisé que sur notre barreau nous n'avons pas eu, à ma connaissance, de demande en ce sens. Ce qui peut s'expliquer par la particulière attention que nous portons à la rédaction des contrats.

Mais il est vrai qu'il y a une tendance à rapprocher le collaborateur libéral du salariat. Et je constate que les jeunes avocats qui sortent de l'école confondent déjà la collaboration libérale et la collaboration salariale. Il y aurait peut être quelque chose à faire au niveau des écoles de formation.

Mais au final, c'est au jeune avocat de choisir ce qu'il veut faire plus tard.

S'il veut s'installer un jour, il n'est pas dans son intérêt de choisir la collaboration salariale puisqu'il lui sera compliqué de se mettre à son compte, sauf s'il envisage de s'associer avec son patron. Après il y a aussi beaucoup de jeunes avocats qui n'ont pas nécessairement envie de s'installer mais pour qui la collaboration est adaptée.

Aujourd'hui le contrat de salariat n'est pas encore très répandu pour une bonne et simple raison qui est liée au coût, notamment des charges sociales.

De mon point de vue, être avocat salarié et aux 35 heures cela devient compliqué ! Surtout pour ceux qui font du judiciaire, cela paraît dérisoire. Je ne dis pas que ce n'est pas faisable mais compliqué !

Lexbase : L'actualité du moment concerne la garde à vue. Quelle est la position du barreau du Val d'Oise sur ce sujet ?

Didier Lecomte : A mon sens, cette réforme va d'un point de vue pratique, poser un énorme problème. Nous avons sur le département plus de 50 lieux possibles de garde à vue et on sait aujourd'hui que le regroupement des lieux n'est plus d'actualité.

Donc se pose la question de notre organisation. Il va falloir énormément d'avocats disponibles... On sait que pour le premier appel il y a ce fameux délai de deux heures mais après il n'y a plus de délai : est-ce qu'il va falloir mettre un avocat à chaque endroit pour qu'il soit disponible dans la minute -étant précisé qu'avec 50 lieux de garde à vue on ne pourra pas le faire ?

Et puis il y a une autre question fondamentale : comment rémunérer tous ces avocats ?

Et les choses qui se dessinent me font un peu peur... Le CNB propose 122 euros HT de l'heure forfaitisé à trois heures, et je ne trouve pas cela suffisant. Est-ce que les Ordres vont devoir contracter avec un nombre d'avocats de permanence payés par l'Ordre et qui ne travailleront que pour les gardes à vue ? Allons-nous nous diriger vers des systèmes, comme ce qui se fait au Canada, c'est-à-dire où des avocats ne travailleront que pour l'AJ et la commission d'office avec un paiement forfaitaire ? Et qui va financer ?

L'Ordre pourrait le faire si une dotation ad hoc est envisagée, sinon à mon sens, c'est hors de question. La justice est un service public financé par le budget de l'Etat et non par l'avocat. Il y a un moment où l'Etat doit mettre les moyens derrière les propositions qu'il fait.

Et j'ai été assez surpris lorsque l'on nous a annoncé que toutes les victimes de crimes auraient droit au bénéfice de l'AJ, quel que soit leur niveau de revenus... C'est une façon d'offrir des services avec l'argent des autres !

Et cela me contrarie. Nous payons des impôts comme tout le monde et je ne vois pas pourquoi nous financerions en même temps le service public. Lorsqu'un avocat travaille sur un dossier et si ce que l'Etat lui verse ne couvre pas le coût de production de la prestation, cela veut dire que l'avocat finance ce service public. Cela veut dire que l'avocat est prélevé de façon indirecte d'une somme à titre définitif et sans contrepartie... c'est la définition de l'impôt !

Sur le fond du texte, je ne suis pas inquiet. La question qui se pose est surtout par rapport à la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui aborde la notion d'assistance effective. Qu'est ce que l'effectivité ? Est-ce d'avoir accès à tout le dossier ? Sauf que, lorsqu'il s'agira d'un gros dossier de stupéfiants avec 10 tomes et avec un client mis en garde à vue, l'avocat ne pourra pas accéder au dossier de fait. Est-ce d'avoir accès uniquement aux seuls PV d'audition du gardé à vue ? Où commence l'effectivité ? Où s'arrête-t-elle ?

Ce que je sais c'est que, si le projet sort en l'état, il y aura des recours et le texte sera très certainement retoqué à terme. Donc il me semble indispensable qu'il évolue, notamment concernant, une fois encore, les moyens.

Lexbase : Le projet de loi instituant l'acte d'avocat vient d'être définitivement adopté. Cela vous semble-t-il être un bon outil ?

Didier Lecomte : Je suis un peu circonspect et pense qu'il faudra attendre de voir concrètement comment cela se passe ! Je ne suis pas convaincu, personnellement, de son utilité sauf si c'est une étape pour aller "grignoter" sur le terrain des notaires ; mais, les notaires sont très forts pour défendre leur périmètre d'intervention. C'est une chose que notre profession n'a pas su faire ! Cela pose d'ailleurs la question de la gouvernance de la profession qui est, dans un certain sens surreprésentée (trop de représentation tue la représentation) ou pas assez représentée. Aujourd'hui il ne doit y avoir qu'une voix pour la profession, et c'est celle du CNB. Or, par exemple, dans le cadre de l'examen de la loi de finances, sur le sujet du fameux ticket modérateur, à ma connaissance, ce n'est pas le CNB qui a bougé, mais la FNUJA qui a demandé un rendez-vous à la Chancellerie...

Lexbase : Justement, quelle est votre opinion sur la gouvernance ?

Didier Lecomte : Très clairement, je suis absolument contre les barreaux de cour, un Ordre national pourquoi pas mais honnêtement qu'il s'appelle Ordre ou Conseil national des barreaux, il doit représenter la profession... vraiment.

Nous avons besoin des Ordres attachés à chaque TGI. Il serait envisageable éventuellement d'avoir un Ordre par département mais pas un barreau de cour. Nous avons besoin de proximité. Et puis faire des barreaux de cour sans supprimer les Ordres c'est générer de la dépense en plus ! Si les Ordres locaux n'ont pas les moyens, ce n'est pas en créant des barreaux de cour que cela se réglera !

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Avocats/Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité des avocats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Mars 2011

Lecture: 13 min

N7576BRZ

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Le 24 Mars 2011

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité des avocats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique seront présentés, d'une part, un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 15 février 2011 qui rappelle les limites du devoir d'information et de conseil de l'avocat tirées de la mission qui lui a été confiée (CA Paris, 15 février 2011, Pôle 2, 1ère ch., n° 09/28528). D'autre part, l'auteur a choisi de s'arrêter sur une décision de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 14 février 2011, qui revient sur la faute de l'avocat dans l'appréciation de l'opportunité d'exercer une voie de recours (CA Bordeaux, 1ère ch., sect. A, 14 février 2011, n° 10/05690).
  • Les limites du devoir d'information et de conseil de l'avocat tirées de la mission qui lui a été confiée et de ce qu'il n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties en l'absence d'éléments permettant de douter de leur exactitude (CA Paris, 15 février 2011, Pôle 2, 1ère ch., n° 09/28528 N° Lexbase : A1950GXI)

L'occasion est fréquemment donnée, dans le cadre de cette chronique, d'évoquer les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'avocat. A ce titre, l'accent est souvent mis sur la relative sévérité de la jurisprudence, qui se montre, à son égard, rigoureuse. Encore faut-il tout de même relever que cette responsabilité n'est pas sans limites. Un récent arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 15 février 2011, rendu sur renvoi après cassation, mérite, sous cet aspect, d'être signalé.

Les faits à l'origine du litige étaient les suivants. Le groupe X était détenu principalement par Messieurs P.-J. et Ch. X, fils de Monsieur Pierre X, dont le cabinet Y était le conseil en droit fiscal. A la suite du décès de Monsieur P.-J. X, intervenu le 12 avril 1991, les représentants des deux branches de la famille se sont entendus pour confier à Madame Renée Z, veuve de Monsieur P.-J. X, des responsabilités dans le groupe. C'est ainsi qu'au cours de l'assemblée générale du 2 octobre 1991 de la société holding du groupe, la société Agropar, Madame Renée Z a été désignée en qualité de directeur général. La société Agropar a fait l'objet en 1999 et 2000 d'une vérification de comptabilité qui a abouti à l'envoi par l'administration fiscale d'une notification de redressement, l'administration fiscale ayant considéré que la fonction de Madame Renée Z dans l'entreprise était fictive et qu'elle ne pouvait, par conséquent, donner lieu à une déductibilité des frais de personnel y afférents. Madame Z s'étant finalement acquittée de la somme de 2 592 553 euros auprès du trésor public, elle a engagé une action en responsabilité civile à l'encontre du cabinet Y lui reprochant d'être à l'origine du redressement dont elle avait ainsi fait l'objet.

Le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 16 mars 2006, a fait droit à cette demande et a jugé que la société d'avocats avait effectivement manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de Madame Renée Z. Mais cette décision devait ensuite être infirmée par la cour d'appel de Paris par un arrêt en date du 6 novembre 2007 (CA Paris, 1ère ch., sect. A, 6 novembre 2007, n° 06/08639 N° Lexbase : A8235DZZ).

La Cour de cassation ne l'a cependant pas entendu ainsi et, par un arrêt en date du 13 octobre 2009, a cassé l'arrêt de la cour d'appel (Cass. com., 13 octobre 2009, n° 08-10.430, F-D N° Lexbase : A0823EMG). Le motif de l'arrêt mérite d'être ici reproduit : "Attendu que pour écarter le grief de Mme [Z] sur l'absence d'information donnée par la société [Y] sur l'obligation d'exercer effectivement les fonctions de directeur général de la société dont elle détenait des actions, pour maintenir leur statut de biens professionnels exonérés de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'arrêt retient que Mme [Z] n'établit pas la connaissance, par la société [Y], de son incapacité à occuper lesdites fonctions ; attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de son client, laquelle comporte le devoir de s'informer de l'ensemble des conditions de l'opération pour laquelle son concours est demandé, et qu'il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette obligation, la cour d'appel a violé le texte susvisé". La cour d'appel de Paris, statuant donc sur renvoi après cassation, a cependant résisté et écarté la responsabilité de la société d'avocats.

1. Pour justifier sa solution, la cour d'appel s'efforce d'abord de démontrer l'absence de faute de l'avocat au regard de la mission qui lui avait été confiée. L'arrêt relève ainsi que la lettre adressée par la cliente à l'avocat prenant acte de sa mission révélait qu'il était chargé du règlement de la succession de P.-J. X, et en déduit que "même si le concours demandé à l'avocat est de nature fiscale, son devoir d'information est limité aux conséquences fiscales de l'opération envisagée, appréciée au regard de la mission qui lui a été confiée et au but poursuivi par le client".

Sans doute faut-il ici redire qu'il est acquis que l'avocat, tenu, en tant que rédacteur d'acte, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte pour lequel son concours est sollicité (1), doit se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (2). Mais il est parfaitement entendu que la caractérisation d'un éventuel manquement de l'avocat à ses obligations suppose de déterminer l'étendue de la mission qui lui a été confiée : la jurisprudence décide d'ailleurs, classiquement, que la responsabilité de l'avocat ne peut valablement s'apprécier qu'au regard de son mandat (3). La solution, qui vaut bien sûr dans l'hypothèse dans laquelle l'avocat agit en vertu d'un mandat ad litem, a naturellement vocation à s'appliquer non seulement lorsqu'il agit en vertu de mandats ad negotia qui peuvent n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire, mais aussi à toutes les hypothèses dans lesquelles il interviendrait en tant que conseil, et ce en dehors de tout mécanisme de représentation propre au mandat. Ce qui est déterminant dans l'appréciation de la responsabilité de l'avocat ne tient pas tant à la qualification juridique de son intervention (mandat ou autre) qu'à la détermination de la mission qu'il accepte d'assumer, le mandat n'étant d'ailleurs à vrai dire qu'un instrument permettant, précisément, de déterminer le contenu de cette mission. Au demeurant, la jurisprudence décide, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la théorie du mandat, que l'exécution par l'avocat de son obligation d'information et de conseil s'apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée, jugeant ainsi que "le devoir de conseil et d'information du conseil juridique qui s'exerçait préalablement à la conclusion de l'acte pour assurer son efficacité ne s'étend pas, sauf mission particulière confiée à celui-ci [...] à la réalisation de formalités extrinsèques à l'acte qui ne relevaient que de la seule initiative des parties" (4).

Ainsi délimitée, on comprend bien que, en l'espèce, la société Y n'ait eu à préconiser aucun montage sur le mode de gouvernance au sein de la société Agropar et que la désignation de Madame Z au poste de directeur général résultait uniquement d'un choix des administrateurs de la société qui avaient souhaité lui accorder des responsabilités au sein du groupe X. Il était dès lors bien évident qu'il n'incombait pas au cabinet d'avocats de s'immiscer dans la négociation entreprise entre les actionnaires du groupe X en vue du remplacement de Monsieur P.-J. X au poste de directeur général, une telle décision relevant du choix souverain des actionnaires de la société. En tout état de cause, c'est l'absence d'activité réelle de Madame Z dans l'entreprise qui était à l'origine du redressement et non sa nomination au poste de directeur général. Or, au regard de la mission qui était la sienne, il n'incombait pas au cabinet Y d'informer sa cliente de la nécessité d'une activité réelle dans l'entreprise pour bénéficier de certains avantages fiscaux.

La solution doit être approuvée : contrairement à ce que semblait avoir considéré la Cour de cassation dans cette affaire, ce n'est pas la nature (fiscale, civile, commerciale, sociale, etc.) de l'opération pour laquelle le concours de l'avocat est sollicité qui détermine le domaine de son obligation d'information et de conseil, mais bien la teneur de l'opération elle-même, autrement dit le contenu de la mission de l'avocat. C'est du reste ce qui explique que, même lorsque l'opération pour laquelle le concours de l'avocat est demandé est de nature fiscale, son obligation d'information et de conseil ne s'étende pas à toutes les conséquences fiscales de ladite opération : son obligation est circonscrite aux seules conséquences de l'opération, appréciée au regard de la seule mission qui lui a été confiée et aux mobiles poursuivis par son client.

Au cas d'espèce, il est ainsi cohérent d'avoir considéré que, au regard de la mission qu'il avait acceptée et qui seule permettait d'apprécier un éventuel manquement, le cabinet Y n'était pas tenu d'informer sa cliente de la nécessité d'une activité effective dans l'entreprise pour bénéficier de certains avantages fiscaux, dès lors qu'il était établi que le cabinet Y était intervenu dans le cadre d'une mission qui lui avait été confiée en matière de fiscalité personnelle et n'était donc chargé d'aucune mission relevant du droit des sociétés.

2. Ensuite, la cour relève, pour écarter toute faute imputable à l'avocat, qu'il n'avait aucune raison de se douter du caractère fictif de l'activité exercée par sa cliente dans la société. La cour a en effet constaté que, jusqu'au 17 décembre 1999, date de la première notification de redressement, le cabinet d'avocats ignorait la nature des activités de Madame Z dans la société Agropar et qu'il avait toutes les raisons de penser qu'elle exerçait réellement des fonctions dans l'entreprise, d'autant que l'URSSAF avait réalisé des contrôles en 1996, 1999 et 2002, pour les années allant de 1993 à 2001, et que ces contrôles n'avaient révélé aucune anomalie. Aussi bien, le contexte faisait-il apparaître que l'avocat avait légitimement pu croire à la réalité des fonctions exercées par sa cliente dans l'entreprise telles qu'elles lui avaient été exposées par celle-ci.

La motivation est bien connue : cette circonstance est, évidemment, de nature à restreindre le champ de l'obligation d'information et de conseil de l'avocat, qui n'est pas absolu. Il est, en effet, des circonstances qui libèrent le débiteur. Ainsi, en dehors même du fait que le devoir de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous (5) ou, inversement, qui sont ignorés de tous, rendant du même coup l'erreur invincible (6), la jurisprudence décide que le professionnel n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties, du moins dans les hypothèses dans lesquelles aucun élément ne permettait de douter de leur exactitude. Ainsi a-t-elle jugé que "l'avocat ne saurait être tenu, dans le cadre de son obligation de conseil, de vérifier les informations fournies par son client s'il n'est pas établi qu'il disposait d'informations de nature à les mettre en doute ni d'attirer son attention sur les conséquences d'une fausse déclaration" (7). Un arrêt en date du 25 mars 2010 a repris cette solution en énonçant que "le devoir de conseil auquel est tenu le rédacteur d'actes s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque, dans ce dernier cas, le praticien du droit en a été informé ; que si le professionnel doit veiller, dans ses activités de conseil et de rédaction d'actes, à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, il n'est, en revanche, pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties en l'absence d'éléments de nature à éveiller ses soupçons quant à la véracité des renseignements donnés" (8).

  • La faute de l'avocat dans l'appréciation de l'opportunité d'exercer une voie de recours (CA Bordeaux, 1ère ch., sect. A, 14 février 2011, n° 10/05690 N° Lexbase : A1166GXH)

La mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'avocat suppose, bien entendu, qu'une faute puisse lui être imputée. La faute de l'avocat peut, ainsi, consister dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client (9) : chargé de représenter son client en justice, il agit, en effet, au nom de ce dernier en vertu, en principe, d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général, en ce sens qu'il oblige l'avocat, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, étant entendu que la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié (10).

La faute susceptible d'engager la responsabilité de l'avocat peut également consister dans un manquement de celui-ci à son obligation d'information et de conseil, étant entendu que le devoir de conseil est plus étendu que la simple obligation d'information et implique aussi que l'avocat soit tenu de donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires (11). Il lui incombe encore, à ce titre, d'informer son client de l'existence de voies de recours, des modalités de leur exercice et de lui faire connaître son avis motivé sur l'opportunité de former une voie de recours. La solution est bien connue. Aussi peut-on ici se contenter d'évoquer un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 14 février 2011, qui en constitue une nouvelle illustration.

En l'espèce, faisant état de dégradations ayant affecté leur mobilier lors d'un déménagement réalisé le 25 janvier 2001 par une société spécialisée, des époux avaient, par ordonnance du juge des référés en date du 14 mars 2001, obtenu l'organisation d'une mesure d'expertise ayant donné lieu au dépôt d'un rapport le 18 octobre 2001. Le 22 janvier 2003, les époux ont assigné en responsabilité la société devant le tribunal de grande instance de Bayonne par l'intermédiaire de leur avocat. Par jugement en date du 2 février 2004, le tribunal a déclaré leur demande irrecevable comme prescrite au regard de l'article 15 des conditions générales du contrat de déménagement stipulant que les actions en justice pour avarie perte ou retard doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier. Cette décision a, ensuite, été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Pau du 31 octobre 2005 aux motifs qu'est de nature interprétative et d'application immédiate aux instances en cours l'article 26 de la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 (N° Lexbase : L5334BHZ) qui, mettant un terme à une controverse juridique persistante, dispose que sont considérées comme des transports de marchandises, et de ce fait soumises à la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4810H9Z), les opérations de transport effectuées dans le cadre d'un déménagement. Le pourvoi formé contre cet arrêt ayant été rejeté, les époux ont fait assigner leur avocat en responsabilité en lui reprochant d'avoir tardé à agir après expertise et d'avoir engagé des voies de recours disposant de chance de succès limité.

Sur cette question relative à la responsabilité de l'avocat, la cour d'appel de Bordeaux, après avoir certes relevé que l'action introduite sur les conseils de l'avocat à l'encontre de l'entreprise de déménagement avait été initialement diligentée avant la promulgation de la loi du 12 juin 2003, décide tout de même qu'avant cette intervention législative, une résistance des juridictions du fond admettait déjà la validité de la clause enfermant les actions pour avaries, pertes ou retard dans le délai d'un an à compter de la livraison. Aussi bien en déduit-elle que l'avocat, en retardant au delà d'une année l'introduction de l'action au fond de ses clients, avait favorisé, par son manque de diligences personnelles, la perte de chance de voir aboutir leur action en réparation. Et, en tout état de cause, les magistrats bordelais ne manquent pas de faire valoir que la défaillance de l'avocat dans son devoir de conseil résulte encore de ce que, postérieurement à la promulgation de la loi du 12 juin 2003, il incitait encore ses clients à poursuivre une instance vouée à l'échec dans le cadre d'une procédure d'appel puis d'un pourvoi en cassation.

On redira rapidement que l'avocat est tenu d'accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client. Et s'il est parfaitement acquis qu'il ne peut lui être imputé à faute de n'avoir pas anticipé une évolution imprévisible du droit positif, il est en revanche évident qu'il se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l'extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer (12). Ainsi, la responsabilité de l'avocat doit-elle être engagée lorsqu'il aura intenté l'action tardivement et en méconnaissance d'une nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation (13). C'est que, en tout état de cause, et comme le retient d'ailleurs la cour d'appel de Bordeaux dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 14 février dernier, l'existence d'une incertitude juridique ne dispense pas l'avocat de son devoir de conseil, et l'oblige en tout cas à se montrer particulièrement prudent dans le choix des voies de recours qu'il décide de mettre en oeuvre (14). Et s'il est évident qu'engage sa responsabilité l'avocat qui omet d'exercer un recours, contrairement aux instructions écrites de son client qui contestait une décision qui avait de sérieuses chances d'être réformée en appel (15), il n'est pas davantage discutable que sa responsabilité est également susceptible d'être retenue s'il engage une procédure manifestement vouée à l'échec et contraire aux intérêts de son client alors qu'il aurait dû l'avertir des risques prévisibles auxquels il s'exposait (16), compte tenu du droit positif ou des incertitudes de celui-ci (17). Par où l'on voit que l'avocat est tenu d'un devoir de contrôle qui consiste notamment à vérifier que l'action de son client est fondée et que les conditions de recevabilité de celle-ci sont réunies.

Une fois la faute établie, il reste encore à déterminer le préjudice réparable. Celui qui est causé par l'exercice d'une voie de recours manifestement vouée à l'échec ne pose pas de réelle difficulté : il consistera dans les dépenses inutilement engagées par le client et, éventuellement, dans le préjudice moral qui en est résulté. Plus complexe est sans doute la détermination du préjudice lorsque la faute de l'avocat a consisté à ne pas exercer ou à exercer trop tard une voie de recours. Le préjudice consiste alors dans une perte de chance. L'occasion a, à plusieurs reprises, été donnée d'y insister dans le cadre de cette chronique. On rappellera, sous cet aspect, que le juge doit alors, pour évaluer le préjudice pouvant résulter de la faute de l'avocat, reconstituer fictivement la discussion qui aurait pu s'instaurer entre les parties (18).

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(2) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267.
(3) Voir encore, récemment, Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(4) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n° 01-03.903, F-D (N° Lexbase : A6177DBE).
(5) Cass. civ. 3, 20 novembre 1991, n° 90-10.286 (N° Lexbase : A2944ABN), Bull. civ. III, n° 284 ; Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-18.737 (N° Lexbase : A3478AUD), Bull. civ. I, n° 101.
(6) Cass. civ. 1, 21 novembre 2000, n° 98-13.860 (N° Lexbase : A9344AHK), Bull. civ. I, n° 300.
(7) Cass. civ. 1, 30 octobre 2007, n° 05-16.789, F-D (N° Lexbase : A2275DZB).
(8) Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-12.294, F-P+B+I (N° Lexbase : A1345EUD).
(9) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 86-16.268 (N° Lexbase : A8645AAG), Bull. civ. I, n° 17.
(10) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(11) Voir, sur cette question, la note précédente.
(12) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899, FS-P+B (N° Lexbase : A9822EGU), Bull. civ. I, n° 92.
(13) Cass. civ. 1, 15 octobre 1985, n° 84-12.309 (N° Lexbase : A5508AAA), Bull. civ. I, n° 257.
(14) Comp., s'agissant du notaire, Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-21.407 (N° Lexbase : A0784ACZ), Bull. civ. I, n° 362 ; rappr. Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-10.101, FS-P+B (N° Lexbase : A4958DNX), Bull. civ. I, n° 136, à propos d'une évolution juridique en cours devant conduire le notaire à mettre en garde son client.
(15) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 17 novembre 1995, Gaz. Pal., 1996, 1, somm. p. 13.
(16) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Resp. civ. et assur., 1997, chron. n° 19, note H. Groutel ; add. P. Michaud, Les avocats sont-ils des canards de foire ?, JCP éd. G, 1997, IV, 1240.
(17) Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, n° 94-14.341 (N° Lexbase : A7831BQ4).
(18) Cass. civ. 1, 2 avril 2009, n° 08-12.848, F-P+B (N° Lexbase : A5253EEB), Bull. civ. I, n° 72.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] L'inefficacité du repentir notifié sous réserve d'une procédure en cours

Réf. : Cass. civ. 3, 9 mars 2011, n° 10-10.409, FS-P+B (N° Lexbase : A2532G9N)

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 24 Mars 2011


Un congé avec offre de renouvellement sous réserve de l'issue d'une procédure en cours est dépourvu du caractère irrévocable et ne peut valablement caractériser l'exercice par le bailleur du droit de repentir. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2011. 1. Les faits

En l'espèce, le bailleur de locaux à usage commercial avait, le 13 juin 1993, notifié au preneur un congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes, à l'échéance du 31 décembre 1993. En l'état d'une procédure en cours concernant ce congé, le bailleur avait, le 26 mars 2004, notifié au preneur un nouveau congé avec offre de renouvellement sous réserve de ce pourvoi. Les locaux ont été vendus le 8 avril 2004 et le nouvel acquéreur avait engagé l'action en fixation du prix du bail renouvelé le 17 juillet 2006. Les premiers juges saisis de cette demande l'avait jugée irrecevable au motif que le bail ayant expiré le 31 décembre 1993 par l'effet du précédent congé sans offre de renouvellement délivré le 13 juin 1993 et le bailleur, en notifiant le 26 mars 2004 un congé avec offre de renouvellement, ayant exercé le droit de repentir et renouvelé le bail à cette date, l'action du bailleur, engagée le 17 juillet 2006 en fixation du loyer de ce bail, était prescrite. Le bailleur s'est alors pourvu en cassation.

2. Sur la portée du droit au renouvellement du preneur

Le preneur titulaire d'un bail soumis aux dispositions du statut des baux commerciaux bénéficie, à certaines conditions, d'un droit au renouvellement. Le bailleur n'est pas tenu de renouveler le bail et peut toujours refuser le renouvellement (Cass. com., 2 juillet 1963, n° 61-11.486 N° Lexbase : A2829AUC ; Cass. com., 9 mars 1965, n° 61-13.692 N° Lexbase : A2783AUM ; Cass. civ. 3, 3 décembre 1974, n° 73-13.131 N° Lexbase : A7006AGL ; Cass. civ. 3, 8 février 2006, n° 04-17.898, FS-P+B N° Lexbase : A8448DMT ; Cass. civ. 3, 25 novembre 2009, n° 08-21.029, FS-P+B N° Lexbase : A1636EPB). Il devra cependant, dans ce cas, régler au locataire qui bénéficie d'un droit au renouvellement une indemnité d'éviction, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 N° Lexbase : L5745AIM) et suivants du Code de commerce, égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement (C. com., art. L. 145-14 N° Lexbase : L5742AII).

3. Sur le droit de repentir du bailleur

Le bailleur qui a initialement refusé le renouvellement se voit accorder par l'article L. 145-58 du Code de commerce (N° Lexbase : L5786AI7) le droit de se soustraire au paiement de l'indemnité en consentant au renouvellement.
Toujours en application de ce texte, ce droit, appeler le droit de repentir, peut être exercé, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision fixant le montant de l'indemnité d'éviction est passée en force de chose jugée.
Néanmoins, le bailleur, qui a initialement refusé le renouvellement, pourra revenir sur sa décision que si le locataire est encore dans les lieux et qu'il n'a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation (C. com., art. L. 145-58), ces deux conditions ayant un caractère alternatif et non cumulatif (Cass. civ. 3, 1er juin 1999, n° 97-22.008 N° Lexbase : A8933AGX ; TGI Paris, 18ème ch., 1ère sect., 14 décembre 2010, n° 09/06803 N° Lexbase : A5479GRD).

3.1. Sur la forme du repentir

L'article L. 145-58 du Code de commerce est silencieux sur la forme selon laquelle l'exercice du droit de repentir doit être effectuée. L'article L. 145-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L2273IBS) dispose que lorsque le bailleur a notifié son intention de ne pas renouveler le bail et que, par la suite, il décide de le renouveler, le nouveau bail prend effet à partir du jour où cette acceptation a été notifiée au locataire "par acte extrajudiciaire". Il aurait pu être soutenu qu'au regard de ces dispositions, le repentir dût être exercé sous cette dernière forme. Toutefois, la validité d'un droit de repentir sous la forme d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception semble admise (Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-15.621, F-D N° Lexbase : A1016E3Z ; CA Amiens, 23 septembre 2008, n° 06/00092 N° Lexbase : A8564HBS).

A été admise, par ailleurs, la validité du repentir exercé par voie de conclusions de désistement et d'instance signifiées à l'occasion d'une procédure (Cass. civ. 3, 25 octobre 1972, n° 71-12.225 N° Lexbase : A6808AGA) ou d'une assignation tendant à la fixation du loyer en renouvellement (Cass. civ. 3, 23 février 1982, n° 80-14.546 N° Lexbase : A7545AGK).

Pour des raisons de preuve, et pour éviter toutes contestations sur la validité de la forme du droit de repentir, il est fortement préconisé d'avoir recours à un acte d'huissier de justice.

3.2. Sur l'expression de la volonté du bailleur d'exercer son droit de repentir

La difficulté consiste le plus souvent à déterminer si le bailleur a entendu ou non exercer son droit de repentir, c'est-à-dire s'il a eu l'intention ou non de renouveler le bail commercial lorsque cette volonté n'est pas clairement exprimée, amenant les juges à procéder à l'interprétation de cette dernière.

Ainsi, il a été jugé que la signification par le bailleur de son désistement d'instance et d'action, avec offre de payer les frais de la procédure en fixation d'une indemnité d'éviction, constitue l'exercice du droit de repentir (Cass. civ. 3, 25 octobre 1972, n° 71-12.225, préc.). De la même manière, la demande en fixation du loyer formée par l'acquéreur d'un immeuble donné à bail, à l'encontre d'un locataire auquel l'ancien propriétaire avait refusé le renouvellement, constitue l'exercice du droit de repentir (Cass. civ. 3, 23 février 1982, n° 80-14.546, préc.).

En revanche, l'absence de paiement de l'indemnité d'éviction ne caractérise pas l'intention du bailleur de renouveler le bail (Cass. civ. 3, 20 juin 1995, n° 93-11.558 N° Lexbase : A8074AHI ; CA Paris, 28 avril 1987, Ch. Mahouteta, Loyers et copr., 1987, comm. n° 271).

3.3. Sur le caractère irrévocable : effet et critère de qualification du repentir

La question posée dans l'arrêt rapporté n'était pas tant celle de la volonté du bailleur, qui avait clairement exprimé son intention de renouveler le bail, même si c'était sous condition, que celle de savoir si cette offre, lorsqu'elle est assortie d'une réserve, peut valoir exercice du droit de repentir.

En l'espèce, un congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes avait été notifié le 13 juin 1993 pour l'échéance du 31 décembre suivant. Le 26 mars 2004, et alors que la procédure relative à la validité de ce congé était toujours en cours, le bailleur avait délivré un congé avec offre de renouvellement sous réserve de ce pourvoi. En effet, si le bailleur obtenait gain de cause, le congé du 13 juin 1993 mettrait fin au bail sans que le bailleur soit tenu de régler une indemnité d'éviction. Le droit de repentir dans ce cas ne se justifierait a priori pas. En revanche, si le congé était jugé non fondé, le bail cesserait néanmoins, mais le bailleur serait débiteur d'une indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 1er avril 1998, n° 96-14.638 N° Lexbase : A2710ACD ; Cass. civ. 3, 25 novembre 2009, n° 08-21.029, FS-P+B N° Lexbase : A1636EPB). Le droit de repentir lui permettra alors d'échapper au règlement de l'indemnité d'éviction en renouvelant le bail.

La possibilité d'un droit de repentir sous réserve pose une difficulté en raison de son caractère irrévocable (C. com., art. L. 145-59 N° Lexbase : L5787AI8), ce qui signifie qu'une fois ce dernier exercé, le bailleur ne peut plus mettre en oeuvre son droit d'option qui lui permet, de manière symétrique, de refuser le renouvellement alors qu'il l'a initialement offert (C. com., art. L. 145-57 N° Lexbase : L5785AI4). Le caractère irrévocable du droit de repentir et du droit d'option a pour objectif d'éviter au preneur de rester indéfiniment dans l'incertitude sur le sort du bail.

Le caractère irrévocable du droit de repentir, bien qu'il soit une conséquence de ce dernier, pourrait s'opposer à ce qu'il soit formé sous réserve du sort d'une procédure en cours. Admettre une telle solution s'oppose également aux objectifs du caractère irrévocable qui est d'éviter de laisser le preneur trop longtemps dans l'incertitude.

La Cour de cassation a tranché ce point relativement au droit d'option dans un arrêt du 14 novembre 2007 (Cass. civ. 3, 14 novembre 2007, n° 06-16.063, FS-P+B+I N° Lexbase : A5882DZU). En effet, elle a précisé que l'acte par lequel le bailleur refuse le renouvellement sous la réserve de pourvois en cassation et des décisions à intervenir, est dépourvu de caractère irrévocable et ne peut constituer l'exercice valable d'un droit d'option. Cet acte ne peut donc annihiler les effets du congé avec offre de renouvellement précédemment notifié, pouvant entraîner pour le preneur des conséquences graves puisque dans l'arrêt du 14 novembre 2007, le locataire, s'était trouvé forclos à contester un congé refusant le renouvellement postérieurement délivré pour l'échéance du bail, le bail initial s'étant trouvé finalement renouvelé en raison de l'inefficacité du "droit d'option".

Il pouvait être présagé que cette solution serait applicable au droit de repentir (en ce sens, J.-P. Blatter, Portée d'un droit d'option exercé sous condition résolutoire d'une cassation, AJDI, 2008, p. 203). La Haute cour avait rendu un arrêt en ce sens en liant la qualification du droit de repentir au caractère irrévocable de la volonté du bailleur de renouveler le bail (Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-15.621, F-D N° Lexbase : A1016E3Z).

L'arrêt rapporté ne laisse aucun doute sur la transposition au droit de repentir de la solution dégagée pour le droit d'option. En effet, il y est précisé que le congé avec offre de renouvellement, notifié après un refus de renouvellement, sous réserve du pourvoi en cassation formé contre une décision, ne pouvait valablement caractériser l'exercice par le bailleur d'un droit de repentir à défaut de caractère irrévocable.

L'inefficacité de cette offre de renouvellement conduit cette fois à faire échapper une partie à la prescription de son action. En effet, les juges du fond, dont la décision a été censurée, avaient considéré que dans la mesure où un repentir avait été exercé, le bail avait été renouvelé à cette date (sur ce point, voir Cass. civ. 3, 23 juin 1998, n° 96-17.991 N° Lexbase : A8187AHP) et que l'action en fixation du loyer en renouvellement du bailleur exercée plus de deux ans après était prescrite (C. com., art. L. 145-60 N° Lexbase : L8519AID). Toutefois, compte tenu de l'absence de repentir, et sous réserve de la décision rendue à la suite du pourvoi, le bail peut être a priori considéré comme ayant pris fin pour la date d'effet du congé initial. L'action en fixation du loyer en renouvellement ne présente plus aucun intérêt, à moins, dans la mesure où il doit être considéré qu'aucun repentir n'a été formé, que le bailleur puisse encore exercer ce droit si ses conditions, notamment de délais, sont remplies.

En revanche, et désormais, la question pourrait se poser de la possibilité pour le preneur d'exercer une action en fixation et en règlement de l'indemnité d'éviction. En effet, cette action était soumise, sous l'empire des règles applicables antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), à un délai de forclusion biennale (C. com., art. L. 145-9, anc. N° Lexbase : L5737AIC). Cette action est désormais soumise au délai de prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce. Le point de départ du délai de forclusion (et probablement également désormais celui de prescription) est la date pour laquelle le congé est donné (Cass. civ. 3, 10 mars 2010, n° 09-10.780, FS-D N° Lexbase : A1769ETP). Dans la mesure où existait une instance relative au bien fondé du congé, le preneur a certainement dû interrompre, dans le cadre de cette dernière, le délai de prescription de l'action en fixation et en règlement de l'indemnité d'éviction, même s'il n'a pas formé expressément une telle demande, la seule contestation du congé lui permettant de la former ensuite "à toute hauteur de la procédure" (Cass. civ. 3, 10 décembre 2008, n° 07-15.241, FS-P+B N° Lexbase : A7134EBT).

La clarté de la position de la Cour de cassation sur la nécessité du caractère irrévocable, tant de l'offre de renouvellement pour le repentir que du refus de renouvellement pour le droit d'option, en levant les incertitudes, permettra aux partie de mieux anticiper leurs droits notamment au regard des prescriptions applicables aux actions liées au renouvellement ou au refus de renouvellement. Il incombe toutefois désormais à leurs conseils d'attirer leur attention sur le caractère nécessairement ferme du droit de repentir et du droit d'option, à peine d'inefficacité de ces derniers.

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Discrimination et harcèlement

[Questions à...] Des licenciements nuls et discriminatoires ... 63 ans après - Questions à Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate au barreau de Versailles

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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 24 Mars 2011

Qualifier de licenciements nuls et discriminatoires, les ruptures des contrats de travail de plusieurs salariés à la suite de l'exercice de leur droit de grève, ne semble pas très surprenant pour une cour d'appel en 2011 (1). Mais, quand ces licenciements ont été prononcés en 1948, la solution mérite d'attirer notre attention. En effet, rentrent en jeu les règles de la prescription civile et de la reconnaissance de la discrimination. Pour tenter de mieux comprendre le raisonnement de la cour d'appel de Versailles (2), Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate au barreau de Versailles, qui a représenté, de concert avec trois confrères, ces mineurs dans ce long combat judiciaire. Lexbase : 63 ans après, des licenciements sont jugés nul et discriminatoires, la solution surprend. Quels faits ont entraîné ces licenciements ?

Emmanuelle Boussard-Verrecchia : Il s'agit de 17 mineurs de fond des Houillères licenciés avec 3 000 autres salariés pour avoir été identifiés comme les meneurs des grèves massives de 1948 et 1952, provoquées par la remise en cause du statut des mineurs de 1946. L'un d'entre eux, Georges Carbonnier, a, au cours des années 1980, interpellé autorités et élus sur ce qu'il avait vécu comme une injustice et dont les conséquences avaient été dramatiques pour ces mineurs et leurs familles. Il a rassemblé plusieurs anciens mineurs ou leurs familles. Ensemble, accompagnés du Bâtonnier Tiennot Grumbach, ils saisissent la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) en 2005. Une délibération du 22 mai 2006 ouvrait la possibilité d'une médiation, qui est engagé mais qui échoue. Les salariés concernés ou leurs ayants-droit ont alors saisi le conseil des prud'hommes pour faire juger que leurs licenciements étaient discriminatoires.

Lexbase : Pourquoi ces faits (participation à une grève) n'étaient-ils pas prescrits ?

Emmanuelle Boussard-Verrecchia : L'ancienneté des faits ne pouvait qu'entraîner une réflexion sur la prescription. Lors de la saisine du conseil des prud'hommes en 2007, la prescription était de 30 ans (3). Cependant, c'est à partir de la révélation de la discrimination que le point de départ de la prescription s'apprécie. En l'espèce, le collectif des quatre avocats du SAF (Syndicats des avocats de France) défendant les mineurs a donc soutenu que la révélation du caractère discriminatoire était intervenue à la suite des lois du 2 janvier 1984 (loi n° 84-2 du 2 janvier 1984 N° Lexbase : L7867IP3), confortée par la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L7868IP4) et la loi n° 2004-1486 30 décembre 2004 (N° Lexbase : L5199GU4) rétablissant "les mineurs licenciés pour faits de grève" dans certains droits sociaux. Appréciant les faits, la cour d'appel a retenu cette argumentation, se situant ainsi dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, renforcée récemment par la loi du 15 juin 2008 portant réforme de la procédure civile (4). Rejetant donc l'exception d'irrecevabilité, elle a ensuite jugé que les licenciements présentaient un caractère discriminatoire, en l'absence d'abus du droit de grève. Ce sont les faits historiques soumis à la cour qui donne à cet arrêt un caractère exceptionnel, mais sa solution est conforme au droit.

Lexbase : Pensez-vous que d'autres actions aux faits similaires pourraient être introduites ?

Emmanuelle Boussard-Verrecchia : Une grande prudence s'impose. Il ne faut pas créer d'illusions, car si ce n'est pas impossible, les faits sont appréciés par le juge du fond. Quand le résultat est positif, on oublie le long travail réalisé en amont, par les demandeurs eux même et leurs conseils, de construction de dossiers, de réflexion collective. Les règles applicables en matière de prescription ont été mobilisées et ce dossier n'est donc pas un "modèle" de remise en cause de la prescription.

Lexbase : La prescription a été réformée en 2008. N'est-il pas à craindre que la prescription de 5 ans ne réduise l'action de salariés voulant établir une possible discrimination ?

Emmanuelle Boussard-Verrecchia : La réforme de la prescription civile projetée au printemps 2008 comportait ce risque. C'est pourquoi un collectif d'associations et de syndicats a oeuvré pour que la lutte contre la discrimination au travail, par nature opaque, puisque l'employeur ne qualifie pas de discriminatoires les faits qui le sont, n'en fasse pas les frais. A la suite de l'action de ce collectif, un article a été ajouté spécifiquement sur ce point dans le Code du travail. L'article L. 1134-5 (N° Lexbase : L7245IAL) prévoit donc que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par 5 ans à compter de la révélation de la discrimination et que les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice dans toute sa durée. Un salarié peut vivre une situation d'injustice, ressentir un traitement différencié pour telle ou telle cause, sans être en mesure de le qualifier de discrimination ni d'agir. Comme l'indique le rapport de l'Assemblée nationale n° 847 du 30 avril 2008 de Monsieur Emile Blessig , "le salarié pourra agir une fois qu'il aura eu connaissance effective de tous les éléments lui permettant d'exercer son droit, c'est à dire lorsqu'il aura eu entre ses mains l'ensemble des documents permettant d'établir qu'il a été victime de discrimination", lesquels documents sont en la seule possession de l'employeur. Dès lors, il ne serait pas choquant que la prescription soit opposée à un salarié qui, disposant de l'ensemble des éléments d'information démontrant qu'il a été discriminé par son employeur, s'abstiendrait d'agir dans le délai de 5 ans.


(1) Aucun salarié ne peut être licencié en raison de l'exercice normal du droit de grève, C. trav., art. L. 1132-2 (N° Lexbase : L0676H9W), v. sur cette question, l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2522ETL).
(2) CA Versailles, 10 mars 2011, 11ème ch., n° 09/04172 (N° Lexbase : A9085HB4).
(3) V. l'ancien article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY).
(4) Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I). Pour une analyse de cette loi, v. les obs. d'E. Verges, Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée ([LXB=N6679BG]) et pour une étude des conséquences en droit du travail, v. les obs. de S. Tournaux, Les incidences en droit du travail de la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription civile, Lexbase Hebdo n° 310 du 26 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3769BGP).

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Droit des étrangers

[Doctrine] Chronique de droit des étrangers - Mars 2011

Lecture: 13 min

N7567BRP

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, deux arrêts rendus le 23 février 2011 par la Cour de cassation. Le premier arrêt vient confirmer le caractère irrégulier des contrôles d'identité dits "Schengen" opérés sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7648IPX). La Cour de cassation applique, ici, le raisonnement suivi par le juge de l'Union européenne tout en respectant les exigences du principe de primauté du droit de l'Union (Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-70.462, F-P+B+I). Dans le deuxième arrêt, la Cour de cassation se prononce sur la question, semble-t-il inédite, de l'impact d'un placement en garde à vue au cours et dans le cadre de la rétention administrative. Pour le juge, la procédure judiciaire ouverte et achevée pendant le temps de la rétention ne peut mettre un terme à cette procédure de rétention (Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-72.420, F-P+B+I). La troisième décision étudiée a été rendue par le Conseil d'Etat dans le cadre d'une procédure d'extradition, le juge administratif jugeant régulière une extradition d'un condamné à mort malgré le principe de contrariété avec l'ordre public français de l'extradition pour une infraction passible de la peine de mort. La condamnation à la peine capitale ayant été prononcée pour des infractions distinctes de celles justifiant la demande d'extradition (CE 2° et 7° s-s-r., 16 février 2011, n° 335361, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Les contrôles opérés sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale sont irréguliers (Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-70.462, F-P+B+I N° Lexbase : A4665GX3)

Pour tirer les conséquences des incidences prévisibles de l'entrée en vigueur de la Convention de Schengen le 25 mars 1995, la loi n° 93-992 du 10 août 1993 (1) a créé ce que l'on peut appeler le "contrôle d'identité frontalier" prévu à l'alinéa 4 de l'article 78-2 du Code de procédure pénale. Il ressort de ce contrôle particulier que l'identité de toute personne peut être contrôlée dans une certaine zone aux frontières terrestres, portuaires et aéroportuaires de la France. De prime abord, le droit positif distingue entre le contrôle d'identité, qui a pour objet la recherche de l'identité d'une personne, et le contrôle de réglementation ou de titre, qui a pour objet de s'assurer de l'application d'une réglementation par toute personne à laquelle le droit fait obligation, à raison de son état ou de sa profession. Le contrôle d'identité frontalier est légalement qualifié de "contrôle d'identité" mais, comme le montre la lettre de l'article 78-2, alinéa 4, il est principalement un contrôle des titres d'entrée et de séjour en France des étrangers trouvés dans une zone frontalière (frontières terrestres, gares, ports ou aéroports internationaux), et accessoirement un contrôle d'identité, son objet apparent.

Ce contrôle a été aménagé pour servir une finalité de police administrative autre que celle de la découverte de l'identité. Les contrôles aux frontières communes étant supprimés pour les reporter aux frontières externes à cet espace, la loi s'est délaissée de l'ancienne dissociation des deux contrôles, d'identité et de réglementation. Elle s'est servie du contrôle d'identité préventif pour autoriser les agents de la force publique à contrôler l'identité de toute personne indistinctement. Désormais, les policiers et les gendarmes ont, dans une zone frontalière, le pouvoir de contrôler, sans respecter les règles posées pour les contrôles d'identité de police administrative ou judiciaire, l'identité des personnes qui y circulent et, corrélativement, de constater l'infraction d'entrée et/ou de séjour irrégulier d'un étranger en France, puis de procéder à la rétention de son auteur, dans l'attente de sa présentation à l'officier de police judiciaire territorialement compétent (2).

Il ressort des faits de l'espèce qu'une personne de nationalité colombienne, en situation irrégulière en France, a été interpellée en gare internationale de Cerbère, à la frontière franco-espagnole dans un train en provenance de Montpellier et à destination de Barcelone sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale. Cette personne a ensuite fait l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière et de placement en rétention administrative, et un juge des libertés et de la détention a prolongé cette rétention. Le premier président de la cour d'appel de Montpellier (3) a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prolongé cette rétention et, statuant à nouveau, annulé la procédure et ordonné la mise en liberté de la requérante. Se fondant expressément sur l'arrêt de la Cour de justice du 22 juin 2010 (4), la Haute juridiction affirme que "l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale n'étant assorti d'aucune disposition offrant [la garantie que l'exercice pratique de tels contrôles ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières], les contrôles opérés sur le fondement de ce texte sont irréguliers", et rejette donc le pourvoi formé par le préfet.

Si le texte de l'article 78-2 a, dès son origine, soulevé la question de sa légalité (5), cette dernière n'avait jamais été soulevée par la Cour de cassation avant l'intervention de la Cour de justice qui, dans son arrêt du 22 juin 2010, a considéré que cette disposition, pour ce qui concerne les contrôles intervenant dans la zone "des vingt kilomètres", est contraire au principe de libre circulation des personnes tel qu'énoncé, notamment, par l'article 67 § 2 du TFUE (N° Lexbase : L2717IPC). En effet, selon elle, de tels contrôles systématiques d'identité entravent, de manière non nécessaire et disproportionnée, la liberté de circuler en ce qu'ils peuvent être mis en oeuvre sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'éléments de soupçon de commission d'une infraction (hypothèse du contrôle de police judiciaire) ou de circonstances particulières établissant un risque de trouble à l'ordre public (hypothèse du contrôle de police administrative). De la sorte, la Cour de Luxembourg rappelait que toute entrave à la liberté de circulation des personnes doit nécessairement être justifiée au regard de la réserve d'ordre public, sauf à méconnaître le droit. L'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale n'étant assorti d'aucune disposition offrant une telle garantie, les contrôles opérés sur le fondement de ce texte sont irréguliers. Il n'y a donc pas lieu de distinguer entre une interpellation dans la zone des vingt kilomètres et celle dans une gare (comme en l'espèce), ou un aéroport.

C'est précisément ce qu'avait indiqué déjà l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 juin 2010 (6), en affirmant que, "dès lors que l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale n'est assorti d'aucune disposition offrant une [...] garantie [de nature à préserver la liberté de circulation], il appartient au juge des libertés et de la détention d'en tirer les conséquences au regard de la régularité de la procédure dont il a été saisi". Le principe de primauté du droit de l'Union imposant une modification des pratiques françaises, les juges ont, depuis lors, annulé les contrôles d'identités fondés uniquement sur l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale, hors zone des vingt kilomètres précitée. Dans l'arrêt d'espèce, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme l'application de cette solution.

Reste la polémique qui avait été déclenchée par la Cour de cassation. Si la solution mise en oeuvre par le juge apparaît satisfaisante dans la perspective d'un encadrement effectif des atteintes à la liberté de circulation, la Cour suprême refuse définitivement de donner effet à la question prioritaire de constitutionnalité. On peut rapeller que la Cour de justice répondait par l'arrêt déjà mentionné aux questions préjudicielles que lui avait soumises la Cour de cassation (7) concernant la conformité au droit communautaire de la question prioritaire de constitutionnalité (8) déclenchant, par là même, une importante controverse médiatique et doctrinale (9) et l'adoption de décisions du Conseil constitutionnel et de Conseil d'Etat qui avaient oeuvré pour empêcher une contrariété de la QPC au droit de l'Union (10). S'il appartient effectivement au juge des libertés et de la détention de tirer les conséquences de l'inconventionnalité, était-il pour autant justifié de ne pas poser au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ?

  • La procédure judiciaire ouverte et achevée pendant le temps de la rétention ne peut mettre un terme à la procédure de rétention administrative (Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-72.420, F-P+B+I N° Lexbase : A4668GX8)

Dans la décision commentée, la Cour de cassation se prononce sur la question, semble-t-il inédite, de l'impact d'un placement en garde à vue sur la mesure de rétention. En l'espèce, la rétention administrative de la requérante, de nationalité nigériane, qui faisait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, a été prolongée pour une durée de quinze jours par une ordonnance du 20 juin 2009 rendue par un juge des libertés et de la détention. Le 21 juin 2009, elle a été placée en garde à vue pour des faits commis pendant son placement en rétention. A l'issue de l'audience du tribunal correctionnel devant lequel elle a comparu le 22 juin 2009, elle a été reconduite au centre de rétention administrative. Le 23 juin 2009, la requérante a demandé au juge des libertés et de la détention de mettre fin à sa rétention sur le fondement de l'article R. 552-17 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L3850IB9). Il a été fait droit à cette requête par une décision du 25 juin, dont le ministère public a aussitôt interjeté appel. Il était, notamment, reproché à l'autorité administrative d'avoir, ainsi, replacé la requérante dans le centre d'où elle avait été extraite pour les suites de la procédure judiciaire susmentionnée, sans qu'il y ait eu un nouvel arrêté de maintien en rétention. La requérante concluant, ainsi, que la mesure de garde à vue avait mis un terme définitif à la rétention décidée par le préfet.

Pour les juges d'appel (11) et de cassation, la privation de liberté dont l'intéressée avait fait l'objet était régulière, puisque autorisée par un juge des libertés et de la détention, et cette privation ne pouvait conférer à l'étranger retenu une quelconque immunité contre les actions judiciaires dont il pouvait être amené à répondre pour un délit commis au cours, et dans le cadre de la rétention. La procédure judiciaire ouverte et achevée pendant le temps de la rétention n'avait donc pu mettre un terme à cette mesure destinée à organiser et exécuter une décision d'éloignement, et qui devait continuer à produire ses effets pendant tout le temps pour lequel elle avait été judiciairement autorisée. Le pourvoi est, par conséquent, rejeté. Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, la privation de liberté décidée par le juge des libertés et de la détention ne confère aucune immunité à l'étranger pour les faits qu'il commet lors de son placement en rétention, et la procédure judiciaire "ouverte et achevée pendant le temps de la rétention" ne met pas un terme à cette mesure. A l'issue de la garde à vue, la rétention se poursuit donc, comme prévu, pour la durée autorisée par le juge.

Les personnes en situation irrégulière sur le territoire national et faisant l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière sont fréquemment placées en garde à vue, puis en rétention administrative, mais l'inverse est plus rare, et la question se pose de l'impact d'une mesure de garde à vue sur la rétention administrative. Il est de droit constant que, lorsque la première mesure de détention (la garde à vue) a pour seul but de favoriser la mise en oeuvre de la seconde (la rétention), elle est entachée d'illégalité. Il semble logique, en ce sens, qu'une procédure judiciaire ouverte et achevée pendant le temps de la rétention ne puisse mettre un terme à la procédure de rétention administrative. Les deux procédures sont indépendantes.

Certes, le juge des libertés et de la détention, et, le cas échéant, le premier président de la cour d'appel, en cas de contestation formée contre la décision du premier nommé, sont aujourd'hui garants de l'effectivité des droits reconnus aux étrangers placés en rétention administrative. Ainsi, aux termes des diverses décisions rendues par la première chambre civile, il revient au juge judiciaire de s'assurer que l'intéressé a été, au moment de la notification de la décision de placement en rétention, mis en mesure d'exercer effectivement les droits qui lui sont reconnus. En ce sens, il aurait pu être reproché à l'autorité administrative d'avoir, ainsi, replacé la requérante dans le centre d'où elle avait été extraite pour les suites de la procédure judiciaire précitée, sans qu'il y ait eu un nouvel arrêté de maintien en rétention.

Mais le juge fait application de la règle du cumul des rétentions administratives et des procédures judiciaires comme, par exemple, celles liées aux procédures de garde à vue. Ce cumul cède naturellement en cas de texte contraire (12), mais le cumul garde à vue-rétention administrative en matière de droit des étrangers est prôné par une circulaire du 21 février 2006 (13). Les mesures de rétention administrative sont considérées comme de simples mesures de police qui ne s'imputent pas sur celle de la garde à vue ou de tout autre procédure judiciaire. La rétention administrative a simplement pour objet de faciliter l'exécution des mesures d'éloignement, elle ne peut être liée, en ce sens, à une procédure judiciaire.

  • L'extradition d'un condamné à mort est régulière si la condamnation à la peine capitale a été prononcée pour des infractions distinctes de celles justifiant la demande d'extradition (CE 2° et 7° s-s-r., 16 février 2011, n° 335361, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1486GXC)

Il ressort des faits de l'espèce que les autorités algériennes ont fait une demande d'extradition aux autorités françaises pour l'exécution de trois mandats d'arrêt. Les deux premiers concernent des chefs d'importation et de commercialisation illicite de stupéfiants, d'atteinte à la santé publique, de trafic de stupéfiants, de falsification du sceau de l'Etat, de contrebande de produits prohibés et, enfin, de faux et usage de faux dans des documents administratifs. Le troisième mandat a été délivré pour des faits d'association de malfaiteurs, détention et trafic de stupéfiants et atteinte à la santé publique.

Le ministre de la Justice a procédé à l'examen particulier de la situation personnelle de la personne objet de la demande d'extradition avant d'accorder son extradition aux autorités algériennes par un décret du 9 décembre 2009. Le requérant soutient que le décret attaqué est contraire à l'ordre public français du fait de la condamnation à la peine capitale prononcée en Algérie à son encontre par une cour d'assises locale, faute pour le Gouvernement français d'avoir sollicité des garanties de la part des autorités algériennes qu'elles ne mettraient pas à exécution cette condamnation.

Pour le Conseil d'Etat, le décret attaqué n'accorde l'extradition que pour les seuls faits mentionnés dans la demande de l'Etat requérant, faits distincts de ceux qui ont entraîné la condamnation à la peine capitale. Il résulte, en outre, du supplément d'instruction que les faits ayant donné lieu à la décision de condamnation à la peine capitale sont distincts de ceux fondant l'extradition et que, par suite, le principe de la spécialité de l'extradition s'oppose à l'exécution de la condamnation dans le cadre de la présente procédure d'extradition. Ni le supplément d'instruction, ni l'intéressé lui-même, n'apportent aucun élément de nature à laisser penser que le Gouvernement algérien n'entendrait pas respecter l'engagement résultant de la Convention franco-algérienne, qu'il a signée et ratifiée, de faire application du principe de spécialité de l'extradition. Le principe de spécialité de l'extradition doit être appliqué en l'espèce de par la convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964 qui interdit que la personne extradée puisse être poursuivie ou condamnée pour des infractions autres que celles qui fondent l'extradition.

Ce principe fait obstacle à ce qu'une personne extradée soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue d'exécuter une peine, pour une infraction autre que celle ayant motivé l'extradition et antérieure à sa remise à l'Etat requérant. Mais il n'interdit pas à l'Etat requis d'accorder l'extension d'une extradition en vue de permettre la poursuite d'une personne par l'Etat requérant à raison d'infractions antérieures à sa remise et autres que celles ayant motivé l'extradition initiale (14). Ce principe est facilement compréhensible. Un Etat requérant peut facilement détourner les règles de fond de l'Etat requis, si, dès que la personne est remise, elle peut être jugée pour toute infraction, y compris celles ne faisant pas partie de la demande. Il permet, par conséquent, à l'inverse, l'extradition d'un individu vers l'Algérie alors même qu'il est condamné à la peine capitale, si cette condamnation a été prononcée pour des infractions distinctes de celles justifiant la demande d'extradition. Est, ainsi, jugé régulier l'octroi d'une extradition sans revenir sur le principe de la contrariété avec l'ordre public français de l'extradition pour une infraction passible de la peine de mort (15).

Cela ne dispense, toutefois, pas le juge de rechercher l'existence de garanties de l'application du principe de spécialité par l'Etat partie à la convention. En l'espèce, l'extradition a été jugée régulière au motif qu'"en tout état de cause", la réclusion criminelle a perpétuité a été substituée à la peine capitale par le droit algérien pour l'infraction visée par le jugement de condamnation. Le Conseil d'Etat a, tout au long de sa jurisprudence, posé des principes pour assurer une protection solide de la personne extradable. On rappellera, à cet égard, que, parmi ceux-ci, le Conseil d'Etat se fonde sur l'ordre public français pour accorder ou refuser les extraditions (16). Or, en vertu de la jurisprudence "Fidan" (17) confirmée par l'arrêt "Gacem" (18), l'exclusion de la peine de mort fait partie de l'ordre public français depuis la loi du 9 octobre 1981 (19). En fait, leur efficacité dépend de l'appréciation plus ou moins rigide que porte le Conseil d'Etat sur le caractère "suffisant" des assurances fournies par l'Etat requérant. Or, souvent, la Haute juridiction est animée par la volonté de concilier l'ordre public national avec l'entraide pénale internationale, ce qui l'amène inéluctablement à assouplir sa position de principe, comme c'est le cas en l'espèce.

Il faut, néanmoins, noter que le respect du principe de spécialité comme les garanties suffisantes pour l'extradé ne peuvent être réellement vérifiées par la France que si elle est pays requérant. Lorsque la France extrade une personne vers un autre Etat, elle ne peut plus contrôler la suite de la procédure étrangère ; ses seules armes étant des protestations diplomatiques et le risque, pour l'Etat requérant, de voir une prochaine demande rejetée. Cela montre à nouveau la nécessité de la confiance envers le pays requérant dans une telle procédure. Il faut, cependant, que cette confiance soit méritée et que les juges et le Gouvernement observent de près le système répressif de l'Etat requérant avant de prendre une décision d'extradition.

Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz


(1) Loi n° 93-992 du 10 août 1993, relative aux contrôles et vérifications d'identité (N° Lexbase : L7427HXD) (JO, 11 août 1993, p. 11303).
(2) La zone frontalière autorisant un tel contrôle comprend une bande territoriale de vingt kilomètres de profondeur bordant la frontière terrestre avec les autres Etats Parties à la Convention de Schengen et, au-delà, les endroits accessibles au public dans les ports, les aéroports et les gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international désignés par un arrêté.
(3) CA Montpellier, 4 septembre 2009, n° 09/00221 (N° Lexbase : A6940GLM).
(4) CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10 (N° Lexbase : A1918E3G).
(5) La question de constitutionnalité de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale avait déjà été tranchée en 1993 par le Conseil constitutionnel, qui n'avait alors censuré que la possibilité offerte initialement de dépasser la ligne des vingt kilomètres (Cons. const., décision n° 93-223 DC du 5 août 1993 N° Lexbase : A8283ACR, considérants n° 15 et n° 16).
(6) Cass. QPC, 29 juin 2010, 2 arrêts, n° 10-40.002, F-P+B (N° Lexbase : A7368E3B) et n° 10-40.001, F-P+B N° Lexbase : A7367E3A). Voir D. Simon et A. Rigaux, Solange, le mot magique du dialogue des juges, JCP 2010, act. 538, et Persevare autem diabolicum ? La Cour de cassation refuse définitivement de donner effet à la question prioritaire de constitutionnalité, Europe, août 2010, repère n° 8.
(7) Cass. QPC, 16 avril 2010, n° 10-40.002 (N° Lexbase : A2046EX3). Voir O. Dubos, La question prioritaire de constitutionnalité et le droit de l'Union européenne : priorité ou simultanéité ?, Lexbase Hebdo n° 168 du 8 septembre 2010 - édition publique (N° Lexbase : N0419BQL), et S. Platon, Questions prioritaires de constitutionnalité et droit de l'Union européenne : réflexions autour de la question préjudicielle posée par la Cour de cassation le 16 avril 2010, JCP éd. A, 2010, n° 2162.
(8) Le juge luxembourgeois avait constaté la conformité au droit communautaire de la question de constitutionnalité tout en rappelant que la procédure organisant ce contrôle de constitutionnalité ne devait pas empêcher les juridictions nationales, outre de poser à la CJUE "toute question préjudicielle qu'elles jugent nécessaire", "d'adopter toute mesure nécessaire afin d'assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union", "de laisser inappliquée, à l'issue d'une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l'Union", et qu'"il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l'Union".
(9) Dans une tribune dans Le Monde, les professeurs Carcassonne et Molfessis critiquent sévèrement cette décision, La Cour de cassation à l'assaut de la question prioritaire de constitutionnalité, Le Monde, 23 avril 2010 ; voir, également, D. Simon et A. Rigaux, Drôle de drame : la Cour de cassation et la question prioritaire de constitutionnalité, Europe, 2010, étude n° 5 et les commentaires cités.
(10) Cons. const., décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010 (N° Lexbase : A1312EXU) ; CE 14 mai 2010, n° 312305, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1851EXT).
(11) CA Nîmes, 26 juin 2009, n° 09/00200, F-P+B (N° Lexbase : A6136GPX).
(12) Par exemple, l'article 78-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7143A4C) s'agissant du non-cumul de la garde à vue et de la rétention pour vérification d'identité.
(13) Pour une étude critique, voir P.-J. Delage, La liberté individuelle sacrifiée (à propos de la circulaire n° NOR : JUSD0630020C du 21 février 2006), Dr. pén., 2006, étude 21.
(14) CE 2° et 7° s-s-r., 26 septembre 2007, n° 300631 (N° Lexbase : A6016DYH), JCP éd. A, 2007, act. 899.
(15) CE 2° et 1° s-s-r., 6 novembre 2000, n° 214777 (N° Lexbase : A9027AHS), Rec. CE, p. 485, RFDA, 2001, p. 1037, concl. de Silva.
(16) CE, Ass., 18 novembre 1955, Rec. CE, p. 548 ; CE, Ass., 8 mars 1985, n° 64106 (N° Lexbase : A3150AMM), Rec. CE, p. 70.
(17) CE, 27 février 1987, n° 78665 (N° Lexbase : A3236APK), Rec. CE, p. 82.
(18) CE, 14 décembre 1987, n° 85491 (N° Lexbase : A4047APL), DA, 1988, n° 54.
(19) Loi n° 81-908 du 9 octobre 1981, portant abolition de la peine de mort (N° Lexbase : L7253IED).

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Fiscalité du patrimoine

[Questions à...] Comparaison des systèmes fiscaux français et allemand : la Cour des comptes publie son rapport - Questions à Franck Le Mentec, avocat associé au sein du cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral

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N7559BRE

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par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon Paris

Le 24 Mars 2011

Le 2 août 2010, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a demandé à la Cour des comptes d'établir un état des lieux comparé des systèmes fiscaux français et allemand. Ce rapport a été publié le 4 mars 2011. L'objectif de cette comparaison est double : prendre des décisions permettant la convergence des deux systèmes fiscaux, afin de dynamiser l'harmonisation européenne qui, en ce domaine, est très faible, -notamment en matière de fiscalité directe, qui traîne depuis des mois des projets tardant à aboutir, comme celui de l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS) (lire N° Lexbase : N7580BR8)- ; et s'interroger sur la pertinence de certains choix français en matière d'impôt. La Cour des comptes a effectué une comparaison par "bloc de prélèvements" : revenu des ménages, patrimoine, fiscalités des sociétés, TVA et fiscalité environnementale. Pour chacun de ces "blocs", Franck Le Mentec, avocat associé au sein du cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, qui a accepté de répondre à nos questions, revient sur les convergences et divergences soulevées par la Cour des comptes, et leur pertinence pour d'éventuelles réformes du système français. Lexbase : La France a un taux de prélèvements obligatoires dépassant de plus de trois points celui de l'Allemagne. Quels éléments peuvent expliquer une telle différence ?

Franck Le Mentec : Ce taux s'explique essentiellement en raison, d'une part, de la présence de nombreux prélèvements existant en France, qui n'ont pas ou plus d'équivalents en Allemagne et, d'autre part, de l'architecture du système de protection sociale français. En outre, il apparaît que les allemands taxent davantage la consommation.

Lexbase : Les prélèvements obligatoires sur le revenu des ménages (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux) sont structurellement différents et perçus selon des modes opposés. Peut-on en déduire qu'un modèle est plus efficace qu'un autre ?

Franck Le Mentec : On peut, en effet, tout d'abord rappeler que le poids de l'impôt sur le revenu dans le PIB est plus de trois fois plus élevé en Allemagne qu'en France (9,6 % du PIB allemand en 2008 contre 2,6 % du PIB en France).

En revanche, les cotisations sociales s'établissent à un niveau significativement supérieur en France : 15 % du PIB en France, contre 12,6 % du PIB en Allemagne. Celles-ci ne se répartissent pas de la même façon entre les employeurs et les salariés : la répartition est quasiment paritaire en Allemagne, alors que les cotisations patronales représentent, en France, un montant plus de deux fois supérieur aux cotisations des salariés (respectivement 11 % et 4 % du PIB).

Les dispositifs d'exonération de cotisations sociales sont beaucoup plus importants en France (et coûtent plus de 30 milliards d'euros) et sont concentrés sur les cotisations patronales sur les bas salaires (jusqu'à 1,6 SMIC). En Allemagne, les allègements ne concernent que les cotisations salariales, et sont ciblés de manière plus restrictive qu'en France.

Aussi, l'impact des prélèvements sociaux (cotisations sociales, compte tenu des allègements et exonérations) et fiscaux (IR, et, en France, CSG et CRDS) sur le coût du travail apparaît comparable dans les deux pays. Le total de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales, rapporté au coût salarial global pour l'employeur, s'établit à 49,2 % en France et à 50,9 % en Allemagne, au niveau du salaire moyen (la moyenne de l'OCDE étant de 36,4 %).

Ainsi, malgré une architecture différente, la réalisation des deux systèmes entraîne des conséquences relativement proches.

Lexbase : La fiscalité sur le patrimoine est très faible en Allemagne. La France s'inspirera-t-elle de cette politique afin de procéder à la réforme dans ce domaine ?

Franck Le Mentec : En effet, avec des taxes foncières d'un niveau modeste -environ 11 milliards d'euros-, un impôt sur la fortune suspendu depuis 1997, et une taxe professionnelle sur le capital supprimée en 1998, l'Allemagne a fait le choix d'un très faible niveau de prélèvements sur la détention du capital. Le niveau global de ces prélèvements y représente 0,46 % du PIB, très en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE, qui s'établit à 1,13 % du PIB.

A l'inverse, le niveau des prélèvements sur la détention du patrimoine est plus élevé en France et représente 2,6 % du PIB. Il est clair que le maintien de l'ISF est devenu une "exception française" au sein des pays membres de l'Union européenne. La France aurait tout à gagner à suivre l'exemple allemand sur ce point.

En matière de cession et de transmission du patrimoine, l'Allemagne et la France ont fait des choix globalement comparables en matière de taxation des plus-values et de droits de mutation à titre gratuit. Ainsi, la fiscalité des revenus du patrimoine est à l'origine de recettes globalement comparables dans les deux pays -environ 25 milliards d'euros hors fiscalité des revenus fonciers-.

Lexbase : La fiscalité des sociétés a connu d'importantes réformes en Allemagne, où le taux de l'impôt sur les sociétés est passé de 30 à 40 % en 1998 à 15 % en 2008. Pour autant, l'Allemagne a-t-elle renoncé à des recettes fiscales pour attirer les entrepreneurs, et la France aurait-elle un intérêt à faire de même ?

Franck Le Mentec : Comme vous venez de le préciser, l'Allemagne a considérablement réduit son taux d'imposition sur les sociétés à compter des années 2000, dans le but d'améliorer l'attractivité du système fiscal allemand.

Pour autant, il convient de souligner que 83 % des entreprises allemandes sont imposées, alors que seules 57 % des entreprises françaises le sont. En outre, l'Allemagne, en tant qu'Etat fédéral, dispose, outre un impôt général, d'un impôt local sur les entreprises, basé sur une assiette proche de l'IS, qui, lui, n'a fait l'objet d'aucune réduction de taux. Ainsi, le taux global de prélèvements sur les bénéfices en Allemagne comprend l'addition de l'impôt local et de l'IS et atteint 31 %.

Par ailleurs, l'Allemagne ne dispose pas de mécanisme équivalent au crédit d'impôt recherche.

Ainsi, le taux réduit d'impôt sur les sociétés allemand apparaît créer un effet d'optique, défavorable à la France. A titre de comparaison, prima facie, le taux de l'IS français semble particulièrement haut. Son assiette est cependant plus étroite que celle de l'IS allemand. La charge fiscale pesant sur les entreprises françaises et allemandes est finalement très proche.

Lexbase : Les taux de TVA français et allemands sont sensiblement les mêmes. Quelles différences subsistent et quel système est le plus efficace, sachant que la TVA représente déjà plus de 40 % des recettes fiscales françaises et qu'un débat s'est ouvert sur l'augmentation possible de son taux de droit commun ?

Franck Le Mentec : Des différences subsistent et s'expliquent par le recours en France à d'importants taux réduits et dérogatoires dans le but de soutenir certains secteurs ou certaines activités (restauration, presse, etc.).

L'Allemagne, en augmentant son taux initial de 3 % depuis le 1er janvier 2007 et en limitant le champ d'application des taux réduits, a mis en place un système plus efficace en termes de rendement budgétaire.

Il est certain que la TVA pourrait rapporter davantage de recettes fiscales à l'Etat français si celui-ci optait pour une diminution du champ d'application des taux réduits et dérogatoires ou une augmentation du taux réduit. Le rapport précise qu'un simple alignement du taux réduit de 5,5 % sur celui de l'Allemagne, actuellement à 7 %, rapporterait 15 milliards d'euros à l'Etat français.

Lexbase : Enfin, en matière de fiscalité environnementale, la France dispose d'un arsenal complexe de taxation à effet dissuasif. L'Allemagne remplit-elle ses engagements communautaires et internationaux en matière d'environnement, et, le cas échéant, la France a-t-elle des leçons à tirer de la comparaison opérée entre les deux systèmes ?

Franck Le Mentec : L'Allemagne semble avoir une meilleure maîtrise de la fiscalité environnementale. En effet, elle a réussi à mener une réforme progressive, avec l'adoption de différentes mesures, qui ont soit conduit à une augmentation des taux de taxes existantes, soit entraîné la création de nouvelles taxes. La France, quant à elle, a échoué à deux reprises dans l'introduction d'une nouvelle taxe sur le carbone.

Cependant, au regard des critères conventionnellement définis par EUROSTAT, les recettes de fiscalités environnementales sont sensiblement les mêmes en France (2,1 %) et en Allemagne (2,2 %). Pour les deux pays, ces recettes restent inférieures à la moyenne des pays européens (2,6 %). Des efforts restent donc à faire dans les deux pays.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Adhésion à une association de gestion agréée et majoration des revenus professionnels : compatibilité avec les normes de droit fondamentales

Réf. : CAA Lyon, 2ème ch., 30 novembre 2010, n° 10LY00208, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3815GRQ)

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N7558BRD

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 24 Mars 2011

A compter de l'imposition des revenus de 2006 (loi n° 2005-1719, du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 N° Lexbase : L6429HET ; instruction du 29 mars 2007, BOI 5 B-10-07 N° Lexbase : X8413ADX), le législateur a souhaité afficher des taux d'imposition plus lisibles, en intégrant dans le barème de l'IR -qui comportait jusqu'alors sept tranches (1)- l'abattement de 20 % dont bénéficiaient les personnes titulaires de traitements, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que celles déclarant des revenus professionnels, si elles adhéraient à un centre de gestion agréé ou à une association de gestion agréée (CGI, art. 158-4 bis N° Lexbase : L2489HZ9). C'est ainsi que le taux marginal d'impôt sur le revenu a été ramené à 40 % (2) au lieu de 48,09 %. Désormais, le barème de l'IR comporte cinq tranches, dont une tranche à taux zéro. Sujet politiquement sensible (M.-C. Bergerès et E. Pichet, La réforme de l'IR [ou pourquoi l'alchimie reste une science inexacte], Dr. fisc., 2006, ét. 1), cette réforme de l'IR a suscité un contentieux relatif à la majoration des revenus de 25 %, en l'absence d'adhésion à une association de gestion agréée (CAA Lyon, 2ème ch., 30 novembre 2010, n° 10LY00208, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3815GRQ). Devant la cour administrative d'appel, le requérant soulève une question prioritaire de constitutionnalité (I) et oppose la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (II). I - Sur la violation de la Constitution

Innovation juridique majeure de ces dernières années, introduite par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, les justiciables peuvent, selon un formalisme particulier, depuis le 1er mars 2010, saisir le juge dans le but de contrôler a posteriori la constitutionnalité d'une loi, complétant ainsi le contrôle a priori (3) ; ce qui est un événement remarquable dans un pays marqué par le légicentrisme dont la littérature du XVIIIème siècle (4)et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L6813BHS) témoignent (Const. du 4 octobre 1958, art. 61-1 N° Lexbase : L5160IBQ (5) ; loi n° 2008-724, du 23 juillet 2008 N° Lexbase : L7298IAK ; loi n° 2009-1523, du 10 décembre 2009 N° Lexbase : L0289IGS ; Cons. const., décision n° 2009-595 DC, du 3 décembre 2009, loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : A3193EPX ; décret n° 2010-148, du 16 février 2010 ; décret n° 2010-1216, du 15 octobre 2010 N° Lexbase : L1841INI ; circ. DACS, n° 04/10, du 24 février 2010 N° Lexbase : L7652IGI). Actuellement, les débats concernent le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel, où les juristes sont minoritaires, au profit des politiques (6). Ce mode de recrutement n'avait, jusqu'à l'avènement de la QPC, suscité des critiques que de la part des seuls initiés -notamment les spécialistes du droit constitutionnel-, mais il est probable que le justiciable s'en emparera prochainement puisqu'il est devenu, à son tour, un acteur du contrôle de constitutionnalité. En un an, cent vingt-quatre QPC ont ainsi été transmises au Conseil constitutionnel (7), entraînant quatorze décisions d'annulation totale et sept décisions d'annulation partielle sur cent deux QPC traitées (lire N° Lexbase : N6376BRL). Fin août 2010, près de 35 % des QPC concernent le droit fiscal (8) : les fiscalistes souhaitaient, depuis longtemps, interpeller le juge constitutionnel quant à un certain nombre de dispositions législatives dont la conformité à la constitution était discutable. Il est vrai que les avocats avaient été très largement informés de l'imminence de l'entrée en vigueur de cette disposition, ce qui n'avait pas échappé aux autorités publiques qui escomptaient de nombreuses saisines -au moins au début (9)- et suggéraient à leurs services une stratégie (10) (circ. SG, NOR : IOCD1009702C, du 31 mars 2010 N° Lexbase : L0072INY). Après une présentation de la question prioritaire de constitutionnalité en droit fiscal (A), nous évoquerons les griefs soulevés par le contribuable (B).

A - La question prioritaire de constitutionnalité en droit fiscal : état des lieux

Auréolée d'un succès certain en droit pénal quant à la constitutionnalité de la garde à vue (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P) et qui va entraîner la réécriture du Code de procédure pénale pour ce régime coercitif, les attentes des fiscalistes ont, en revanche, été déçues.

En effet, plusieurs dispositions fiscales qui font débat de longue date ont malheureusement été validées par le juge constitutionnel : il en a été ainsi de l'article 164 de la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776, du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) instituant une voie de recours rétroactive inédite (11) afin de sauver -à tout prix- les perquisitions fiscales (pudiquement baptisées "visites domiciliaires") mises à mal par le juge européen (CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D ; Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q ; Cons. const., décision n° 2010-51 QPC, du 6 août 2010 N° Lexbase : A9238E7B), la constitutionnalité de l'impôt de solidarité sur la fortune (Cons. const., décision n° 2010-44 QPC, du 29 septembre 2010 N° Lexbase : A4886GA9), la taxe sur les salaires (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, du 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97) ou encore la solidarité (CGI, art. 1754 (12) N° Lexbase : L4624ICA) des dirigeants d'entreprise sur leurs biens propres, lorsque l'amende de 100 % est prononcée par l'administration fiscale (CGI, art. 1763 A N° Lexbase : L4402HMY ; depuis le 1er janvier 2006 : CGI, art. 1759 (13) N° Lexbase : L1751HN8) et qui a été jugée conforme à la Constitution, au motif qu'il ne s'agissait pas d'une punition mais d'une garantie pour le Trésor et que lesdits dirigeants avaient la possibilité d'entamer des actions récursoires (14) : ainsi furent écartés les griefs de violation des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, non sans critique toutefois (Cons. const., décision n° 2010-90 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1523GQH).

Jusqu'à ce jour, rares ont été les victoires tangibles pour les contribuables : l'une d'elles (Cons. const., décision n° 2010-78 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7113GME) a eu trait aux dispositions visant à annuler les effets d'une jurisprudence (CE Assemblée, 7 juillet 2004, n° 230169, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0698DD9 (15)) qui rétablissait les droits des contribuables en matière de correction symétrique des bilans et d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit (CE, 27 octobre 1958, n° 39769 ; RO (16) 226, BCD (17) 1959.111 ; GAJF, Dalloz, 5ème édition, 2009, p. 629 et s. ; CE 9°, 7° et 8° s-s-r., 31 octobre 1973, n° 88207, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7634AYE) mais qui ne satisfaisait pas les intérêts budgétaires de la Nation (18) : le législateur légalisa la règle applicable antérieurement -pourtant contestée par la doctrine- assortie toutefois d'exceptions (19), dont un droit à l'oubli si l'erreur ou l'omission entachant l'actif net est intervenue plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. A l'époque, le Gouvernement avait pris un soin tout particulier quant à la communication : il avait rapidement annoncé une réforme, ce qui avait permis, à défaut de créance certaine, d'annihiler l'espérance légitime du contribuable d'obtenir la restitution d'une créance protégée par le droit européen (Protocole additionnel à la CESDH du 20 mars 1952, art. 1er N° Lexbase : L1625AZ9 (20) ; CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, publié au recueil Lebon (21) N° Lexbase : A3127EBG). Signalons également une conformité partielle et avec réserve de la taxation forfaitaire d'après les éléments du train de vie (CGI, art. 168 N° Lexbase : L0070IKS) récemment prononcée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2010-88 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1521GQE ; voir note M. Pelletier, Dr. fisc. 2011 comm. 219) ; il en fut de même s'agissant de l'article 155 A du CGI (N° Lexbase : L2518HLT), déclaré conforme à la Constitution sous certaines réserves d'interprétation (Cons. const., décision n° 2010-70 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3870GLW), ou encore de la taxe générale sur les activités polluantes (Cons. const., décision n° 2010-57 QPC, du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9274GB4). En revanche, une non conformité totale a été décidée par le Conseil constitutionnel quant à la publication et l'affichage du jugement de condamnation pour fraude fiscale (Cons. const., décision n° 2010-72/75/82 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7111GMC) pour violation du principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et quant à la taxe sur l'électricité (Cons. const., décision n° 2010-97 QPC, du 4 février 2011 N° Lexbase : A1690GRZ), pour violation du principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

B - La question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le contribuable

Les griefs soulevés par le contribuable se sont heurtés à l'absence du respect des formes quant à la présentation du mémoire (1) et à l'existence d'une décision ayant déjà été rendue par le Conseil constitutionnel (2), applicable au cas d'espèce.

1 - L'absence de mémoire distinct

Le contribuable a invoqué un moyen relatif à la constitutionnalité de l'article 158 du CGI, issu de la réforme du 30 décembre 2005 (N° Lexbase : L2605HL3), au regard de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L6813BHS) (22). Appliquant avec rigueur la loi organique qui exige le dépôt au greffe d'un mémoire distinct et motivé (CJA, art. R. 771-3 N° Lexbase : L5790IGK) (23), l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon rejette les prétentions du contribuable, qui n'a pas respecté les exigences de la loi.

Les juridictions administratives sont donc particulièrement attentives quant au respect de la forme, et plus particulièrement sur l'obligation de joindre un mémoire distinct, sous peine d'être écarté d'office (CAA Paris, 5ème ch., 8 décembre 2010, n° 09PA00555, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1820GRT). De plus, le Code de justice administrative (CJA, art. R. 771-4 N° Lexbase : L5757IGC) dispense la juridiction, d'une part, d'avertir les parties que la décision lui paraîtrait être fondée sur un moyen relevé d'office (CJA, art. R. 611-7 N° Lexbase : L3102ALH) et, d'autre part, d'inviter les parties à régulariser leurs conclusions lorsqu'elles sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours (CJA, art. R. 612-1 N° Lexbase : L3126ALD). Il n'y a donc aucun filet de sécurité pour le contribuable, lorsqu'il dépose seul une requête en première instance, après avoir servilement recopié les informations retrouvées sur les forums internet ou autres blogs, ou pour son avocat, dont le ministère est obligatoire en appel (CJA, art. R. 431-2 N° Lexbase : L3029ALR), tous deux ayant ignoré les subtilités formelles de la question prioritaire de constitutionnalité.

En effet, certains contribuables ont remis en cause la constitutionnalité de textes légaux dans des mémoires produits avant l'entrée en vigueur de la loi organique, sans pour autant les réitérer, à compter du 1er mars 2010, dans un mémoire distinct et motivé. Les arrêts rendus par les juridictions d'appel témoignent de ce phénomène en droit fiscal (CAA Versailles, 1ère ch., 4 novembre 2010, n° 08VE02290, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9818GIH (24) ; CAA Paris, 2ème ch., 20 octobre 2010, n° 08PA05216, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3692GN3 (25) ; n° 08PA05035, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3685GNS ; n° 08PA04963, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3679GNL ; n° 08PA05034, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3684GNR ; et n° 08PA05033, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3683GNQ ; CAA Paris, 5ème ch., 24 juin 2010, n° 08PA04719, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2410E7E ; CAA Versailles, 3ème ch., 17 juin 2010, n° 09VE00130, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9218E48 ; CAA Marseille, 3ème ch., 29 avril 2010, n° 07MA01235, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1058E4X ; CAA Paris, 9ème ch., 18 mars 2010, n° 08PA02400, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4940EWU). Bien que, dans certaines de ces décisions, les justiciables aient obtenu in fine gain de cause, ces arrêts illustrent tout l'intérêt à soulever plusieurs moyens de forme ou de fond, à défaut de maîtriser les arcanes du contentieux. Parfois même, c'est l'administration fiscale qui assure la formation continue de l'avocat du contribuable (26), lorsqu'elle soulève en défense l'irrégularité formelle de la question prioritaire de constitutionnalité, adressée au greffe en avril 2010 -c'est-à-dire postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi organique- permettant à l'auxiliaire de justice de faire immédiatement enregistrer au greffe, aux fins de régularisation, un mémoire répondant aux exigences de l'article R. 771-3 du CJA.

2 - La question déjà tranchée

Les Hautes juridictions peuvent refuser de transmettre au Conseil constitutionnel, lorsqu'elles estiment que la question n'est pas nouvelle et n'est donc pas sérieuse. Certains évoquent parfois des motivations qui ne sont pas juridiques au sens strict du terme (voir la question de la prescription de l'abus de biens sociaux : Le Monde, 6 et 7 mars 2011 (27)). Mais, quelle qu'en soit la raison, la lecture des décisions rendues par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat nous apprennent qu'un certain nombre de QPC ne sont pas transmises au Conseil constitutionnel : il en fut ainsi s'agissant du délit de fraude fiscale, réprimé par l'article 1741 du CGI (N° Lexbase : L1670IPK) (Cass. crim., 26 janvier 2011, n° 10-90.120, F-D N° Lexbase : A3784GRL) ; de la déduction fiscale (CGI, art. 217 quinquies II N° Lexbase : L4017HLD) dont peuvent se prévaloir les sociétés qui attribuent gratuitement des actions aux adhérents d 'un plan d'épargne entreprise (CE 9° et 10° s-s-r., 24 septembre 2010, n° 341141, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3415GAQ) ; de la compatibilité des dispositions réprimant l'abus de droit (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU), au regard de la présomption d'innocence (CE 9° et 10° s-s-r., 29 septembre 2010, n° 341065, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7527GAZ) ; de la possibilité de déduire, en matière d'IR et de TVA, pour les particuliers, les frais d'avocats engagés par les justiciables (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 339398, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1409E4X) ; ou encore quant à la conformité à la Constitution de la taxe d'habitation (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 338913, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1402E4P) ; ou la base imposable à la taxe professionnelle pour les titulaires de bénéfices non commerciaux (CE 9° et 10° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 340114, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0021E7W).

Les juridictions du fond peuvent, elles aussi, refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité. Il en fut ainsi quant à la taxe professionnelle (CAA Paris, 2ème ch., 22 septembre 2010, n° 08PA05388 N° Lexbase : A5846GB7), ou quant à la taxe sur les salaires, pour laquelle le requérant estimait qu'il y avait eu violation du principe d'égalité entre les contribuables (CAA Paris, 2ème ch., 24 novembre 2010, n° 08PA04258, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3659GNT), alors que le Conseil constitutionnel avait déjà rendu une décision applicable au cas d'espèce (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97 ; lire nos obs, Chronique de droit fiscal des entreprises - Novembre 2010, Lexbase Hebdo n° 416, 11 novembre 2010 - édition fiscale, N° Lexbase : N5603BQL). Le contribuable peut contester ce refus de transmission par la juridiction du fond au Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2011, n° 342536, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2667GR9 (28)).

Au cas particulier, la juridiction lyonnaise a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le contribuable. En effet, dans une décision rendue en juillet 2010 (Cons. const., décision n° 2010-16 QPC, 23 juillet 2010 N° Lexbase : A9194E4B), le Conseil constitutionnel a dit pour droit que les dispositions de l'article 158 bis, critiquées, avaient été adoptées pour assurer aux adhérents d'un organisme de gestion agréé une assistance technique, tout en permettant de satisfaire l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale, puisqu'une telle adhésion permettait de mieux connaître les revenus non salariaux. Il y a une parenté évidente avec une ancienne décision du Conseil constitutionnel portant sur l'adoption de la loi de finances pour 1990 (Cons. const., décision n° 89-268 DC, 29 décembre 1989 N° Lexbase : A8205ACU (29)). Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 23 juillet 2010, souligne ainsi que la majoration du revenu de 25 % pour les personnes non adhérentes est la contrepartie arithmétique de la suppression, à compter du 1er janvier 2006, de l'abattement de 20 %, qui bénéficiaient jusqu'alors à certains revenus. Il n'existe donc pas de différence entre la situation qui prévalait antérieurement à la réforme instituée par la loi de finances pour 2006 et celle découlant de son adoption : il n'y a pas de rupture caractérisée de l'égalité des contribuables devant les charges publiques. La question soulevée par le contribuable n'étant pas nouvelle, en l'absence de changement de circonstances dans un laps de temps si court, elle ne pouvait être considérée comme sérieuse, ce qui justifie son refus de transmission par la juridiction d'appel au Conseil d'Etat.

II - Sur la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales

Le requérant prétendait que les stipulations de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR), relatives à la liberté d'association, avaient été violées. Nous évoquerons la place de la Convention dans le procès fiscal (A), ainsi que la solution rendue par la cour au cas d'espèce (B).

A - La Convention ESDH en droit fiscal

Les contribuables invoquent régulièrement les instruments de droit international, plus spécifiquement ceux relatifs aux droits fondamentaux, à l'appui de leurs prétentions. Leurs attentes ont régulièrement été satisfaites en droit communautaire notamment lorsque le droit interne viole la liberté d'établissement : l'exit tax (CGI, art. 167 N° Lexbase : L2847HLZ ; CGI, art. 167 bis N° Lexbase : L2850HL7), qui aspirait à freiner, voire à empêcher l'exil fiscal des titulaires de portefeuilles titres, en les imposant en France du fait du franchissement (30) de la frontière française -notamment en direction de la Belgique-, en fut l'un des exemples les plus spectaculaires avant que la juridiction communautaire y mette un terme à juste titre (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT). La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales occupe une place particulière, car elle a nourri beaucoup d'espoirs et de déceptions en droit fiscal, spécifiquement l'article 6-1, relatif au procès équitable, qui a récemment obligé le Gouvernement français à réécrire les dispositions de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0549IHS), relatives à la visite domiciliaire (CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D). Les fiscalistes ont gardé en mémoire ce temps où la Cour de cassation avait une lecture extensive -nous dirions "protectrice"- des droits des contribuables, dès lors que ces stipulations pouvaient être invoquées dans l'ensemble du contentieux fiscal dont l'ordre judiciaire avait à connaître (Cass Ass. plén., 14 juin 1996, n° 93-21.710, P-B N° Lexbase : A4628AY3). Malheureusement, à la suite d'un autre arrêt, la Cour de cassation (Cass. com., 12 juillet 2004 n° 1266 FS-P+B+I ; RJF, novembre 2004, n° 1218) a choisi d'aligner son interprétation de l'article 6-1 de la Convention sur la position arrêtée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 12 juillet 2001, Req. 44759/98 N° Lexbase : A7683AWH (31)), malgré la prophétie de la doctrine qui, hélas, ne s'est pas vérifiée et aux termes de laquelle : "il paraît peu probable qu'une modification de la jurisprudence judiciaire intervienne à la suite de l'arrêt 'Ferrazzini' [du 21 février 2008]. Le faire serait implicitement reconnaître une soumission indirecte à la Cour européenne des droits de l'Homme" (L. Ayrault, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition, L'Harmattan, coll. : Finances publiques, 2004, p. 388). Il n'a fallu attendre que trois ans après cet arrêt de CEDH pour constater la "soumission indirecte" de la Cour de cassation, doublée d'un alignement avec la position du Conseil d'Etat (CE 9° et 8° s-s-r., 26 novembre 1999, n° 184474, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5161AXG) dont la lecture de la Convention ESDH -moins audacieuse et protectrice des intérêts des contribuables- a sans nul doute satisfait l'administration fiscale.

Aujourd'hui, seuls les contentieux fiscaux portant sur des dispositions répressives sont susceptibles de rentrer dans le champ des stipulations de l'article 6 1 de la Convention ESDH. Il reste, par conséquent, au contribuable, la possibilité de se prévaloir, avec succès, de certaines stipulations de la Convention EDH : l'article 8, relatif au respect de la vie privée et du domicile (CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334 /407 N° Lexbase : A6542AW9 ; CEDH, 26 septembre 1996, Req. 47/1995/553/639 N° Lexbase : A3186AUK ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L) ; le premier protocole additionnel (N° Lexbase : L1625AZ9), quant au respect des biens (CEDH, 3 juillet 2003, Req. 38746/97 N° Lexbase : A0425C9M) ; l'article 14, relatif à la discrimination (CE 9° et 10° s-s-r., 10 août 2005, n° 259741, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3775DKZ). Nous évoquerons l'hypothèse, pour mémoire, compte tenu du cas d'espèce tout à fait particulier, de la violation de l'article 10 (N° Lexbase : L4743AQQ), relatif à la liberté d'information et d'expression, à la suite de la condamnation de deux journalistes français, poursuivis sur la base d'un texte fiscal et pénal (LPF, art. L. 103 N° Lexbase : L2203DAT ; CP, art. 378 N° Lexbase : L4821DGN, aujourd'hui : CP, art. L. 226-13, N° Lexbase : L5524AIG), pour avoir publié, à la fin des années 80, des feuilles d'imposition d'un contribuable (CEDH, 21 janvier 1999, Req. 29183/95 N° Lexbase : A7713AWL). Toutefois, les stipulations de la Convention ESDH ne sont pas, aujourd'hui, la martingale du contentieux fiscal que beaucoup auraient voulu qu'elles deviennent.

B - Article 11 de la Convention ESDH : liberté de réunion et d'association

La liberté d'association a été consacrée en droit interne par le juge administratif (CE, 11 juillet 1956 ; AJDA, 1956, II, 400), le juge constitutionnel (Cons. const., décision n° 71-44 DC, 16 juillet 1971 N° Lexbase : A7886AC3) et le juge judiciaire (Cass. civ. 3, 12 juin 2003, n° 02-10.778, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7273C8U). L'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales protège la liberté de réunion et d'association (32). En matière fiscale, rares ont été les décisions pour lesquelles le juge de l'impôt a eu à répondre au grief de violation de l'article 11 de la Convention ESDH. Principalement, ce sont les associations "cultuelles" qui ont soulevé, sans succès, ce moyen, lorsque l'administration leur a réclamé le versement de droits d'enregistrement au taux de 60 %, à raison des dons perçus (TGI Nanterre 1ère ch., 4 juillet 2000 n° 99-14939 ; RJF, décembre 2000, n° 1526, p. 905 ; CA Versailles, 1ère ch., 28 février 2002, n° 00/05693 N° Lexbase : A8152AYL ; Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-77.845, F-D N° Lexbase : A2544DW7 ; Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-11.844, F-D N° Lexbase : A2543DW4 ; RJF, novembre 2007, n° 1341 ; Cass. com., 7 juillet 2009, n° 07-21.957, F-D ; RJF, décembre 2009, n° 1172).

Si l'on quitte le domaine spirituel, tout en restant toutefois attaché aux contingences matérielles et plus particulièrement fiscales, l'article 11 de la Convention ESDH a été invoqué en matière d'associations foncières de remembrement, pour lesquelles le Conseil d'Etat a refusé de les qualifier d'association, au sens de l'article 11 de la Convention ESDH, mais d'établissements publics à caractère administratif, c'est-à-dire d'organismes de droit public "institués et étroitement encadrés par des dispositions législatives et réglementaires", disposant de prérogatives de puissance publique, et poursuivant des buts d'intérêt général (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2009 n° 312468, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1323EK9 ; RJF, novembre 2009, n° 1028). Au cas particulier, la cour administrative d'appel de Lyon considère que, dans l'hypothèse où les dispositions de l'article 158 du CGI seraient à l'origine d'une violation des stipulations de l'article 11 de la Convention EDH, il conviendrait alors d'opérer un contrôle de proportionnalité entre les contraintes imposées aux membres de l'association de gestion agréée et le montant des frais d'adhésion et des cotisations perçues, au regard de l'objectif d'intérêt général de lutte contre la fraude fiscale pour décider, in fine, que le droit au respect de la liberté d'association n'a pas été méconnu au cas d'espèce. Ce contrôle de proportionnalité, que l'on retrouve également pour l'application du droit communautaire (CJCE, 17 juillet 1997, aff. C-28/95 N° Lexbase : A1894AW3 (33)), est un classique du droit européen (CEDH, 16 avril 2002, Req. 36677/97 N° Lexbase : A5395AYH ; CEDH, 23 juillet 2009, Req. 30345 /05 N° Lexbase : A1212EK4 ; CEDH, 3 juillet 2003, Req. 38746/97 N° Lexbase : A0425C9M). Il est vrai que le législateur a octroyé un certain nombre d'avantages en contrepartie d'une adhésion à un organisme de gestion agréé. Les chefs d'entreprise peuvent, ainsi, bénéficier d'une réduction d'impôt pour frais de comptabilité et d'adhésion ; déduire la totalité des rémunérations versées à leur conjoint ; voir le délai de reprise réduit de trois ans à deux ans si toutefois l'administration n'a pas prononcé de pénalités à l'issue d'un contrôle (34) (instruction du 3 mars 2011, BOI 5 J-1-11) ; être dispensés, à certaines conditions, de toutes majorations si l'adhérent révèle spontanément les omissions de ses déclarations professionnelles ; et enfin être exemptés d'une majoration de la base d'imposition de 25 %. Au regard de ces avantages, et des contraintes imposées à leurs membres, par ailleurs comparables à celles que connaissent les chefs d'entreprise faisant appel à un cabinet d'expertise-comptable, il semble difficile de soutenir que les autorités publiques auraient méconnu l'exigence de proportionnalité du droit européen. Dans ces conditions, l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon doit être approuvé.


(1) Y compris une tranche à taux zéro.
(2) 41 % depuis l'adoption de la loi n° 2010-1657, du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ.
(3) Exercé par soixante députés ou sénateurs, ou le président du Sénat, ou le président de l'Assemblée nationale, ou le Président de la République, ou le Premier ministre.
(4) Montesquieu, De l'esprit des lois ; Rousseau, Le contrat social.
(5) "Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article".
(6) "Plus largement, 5 membres nommés sur 9 sont actuellement des hommes politiques, ce qui fait 7 membres sur 11 en comptant les anciens présidents de la République. Hors la Belgique, où la chose est institutionnalisée (la Cour constitutionnelle est composée pour moitié d'hommes politiques et pour moitié de personnalités aux compétences juridiques reconnues), cette présence massive des hommes politiques au sein de l'instance chargée de statuer sur la constitutionnalité des lois singularise regrettablement notre pays", O. Beaud et P. Wachsmann, Le Monde, 12 mars 2011, p. 18.
(7) Le Monde, 6 et 7 mars 2011, p. 9.
(8) Dr. fisc., 2010, act. 342.
(9) "Il est probable que cette question soit soulevée de manière fréquente dans les premiers mois qui vont suivre son entrée en vigueur. Cette nouvelle procédure a, en effet, fait l'objet d'une information importante auprès de tous les avocats inscrits à un barreau français. Par ailleurs, le champ d'application potentiel de la question prioritaire de constitutionnalité est particulièrement large".
(10) Le ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales s'adresse ainsi aux préfets, au préfet de police, aux Hauts-commissaires : "j'appelle votre attention sur les conséquences de la réforme sur les procédures d'urgence. Elle prévoit qu'en principe le juge saisi de la question prioritaire de constitutionnalité doit surseoir à statuer. Toutefois, la procédure prévoit que le juge peut régler la partie du litige qui n'est pas commandée par la question en elle même, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie. Si tel est le cas dans un litige auquel vous êtes partie, vous indiquerez au juge l'intérêt qui s'attache à ce que le principal soit tranché".
(11) "C'est cependant pour permettre un contrôle de cette nature même pour le passé que la loi du 4 août 2008 a institué un système jusque là inconnu dans notre droit de recours juridictionnels rétroactifs", J. Lamarque, O. Négrin et L. Ayrault, Droit fiscal général, Litec, coll. : Manuel, 1ère édition, 2009, p. 174.
(12) "Les dirigeants sociaux mentionnés à l'article 62 et aux 1°, 2° et 3° du b de l'article 80 ter ainsi que les dirigeants de fait gestionnaires de la société à la date du versement ou, à défaut de connaissance de cette date, à la date de déclaration des résultats de l'exercice au cours duquel les versements ont eu lieu, sont solidairement responsables du paiement de l'amende prévue à l'article 1759 (N° Lexbase : L1751HN8)".
(13) "Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 (N° Lexbase : L1784HNE) et 240 (N° Lexbase : L5003HLU), elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de l'amende est ramené à 75 %".
(14) "Considérant que les principes résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ne s'appliquent qu'aux peines et aux sanctions ayant le caractère d'une punition [...] Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'article 117 précité du CGI que la pénalité instituée par l 'article 1759 du même code frappe, à l'exclusion de ses dirigeants de droit ou de fait, la personne morale qui s'est refusée à répondre à la demande de renseignements que lui a adressée l'administration ; que le 3 du paragraphe V de l'article 1754 du même code (N° Lexbase : L4624ICA) a pour objet de déclarer ces dirigeants solidairement tenus au paiement de la pénalité ; que la solidarité est fondée sur les fonctions exercées par les dirigeants au moment du fait générateur de la sanction ; qu'elle n'est pas subordonnée à la preuve d'une faute des dirigeants ; qu'elle constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public ; que, conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le dirigeant qui s'est acquitté du paiement de la pénalité dispose d'une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires ; qu'ainsi, cette solidarité ne revêt pas le caractère d'une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 ; qu'il s'ensuit que les griefs invoqués par le requérant sont inopérants".
(15) "Considérant qu'aux termes de l'article 38-2 du CGI (N° Lexbase : L0044IKT), applicable à l'IS en vertu de l'article 209 du même code (N° Lexbase : L3322IG7) : Le bénéfice net imposable est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt [...]. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés' ; que lorsque les bénéfices imposables d'un contribuable ont été déterminés en application de ces dispositions, les erreurs ou omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d'un exercice ou d'une année d'imposition et entraînent une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net de l'entreprise peuvent, à l'initiative du contribuable qui les a involontairement commises, ou à celle de l'administration exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan ; que les mêmes erreurs ou omissions, s'il est établi qu'elles se retrouvent dans les écritures de bilan d'autres exercices, doivent y être symétriquement corrigées, dès lors qu'elles ne revêtent pas, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré et alors même que tout ou partie de ces exercices seraient couverts par la prescription prévue, notamment, aux articles L. 168 (N° Lexbase : L8487AE3) et L. 169 (N° Lexbase : L0499IP8) du LPF".
(16) Recueil officiel de jurisprudence fiscale (DGI).
(17) Bulletin des contributions directes (Dupont).
(18) "Dans ses conclusions sous la décision Getecom', du 19 novembre 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948 N° Lexbase : A3127EBG), le rapporteur public, Nathalie Escaut, avait ainsi résumé les objectifs de cette loi de validation tels qu'ils ressortaient des travaux parlementaires : restaurer la sécurité juridique troublée par [le] revirement de jurisprudence [du Conseil d'Etat issu de la décision 'SARL Ghesquière Equipement'], supprimer un effet d'aubaine qui aurait méconnu le principe d'égalité entre les contribuables, prévenir des dysfonctionnements des services publics fiscaux et juridictionnels résultant de multiples réclamations et recours et éviter un coût budgétaire évalué à 1,5 milliard d'euros par an et 4 milliards pour le passé'. La décision n° 2010-78 QPC (Cons. const., décision n° 2010-78 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7113GME) marque, ainsi, la volonté du Conseil constitutionnel d'encadrer et de limiter fortement les lois de validation en matière fiscale, nonobstant les conséquences financières, même comme en l'espèce manifestement assez élevées, que l'absence de loi de validation pourrait entraîner sur le budget de l'Etat" ; lire F. Dieu, Les lois de validation asymétriques sont contraires à la Constitution : à propos de la loi limitant les effets de l'abandon de la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture, Lexbase Hebdo n° 428, 17 février 2011 - édition fiscale (N° Lexbase : N4861BRH).
(19) "En application du troisième alinéa du 4 bis de l'article 38, la règle de l'intangibilité du bilan ne s'applique pas en cas de correction d'omissions ou d'erreurs résultant :
- de la pratique de dotations aux amortissements excessifs au regard des usages mentionnés au 2° du 1 de l'article 39
(N° Lexbase : L3894IAH) au cours de la période prescrite ;
- de la passation à tort en charges au cours d 'exercices prescrits de frais qui auraient dû venir majorer le coût de revient d'éléments de l'actif immobilisé ;
- de la comptabilisation en charges au cours d'exercices prescrits de dépenses constitutives d'immobilisations
" (instruction du 29 juin 2006, BOI 4 A-10-06, § 39 N° Lexbase : X7004ADR).
(20) "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes".
(21) "il résulte de l'instruction que le Gouvernement avait fait connaître, dès avant le dépôt le 17 novembre 2004 sur le bureau de l'Assemblée nationale du projet de loi ayant conduit à l'adoption des dispositions de l'article 43 de la loi du 30 décembre 2004, son intention de limiter les conséquences de la décision du Conseil d'Etat ; que dans ces conditions, la société ne saurait se fonder sur cette décision pour se prévaloir d'une espérance légitime d'obtenir le remboursement d'une partie des sommes qui font l'objet du présent litige ; qu'ainsi, elle ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans le champ desquelles elle n'entre pas".
(22) "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés"
(23) Il est même prévu, le cas échéant, qu'il doit être porté sur l'enveloppe la mention "question prioritaire de constitutionnalité".
(24) "Considérant qu'en vertu de l'article R. 771-3 du CJA, issu de l'article 1er du décret du 16 février 2010 susvisé, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevé dans un mémoire distinct et motivé et qu 'en vertu de l'article 7 de ce même décret, pour les instances en cours au 1er mars 2010, une question prioritaire de constitutionnalité doit, pour être recevable, être présentée sous la forme d'un mémoire distinct et motivé produit postérieurement à cette date ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 302 bis ZD du CGI (N° Lexbase : L5922HLW), qui exonèrent de la taxe qu'elles édictent les entreprises dont le chiffre d'affaires de l'année civile précédente est inférieur à 763 000 euros, méconnaîtraient le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt est, en tout état de cause, irrecevable faute d'avoir été réitéré par mémoire distinct et motivé après le 1er mars 2010".
(25) "Considérant, en deuxième lieu, qu'à supposer qu'en soutenant, dans son mémoire enregistré le 24 décembre 2009, que : la prescription quadriennale devra être écartée sauf à faire une interprétation inconstitutionnelle des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 et que toute autre analyse serait contraire aux dispositions de la constitution et par suite inconstitutionnelle', la requérante ait entendu faire valoir que la loi du 31 décembre 1968 serait contraire à la Constitution, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-595 du 3 décembre 2009 (Cons. const., décision n° 2009-595 DC, du 3 décembre 2009, loi organique relative à l 'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : A3193EPX) que seules sont recevables les questions prioritaires de constitutionnalité présentées à compter de l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 (loi n° 2009-1523, du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L0289IGS), soit le 1er mars 2010, dans un mémoire distinct et motivé ; [...] que, par suite, et en tout état de cause, le moyen devra être écarté".
26) CAA Lyon, 2ème ch., 14 septembre 2010, n° 09LY02460, inédit au recueil Lebon, n° 09LY02465, inédit au recueil Lebon et n° 09LY02475, inédit au recueil Lebon.
(27) "Cruel dilemme pour la Cour de cassation. Le problème de droit est réel, mais est-elle prête à renier sa jurisprudence et prendre le risque de réduire à néant la plupart des affaires financières, en transmettant la question au Conseil constitutionnel ? C'est tout le problème, observe Madame Le Borgne, il y a une sorte de pouvoir souverain de la Cour de cassation qui peut interdire au Conseil de se saisir d'une problématique qui mériterait qu'il s'y arrête.' Une sourde rivalité oppose d'ailleurs la Cour de cassation au Conseil, qui tente de s'imposer comme cour suprême française. Les magistrats ont été particulièrement agacés par deux décisions du Conseil des 6 et 14 octobre 2010, où il est signalé que tout justiciable a le droit de contester une interprétation jurisprudentielle constante'. Et donc bien sûr la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la prescription des abus de biens sociaux" ; voir, notamment, Cass. crim., 7 décembre 1967 ; Bull. crim., 1967, n° 321 ; D. 1968, jurispr., p. 619, note J.M.R. ; JurisClasseur Pénal des Affaires, voir Sociétés, Fasc. 50 : Sociétés. Abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix.
(28) "Lorsqu'une cour administrative d'appel a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte de l'arrêt, dont il joint alors une copie, ou directement par cet arrêt ; que les dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel N° Lexbase : L0276AI3) n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre à celui qui a déjà présenté une question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction statuant en dernier ressort de s'affranchir des conditions, définies par les dispositions citées plus haut de la loi organique et du code de justice administrative, selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté devant le juge de cassation".
(29) "52. Considérant qu'il est soutenu que ces dispositions, dans la mesure où elles peuvent se cumuler avec les intérêts de retard et les majorations prévus par les articles 1727 (N° Lexbase : L1536IPL) et 1728 (N° Lexbase : L1715HNT) du CGI, créent une double sanction qui est contraire au principe de proportionnalité résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de 1789 ; qu'elles instituent des sanctions frappant un contribuable au titre de l'IR alors que le manquement qui lui est reproché peut être relatif à un autre impôt ; qu'enfin, il y a atteinte au principe d'égalité, car les adhérents des centres de gestion sont, au regard de la date de dépôt de la déclaration générale d'IR, dans la même situation que tout contribuable ; 53. Considérant que les centres de gestion dont la création a été prévue par la loi de finances rectificative du 27 décembre 1974 ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux destinée à remédier à l'évasion fiscale ; qu'en contrepartie l'adhésion aux centres de gestion a été encouragée par l'octroi aux adhérents d'avantages fiscaux, et notamment d'un abattement sur le bénéfice imposable ; 54. Considérant qu'il suit de là que les adhérents des centres de gestion sont soumis à un régime juridique spécifique ; que, dans le cadre de ce régime, le législateur a pu, sans méconnaître ni le principe de proportionnalité ni le principe d'égalité, décider qu'un adhérent de ces centres perdra le bénéfice des avantages fiscaux liés à son adhésion en cas de déclaration tardive, dès lors du moins qu'il s'agit de la deuxième infraction successive concernant la même catégorie de déclaration' ou lorsque sa mauvaise foi sera établie".
(30) Le texte fiscal n'exigeait pas la cession des titres !
(31) "Une procédure fiscale a évidemment un enjeu patrimonial, mais le fait de démontrer qu'un litige est de nature patrimoniale' n'est pas suffisant à lui seul pour entraîner l'applicabilité de l'article 6 § 1 sous son aspect civil' (voir les arrêts CEDH, 'Pierre-Bloch c. France' du 21 octobre 1997 N° Lexbase : A9274AHX ; Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2223, § 51 et 'Pellegrin c. France' [GC], n° 28541/95, § 60, CEDH N° Lexbase : A7533AWW 1999-VIII, à comparer avec l'arrêt CEDH, 'Editions Périscope c. France' du 26 mars 1992, série A n° 234-B, p. 66, § 40). En particulier, selon la jurisprudence traditionnelle des organes de la Convention, il peut exister des obligations patrimoniales' à l'égard de l'Etat ou de ses autorités subordonnées qui, aux fins de l'article 6 § 1, doivent passer pour relever exclusivement du domaine du droit public et ne sont, en conséquence, pas couvertes par la notion de droits et obligations de caractère civil'. Hormis les amendes imposées à titre de sanction pénale', ce sera le cas en particulier lorsqu'une obligation qui est de nature patrimoniale résulte d'une législation fiscale ou fait autrement partie des obligations civiques normales dans une société démocratique (voir, entre autres, Schouten et Meldrum c. Pays-Bas du 9 décembre 1994, série A n° 304, p. 21, § 50, et requêtes n° 11189/84, décision de la Commission du 11 décembre 1986, Décisions et rapports (DR) 50, pp. 121, 160, n° 20471/92, déc. 15.4.1996, DR 85, pp. 29, 46)".
(32) "Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat".
(33) "L'article 11 de la Directive doit être interprété en ce sens que, pour vérifier si l'opération envisagée a comme objectif principal ou comme l'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales, les autorités nationales compétentes doivent procéder, dans chaque cas, à un examen global de ladite opération. Un tel examen doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. Conformément à l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive, les Etats membres peuvent prévoir que le fait que l'opération envisagée n'est pas effectuée pour des motifs économiques valables constitue une présomption de fraude ou d'évasion fiscales. Il leur appartient de déterminer les procédures internes nécessaires à cette fin dans le respect du principe de proportionnalité. Cependant, l'institution d'une règle revêtant une portée générale excluant automatiquement certaines catégories d'opérations de l'avantage fiscal, sur la base de critères tels que ceux mentionnés dans la seconde réponse sous a), qu'il y ait ou non effectivement évasion ou fraude fiscales, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter une telle fraude ou une telle évasion fiscales et porterait atteinte à l'objectif poursuivi par la Directive".
(34) Autres que l'intérêt de retard.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Adhésion à une association de gestion agréée et majoration des revenus professionnels : compatibilité avec les normes de droit fondamentales

Réf. : CAA Lyon, 2ème ch., 30 novembre 2010, n° 10LY00208, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3815GRQ)

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 24 Mars 2011

A compter de l'imposition des revenus de 2006 (loi n° 2005-1719, du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 N° Lexbase : L6429HET ; instruction du 29 mars 2007, BOI 5 B-10-07 N° Lexbase : X8413ADX), le législateur a souhaité afficher des taux d'imposition plus lisibles, en intégrant dans le barème de l'IR -qui comportait jusqu'alors sept tranches (1)- l'abattement de 20 % dont bénéficiaient les personnes titulaires de traitements, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que celles déclarant des revenus professionnels, si elles adhéraient à un centre de gestion agréé ou à une association de gestion agréée (CGI, art. 158-4 bis N° Lexbase : L2489HZ9). C'est ainsi que le taux marginal d'impôt sur le revenu a été ramené à 40 % (2) au lieu de 48,09 %. Désormais, le barème de l'IR comporte cinq tranches, dont une tranche à taux zéro. Sujet politiquement sensible (M.-C. Bergerès et E. Pichet, La réforme de l'IR [ou pourquoi l'alchimie reste une science inexacte], Dr. fisc., 2006, ét. 1), cette réforme de l'IR a suscité un contentieux relatif à la majoration des revenus de 25 %, en l'absence d'adhésion à une association de gestion agréée (CAA Lyon, 2ème ch., 30 novembre 2010, n° 10LY00208, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3815GRQ). Devant la cour administrative d'appel, le requérant soulève une question prioritaire de constitutionnalité (I) et oppose la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (II). I - Sur la violation de la Constitution

Innovation juridique majeure de ces dernières années, introduite par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, les justiciables peuvent, selon un formalisme particulier, depuis le 1er mars 2010, saisir le juge dans le but de contrôler a posteriori la constitutionnalité d'une loi, complétant ainsi le contrôle a priori (3) ; ce qui est un événement remarquable dans un pays marqué par le légicentrisme dont la littérature du XVIIIème siècle (4)et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L6813BHS) témoignent (Const. du 4 octobre 1958, art. 61-1 N° Lexbase : L5160IBQ (5) ; loi n° 2008-724, du 23 juillet 2008 N° Lexbase : L7298IAK ; loi n° 2009-1523, du 10 décembre 2009 N° Lexbase : L0289IGS ; Cons. const., décision n° 2009-595 DC, du 3 décembre 2009, loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : A3193EPX ; décret n° 2010-148, du 16 février 2010 ; décret n° 2010-1216, du 15 octobre 2010 N° Lexbase : L1841INI ; circ. DACS, n° 04/10, du 24 février 2010 N° Lexbase : L7652IGI). Actuellement, les débats concernent le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel, où les juristes sont minoritaires, au profit des politiques (6). Ce mode de recrutement n'avait, jusqu'à l'avènement de la QPC, suscité des critiques que de la part des seuls initiés -notamment les spécialistes du droit constitutionnel-, mais il est probable que le justiciable s'en emparera prochainement puisqu'il est devenu, à son tour, un acteur du contrôle de constitutionnalité. En un an, cent vingt-quatre QPC ont ainsi été transmises au Conseil constitutionnel (7), entraînant quatorze décisions d'annulation totale et sept décisions d'annulation partielle sur cent deux QPC traitées (lire N° Lexbase : N6376BRL). Fin août 2010, près de 35 % des QPC concernent le droit fiscal (8) : les fiscalistes souhaitaient, depuis longtemps, interpeller le juge constitutionnel quant à un certain nombre de dispositions législatives dont la conformité à la constitution était discutable. Il est vrai que les avocats avaient été très largement informés de l'imminence de l'entrée en vigueur de cette disposition, ce qui n'avait pas échappé aux autorités publiques qui escomptaient de nombreuses saisines -au moins au début (9)- et suggéraient à leurs services une stratégie (10) (circ. SG, NOR : IOCD1009702C, du 31 mars 2010 N° Lexbase : L0072INY). Après une présentation de la question prioritaire de constitutionnalité en droit fiscal (A), nous évoquerons les griefs soulevés par le contribuable (B).

A - La question prioritaire de constitutionnalité en droit fiscal : état des lieux

Auréolée d'un succès certain en droit pénal quant à la constitutionnalité de la garde à vue (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P) et qui va entraîner la réécriture du Code de procédure pénale pour ce régime coercitif, les attentes des fiscalistes ont, en revanche, été déçues.

En effet, plusieurs dispositions fiscales qui font débat de longue date ont malheureusement été validées par le juge constitutionnel : il en a été ainsi de l'article 164 de la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776, du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) instituant une voie de recours rétroactive inédite (11) afin de sauver -à tout prix- les perquisitions fiscales (pudiquement baptisées "visites domiciliaires") mises à mal par le juge européen (CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D ; Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q ; Cons. const., décision n° 2010-51 QPC, du 6 août 2010 N° Lexbase : A9238E7B), la constitutionnalité de l'impôt de solidarité sur la fortune (Cons. const., décision n° 2010-44 QPC, du 29 septembre 2010 N° Lexbase : A4886GA9), la taxe sur les salaires (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, du 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97) ou encore la solidarité (CGI, art. 1754 (12) N° Lexbase : L4624ICA) des dirigeants d'entreprise sur leurs biens propres, lorsque l'amende de 100 % est prononcée par l'administration fiscale (CGI, art. 1763 A N° Lexbase : L4402HMY ; depuis le 1er janvier 2006 : CGI, art. 1759 (13) N° Lexbase : L1751HN8) et qui a été jugée conforme à la Constitution, au motif qu'il ne s'agissait pas d'une punition mais d'une garantie pour le Trésor et que lesdits dirigeants avaient la possibilité d'entamer des actions récursoires (14) : ainsi furent écartés les griefs de violation des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, non sans critique toutefois (Cons. const., décision n° 2010-90 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1523GQH).

Jusqu'à ce jour, rares ont été les victoires tangibles pour les contribuables : l'une d'elles (Cons. const., décision n° 2010-78 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7113GME) a eu trait aux dispositions visant à annuler les effets d'une jurisprudence (CE Assemblée, 7 juillet 2004, n° 230169, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0698DD9 (15)) qui rétablissait les droits des contribuables en matière de correction symétrique des bilans et d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit (CE, 27 octobre 1958, n° 39769 ; RO (16) 226, BCD (17) 1959.111 ; GAJF, Dalloz, 5ème édition, 2009, p. 629 et s. ; CE 9°, 7° et 8° s-s-r., 31 octobre 1973, n° 88207, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7634AYE) mais qui ne satisfaisait pas les intérêts budgétaires de la Nation (18) : le législateur légalisa la règle applicable antérieurement -pourtant contestée par la doctrine- assortie toutefois d'exceptions (19), dont un droit à l'oubli si l'erreur ou l'omission entachant l'actif net est intervenue plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. A l'époque, le Gouvernement avait pris un soin tout particulier quant à la communication : il avait rapidement annoncé une réforme, ce qui avait permis, à défaut de créance certaine, d'annihiler l'espérance légitime du contribuable d'obtenir la restitution d'une créance protégée par le droit européen (Protocole additionnel à la CESDH du 20 mars 1952, art. 1er N° Lexbase : L1625AZ9 (20) ; CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, publié au recueil Lebon (21) N° Lexbase : A3127EBG). Signalons également une conformité partielle et avec réserve de la taxation forfaitaire d'après les éléments du train de vie (CGI, art. 168 N° Lexbase : L0070IKS) récemment prononcée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2010-88 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1521GQE ; voir note M. Pelletier, Dr. fisc. 2011 comm. 219) ; il en fut de même s'agissant de l'article 155 A du CGI (N° Lexbase : L2518HLT), déclaré conforme à la Constitution sous certaines réserves d'interprétation (Cons. const., décision n° 2010-70 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3870GLW), ou encore de la taxe générale sur les activités polluantes (Cons. const., décision n° 2010-57 QPC, du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9274GB4). En revanche, une non conformité totale a été décidée par le Conseil constitutionnel quant à la publication et l'affichage du jugement de condamnation pour fraude fiscale (Cons. const., décision n° 2010-72/75/82 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7111GMC) pour violation du principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et quant à la taxe sur l'électricité (Cons. const., décision n° 2010-97 QPC, du 4 février 2011 N° Lexbase : A1690GRZ), pour violation du principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

B - La question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le contribuable

Les griefs soulevés par le contribuable se sont heurtés à l'absence du respect des formes quant à la présentation du mémoire (1) et à l'existence d'une décision ayant déjà été rendue par le Conseil constitutionnel (2), applicable au cas d'espèce.

1 - L'absence de mémoire distinct

Le contribuable a invoqué un moyen relatif à la constitutionnalité de l'article 158 du CGI, issu de la réforme du 30 décembre 2005 (N° Lexbase : L2605HL3), au regard de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L6813BHS) (22). Appliquant avec rigueur la loi organique qui exige le dépôt au greffe d'un mémoire distinct et motivé (CJA, art. R. 771-3 N° Lexbase : L5790IGK) (23), l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon rejette les prétentions du contribuable, qui n'a pas respecté les exigences de la loi.

Les juridictions administratives sont donc particulièrement attentives quant au respect de la forme, et plus particulièrement sur l'obligation de joindre un mémoire distinct, sous peine d'être écarté d'office (CAA Paris, 5ème ch., 8 décembre 2010, n° 09PA00555, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1820GRT). De plus, le Code de justice administrative (CJA, art. R. 771-4 N° Lexbase : L5757IGC) dispense la juridiction, d'une part, d'avertir les parties que la décision lui paraîtrait être fondée sur un moyen relevé d'office (CJA, art. R. 611-7 N° Lexbase : L3102ALH) et, d'autre part, d'inviter les parties à régulariser leurs conclusions lorsqu'elles sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours (CJA, art. R. 612-1 N° Lexbase : L3126ALD). Il n'y a donc aucun filet de sécurité pour le contribuable, lorsqu'il dépose seul une requête en première instance, après avoir servilement recopié les informations retrouvées sur les forums internet ou autres blogs, ou pour son avocat, dont le ministère est obligatoire en appel (CJA, art. R. 431-2 N° Lexbase : L3029ALR), tous deux ayant ignoré les subtilités formelles de la question prioritaire de constitutionnalité.

En effet, certains contribuables ont remis en cause la constitutionnalité de textes légaux dans des mémoires produits avant l'entrée en vigueur de la loi organique, sans pour autant les réitérer, à compter du 1er mars 2010, dans un mémoire distinct et motivé. Les arrêts rendus par les juridictions d'appel témoignent de ce phénomène en droit fiscal (CAA Versailles, 1ère ch., 4 novembre 2010, n° 08VE02290, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9818GIH (24) ; CAA Paris, 2ème ch., 20 octobre 2010, n° 08PA05216, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3692GN3 (25) ; n° 08PA05035, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3685GNS ; n° 08PA04963, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3679GNL ; n° 08PA05034, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3684GNR ; et n° 08PA05033, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3683GNQ ; CAA Paris, 5ème ch., 24 juin 2010, n° 08PA04719, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2410E7E ; CAA Versailles, 3ème ch., 17 juin 2010, n° 09VE00130, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9218E48 ; CAA Marseille, 3ème ch., 29 avril 2010, n° 07MA01235, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1058E4X ; CAA Paris, 9ème ch., 18 mars 2010, n° 08PA02400, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4940EWU). Bien que, dans certaines de ces décisions, les justiciables aient obtenu in fine gain de cause, ces arrêts illustrent tout l'intérêt à soulever plusieurs moyens de forme ou de fond, à défaut de maîtriser les arcanes du contentieux. Parfois même, c'est l'administration fiscale qui assure la formation continue de l'avocat du contribuable (26), lorsqu'elle soulève en défense l'irrégularité formelle de la question prioritaire de constitutionnalité, adressée au greffe en avril 2010 -c'est-à-dire postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi organique- permettant à l'auxiliaire de justice de faire immédiatement enregistrer au greffe, aux fins de régularisation, un mémoire répondant aux exigences de l'article R. 771-3 du CJA.

2 - La question déjà tranchée

Les Hautes juridictions peuvent refuser de transmettre au Conseil constitutionnel, lorsqu'elles estiment que la question n'est pas nouvelle et n'est donc pas sérieuse. Certains évoquent parfois des motivations qui ne sont pas juridiques au sens strict du terme (voir la question de la prescription de l'abus de biens sociaux : Le Monde, 6 et 7 mars 2011 (27)). Mais, quelle qu'en soit la raison, la lecture des décisions rendues par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat nous apprennent qu'un certain nombre de QPC ne sont pas transmises au Conseil constitutionnel : il en fut ainsi s'agissant du délit de fraude fiscale, réprimé par l'article 1741 du CGI (N° Lexbase : L1670IPK) (Cass. crim., 26 janvier 2011, n° 10-90.120, F-D N° Lexbase : A3784GRL) ; de la déduction fiscale (CGI, art. 217 quinquies II N° Lexbase : L4017HLD) dont peuvent se prévaloir les sociétés qui attribuent gratuitement des actions aux adhérents d 'un plan d'épargne entreprise (CE 9° et 10° s-s-r., 24 septembre 2010, n° 341141, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3415GAQ) ; de la compatibilité des dispositions réprimant l'abus de droit (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU), au regard de la présomption d'innocence (CE 9° et 10° s-s-r., 29 septembre 2010, n° 341065, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7527GAZ) ; de la possibilité de déduire, en matière d'IR et de TVA, pour les particuliers, les frais d'avocats engagés par les justiciables (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 339398, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1409E4X) ; ou encore quant à la conformité à la Constitution de la taxe d'habitation (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 338913, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1402E4P) ; ou la base imposable à la taxe professionnelle pour les titulaires de bénéfices non commerciaux (CE 9° et 10° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 340114, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0021E7W).

Les juridictions du fond peuvent, elles aussi, refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité. Il en fut ainsi quant à la taxe professionnelle (CAA Paris, 2ème ch., 22 septembre 2010, n° 08PA05388 N° Lexbase : A5846GB7), ou quant à la taxe sur les salaires, pour laquelle le requérant estimait qu'il y avait eu violation du principe d'égalité entre les contribuables (CAA Paris, 2ème ch., 24 novembre 2010, n° 08PA04258, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3659GNT), alors que le Conseil constitutionnel avait déjà rendu une décision applicable au cas d'espèce (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97 ; lire nos obs, Chronique de droit fiscal des entreprises - Novembre 2010, Lexbase Hebdo n° 416, 11 novembre 2010 - édition fiscale, N° Lexbase : N5603BQL). Le contribuable peut contester ce refus de transmission par la juridiction du fond au Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2011, n° 342536, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2667GR9 (28)).

Au cas particulier, la juridiction lyonnaise a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le contribuable. En effet, dans une décision rendue en juillet 2010 (Cons. const., décision n° 2010-16 QPC, 23 juillet 2010 N° Lexbase : A9194E4B), le Conseil constitutionnel a dit pour droit que les dispositions de l'article 158 bis, critiquées, avaient été adoptées pour assurer aux adhérents d'un organisme de gestion agréé une assistance technique, tout en permettant de satisfaire l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale, puisqu'une telle adhésion permettait de mieux connaître les revenus non salariaux. Il y a une parenté évidente avec une ancienne décision du Conseil constitutionnel portant sur l'adoption de la loi de finances pour 1990 (Cons. const., décision n° 89-268 DC, 29 décembre 1989 N° Lexbase : A8205ACU (29)). Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 23 juillet 2010, souligne ainsi que la majoration du revenu de 25 % pour les personnes non adhérentes est la contrepartie arithmétique de la suppression, à compter du 1er janvier 2006, de l'abattement de 20 %, qui bénéficiaient jusqu'alors à certains revenus. Il n'existe donc pas de différence entre la situation qui prévalait antérieurement à la réforme instituée par la loi de finances pour 2006 et celle découlant de son adoption : il n'y a pas de rupture caractérisée de l'égalité des contribuables devant les charges publiques. La question soulevée par le contribuable n'étant pas nouvelle, en l'absence de changement de circonstances dans un laps de temps si court, elle ne pouvait être considérée comme sérieuse, ce qui justifie son refus de transmission par la juridiction d'appel au Conseil d'Etat.

II - Sur la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales

Le requérant prétendait que les stipulations de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR), relatives à la liberté d'association, avaient été violées. Nous évoquerons la place de la Convention dans le procès fiscal (A), ainsi que la solution rendue par la cour au cas d'espèce (B).

A - La Convention ESDH en droit fiscal

Les contribuables invoquent régulièrement les instruments de droit international, plus spécifiquement ceux relatifs aux droits fondamentaux, à l'appui de leurs prétentions. Leurs attentes ont régulièrement été satisfaites en droit communautaire notamment lorsque le droit interne viole la liberté d'établissement : l'exit tax (CGI, art. 167 N° Lexbase : L2847HLZ ; CGI, art. 167 bis N° Lexbase : L2850HL7), qui aspirait à freiner, voire à empêcher l'exil fiscal des titulaires de portefeuilles titres, en les imposant en France du fait du franchissement (30) de la frontière française -notamment en direction de la Belgique-, en fut l'un des exemples les plus spectaculaires avant que la juridiction communautaire y mette un terme à juste titre (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT). La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales occupe une place particulière, car elle a nourri beaucoup d'espoirs et de déceptions en droit fiscal, spécifiquement l'article 6-1, relatif au procès équitable, qui a récemment obligé le Gouvernement français à réécrire les dispositions de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0549IHS), relatives à la visite domiciliaire (CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D). Les fiscalistes ont gardé en mémoire ce temps où la Cour de cassation avait une lecture extensive -nous dirions "protectrice"- des droits des contribuables, dès lors que ces stipulations pouvaient être invoquées dans l'ensemble du contentieux fiscal dont l'ordre judiciaire avait à connaître (Cass Ass. plén., 14 juin 1996, n° 93-21.710, P-B N° Lexbase : A4628AY3). Malheureusement, à la suite d'un autre arrêt, la Cour de cassation (Cass. com., 12 juillet 2004 n° 1266 FS-P+B+I ; RJF, novembre 2004, n° 1218) a choisi d'aligner son interprétation de l'article 6-1 de la Convention sur la position arrêtée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 12 juillet 2001, Req. 44759/98 N° Lexbase : A7683AWH (31)), malgré la prophétie de la doctrine qui, hélas, ne s'est pas vérifiée et aux termes de laquelle : "il paraît peu probable qu'une modification de la jurisprudence judiciaire intervienne à la suite de l'arrêt 'Ferrazzini' [du 21 février 2008]. Le faire serait implicitement reconnaître une soumission indirecte à la Cour européenne des droits de l'Homme" (L. Ayrault, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d'imposition, L'Harmattan, coll. : Finances publiques, 2004, p. 388). Il n'a fallu attendre que trois ans après cet arrêt de CEDH pour constater la "soumission indirecte" de la Cour de cassation, doublée d'un alignement avec la position du Conseil d'Etat (CE 9° et 8° s-s-r., 26 novembre 1999, n° 184474, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5161AXG) dont la lecture de la Convention ESDH -moins audacieuse et protectrice des intérêts des contribuables- a sans nul doute satisfait l'administration fiscale.

Aujourd'hui, seuls les contentieux fiscaux portant sur des dispositions répressives sont susceptibles de rentrer dans le champ des stipulations de l'article 6 1 de la Convention ESDH. Il reste, par conséquent, au contribuable, la possibilité de se prévaloir, avec succès, de certaines stipulations de la Convention EDH : l'article 8, relatif au respect de la vie privée et du domicile (CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334 /407 N° Lexbase : A6542AW9 ; CEDH, 26 septembre 1996, Req. 47/1995/553/639 N° Lexbase : A3186AUK ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L) ; le premier protocole additionnel (N° Lexbase : L1625AZ9), quant au respect des biens (CEDH, 3 juillet 2003, Req. 38746/97 N° Lexbase : A0425C9M) ; l'article 14, relatif à la discrimination (CE 9° et 10° s-s-r., 10 août 2005, n° 259741, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3775DKZ). Nous évoquerons l'hypothèse, pour mémoire, compte tenu du cas d'espèce tout à fait particulier, de la violation de l'article 10 (N° Lexbase : L4743AQQ), relatif à la liberté d'information et d'expression, à la suite de la condamnation de deux journalistes français, poursuivis sur la base d'un texte fiscal et pénal (LPF, art. L. 103 N° Lexbase : L2203DAT ; CP, art. 378 N° Lexbase : L4821DGN, aujourd'hui : CP, art. L. 226-13, N° Lexbase : L5524AIG), pour avoir publié, à la fin des années 80, des feuilles d'imposition d'un contribuable (CEDH, 21 janvier 1999, Req. 29183/95 N° Lexbase : A7713AWL). Toutefois, les stipulations de la Convention ESDH ne sont pas, aujourd'hui, la martingale du contentieux fiscal que beaucoup auraient voulu qu'elles deviennent.

B - Article 11 de la Convention ESDH : liberté de réunion et d'association

La liberté d'association a été consacrée en droit interne par le juge administratif (CE, 11 juillet 1956 ; AJDA, 1956, II, 400), le juge constitutionnel (Cons. const., décision n° 71-44 DC, 16 juillet 1971 N° Lexbase : A7886AC3) et le juge judiciaire (Cass. civ. 3, 12 juin 2003, n° 02-10.778, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7273C8U). L'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales protège la liberté de réunion et d'association (32). En matière fiscale, rares ont été les décisions pour lesquelles le juge de l'impôt a eu à répondre au grief de violation de l'article 11 de la Convention ESDH. Principalement, ce sont les associations "cultuelles" qui ont soulevé, sans succès, ce moyen, lorsque l'administration leur a réclamé le versement de droits d'enregistrement au taux de 60 %, à raison des dons perçus (TGI Nanterre 1ère ch., 4 juillet 2000 n° 99-14939 ; RJF, décembre 2000, n° 1526, p. 905 ; CA Versailles, 1ère ch., 28 février 2002, n° 00/05693 N° Lexbase : A8152AYL ; Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-77.845, F-D N° Lexbase : A2544DW7 ; Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-11.844, F-D N° Lexbase : A2543DW4 ; RJF, novembre 2007, n° 1341 ; Cass. com., 7 juillet 2009, n° 07-21.957, F-D ; RJF, décembre 2009, n° 1172).

Si l'on quitte le domaine spirituel, tout en restant toutefois attaché aux contingences matérielles et plus particulièrement fiscales, l'article 11 de la Convention ESDH a été invoqué en matière d'associations foncières de remembrement, pour lesquelles le Conseil d'Etat a refusé de les qualifier d'association, au sens de l'article 11 de la Convention ESDH, mais d'établissements publics à caractère administratif, c'est-à-dire d'organismes de droit public "institués et étroitement encadrés par des dispositions législatives et réglementaires", disposant de prérogatives de puissance publique, et poursuivant des buts d'intérêt général (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2009 n° 312468, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1323EK9 ; RJF, novembre 2009, n° 1028). Au cas particulier, la cour administrative d'appel de Lyon considère que, dans l'hypothèse où les dispositions de l'article 158 du CGI seraient à l'origine d'une violation des stipulations de l'article 11 de la Convention EDH, il conviendrait alors d'opérer un contrôle de proportionnalité entre les contraintes imposées aux membres de l'association de gestion agréée et le montant des frais d'adhésion et des cotisations perçues, au regard de l'objectif d'intérêt général de lutte contre la fraude fiscale pour décider, in fine, que le droit au respect de la liberté d'association n'a pas été méconnu au cas d'espèce. Ce contrôle de proportionnalité, que l'on retrouve également pour l'application du droit communautaire (CJCE, 17 juillet 1997, aff. C-28/95 N° Lexbase : A1894AW3 (33)), est un classique du droit européen (CEDH, 16 avril 2002, Req. 36677/97 N° Lexbase : A5395AYH ; CEDH, 23 juillet 2009, Req. 30345 /05 N° Lexbase : A1212EK4 ; CEDH, 3 juillet 2003, Req. 38746/97 N° Lexbase : A0425C9M). Il est vrai que le législateur a octroyé un certain nombre d'avantages en contrepartie d'une adhésion à un organisme de gestion agréé. Les chefs d'entreprise peuvent, ainsi, bénéficier d'une réduction d'impôt pour frais de comptabilité et d'adhésion ; déduire la totalité des rémunérations versées à leur conjoint ; voir le délai de reprise réduit de trois ans à deux ans si toutefois l'administration n'a pas prononcé de pénalités à l'issue d'un contrôle (34) (instruction du 3 mars 2011, BOI 5 J-1-11) ; être dispensés, à certaines conditions, de toutes majorations si l'adhérent révèle spontanément les omissions de ses déclarations professionnelles ; et enfin être exemptés d'une majoration de la base d'imposition de 25 %. Au regard de ces avantages, et des contraintes imposées à leurs membres, par ailleurs comparables à celles que connaissent les chefs d'entreprise faisant appel à un cabinet d'expertise-comptable, il semble difficile de soutenir que les autorités publiques auraient méconnu l'exigence de proportionnalité du droit européen. Dans ces conditions, l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon doit être approuvé.


(1) Y compris une tranche à taux zéro.
(2) 41 % depuis l'adoption de la loi n° 2010-1657, du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ.
(3) Exercé par soixante députés ou sénateurs, ou le président du Sénat, ou le président de l'Assemblée nationale, ou le Président de la République, ou le Premier ministre.
(4) Montesquieu, De l'esprit des lois ; Rousseau, Le contrat social.
(5) "Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article".
(6) "Plus largement, 5 membres nommés sur 9 sont actuellement des hommes politiques, ce qui fait 7 membres sur 11 en comptant les anciens présidents de la République. Hors la Belgique, où la chose est institutionnalisée (la Cour constitutionnelle est composée pour moitié d'hommes politiques et pour moitié de personnalités aux compétences juridiques reconnues), cette présence massive des hommes politiques au sein de l'instance chargée de statuer sur la constitutionnalité des lois singularise regrettablement notre pays", O. Beaud et P. Wachsmann, Le Monde, 12 mars 2011, p. 18.
(7) Le Monde, 6 et 7 mars 2011, p. 9.
(8) Dr. fisc., 2010, act. 342.
(9) "Il est probable que cette question soit soulevée de manière fréquente dans les premiers mois qui vont suivre son entrée en vigueur. Cette nouvelle procédure a, en effet, fait l'objet d'une information importante auprès de tous les avocats inscrits à un barreau français. Par ailleurs, le champ d'application potentiel de la question prioritaire de constitutionnalité est particulièrement large".
(10) Le ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales s'adresse ainsi aux préfets, au préfet de police, aux Hauts-commissaires : "j'appelle votre attention sur les conséquences de la réforme sur les procédures d'urgence. Elle prévoit qu'en principe le juge saisi de la question prioritaire de constitutionnalité doit surseoir à statuer. Toutefois, la procédure prévoit que le juge peut régler la partie du litige qui n'est pas commandée par la question en elle même, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie. Si tel est le cas dans un litige auquel vous êtes partie, vous indiquerez au juge l'intérêt qui s'attache à ce que le principal soit tranché".
(11) "C'est cependant pour permettre un contrôle de cette nature même pour le passé que la loi du 4 août 2008 a institué un système jusque là inconnu dans notre droit de recours juridictionnels rétroactifs", J. Lamarque, O. Négrin et L. Ayrault, Droit fiscal général, Litec, coll. : Manuel, 1ère édition, 2009, p. 174.
(12) "Les dirigeants sociaux mentionnés à l'article 62 et aux 1°, 2° et 3° du b de l'article 80 ter ainsi que les dirigeants de fait gestionnaires de la société à la date du versement ou, à défaut de connaissance de cette date, à la date de déclaration des résultats de l'exercice au cours duquel les versements ont eu lieu, sont solidairement responsables du paiement de l'amende prévue à l'article 1759 (N° Lexbase : L1751HN8)".
(13) "Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 (N° Lexbase : L1784HNE) et 240 (N° Lexbase : L5003HLU), elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de l'amende est ramené à 75 %".
(14) "Considérant que les principes résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ne s'appliquent qu'aux peines et aux sanctions ayant le caractère d'une punition [...] Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'article 117 précité du CGI que la pénalité instituée par l 'article 1759 du même code frappe, à l'exclusion de ses dirigeants de droit ou de fait, la personne morale qui s'est refusée à répondre à la demande de renseignements que lui a adressée l'administration ; que le 3 du paragraphe V de l'article 1754 du même code (N° Lexbase : L4624ICA) a pour objet de déclarer ces dirigeants solidairement tenus au paiement de la pénalité ; que la solidarité est fondée sur les fonctions exercées par les dirigeants au moment du fait générateur de la sanction ; qu'elle n'est pas subordonnée à la preuve d'une faute des dirigeants ; qu'elle constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public ; que, conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le dirigeant qui s'est acquitté du paiement de la pénalité dispose d'une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires ; qu'ainsi, cette solidarité ne revêt pas le caractère d'une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 ; qu'il s'ensuit que les griefs invoqués par le requérant sont inopérants".
(15) "Considérant qu'aux termes de l'article 38-2 du CGI (N° Lexbase : L0044IKT), applicable à l'IS en vertu de l'article 209 du même code (N° Lexbase : L3322IG7) : Le bénéfice net imposable est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt [...]. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés' ; que lorsque les bénéfices imposables d'un contribuable ont été déterminés en application de ces dispositions, les erreurs ou omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d'un exercice ou d'une année d'imposition et entraînent une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net de l'entreprise peuvent, à l'initiative du contribuable qui les a involontairement commises, ou à celle de l'administration exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan ; que les mêmes erreurs ou omissions, s'il est établi qu'elles se retrouvent dans les écritures de bilan d'autres exercices, doivent y être symétriquement corrigées, dès lors qu'elles ne revêtent pas, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré et alors même que tout ou partie de ces exercices seraient couverts par la prescription prévue, notamment, aux articles L. 168 (N° Lexbase : L8487AE3) et L. 169 (N° Lexbase : L0499IP8) du LPF".
(16) Recueil officiel de jurisprudence fiscale (DGI).
(17) Bulletin des contributions directes (Dupont).
(18) "Dans ses conclusions sous la décision Getecom', du 19 novembre 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948 N° Lexbase : A3127EBG), le rapporteur public, Nathalie Escaut, avait ainsi résumé les objectifs de cette loi de validation tels qu'ils ressortaient des travaux parlementaires : restaurer la sécurité juridique troublée par [le] revirement de jurisprudence [du Conseil d'Etat issu de la décision 'SARL Ghesquière Equipement'], supprimer un effet d'aubaine qui aurait méconnu le principe d'égalité entre les contribuables, prévenir des dysfonctionnements des services publics fiscaux et juridictionnels résultant de multiples réclamations et recours et éviter un coût budgétaire évalué à 1,5 milliard d'euros par an et 4 milliards pour le passé'. La décision n° 2010-78 QPC (Cons. const., décision n° 2010-78 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7113GME) marque, ainsi, la volonté du Conseil constitutionnel d'encadrer et de limiter fortement les lois de validation en matière fiscale, nonobstant les conséquences financières, même comme en l'espèce manifestement assez élevées, que l'absence de loi de validation pourrait entraîner sur le budget de l'Etat" ; lire F. Dieu, Les lois de validation asymétriques sont contraires à la Constitution : à propos de la loi limitant les effets de l'abandon de la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture, Lexbase Hebdo n° 428, 17 février 2011 - édition fiscale (N° Lexbase : N4861BRH).
(19) "En application du troisième alinéa du 4 bis de l'article 38, la règle de l'intangibilité du bilan ne s'applique pas en cas de correction d'omissions ou d'erreurs résultant :
- de la pratique de dotations aux amortissements excessifs au regard des usages mentionnés au 2° du 1 de l'article 39
(N° Lexbase : L3894IAH) au cours de la période prescrite ;
- de la passation à tort en charges au cours d 'exercices prescrits de frais qui auraient dû venir majorer le coût de revient d'éléments de l'actif immobilisé ;
- de la comptabilisation en charges au cours d'exercices prescrits de dépenses constitutives d'immobilisations
" (instruction du 29 juin 2006, BOI 4 A-10-06, § 39 N° Lexbase : X7004ADR).
(20) "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes".
(21) "il résulte de l'instruction que le Gouvernement avait fait connaître, dès avant le dépôt le 17 novembre 2004 sur le bureau de l'Assemblée nationale du projet de loi ayant conduit à l'adoption des dispositions de l'article 43 de la loi du 30 décembre 2004, son intention de limiter les conséquences de la décision du Conseil d'Etat ; que dans ces conditions, la société ne saurait se fonder sur cette décision pour se prévaloir d'une espérance légitime d'obtenir le remboursement d'une partie des sommes qui font l'objet du présent litige ; qu'ainsi, elle ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans le champ desquelles elle n'entre pas".
(22) "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés"
(23) Il est même prévu, le cas échéant, qu'il doit être porté sur l'enveloppe la mention "question prioritaire de constitutionnalité".
(24) "Considérant qu'en vertu de l'article R. 771-3 du CJA, issu de l'article 1er du décret du 16 février 2010 susvisé, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevé dans un mémoire distinct et motivé et qu 'en vertu de l'article 7 de ce même décret, pour les instances en cours au 1er mars 2010, une question prioritaire de constitutionnalité doit, pour être recevable, être présentée sous la forme d'un mémoire distinct et motivé produit postérieurement à cette date ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 302 bis ZD du CGI (N° Lexbase : L5922HLW), qui exonèrent de la taxe qu'elles édictent les entreprises dont le chiffre d'affaires de l'année civile précédente est inférieur à 763 000 euros, méconnaîtraient le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt est, en tout état de cause, irrecevable faute d'avoir été réitéré par mémoire distinct et motivé après le 1er mars 2010".
(25) "Considérant, en deuxième lieu, qu'à supposer qu'en soutenant, dans son mémoire enregistré le 24 décembre 2009, que : la prescription quadriennale devra être écartée sauf à faire une interprétation inconstitutionnelle des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 et que toute autre analyse serait contraire aux dispositions de la constitution et par suite inconstitutionnelle', la requérante ait entendu faire valoir que la loi du 31 décembre 1968 serait contraire à la Constitution, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-595 du 3 décembre 2009 (Cons. const., décision n° 2009-595 DC, du 3 décembre 2009, loi organique relative à l 'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : A3193EPX) que seules sont recevables les questions prioritaires de constitutionnalité présentées à compter de l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 (loi n° 2009-1523, du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L0289IGS), soit le 1er mars 2010, dans un mémoire distinct et motivé ; [...] que, par suite, et en tout état de cause, le moyen devra être écarté".
26) CAA Lyon, 2ème ch., 14 septembre 2010, n° 09LY02460, inédit au recueil Lebon, n° 09LY02465, inédit au recueil Lebon et n° 09LY02475, inédit au recueil Lebon.
(27) "Cruel dilemme pour la Cour de cassation. Le problème de droit est réel, mais est-elle prête à renier sa jurisprudence et prendre le risque de réduire à néant la plupart des affaires financières, en transmettant la question au Conseil constitutionnel ? C'est tout le problème, observe Madame Le Borgne, il y a une sorte de pouvoir souverain de la Cour de cassation qui peut interdire au Conseil de se saisir d'une problématique qui mériterait qu'il s'y arrête.' Une sourde rivalité oppose d'ailleurs la Cour de cassation au Conseil, qui tente de s'imposer comme cour suprême française. Les magistrats ont été particulièrement agacés par deux décisions du Conseil des 6 et 14 octobre 2010, où il est signalé que tout justiciable a le droit de contester une interprétation jurisprudentielle constante'. Et donc bien sûr la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la prescription des abus de biens sociaux" ; voir, notamment, Cass. crim., 7 décembre 1967 ; Bull. crim., 1967, n° 321 ; D. 1968, jurispr., p. 619, note J.M.R. ; JurisClasseur Pénal des Affaires, voir Sociétés, Fasc. 50 : Sociétés. Abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix.
(28) "Lorsqu'une cour administrative d'appel a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte de l'arrêt, dont il joint alors une copie, ou directement par cet arrêt ; que les dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel N° Lexbase : L0276AI3) n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre à celui qui a déjà présenté une question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction statuant en dernier ressort de s'affranchir des conditions, définies par les dispositions citées plus haut de la loi organique et du code de justice administrative, selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté devant le juge de cassation".
(29) "52. Considérant qu'il est soutenu que ces dispositions, dans la mesure où elles peuvent se cumuler avec les intérêts de retard et les majorations prévus par les articles 1727 (N° Lexbase : L1536IPL) et 1728 (N° Lexbase : L1715HNT) du CGI, créent une double sanction qui est contraire au principe de proportionnalité résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de 1789 ; qu'elles instituent des sanctions frappant un contribuable au titre de l'IR alors que le manquement qui lui est reproché peut être relatif à un autre impôt ; qu'enfin, il y a atteinte au principe d'égalité, car les adhérents des centres de gestion sont, au regard de la date de dépôt de la déclaration générale d'IR, dans la même situation que tout contribuable ; 53. Considérant que les centres de gestion dont la création a été prévue par la loi de finances rectificative du 27 décembre 1974 ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux destinée à remédier à l'évasion fiscale ; qu'en contrepartie l'adhésion aux centres de gestion a été encouragée par l'octroi aux adhérents d'avantages fiscaux, et notamment d'un abattement sur le bénéfice imposable ; 54. Considérant qu'il suit de là que les adhérents des centres de gestion sont soumis à un régime juridique spécifique ; que, dans le cadre de ce régime, le législateur a pu, sans méconnaître ni le principe de proportionnalité ni le principe d'égalité, décider qu'un adhérent de ces centres perdra le bénéfice des avantages fiscaux liés à son adhésion en cas de déclaration tardive, dès lors du moins qu'il s'agit de la deuxième infraction successive concernant la même catégorie de déclaration' ou lorsque sa mauvaise foi sera établie".
(30) Le texte fiscal n'exigeait pas la cession des titres !
(31) "Une procédure fiscale a évidemment un enjeu patrimonial, mais le fait de démontrer qu'un litige est de nature patrimoniale' n'est pas suffisant à lui seul pour entraîner l'applicabilité de l'article 6 § 1 sous son aspect civil' (voir les arrêts CEDH, 'Pierre-Bloch c. France' du 21 octobre 1997 N° Lexbase : A9274AHX ; Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2223, § 51 et 'Pellegrin c. France' [GC], n° 28541/95, § 60, CEDH N° Lexbase : A7533AWW 1999-VIII, à comparer avec l'arrêt CEDH, 'Editions Périscope c. France' du 26 mars 1992, série A n° 234-B, p. 66, § 40). En particulier, selon la jurisprudence traditionnelle des organes de la Convention, il peut exister des obligations patrimoniales' à l'égard de l'Etat ou de ses autorités subordonnées qui, aux fins de l'article 6 § 1, doivent passer pour relever exclusivement du domaine du droit public et ne sont, en conséquence, pas couvertes par la notion de droits et obligations de caractère civil'. Hormis les amendes imposées à titre de sanction pénale', ce sera le cas en particulier lorsqu'une obligation qui est de nature patrimoniale résulte d'une législation fiscale ou fait autrement partie des obligations civiques normales dans une société démocratique (voir, entre autres, Schouten et Meldrum c. Pays-Bas du 9 décembre 1994, série A n° 304, p. 21, § 50, et requêtes n° 11189/84, décision de la Commission du 11 décembre 1986, Décisions et rapports (DR) 50, pp. 121, 160, n° 20471/92, déc. 15.4.1996, DR 85, pp. 29, 46)".
(32) "Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat".
(33) "L'article 11 de la Directive doit être interprété en ce sens que, pour vérifier si l'opération envisagée a comme objectif principal ou comme l'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales, les autorités nationales compétentes doivent procéder, dans chaque cas, à un examen global de ladite opération. Un tel examen doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. Conformément à l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive, les Etats membres peuvent prévoir que le fait que l'opération envisagée n'est pas effectuée pour des motifs économiques valables constitue une présomption de fraude ou d'évasion fiscales. Il leur appartient de déterminer les procédures internes nécessaires à cette fin dans le respect du principe de proportionnalité. Cependant, l'institution d'une règle revêtant une portée générale excluant automatiquement certaines catégories d'opérations de l'avantage fiscal, sur la base de critères tels que ceux mentionnés dans la seconde réponse sous a), qu'il y ait ou non effectivement évasion ou fraude fiscales, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter une telle fraude ou une telle évasion fiscales et porterait atteinte à l'objectif poursuivi par la Directive".
(34) Autres que l'intérêt de retard.

newsid:417558

Fiscalité du patrimoine

[Questions à...] Comparaison des systèmes fiscaux français et allemand : la Cour des comptes publie son rapport - Questions à Franck Le Mentec, avocat associé au sein du cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral

Lecture: 5 min

N7559BRE

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par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon Paris

Le 24 Mars 2011

Le 2 août 2010, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a demandé à la Cour des comptes d'établir un état des lieux comparé des systèmes fiscaux français et allemand. Ce rapport a été publié le 4 mars 2011. L'objectif de cette comparaison est double : prendre des décisions permettant la convergence des deux systèmes fiscaux, afin de dynamiser l'harmonisation européenne qui, en ce domaine, est très faible, -notamment en matière de fiscalité directe, qui traîne depuis des mois des projets tardant à aboutir, comme celui de l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS) (lire N° Lexbase : N7580BR8)- ; et s'interroger sur la pertinence de certains choix français en matière d'impôt. La Cour des comptes a effectué une comparaison par "bloc de prélèvements" : revenu des ménages, patrimoine, fiscalités des sociétés, TVA et fiscalité environnementale. Pour chacun de ces "blocs", Franck Le Mentec, avocat associé au sein du cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, qui a accepté de répondre à nos questions, revient sur les convergences et divergences soulevées par la Cour des comptes, et leur pertinence pour d'éventuelles réformes du système français. Lexbase : La France a un taux de prélèvements obligatoires dépassant de plus de trois points celui de l'Allemagne. Quels éléments peuvent expliquer une telle différence ?

Franck Le Mentec : Ce taux s'explique essentiellement en raison, d'une part, de la présence de nombreux prélèvements existant en France, qui n'ont pas ou plus d'équivalents en Allemagne et, d'autre part, de l'architecture du système de protection sociale français. En outre, il apparaît que les allemands taxent davantage la consommation.

Lexbase : Les prélèvements obligatoires sur le revenu des ménages (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux) sont structurellement différents et perçus selon des modes opposés. Peut-on en déduire qu'un modèle est plus efficace qu'un autre ?

Franck Le Mentec : On peut, en effet, tout d'abord rappeler que le poids de l'impôt sur le revenu dans le PIB est plus de trois fois plus élevé en Allemagne qu'en France (9,6 % du PIB allemand en 2008 contre 2,6 % du PIB en France).

En revanche, les cotisations sociales s'établissent à un niveau significativement supérieur en France : 15 % du PIB en France, contre 12,6 % du PIB en Allemagne. Celles-ci ne se répartissent pas de la même façon entre les employeurs et les salariés : la répartition est quasiment paritaire en Allemagne, alors que les cotisations patronales représentent, en France, un montant plus de deux fois supérieur aux cotisations des salariés (respectivement 11 % et 4 % du PIB).

Les dispositifs d'exonération de cotisations sociales sont beaucoup plus importants en France (et coûtent plus de 30 milliards d'euros) et sont concentrés sur les cotisations patronales sur les bas salaires (jusqu'à 1,6 SMIC). En Allemagne, les allègements ne concernent que les cotisations salariales, et sont ciblés de manière plus restrictive qu'en France.

Aussi, l'impact des prélèvements sociaux (cotisations sociales, compte tenu des allègements et exonérations) et fiscaux (IR, et, en France, CSG et CRDS) sur le coût du travail apparaît comparable dans les deux pays. Le total de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales, rapporté au coût salarial global pour l'employeur, s'établit à 49,2 % en France et à 50,9 % en Allemagne, au niveau du salaire moyen (la moyenne de l'OCDE étant de 36,4 %).

Ainsi, malgré une architecture différente, la réalisation des deux systèmes entraîne des conséquences relativement proches.

Lexbase : La fiscalité sur le patrimoine est très faible en Allemagne. La France s'inspirera-t-elle de cette politique afin de procéder à la réforme dans ce domaine ?

Franck Le Mentec : En effet, avec des taxes foncières d'un niveau modeste -environ 11 milliards d'euros-, un impôt sur la fortune suspendu depuis 1997, et une taxe professionnelle sur le capital supprimée en 1998, l'Allemagne a fait le choix d'un très faible niveau de prélèvements sur la détention du capital. Le niveau global de ces prélèvements y représente 0,46 % du PIB, très en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE, qui s'établit à 1,13 % du PIB.

A l'inverse, le niveau des prélèvements sur la détention du patrimoine est plus élevé en France et représente 2,6 % du PIB. Il est clair que le maintien de l'ISF est devenu une "exception française" au sein des pays membres de l'Union européenne. La France aurait tout à gagner à suivre l'exemple allemand sur ce point.

En matière de cession et de transmission du patrimoine, l'Allemagne et la France ont fait des choix globalement comparables en matière de taxation des plus-values et de droits de mutation à titre gratuit. Ainsi, la fiscalité des revenus du patrimoine est à l'origine de recettes globalement comparables dans les deux pays -environ 25 milliards d'euros hors fiscalité des revenus fonciers-.

Lexbase : La fiscalité des sociétés a connu d'importantes réformes en Allemagne, où le taux de l'impôt sur les sociétés est passé de 30 à 40 % en 1998 à 15 % en 2008. Pour autant, l'Allemagne a-t-elle renoncé à des recettes fiscales pour attirer les entrepreneurs, et la France aurait-elle un intérêt à faire de même ?

Franck Le Mentec : Comme vous venez de le préciser, l'Allemagne a considérablement réduit son taux d'imposition sur les sociétés à compter des années 2000, dans le but d'améliorer l'attractivité du système fiscal allemand.

Pour autant, il convient de souligner que 83 % des entreprises allemandes sont imposées, alors que seules 57 % des entreprises françaises le sont. En outre, l'Allemagne, en tant qu'Etat fédéral, dispose, outre un impôt général, d'un impôt local sur les entreprises, basé sur une assiette proche de l'IS, qui, lui, n'a fait l'objet d'aucune réduction de taux. Ainsi, le taux global de prélèvements sur les bénéfices en Allemagne comprend l'addition de l'impôt local et de l'IS et atteint 31 %.

Par ailleurs, l'Allemagne ne dispose pas de mécanisme équivalent au crédit d'impôt recherche.

Ainsi, le taux réduit d'impôt sur les sociétés allemand apparaît créer un effet d'optique, défavorable à la France. A titre de comparaison, prima facie, le taux de l'IS français semble particulièrement haut. Son assiette est cependant plus étroite que celle de l'IS allemand. La charge fiscale pesant sur les entreprises françaises et allemandes est finalement très proche.

Lexbase : Les taux de TVA français et allemands sont sensiblement les mêmes. Quelles différences subsistent et quel système est le plus efficace, sachant que la TVA représente déjà plus de 40 % des recettes fiscales françaises et qu'un débat s'est ouvert sur l'augmentation possible de son taux de droit commun ?

Franck Le Mentec : Des différences subsistent et s'expliquent par le recours en France à d'importants taux réduits et dérogatoires dans le but de soutenir certains secteurs ou certaines activités (restauration, presse, etc.).

L'Allemagne, en augmentant son taux initial de 3 % depuis le 1er janvier 2007 et en limitant le champ d'application des taux réduits, a mis en place un système plus efficace en termes de rendement budgétaire.

Il est certain que la TVA pourrait rapporter davantage de recettes fiscales à l'Etat français si celui-ci optait pour une diminution du champ d'application des taux réduits et dérogatoires ou une augmentation du taux réduit. Le rapport précise qu'un simple alignement du taux réduit de 5,5 % sur celui de l'Allemagne, actuellement à 7 %, rapporterait 15 milliards d'euros à l'Etat français.

Lexbase : Enfin, en matière de fiscalité environnementale, la France dispose d'un arsenal complexe de taxation à effet dissuasif. L'Allemagne remplit-elle ses engagements communautaires et internationaux en matière d'environnement, et, le cas échéant, la France a-t-elle des leçons à tirer de la comparaison opérée entre les deux systèmes ?

Franck Le Mentec : L'Allemagne semble avoir une meilleure maîtrise de la fiscalité environnementale. En effet, elle a réussi à mener une réforme progressive, avec l'adoption de différentes mesures, qui ont soit conduit à une augmentation des taux de taxes existantes, soit entraîné la création de nouvelles taxes. La France, quant à elle, a échoué à deux reprises dans l'introduction d'une nouvelle taxe sur le carbone.

Cependant, au regard des critères conventionnellement définis par EUROSTAT, les recettes de fiscalités environnementales sont sensiblement les mêmes en France (2,1 %) et en Allemagne (2,2 %). Pour les deux pays, ces recettes restent inférieures à la moyenne des pays européens (2,6 %). Des efforts restent donc à faire dans les deux pays.

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Fonction publique

[Questions à...] Mutation des représentants du personnel et notion d'"intérêt du service" - Questions à Aurélie Barre, avocat au barreau de Paris

Lecture: 7 min

N7570BRS

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 24 Mars 2011

Dans une décision rendue le 24 février 2011 (CE 2° et 7° s-s-r., 24 février 2011, n° 335453, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7017GZW), la Haute juridiction administrative est venue préciser que la mutation d'un fonctionnaire de France Télécom investi d'un mandat représentatif n'a pas à être soumise à une autorisation de l'inspecteur du travail ou précédée de l'avis du comité d'entreprise. Par ailleurs, les juges du Palais-Royal ont estimé que les modifications apportées à la situation de l'intéressé étaient justifiées par l'intérêt du service, notamment la réorganisation d'ensemble du service, et, d'autre part, que la décision de mutation, même si elle avait pour effet de mettre fin aux mandats de l'intéressé, était dépourvue de lien tant avec les fonctions représentatives qu'il exerçait qu'avec son appartenance syndicale, et avait été prise en prenant en compte les exigences de la représentation du personnel. Cette décision est donc l'occasion de revenir sur le statut des représentants du personnel dans la fonction publique et sur la notion d'"intérêt du service", ainsi que sur la recherche d'un nécessaire équilibre entre principe de participation des fonctionnaires et efficacité du fonctionnement des services. Pour faire le point sur toutes ces questions, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Aurélie Barre, avocat au barreau de Paris, Cabinet d'avocats Jean-Pierre Gohon. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les principes de désignation et les attributions des représentants du personnel dans la fonction publique ?

Aurélie Barre : Si les principes en la matière sont effectivement propres au droit public, il convient, toutefois, de relever qu'ils connaissent actuellement des mutations importantes, qui se sont traduites par des modifications introduites par la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010, relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L6618IM3), et qui vont dans le sens d'un rapprochement avec les principes applicables en droit du travail. La désignation des représentants du personnel résulte, désormais, d'élections au scrutin de liste avec représentation proportionnelle, auxquels peuvent se présenter les organisations syndicales de fonctionnaires légalement constituées depuis moins de deux ans et qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, ainsi que les organisations syndicales de fonctionnaires affiliées à une union de syndicats de fonctionnaires remplissant ces mêmes conditions. Quant aux attributions des représentants du personnel, elles résident essentiellement dans une participation au sein d'organismes consultatifs compétents en matière d'organisation et de fonctionnement des services publics (les comités techniques), de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et d'amélioration des conditions de travail (les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), d'élaboration des règles statutaires (les conseils supérieurs de la fonction publique), et d'examen des décisions individuelles relatives à la carrière (les commissions administratives paritaires).

Dans la décision du Conseil d'Etat du 24 février 2011, nous sommes en présence d'une situation un peu spécifique puisque cette décision concerne la perte de mandats représentatifs par un fonctionnaire de France Télécom conséquemment à sa mutation. Or, ces agents sont soumis à un statut particulier, à cheval entre droit public et droit du travail, à la suite de l'adoption de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom (N° Lexbase : L9430AXK), qui a transformé France Télécom en société anonyme. Pour autant, la portée de cet arrêt va certainement au-delà de la situation des seuls fonctionnaires de France Télécom puisque les règles qu'ils fixent, de par leur caractère général, paraissent susceptibles de s'appliquer à tous les fonctionnaires investis d'un mandat représentatif. En sens contraire, il sera relevé que dans le considérant de principe, le Conseil d'Etat prend soin de mentionner qu'il statue "dans le cas où, comme à France Télécom, un fonctionnaire se trouve investi d'un mandat représentatif qu'il exerce, en vertu de la loi, dans l'intérêt tant d'agents de droit public que de salariés de droit privé". Il serait, toutefois, difficilement compréhensible que les représentants du personnel exerçant leur mandat dans l'intérêt uniquement d'agents de droit public soient traités différemment puisque le principe de participation a une assise constitutionnelle commune (le préambule de la Constitution déclare que "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix"), et que le droit syndical, ainsi que le principe de participation, sont consacrés dans le statut général de la fonction publique, aux articles 8 et suivants de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3).

Lexbase : Que recouvre exactement la notion d'"intérêt du service" évoquée par le juge administratif ?

Aurélie Barre : La notion d'intérêt du service s'apprécie en fonction des besoins, des contraintes, ainsi que de la mission du service, tels qu'ils ont été définis ou voulus par l'autorité compétente. Comme la notion d'intérêt général, elle n'a donc pas de contenu prédéterminé. Ce sont les faits de l'espèce qui permettront de déterminer si la décision a bien été prise dans l'intérêt du service. En règle générale, l'intérêt du service est invoqué en justification d'une décision prise à l'égard d'un agent et qui lèse les intérêts particuliers de cet agent. L'autorité administrative, et éventuellement le juge, doivent donc concilier ces intérêts divergents. Le Conseil d'Etat rappelle à cet égard, dans l'intérêt commenté, qu'"il appartient à l'autorité investie du pouvoir hiérarchique de prendre à l'égard des fonctionnaires placés sous sa responsabilité les décisions, notamment d'affectation et de mutation, répondant à l'intérêt du service". En l'absence d'un tel intérêt, la décision sera considérée comme illégale. Il en ira ainsi, par exemple, si les motifs sont étrangers à l'intérêt du service, ou si l'intérêt que le service retire de la décision est trop faible au regard de l'atteinte portée aux intérêts ou aux droits de l'agent.

A titre d'illustration des considérations qui sont retenues comme relevant de l'intérêt du service, une mesure de licenciement peut être prise, outre en raison d'une faute ou de l'insuffisance professionnelle de l'agent concerné, dans ce but. Une telle mesure de licenciement est considérée comme justifiée par l'intérêt du service lorsqu'il est démontré que l'emploi a été supprimé à la suite d'une réorganisation du service (CAA Paris, 4ème ch., 24 juin 1999, n° 97PA02404 N° Lexbase : A1643BIP), que la mesure a été prise par mesure d'économie (CAA Douai, 3ème ch., 4 décembre 2008, n° 07DA00558 N° Lexbase : A6812ECB), ou encore que le comportement de l'agent a nui au bon fonctionnement du service (CE 4° s-s., 30 janvier 2008, n° 296406 N° Lexbase : A5949D44). En revanche, le licenciement motivé en fait par l'appartenance politique de l'intéressé est pris sur le fondement de considérations étrangères à l'intérêt du service (CE 3° et 5° s-s-r., 8 juillet 1991, n° 80145, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0433ARH).

Cette notion n'est pas que jurisprudentielle. Il y est, également, fait recours dans les textes. Ainsi, par exemple, l'article 3 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984, relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat (N° Lexbase : L1009G8U), dispose que le "calendrier des congés [...] est fixé par le chef du service, après consultation des fonctionnaires intéressés, compte tenu des fractionnements et échelonnements de congés que l'intérêt du service peut rendre nécessaires". Dans le cas d'un agent investi d'un mandat, la justification de l'intérêt du service devra être renforcée dans la mesure où une conciliation doit être opérée avec les "exigences propres à l'exercice normal du mandat" dont l'agent est investi, et qui découlent du principe de représentation, dont la valeur est, aux termes de l'arrêt commenté, constitutionnelle. Cet exercice de conciliation n'est pas sans rappeler celui imposé par le juge en matière de règlementation du droit de grève par le chef de service, cette conciliation s'opérant entre les deux principes constitutionnels que sont le droit de grève et le principe de continuité du service public, comme cela ressort de la jurisprudence initiée par l'arrêt "Dehaene" du Conseil d'Etat (CE, 7 juillet 1950, n° 01645 N° Lexbase : A5106B7A).

Lexbase : A l'inverse, quels sont les cas où l'autorité administrative est considérée comme ayant pris une décision en rapport avec le mandat représentatif de l'intéressé ?

Aurélie Barre : La décision prise aura un rapport avec le mandat représentatif quand sa motivation fera ressortir que c'est en raison de l'existence même de ce mandat, ou de la façon qu'il a été exercé, que la décision a été prise. Cette motivation pourra être explicite ou ressortir des circonstances de l'espèce. Des indices, tels que le fait que des reproches aient été adressés à l'agent en raison de son mandat, ou que les motifs avancés paraissent factices, exagérés ou non prouvés, peuvent inciter le juge à considérer que ce n'est pas l'intérêt du service, ou encore le comportement de l'agent dans le cadre de l'exercice strict de ses fonctions (la perturbation liée à la mobilisation de l'agent pour l'exercice du mandat ne pouvant être prise en considération), qui ont justifié la décision, mais bien le mandat représentatif.

Lexbase : De quelle manière les commissions administratives paritaires contrôlent-elles les décisions concernant les représentants du personnel ? Leur position est-elle le plus souvent favorable ou défavorable à ces derniers ?

Aurélie Barre : Les commissions administratives paritaires sont consultées sur les décisions individuelles intéressant les membres du ou des corps qui en relèvent, que les décisions concernent, ou non, des représentants du personnel. Plusieurs articles du statut général de la fonction publique mentionnent des hypothèses particulières dans lesquelles la décision de l'autorité compétente doit être précédée de la saisine de la commission administrative paritaire. Il en va ainsi, par exemple, en cas de détachement d'un agent, en matière d'avancement de grade, ou encore de mutation. Le recours à une commission se justifie par la situation largement légale et règlementaire -et donc non contractuelle, le contrat impliquant, pour une large part, le consentement des deux parties en cas de modification- dans laquelle sont placés les agents publics. Ces commissions sont paritaires, c'est-à-dire composées de représentants de l'administration comme du personnel. Si leurs membres ont le sentiment que la décision est motivée par le mandat de l'agent concerné ou que l'intérêt du service ne permet pas de la justifier, ils rendront un avis favorable à l'agent. Il s'agit, toutefois, d'un avis simple, rendu avant que la décision ne soit prise. L'autorité administrative peut donc passer outre, mais elle devra alors s'en justifier, en informant la commission des motifs qui l'ont conduite à ne pas suivre l'avis ou la proposition, comme cela ressort des termes de l'article 32 du décret n° 82-451 du 28 mai 1982, relatif aux commissions administratives paritaires (N° Lexbase : L0993G8B).

Lexbase : Plus généralement, comment trouver un juste équilibre entre respect du principe de participation des fonctionnaires et efficacité du fonctionnement des services ?

Aurélie Barre : Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat donne des indications sur ce point, en relevant que l'employeur avait proposé plusieurs affectations permettant à l'agent de garder ses mandats représentatifs et syndicaux. L'autorité publique ne pourra opposer l'intérêt du service que si l'efficacité de celui-ci est véritablement affectée et si aucune autre solution ne peut être mise en oeuvre pour pallier la perturbation occasionnée. Pour consolider juridiquement sa décision, l'autorité administrative devra donc pouvoir justifier qu'elle a recherché d'autres solutions, que celles-ci ne pouvaient être mises en oeuvre, et que le fonctionnement du service ne pouvait en supporter les conséquences. Toutefois, c'est l'autorité administrative, et non le juge, qui est en capacité d'apprécier les besoins du service. Ce dernier lui laissera donc une large marge d'appréciation. Ce qui est demandé à l'employeur, c'est d'avoir initié sérieusement une réflexion, d'avoir étudié les alternatives possibles avant d'aboutir à sa décision. Dès lors que les paramètres pertinents ont bien été pris en considération, c'est à lui qu'appartient, in fine, la décision.

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Pénal

[Jurisprudence] Quand les destructions, dégradations ou détériorations dangereuses pour les personnes masquent une question de responsabilité pénale des personnes morales

Réf. : Cass. crim., 22 février 2011, n° 10-87.676, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7434GZD)

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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 24 Mars 2011

L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 février 2011 est digne d'intérêt non seulement pour ce qu'il dit mais encore, et peut-être surtout, pour ce qu'il ne dit pas. Concernant l'explicite, la Haute juridiction s'attache à préciser les éléments constitutifs de l'infraction de destruction involontaire par l'effet d'un incendie provoqué par un manquement à une obligation de sécurité et de prudence, prévue à l'article 322-5, alinéa 1er, du Code pénal (N° Lexbase : L3762HGG), spécialement le lien de causalité entre le manquement à l'obligation de sécurité et les destructions réalisées. Concernant le non-dit, cet arrêt pourrait venir apporter sa pierre à l'édifice, encore en construction, de l'imputation directe de la responsabilité pénale aux personnes morales, sans passer par le truchement de leurs organes ou représentants. Dans cette espèce, un incendie s'était déclaré dans l'entrepôt de stockage d'archives d'une société commerciale, détruisant l'ensemble du site à l'exception des locaux administratifs. Selon les conclusions d'une expertise, l'incendie serait dû à l'échauffement d'un matériel électrique, la combustion des isolants ayant ensuite propagé le feu. Mais si les experts ont pu relever le manquement à certaines dispositions réglementaires du Code du travail, la cause précise du déclenchement de l'incendie n'a pu, en revanche, être déterminée avec certitude. Mise en examen du chef de destruction involontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'un incendie provoqué par un manquement à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, délit prévu par l'article 322-5, alinéa 1er, du Code pénal, la société commerciale a demandé l'annulation de cet acte d'instruction en soutenant qu'il n'existait à son encontre aucun indice grave ou concordant de sa participation à l'infraction.

Pour faire droit à cette demande, l'arrêt de la chambre de l'instruction retient qu'il ne résulte pas de la procédure qu'un manquement à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement soit à l'origine de l'incendie. Le manquement aux obligations posées par le Code du travail et la circulaire du 4 février 1987, relative aux entrepôts couverts, a certes pu jouer un rôle dans la propagation de l'incendie et l'importance des destructions réalisées, mais il n'a pas de lien direct avec le déclenchement de cet incendie, de sorte que la mise en examen était injustifiée. Cette décision est contestée par les parties civiles qui font valoir, dans leur pourvoi, que le délit prévu à l'article 322-5, alinéa 1er, punit la destruction involontaire d'un bien par l'effet d'un incendie provoqué par un manquement à une obligation de sécurité, quand bien même ce manquement aurait seulement permis la propagation de l'incendie et non sa naissance.

Cet argumentaire est suivi par la Haute juridiction au motif qu'en décidant d'annuler la mise en examen, alors qu'elle avait relevé que des manquements à des obligations réglementaires de sécurité et de prudence pouvaient avoir effectivement contribué aux destructions résultant de la propagation de l'incendie, la chambre de l'instruction n'avait pas justifié sa décision. La Haute juridiction s'attache ainsi à préciser les éléments constitutifs de l'infraction de destruction involontaire par l'effet d'un incendie provoqué par un manquement à une obligation de sécurité et de prudence, spécialement le lien de causalité entre le manquement à l'obligation de sécurité et les destructions réalisées (I). Mais au-delà de cette solution explicite, l'arrêt est également important par le non-dit qu'il contient, en ce qu'il paraît souscrire à l'évolution contemporaine de la responsabilité pénale des personnes morales qui tend à imputer directement la responsabilité à celles-ci, sans passer par leur organe ou représentant (II).

I. Les destructions involontaires par manquement à une obligation de sécurité

En censurant la décision de la chambre de l'instruction ayant annulé la mise en examen alors qu'elle avait par ailleurs relevé que des manquements à des obligations de sécurité pouvaient avoir effectivement contribué aux destructions, la Haute juridiction invite à s'interroger non seulement sur l'existence d'un manquement à une obligation de sécurité (A) mais encore -et c'est là l'apport principal de l'arrêt- sur l'exigence d'un lien de causalité entre ce manquement et les destructions (B).

A. Le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence

En l'espèce, il était établi que la société commerciale poursuivie n'avait respecté ni les obligations de sécurité contenues dans le Code de travail, ni celles prévues dans la circulaire du 4 février 1987, obligations qui avaient pu jouer un rôle causal dans la propagation de l'incendie et l'importance des destructions constatées. Or, l'ensemble des conditions tenant au manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement tel que prévu par l'article 322-5 du Code pénal était ici réuni.

Quant à son objet d'abord, l'obligation violée peut, à défaut de précision de l'article 322-5 du Code pénal, consister soit en une obligation de ne pas faire, soit en une obligation de faire, ce qui a des conséquences sur la nature du comportement incriminé. En visant le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, la loi a en effet visé un résultat et non un comportement, lequel peut dès lors consister en une action ou, comme en l'espèce, en une abstention toutes les fois que l'obligation impose une obligation de faire. En outre, l'obligation violée doit nécessairement porter sur la prudence ou la sécurité et doit donc viser la préservation de l'intégrité physique d'autrui, ce qui était bien le cas ici. On remarquera toutefois que l'article 322-5 se contente d'exiger le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité là où, parfois, la loi exige une obligation "particulière" de sécurité, comme dans le cadre du délit de mise en danger d'autrui (1). Mais ce n'est pas à dire pour autant que tout manquement à une obligation de prudence ou de sécurité puisse être réprimé.

Quant à sa source, ensuite, l'obligation doit en effet être imposée par la loi ou le règlement, ces deux termes devant être entendus dans leur sens constitutionnel : tandis que la loi désigne le texte voté par le Parlement, le règlement doit être compris comme un acte à caractère général et impersonnel adopté par les autorités administratives compétentes, ce qui était le cas ici tant en ce qui concerne les obligations de sécurité imposées par le Code du travail que celles imposées par la circulaire du 4 février 1987. A peine de cassation, les juges du fond doivent donc nécessairement préciser la source et la nature de cette obligation, ainsi que l'a récemment rappelé la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt récent (2). Cette exigence, à laquelle s'était conformée en l'espèce la chambre de l'instruction, est pleinement justifiée au regard du principe de la légalité criminelle car, à défaut d'identification de l'obligation violée, le délit permettrait de sanctionner ce qui n'est autre qu'une simple négligence, au mépris du texte d'incrimination qui exige une faute d'imprudence spécifique.

Car si le texte incrimine assurément une imprudence, toute faute d'imprudence n'est pas pour autant sanctionnée. Alors que les infractions d'homicide involontaire et d'atteintes involontaires à l'intégrité physique (3) définissent la faute non intentionnelle comme étant celle résultant d'une "maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement", l'article 322-5, alinéa 1er, vise, en effet, pour sa part le seul "manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement". C'est dire que l'infraction de destruction, dégradation involontaire ne peut se commettre que par cette faute d'imprudence particulière : une simple négligence ou une simple faute d'inattention, qui ne constituerait pas dans le même temps un manquement à une obligation légale ou réglementaire, ne saurait caractériser l'élément moral de cette infraction.

Mais l'apport essentiel de la décision est ailleurs, dans l'analyse du lien de causalité entre le manquement à l'obligation de sécurité et les destructions réalisées.

B. Le lien de causalité entre le manquement à l'obligation de sécurité et les destructions

Dès lors que l'article 322-5 du Code pénal incrimine la destruction involontaire d'un bien "par l'effet d'une explosion ou d'un incendie provoqués par manquement à une obligation de sécurité", il est certain que les juges doivent caractériser un lien de causalité entre le manquement à l'obligation de sécurité et les destructions réalisées. Toutefois, en l'espèce, deux interprétations s'opposaient quant à la teneur de la causalité ainsi exigée. Selon le pourvoi, il suffirait que le manquement aux obligations de sécurité ait effectivement contribué de quelque manière que ce soit aux destructions. En d'autres termes, la causalité serait établie par le seul constat que ce manquement a permis la propagation de l'incendie ayant provoqué la destruction, même si ce manquement n'a pas provoqué la naissance de l'incendie. Au contraire, selon la chambre de l'instruction, il faudrait que le manquement à l'obligation de sécurité soit à l'origine même de l'incendie. Or, en l'espèce, les manquements constatés avaient seulement favorisé la propagation de l'incendie et ne l'avaient pas à proprement parler déclenché, de sorte que le non-respect des obligations de sécurité n'avait pas de lien direct avec le déclenchement involontaire de cet incendie.

Entre ces deux interprétations, la Cour de cassation a fait prévaloir la première en censurant la décision de la chambre de l'instruction ayant annulé la mise en examen alors qu'elle avait relevé que des manquements à des obligations réglementaires de sécurité et de prudence "pouvaient avoir effectivement contribué aux destructions résultant de la propagation de l'incendie". Pour caractériser l'exigence de causalité, il suffirait donc que les manquements aient joué un rôle quelconque dans les destructions constatées, peu important que ces manquements aient déclenché le feu ou ait simplement contribué à le propager.

Dans un premier mouvement, une telle solution pourrait être contestée au regard de la lettre de l'article 322-5 du Code pénal qui vise "la destruction, la dégradation ou la détérioration involontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'une explosion ou d'un incendie provoqués par manquement à une obligation de sécurité". En effet, dès lors que le terme "provoqués" est employé au pluriel, il renvoie à l'explosion et à l'incendie, et non aux destruction, dégradation ou détérioration qui sont des mots féminins, de sorte que le manquement à l'obligation de sécurité devrait avoir provoqué directement l'incendie, c'est-à-dire lui avoir donné naissance. Mais d'un autre côté, la solution peut se comprendre car, en visant la destruction par l'effet d'un incendie, le législateur n'a opéré aucune distinction, comme la loi le faisait autrefois, selon que l'incendie de la chose détruite a été direct ou réalisé par communication. La loi a ainsi entendu retenir une acception large de la notion d'incendie, permettant d'englober tant l'incendie direct que l'incendie réalisé par communication, peu important à cet égard que le manquement ait seulement contribué à la communication d'incendie ayant provoqué les destructions. Seul importerait en définitive, pour la constitution de l'infraction, le fait que l'incendie ait eu pour effet d'endommager le bien d'autrui.

La solution pourrait en revanche surprendre à un autre égard dans la mesure où le texte incrimine la destruction ou la dégradation involontaire d'un "bien appartenant à autrui" par l'effet d'un incendie. En l'espèce, en effet, l'incendie a détruit l'ensemble du site d'exploitation dont on peut présumer qu'il appartenait à la société commerciale poursuivie. Or, si tel était le cas, l'exigence d'appartenance du bien détruit à autrui ferait défaut, de sorte que l'article 322-5 du Code pénal ne serait pas applicable en l'espèce. La chambre de l'instruction aurait ainsi sans doute été plus inspirée en se fondant sur cet élément pour annuler la mise en examen. Toutefois, on ne boudera pas notre plaisir car si cette "omission" a été l'occasion pour la Haute juridiction de se prononcer sur l'importante question de la causalité en la matière, cette décision pourrait encore intéresser la responsabilité pénale des personnes morales.

II. La responsabilité pénale des personnes morales

En recherchant en l'espèce la responsabilité de la société commerciale en qualité de personne morale sans aucunement chercher à identifier l'organe ou le représentant ayant agi pour son compte, cet arrêt pourrait venir apporter sa pierre à l'édifice, encore en construction, de l'imputation directe de la responsabilité pénale aux personnes morales. Selon l'article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY), la responsabilité pénale des personnes morales suppose que les infractions aient été commises pour le compte de la personne morale, par ses organes ou ses représentants. Par delà les controverses quant à la détermination de ces qualités (4), la doctrine s'accorde à considérer que les organes et représentants de la personne morale sont ceux qui sont investis, en vertu des statuts ou de l'acte fondateur, du pouvoir de représenter et d'engager la personne morale, spécialement son patrimoine, à l'égard des tiers.

Or, une évolution jurisprudentielle majeure a pu à cet égard être constatée ces dernières années, dans laquelle cet arrêt semble pouvoir être inséré. Pendant longtemps, la jurisprudence a exigé que l'infraction imputée à la personne morale soit caractérisée en la personne de ses organes ou représentants, lesquels devaient dès lors nécessairement être identifiés (5). Mais, faisant fi de cette exigence d'identification, la Haute juridiction pose désormais une présomption d'imputation de l'infraction à la personne morale lorsque "l'infraction n'a pu être commise, pour le compte de la personne morale, que par ses organes ou représentant" (6). D'abord limité aux infractions d'imprudence, le domaine de cette présomption a ensuite été étendu aux infractions intentionnelles. Ainsi, la Chambre criminelle a pu juger, à propos de l'imputation de l'infraction de faux, que "les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables dès lors que les infractions s'inscrivent dans le cadre de la politique commerciale des sociétés et ne peuvent avoir été commises, pour le compte de celles-ci, que par leur organes ou représentants" (7). En d'autres termes, dès lors que l'infraction a été réalisée dans le cadre de l'activité de l'entreprise, elle ne peut avoir été commise que par un organe ou un représentant de la personne morale, pour le compte de cette dernière. Désormais, "la question n'est [donc] pas tant de savoir qui a agi au sein de la personne morale que de savoir si l'acte rentre bien dans son objet social" (8).

Outre ces solutions explicites, on peut encore relever certains arrêts des juridictions du fond qui ne prennent même plus le soin de passer par la présomption d'imputation de responsabilité à la personne morale, l'infraction étant alors imputée directement à la personne morale sans référence aucune à l'organe ou au représentant, sans que ces décisions soient pour autant censurées par la Cour de cassation (9). Or, le présent arrêt se situe parfaitement dans ce sillage car la question de la responsabilité pénale de la personne morale est envisagée sans qu'à aucun moment il ne soit fait référence à l'organe ou au représentant ayant agi pour son compte. Sans doute la question des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales n'était-elle pas directement posée à la Cour de cassation en l'espèce. Mais il n'en demeure pas moins que la Haute juridiction ne s'émeut nullement en l'espèce de l'absence totale de référence à l'organe ou au représentant, comme si l'exigence d'une infraction commise par un organe ou représentant avait purement et simplement disparu des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales.

Certaines décisions jurisprudentielles sont même allées plus loin dans ce mouvement, en se contentant de viser une défaillance manifeste du service ou une désorganisation de l'entreprise (10), imputant directement de la sorte la faute à la personne morale. De la même manière qu'en matière de responsabilité administrative, un défaut d'organisation et de fonctionnement du service est suffisant pour engager la responsabilité administrative des personnes morales, tout se passe, alors, comme si c'était la personne morale elle-même qui commettait la faute et l'infraction. On glisserait ainsi d'un système de responsabilité pénale indirecte, supposant l'établissement préalable d'une faute en la personne du représentant, à un système de responsabilité directe des personnes morales, supposant simplement que l'infraction ait été commise dans le cadre de son activité.

On notera, pour finir, que cette construction jurisprudentielle, qui a pour effet de supprimer purement et simplement l'une des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales, a été l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a toutefois refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel au motif que l'inconstitutionnalité soulevée concernait, non la loi pénale elle-même, mais l'interprétation qu'en donnait la jurisprudence (11). La question pourrait cependant rebondir car la Conseil constitutionnel a récemment décidé, dans une décision du 6 octobre 2010, que le justiciable peut contester non seulement la constitutionnalité de la loi mais encore l'interprétation jurisprudentielle qui en est faite (12). Il y a donc fort à parier que le Conseil soit amené dans un futur proche à statuer sur la conformité de cette construction jurisprudentielle au bloc de constitutionalité.


(1) C. pén., art. 223-1 (N° Lexbase : L2214AMX).
(2) Cass. crim. 12 janvier 2010, n° 09-81.936 (N° Lexbase : A7898ERX), DP, 2010, comm. 44, obs. M. Véron ; AJ pénal, 2010, p. 239, obs. J. Lasserre Capdeville. Adde, Cass. crim., 3 novembre 2004, n° 04-80.011 (N° Lexbase : A7682HEA).
(3) C. pén., art. 221-6 (N° Lexbase : L5526AII) et art. 222-19 (N° Lexbase : L2054AMZ) et s..
(4) Pour l'exposé de ces controverses, v. J.-H. Robert, Droit pénal général, PUF, 6ème éd., 2006, p. 379 et s..
(5) Cass. crim., 2 décembre 1997, n° 96-85.484 (N° Lexbase : A1341ACN), JCP éd. G, 1998, II, 10023, Rapport F. Desportes (infraction intentionnelle) ; Cass. crim., 18 janvier 2000, n° 99-80.318 (N° Lexbase : A3244AUP), D., 2000, J. 636, note J.-C. Saint-Pau (infraction d'imprudence).
(6) Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-85.255, F-P+F+I (N° Lexbase : A3845DQH), JCP éd. G, 2006, II, 10199, note E. Dreyer ; D., 2007, J. 617, note J.-C. Saint-Pau ; Cass. crim., 26 juin 2007, n° 06-84.821 (N° Lexbase : A7685HED), DP, 2007, comm. 135, obs. M. Véron ; Cass. crim. 15 janvier 2008, n° 07-80.800 (N° Lexbase : A7369D4P), DP, 2008, comm. 71, obs. M. Véron.
(7) Cass. crim., 25 juin 2008, n° 07-80.261 (N° Lexbase : A1152EAW), Bull. crim., n° 167, Revue Sociétés, 2008, p. 873, note crit. H. Matsopoulou.
(8) E. Dreyer, note précitée.
(9) V., par exemple, Cass. crim., 1er décembre 2009, n° 09-82.140, F-D (N° Lexbase : A2211EQX), D., 2010, p. 1663, obs. C. Mascala.
(10) V., notamment, Cass. crim., 9 mars 2010, n° 09-82.823, F-D (N° Lexbase : A7799EWR), D., 2010, p. 2135, note J.-Y. Maréchal.
(11) Cass. QPC, 11 juin 2010, n° 09-87.884 (N° Lexbase : A0820EZE), D., 2010, p. 1712.
(12) Cons. const., 6 octobre 2010, n° 2010-39 QPC (N° Lexbase : A9923GAR), D., 2010, p. 2744, note F. Chénedé.

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] La Cour de cassation assimile les ruptures conventionnelles à des licenciements pour motif économique

Réf. : Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3242G79)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 27 Mars 2011

La Cour de cassation vient de résoudre une série de questions que les avocats, conseils de prud'hommes, tribunaux de grande instance et directeurs de ressources humaines se sont posées depuis la mise en place des ruptures conventionnelles en 2008. Dès lors qu'une entreprise, confrontée à des difficultés économiques, met en place un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), et, parallèlement, conclut avec certains de ses salariés des ruptures conventionnelles, ces ruptures conventionnelles doivent-elles être assimilées à des licenciements pour motif économique, et, à ce titre, être prises en compte pour le déclenchement d'un PSE ? Si des salariés ont conclu des ruptures conventionnelles, le comité d'entreprise et/ou les syndicats sont-ils habilités à demander leur rupture devant les juges ? Enfin, lorsque le PSE est mis en place dans le cadre d'une unité économique et sociale (UES), le cadre d'appréciation sera-t-il l'entreprise ou l'UES ? Il faut noter, au passage, que de manière paradoxale et contradictoire, la rupture conventionnelle a été mise en place par les partenaires sociaux comme instrument simple et déjudiciarisé (contrairement au licenciement pour motif économique, source d'insécurités juridiques pour cause de contentieux abondant et risques judiciaires) (1) et s'est avérée, au final, source de contentieux et d'une certaine manière, d'insécurité.
A toutes ces questions, la Cour de cassation apporte des éléments de réponse, qui d'ailleurs ne sont pas des surprises, alors même que l'arrêt est élevé au rang d'arrêt de principe par son sigle "FS-P+B+R+I" (2). La Cour de cassation assimile donc ruptures conventionnelles pour motif économique et licenciements pour motif économique, mais ne va pas jusqu'à dénier l'originalité et le particularisme des ruptures conventionnelles, dont le régime juridique reste autonome (I). La Cour consacre l'UES comme cadre d'appréciation pertinent dans la mise en place d'un PSE, dans la mesure où la décision de licencier a été prise au niveau de cette unité (II).
Résumé

Si les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un PSE s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une UES, la décision de licencier a été prise au niveau de cette unité. Dès lors que les sociétés formant l'UES se concertent pour envisager simultanément une série de licenciements économiques relevant d'un même plan de restructuration et dont le nombre est d'au moins dix, l'établissement d'un PSE résulte alors d'une obligation légale.

Le CE et les syndicats ne sont pas recevables, faute de qualité, à demander l'annulation de conventions de ruptures auxquelles ils n'étaient pas partie, une telle action ne pouvant être exercée que par les salariés concernés.

Lorsqu'elles ont une cause économique et s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l'une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l'employeur en matière de PSE.

I - Cadre d'appréciation de la mise en place d'un PSE : l'UES, un cadre pertinent

En l'espèce, en décembre 2008, le licenciement pour motif économique de neuf salariés est intervenu au sein de la société NDB, suivi dans diverses sociétés de l'UES d'un nombre important de départs volontaires (notamment sous forme de ruptures conventionnelles) dans un contexte de suppression d'emplois due à une baisse d'activité, les employeurs souhaitant utiliser les ruptures conventionnelles plutôt que le plan de sauvegarde de l'emploi.

Puis, entre le 30 novembre 2008 et le 13 mars 2009, une UES des sociétés Norbert Dentressangle dotée d'un comité d'entreprise a réduit ses effectifs de cinq cents soixante dix-sept à cinq cents trente salariés, en ayant recours, à l'exception de neuf licenciements pour motif économique, à des ruptures conventionnelles. Ces réductions s'avérant insuffisantes, les sociétés de l'UES ont accepté "de se soumettre volontairement" à l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi commun présenté au comité central d'entreprise en mai 2009, portant sur dix-huit licenciements économiques tout en continuant de recourir à des ruptures conventionnelles.

A - L'entreprise, cadre naturel d'appréciation des conditions d'effectif et du nombre des licenciements

Depuis 2003, la Cour de cassation considère que l'entreprise doit être le cadre d'appréciation du seuil de déclenchement du plan de sauvegarde de l'emploi, et non le groupe (3). Il faut tenir compte des seuls effectifs de l'entreprise dans laquelle est revendiquée la mise en oeuvre du plan social (4).

L'administration du travail est intervenue dans le débat. Le décompte des salariés concernés se fait selon le critère du pouvoir du chef d'établissement : si un établissement disposant d'une grande autonomie projette de réaliser des licenciements pour des motifs économiques propres à son établissement, n'excédant pas les pouvoirs du chef d'établissement, le nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre dans cet établissement ; si des établissements distincts réalisent simultanément des licenciements pour un même motif économique dans le cadre d'un plan de restructuration dont les modalités excèdent les pouvoirs des chefs d'établissement, le nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre au niveau global de l'entreprise ; si un licenciement collectif pour un même motif est envisagé au niveau général de l'entreprise et affecte des entités ou des structures différentes de l'entreprise, le nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre au niveau de l'entreprise (5).

De même, les membres d'un groupement d'intérêt économique (GIE), constituant une unité économique et sociale, ne doivent être nécessairement être considérés comme formant une seule entreprise. Pour la vérification des conditions déterminant l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi, les juges du fond doivent rechercher si l'ensemble des personnes morales composant ce groupement avait la qualité d'employeur (6).

Enfin, la détermination du cadre d'appréciation des licenciements économiques collectifs, susceptibles de déclencher la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, présente des difficultés particulières, lorsque l'entreprise est un groupe, constitué de filiales situées en France et hors du territoire national. La Cour de cassation s'est prononcée sur ce point en 2008 (7) : en vertu du principe de la territorialité de la loi française, seuls les salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France bénéficient des lois françaises en droit du travail, en sorte que l'effectif à prendre en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi devait être mis en place est constitué par les seuls salariés relevant des établissements de la société situés en France (8).

B - L'UES, cadre pertinent d'appréciation des conditions d'effectif et du nombre des licenciements

Pour la Cour de cassation (9), lorsqu'une entreprise est constituée de plusieurs établissements distincts, le critère du nombre de salariés licenciés dans une même période de trente jours ne doit pas s'appliquer distinctement à chaque établissement, mais au niveau de l'entreprise, en raison de la restructuration générale de ses activités et de ses services. La solution a été réaffirmée par un arrêt du 28 janvier 2009, par lequel la Cour a confirmé que c'est au niveau de l'entreprise qu'il dirige que doivent être vérifiées les conditions d'effectif et de nombre des licenciements imposant l'établissement et la mise en oeuvre d'un tel plan (10).

En l'espèce, l'employeur (les sociétés formant l'unité économique et sociale Norbert Dentressangle Vrac) ont reproché aux juges du fond de déclarer recevable et bien fondée l'action des syndicats et du comité d'entreprise en nullité du plan de sauvegarde de l'emploi qu'elles ont élaboré. En effet, l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi pèse sur l'employeur en sorte que c'est au niveau de l'entreprise qu'il dirige que doivent être vérifiées les conditions d'effectif et le nombre des licenciements qui imposent l'établissement et la mise en oeuvre d'un tel plan. Or, les juges du fond ont retenu qu'il résultait de la démarche conventionnelle des sociétés composant l'UES qu'elles s'étaient "soumises volontairement à l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi commun" de sorte qu'elles devaient être considérées comme une seule et même entreprise au regard des obligations imposées par l'article L. 1233-61 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L1236H9N).

La Cour de cassation rejette les prétentions de l'employeur, sans surprise. Si les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette unité. Or, la cour d'appel a constaté que les sociétés formant l'unité économique et sociale s'étaient concertées pour envisager simultanément une série de licenciements économiques relevant d'un même plan de restructuration et dont le nombre était d'au moins dix. Aussi, l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi résultait d'une obligation légale.

La solution est conforme à la jurisprudence de la Cour, qui a ainsi jugé, en 2010 (11), que si les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES. En l'espèce, la cour d'appel a constaté que les projets de licenciements économiques soumis au comité d'entreprise de l'UES ont été décidés au niveau de "la direction commune" aux sociétés composant l'unité économique et sociale. Aussi, les conditions imposant l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi devait être vérifiées dans l'ensemble de l'UES.

II - Assimilation de la rupture conventionnelle au licenciement pour motif économique : principe, limites

En l'espèce, le comité central d'entreprise a refusé de donner un avis et a saisi le tribunal de grande instance afin d'obtenir l'annulation de la procédure d'information et de consultation, celle du plan de sauvegarde de l'emploi et celle des ruptures conventionnelles (en faisant valoir que ces dernières, qui avaient eu une cause économique, devaient être intégrées dans la procédure de licenciement) ainsi que des dommages-intérêts. Le tribunal de grande instance a rejeté cette argumentation et la cour d'appel a confirmé, n'annulant le plan de sauvegarde que parce qu'elle le jugeait insuffisant mais déboutant le comité d'entreprise de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l'irrégularité dénoncée. Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation casse l'arrêt des juges du fond, pour lesquels la procédure d'information et de consultation du comité central d'entreprise de l'UES Norbert Dentressangle Vrac limitée au projet concernant dix-huit licenciements pour motif économique a été régulière et a débouté en conséquence le comité et les syndicats de leurs demandes de dommages intérêts.

A - Assimilation de la rupture conventionnelle au licenciement pour motif économique

L'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 (art. 12) a mis en place un mode de rupture du contrat de travail, exclusif de la démission et du licenciement, qui ne peut être imposé de façon unilatérale par l'une ou l'autre des parties, qualifié de "rupture conventionnelle" (12). Le législateur a consacré cette mesure (loi n° 2008 596 du 25 juin 2008 N° Lexbase : L4999H7B ; C. trav., art. L. 1237-11 N° Lexbase : L8512IAI à L. 1237-16 N° Lexbase : L8479IAB) (13).

Mais, ni le législateur, ni les partenaires sociaux, n'ont donné d'indications sur les conséquences juridiques attachées à une pluralité de ruptures conventionnelles qui pourraient, si elles atteignent un certain seuil (dix salariés), déclencher l'obligation de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi et d'une procédure de licenciement économique collectif spécifique (14). L'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 (art. 12) précise seulement que la rupture conventionnelle n'a pas à porter atteinte aux procédures de licenciement collectif pour cause économique engagées par l'entreprise.

En l'espèce, sous le visa de l'article L. 1233-3, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) (15), de l'article 12 de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, relatif à la modernisation du marché du travail, et, enfin, de la Directive 98/59 du Conseil du 20 juillet 1998 (N° Lexbase : L9997AUS), la Cour de cassation tranche la difficulté juridique née de la multiplication des ruptures conventionnelles dans une entreprise, pouvant dès lors être prises en compte au titre du seuil de déclenchement du PSE, que, ni le législateur, ni les partenaires sociaux, n'ont pu [voulu] résoudre.

La Cour de cassation répond clairement à ce point : lorsqu'elles ont une cause économique et s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l'une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l'employeur en matière de plan de sauvegarde de l'emploi. Or, en l'espèce, les juges du fond avaient débouté le comité et les syndicats de leur demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement limitée au seul projet de dix-huit licenciements économiques proprement dits, parce que les ruptures conventionnelles résultant d'un motif économique échappent légalement au droit du licenciement économique. Pourtant, la cour d'appel avait, en même temps, constaté que de nombreuses ruptures conventionnelles résultant d'une cause économique étaient intervenues dans un contexte de suppressions d'emplois dues à des difficultés économiques et qu'elles s'inscrivaient dans un projet global et concerté de réduction des effectifs au sein de l'unité économique et sociale.

La solution ne s'impose pas en elle-même, faute d'indications claires du législateur ou des partenaires sociaux.

Le législateur a bien précisé que la rupture conventionnelle est exclusive du licenciement ou de la démission (C. trav., art. L. 1237-11, al. 2 N° Lexbase : L8512IAI). En outre, il a expressément écarté la rupture conventionnelle dans deux hypothèses. La section III du Code du travail (art. L. 1237-11 à L. 1237-16) n'est pas applicable aux ruptures de contrats de travail résultant : des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les conditions (définies par l'article L. 2242-15 N° Lexbase : L2393H9I) ; des plans de sauvegarde de l'emploi dans les conditions définies par l'article L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N). Il faut comprendre, de l'article L. 1237-16 du Code du travail que l'employeur peut inclure, dans un PSE, différents instruments de reclassement ; à l'issue du PSE, il peut être amené à rompre les contrats de travail : si tel est le cas, les ruptures du contrat de travail resteront des licenciements pour motif économique, et ne pourront en aucun cas être qualifiés de rupture conventionnelle (et encore moins, en emprunter le régime).

De même, les partenaires sociaux n'ont pas été très explicites, puisqu'ils ont simplement indiqué (art. 12) que "sans remettre en cause les modalités de rupture existantes du CDI ni porter atteinte aux procédures de licenciements collectifs pour cause économique engagées par l'entreprise, il convient, par la mise en place d'un cadre collectif, de sécuriser les conditions dans lesquelles l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie". Encore dans cet article 12 de l'ANI du 11 janvier 2008, il est précisé que "ce mode de rupture [est] exclusif de la démission et du licenciement".

L'arrêt doit être approuvé, en ce que la solution est cohérente avec la jurisprudence définie par la Cour de cassation, qui entend de manière extensive la notion de "licenciement économique", telle qu'elle déclenche, à partir d'un certain seuil (dix licenciements) l'obligation de mettre en place un PSE :

- les préretraites, mises en oeuvre en raison de difficultés économiques. Elles doivent être prises en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi est obligatoire (16) ;

- les modifications d'un élément essentiel du contrat de travail, refusées par les salariés (C. trav., art. L. 1233-25 N° Lexbase : L1152H9K et jurisprudence antérieure à la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) (17) ;

- depuis l'arrêt rapporté, les ruptures conventionnelles.

La solution est également en ligne avec la doctrine administrative, selon laquelle la rupture conventionnelle ne doit pas conduire à contourner les règles du licenciement collectif pour motif économique "et donc de priver, de ce fait, les salariés des garanties attachées aux accords de GPEC et aux PSE. En effet, les ruptures de contrat résultant des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et des plans de sauvegarde de l'emploi ne peuvent revêtir la forme de ruptures conventionnelles" (Instruction DGT n° 02 du 23 mars 2010). En ce sens, dans le cadre de ses prérogatives (homologation des ruptures conventionnelles), l'administration du travail était invitée, dès lors que le recours à la rupture conventionnelle concerne un nombre important de salariés et que cela a pour effet de priver ces salariés du bénéfice des garanties attachées aux licenciements collectifs, à vérifier l'existence ou non d'un contournement des procédures de licenciement collectif justifiant un refus d'homologation de la rupture conventionnelle (18).

Enfin, la solution retenue par la Cour de cassation s'inscrit bien dans la logique des textes européens, dans la mesure où la Directive 98/59 du 20 juillet 1998 entend de manière extensive la notion de licenciement. Pour le calcul du nombre de licenciements, sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues l'initiative de l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq (art. 1-b). La Cour de justice de l'Union européenne a, elle-même, élaboré une jurisprudence extensive sur la notion licenciement (19).

Reste que si l'arrêt rapporté résout certaines difficultés liées à une pratique de masse de ruptures conventionnelles par certains employeurs (remise en cause par cette jurisprudence de la Cour de cassation, donc), il en génère d'autres. Ainsi, la Cour de cassation retient comme solution que lorsqu'elles ont une cause économique et s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l'une des modalités, les ruptures conventionnelles sont assimilées à un licenciement économiques collectif (elles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l'employeur en matière de plan de sauvegarde de l'emploi). Comme il a été justement avancé (20), comment définir le critère économique de la rupture conventionnelle, alors que précisément, la rupture conventionnelle n'est pas régie par cette exigence de motif économique ?

B - Mais cette assimilation n'implique pas la perte d'autonomie de la rupture conventionnelle, soumise à un régime propre

La Cour de cassation note elle-même que "l'intégration des ruptures conventionnelles dans la procédure de licenciement économique ne remet cependant pas en cause leur qualification et leur régime juridiques propres non plus qu'elle n'affecte, en soi, leur validité" (21). La Cour en tire toutes les conséquences, notamment contentieuses. Elle confirme la décision de la cour d'appel, laquelle a retenu à bon droit, que le comité d'entreprise et les syndicats n'étaient pas recevables, faute de qualité, à demander l'annulation de conventions de ruptures auxquelles ils n'étaient pas parties, une telle action ne pouvant être exercée que par les salariés concernés.

Pourtant, le comité d'entreprise et les syndicats avançaient le point de vue contraire. Ils font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes tendant à juger que le recours à des ruptures conventionnelles s'analyse en un plan de réorganisation comportant des réductions d'effectifs s'inscrivant donc dans la procédure de licenciement collectif pour motif économique et, en conséquence, à juger ces ruptures entachées de fraude et, partant, nulles et de nul effet. En effet, le litige portant sur l'application des règles du licenciement collectif pour motif économique, en particulier l'application des règles relatives au plan de sauvegarde de l'emploi, et non sur la régularité intrinsèque de chacune des conventions de rupture conclues entre l'employeur et des salariés, le comité central d'entreprise, garant des droits attachés à la procédure collective de licenciement pour motif économique et les syndicats, garants de l'intérêt collectif de la profession, étaient recevables à agir dans un tel litige relevant de la compétence de la juridiction de droit commun.


(1) Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, art. 12, Privilégier les solutions négociées à l'occasion des ruptures du contrat de travail : "La recherche de solutions négociées vise, pour les entreprises, à favoriser le recrutement et développer l'emploi tout en améliorant et garantissant les droits des salariés. Elle ne doit pas se traduire par une quelconque restriction de la capacité des salariés à faire valoir leurs droits en justice mais au contraire se concrétiser dans des dispositifs conçus pour minimiser les sources de contentieux [...]".
(2) Communiqué de la Cour de cassation ; J. Pélissier, Ruptures conventionnelles assujetties au droit du licenciement économique, SSL, 21 mars 2011, n° 1484, p. 7-10 ; F. Champeaux, Manoeuvre déjouée, éditorial, SSL, 21 mars 2011, n° 1484, p.2.
Au sein de la division transport du groupe Norbert Dentressangle, les sociétés Norbert Dentressangle Silo (ND Silo), Norbert Dentressangle Bennes (NDB) et Norbert Dentressangle Inter-Pulve (ND IP) forment une unité économique et sociale (l'UES Norbert Dentressangle Vrac).
Le comité central d'entreprise, consulté sur ce plan en mai 2009, a refusé de donner un avis et a saisi le tribunal de grande instance pour faire annuler le plan et les ruptures conventionnelles intervenues en faisant valoir que ces dernières, qui avaient eu une cause économique, devaient être intégrées dans la procédure de licenciement. Le tribunal a rejeté cette argumentation et la cour d'appel a confirmé, n'annulant le plan de sauvegarde que parce qu'elle le jugeait insuffisant mais déboutant le comité d'entreprise de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l'irrégularité dénoncée.
(3) Cass. soc. 26 février 2003, n° 01-41-030, F-P (N° Lexbase : A2923A7E), Bull. civ. V, n° 70, D., 2003, IR 738 ; Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-42.672, FS-P+B (N° Lexbase : A9017DCX), RJS, octobre 2004, n° 1015 ; Cass. soc., 28 janvier 2009, n° 07-45.481, FS-P+B (N° Lexbase : A9600ECK).
(4) Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-42.672, FS-P+B, préc., V. les obs. de S. Koleck-Desautel, Le calcul de l'effectif pour la mise en place d'un plan social, Lexbase Hebdo n° 129 du 14 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2334AB3). Pour annuler le licenciement de Mme D. au motif que son employeur, l'Office public départemental HLM de l'Ariège, n'avait pas établi de plan social alors que les dispositions de l'article L. 321-4-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8926G7Q) étaient applicables, l'arrêt retient que l'Office comptait plus de cinquante salariés entre octobre 1998 et janvier 1999, même en équivalent temps plein, en comptabilisant dans les effectifs les vingt-neuf salariés du GIE HLM de l'Ariège. Il n'y a lieu de tenir compte des seuls effectifs de l'entreprise dans laquelle est revendiquée la mise en oeuvre du plan social.
(5) Circulaire DGEFP-DRT-DSS n° 2002-1 du 5 mai 2002 (N° Lexbase : L6281A4E) ; Circulaire BOTEFP n° 2002-11 du 20 juin 2002.
(6) Cass. soc., 28 janvier 2009, n° 07-45.481, FS-P+B, préc., Bull. civ. V, n° 26, Dr. soc., 2009 p. 498, obs. J. Savatier; JCP éd. S, 2009, n° 1176, obs. F. Dumont.
(7) Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 07-42.862, F-P (N° Lexbase : A5032EAM), Bull. civ. V, n° 171, JCP éd. S, 2008, n° 1564, obs. J. Grangé et B. Allix ; V. les obs. de S. Tournaux, Conditions du plan de sauvegarde de l'emploi : le calcul de l'effectif dans une entreprise transnationale, Lexbase Hebdo n° 322 du 16 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4743BH7).
(8) On ne peut donc pas reprocher à une succursale française d'une société de droit italien (dont le siège est situé à Rome), le licenciement des vingt-huit salariés non accompagné de la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, car on ne peut pas prendre en compte, pour l'établissement de ce plan, la globalité de l'entreprise et l'ensemble de la communauté des salariés en dépendant, que ce soit en France ou à l'étranger et non les seules activités exercées sur le territoire français et les salariés affectés à celle-ci.
(9) Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-42.379, F-D (N° Lexbase : A7958BSK).
(10) Cass. soc., 28 janvier 2009, n° 07-45.481, préc. ; Dr. ouvrier, 2009, p. 313 et la chron. de P. Darvez-Bornoz, Notions d'unité économique et sociale et de comité d'entreprise-employeurs, p. 309.
(11) V. les obs. de G. Auzero, Les conditions de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi peuvent s'apprécier au niveau de l'unité économique et sociale, Lexbase Hebdo n° 421 du 16 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8358BQM).
(12) G. Auzero, L'accord du 23 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. L'ébauche d'une "flexisécurité" à la française, RDT, 2008, 152 ; G. Couturier, Les ruptures d'un commun accord, Dr. soc., 2008, p. 926 ; E. Dockes, Un accord donnant, donnant, donnant, donnant..., Dr. soc., 2008, 283 ; F. Favennec-héry, La rupture conventionnelle, mesure phare de l'accord, Dr. soc., 2008, 314 ; L'ANI sur la modernisation du marché du travail : un espoir ?, JCP éd. S, 2008, Actu. 85 ; X. Prétot, L'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative, Dr. soc., 2008, 316.
(13) S. Chassagnard-Pinet et P. Y. Verkindt, La rupture conventionnelle du contrat de travail, JCP éd. S, 2008, 1365 ; F. Favennec-Héry, Rupture conventionnelle du contrat de travail : quel domaine ?, SSL, 2008, n° 2360, p. 12 et s., F. Favennec-Héry et A. Mazeaud, La rupture conventionnelle du contrat de travail : premier bilan, JCP éd. S, 2009, n° 1314 ; B. Gauriau, L'exclusivité de la rupture conventionnelle, Dr. soc., 2008, p. 1065 ; S. Niel, Quelques aspects pratiques de la rupture conventionnelle, SSL, 2008, n° 2360, p. 8.
(14) F. Favennec-Héry, La rupture conventionnelle, mesure phare de l'accord, Dr. soc., 2008, 311, spéc. p. 313.
(15) Constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Les dispositions du chapitre (relatif au licenciement économique) sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle, résultant d'un motif économique.
(16) Cass. soc., 1er février 2011, n° 09-70.121, F-D (N° Lexbase : A3579GRY).
(17) V. les obs. de Ch. Radé, L'abandon de la jurisprudence "Framatome" et "Majorette", Lexbase Hebdo n° 152 du 26 janvier 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4503ABE).
(18) Selon l'instruction (préc.), peuvent être relevés comme des indices d'évitement d'un PSE une fréquence élevée de demandes d'homologation, comme les dépassements de seuils suivants : dix demandes, sur une même période de trente jours ; au moins une demande sur une période de trois mois, faisant suite à dix demandes s'étant échelonnées sur la période de trois mois immédiatement antérieure ; une demande au cours des trois premiers mois de l'année faisant suite à plus de dix-huit demandes au cours de l'année civile précédente. La combinaison de ces demandes avec des licenciements pour motif économique aboutissant aux dépassements des mêmes seuils peut également constituer un indice. L'appréciation du contexte peut ressortir de documents de l'entreprise faisant état de difficultés économiques et se trouvant en possession des services de contrôle (comptes rendus de réunions du comité d'entreprise, expertises économiques, extraits du registre des délégués du personnel, demandes d'indemnisation au titre du chômage partiel, demandes d'autorisation de licenciement de salariés protégés, etc.).
(19) CJUE, 12 octobre 2004, aff. C-55/02 (N° Lexbase : A5657DDU), Recueil 2004 p.I-09387 ; CJUE, 7 septembre 2006, aff. C-187/05 (N° Lexbase : A9483DQB), P. Coursier, Une fermeture spontanée d'établissement constitue un cas de licenciement pour motif économique, JCP éd. S, 2006, nº 1921 p.23-24 ; E. Lafuma, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2007, p.17-19. Bibliographie : F. Duquesne, "Normes sociales européennes et restructurations" dans Les normes sociales européennes, éd. Panthéon-Assas, 2000, p. 97 ; S. Henion-Moreau, M. Le barbier le bris et M. Del sol, Droit social européen et international, PUF 2010, coll. Thémis, p. 443 ; F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen du travail, Groupe revue fiduciaire, 2010, p. 290 ; J.-P. Lhernould, Le droit européen des restructurations, un droit en zigzag ?, Dr. soc., 2008, p. 1265 ; Mémento pratique F. Lefebvre, Union européenne 2010/2011 -juridique, fiscal, social-, novembre 2009, n° 18360 à 18460 ; P. Rodière, Traité de droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2008, n° 268-269, 292, 342 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, coll. Manuel, 3ème éd. 2010, spéc. n° 615-616.
(20) J. Pélissier, art. préc., spéc. p. 9.
(21) V. Communiqué de la Cour de cassation, préc..

Décision

Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3242G79)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1233-3, al. 2 (N° Lexbase : L8772IA7) ; article 12 de l'accord national interprofessionnel étendu du 11 janvier 2008, relatif à la modernisation du marché du travail ; Directive 98/59 du Conseil du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs (N° Lexbase : L9997AUS)

Mots-clés : UES, mise en place d'un PSE, cadre d'appréciation (oui), seuil de déclenchement, ruptures conventionnelles, contestation, CE (non), syndicats (non), salariés contractants (oui).

Liens base : (N° Lexbase : E9317ESU)

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