La lettre juridique n°400 du 24 juin 2010

La lettre juridique - Édition n°400

Éditorial

Bicentenaire du rétablissement des Ordres : au-delà des petits fours, une démonstration d'unité et d'indépendance

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N4278BP7

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Vous ne sauriez passer à côté, 2010 est une année commémorative pour la profession d'avocat : le bicentenaire du rétablissement des Ordres. J'entends, déjà, certains murmurer : "la belle affaire !" ; et d'autres calculer, contribuables réguliers, le coût de toutes ces manifestations et réceptions à répétition...

Mais, relisez Victor Hugo, pâles robes noires : "Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux" -Discours de Commémoration de l'anniversaire du 24 février 1848-. Et, la nuit n'est-elle pas en passe de s'étendre, aujourd'hui, sur une profession sujette, chaque jour, à une nouvelle réforme pour accommoder, le plus souvent, le pouvoir en place ?

Alors, oui ! Nous ne commémorons ni l'instauration de la profession, ni la création des Ordres. La profession d'avocat est réglementée depuis le XIIIème siècle et les premières listes officielles d'avocats datent de 1340, recensant dès lors 51 défenseurs des droits à Paris. Pourquoi tout ce tintouin pour un rétablissement ? D'abord, parce que jusqu'au XVIème siècle, la profession d'avocat ne fut que l'antichambre de celle de magistrat et vénalité des offices de l'administration aidant, le barreau ne s'est affirmé alors que pour être plus indépendante et autonome, portant à sa tête un Bâtonnier et une assemblée de députés, ancêtres des membres du conseil de l'Ordre. Mais, la Révolution n'aura pas été clémente avec ses chantres : ces Ordres qui, bien souvent, ont pris le parti des Lumières disparaissent dans le fatras de la loi "Le Chapelier" de 1790, interdisant les corporations : c'est que l'on se méfie des privilèges accordés à ou au sein d'une communauté de pensée ; et pour tout dire, la défense des pauvres, des mineurs, des veuves et des orphelins ne fait pas bon ménage avec la lame de la guillotine, le régime martial de la Terreur et les tribunaux révolutionnaires.

Vingt ans d'errance, à travers lesquels la profession ne meurt pas, bien que désorganisée. Vingt ans, une République, un Directoire, un Consulat, un Empire pour que l'initiateur du Code civil accorde aux avocats, en 1810, le droit de se regrouper, à nouveau, par Ordre, à condition de "couper la langue à un avocat qui s'en sert contre le gouvernement". Napoléon confie au Procureur général le soin de nommer le Bâtonnier et les membres du conseil de l'Ordre. Les avocats devront attendre vingt ans, 1830, pour obtenir de Louis-Philippe le droit de choisir eux-mêmes leurs représentants et s'affranchir ainsi de la tutelle des pouvoirs publics.

Mais, pourquoi vouloir rétablir ces Ordres, à la fin ? La profession d'avocat est une profession indépendante, autonome, libérale ! Quel besoin de regrouper tous ces auxiliaires de Justice sous une bannière, derrière un bâton, dût-il représenter Saint Yves, patron des avocats ? Parce que "l'ordre, et l'ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude" nous confie Charles Péguy dans ses Cahiers de la quinzaine. Parce qu'un Ordre régule l'accès à la profession, contribue à la formation initiale de ses membres, s'assure du respect des l'obligation de formation continue, assure une concurrence entre ses membres sur une base équitable, non vénale et respectueuse des règles déontologiques. Cet Ordre rétabli joue un rôle arbitral ou disciplinaire à l'égard de ses membres et dans les relations entre ces derniers et leurs clients. Mais encore, il représente de la profession à l'égard des pouvoirs publics. Et, ce n'est pas une mince affaire en ces temps troublés par un champ de compétence, sans cesse, grignoté par d'autres professions, elles-mêmes en rangs serrés ; par une justice pénale qui souhaiterait tant faire sans l'avocat, sacrifiant la Défense pour désengorger les tribunaux...

Et, il en va des avocats comme de la Démocratie : rien est acquis ; comme l'on fête chaque année le démantèlement d'une prison royale, symbole de l'absolutisme et les lettres de cachets, il convient de fêter les avocats et, en leur nom, les Ordres représentatifs de la profession, qui sont les derniers garants des libertés individuelles et du Droit, les derniers empêcheurs de tourner en rond, les derniers remparts face à une Justice au rabais. C'est qu'en passant de 25 000 à 50 000 inscrits aux tableaux, en l'espace de trente ans, la profession d'avocat a pu se raviver, se vivifier : de nouvelles ambitions pour une meilleure Justice sont nées dans le terreau des années 80', de l'ère numérique, mais aussi des années de crise économique et de drames sociaux. On aurait pu penser à une atomisation de la profession à l'image de l'individualisme ambiant... mais, au contraire, les Ordres sont d'autant plus vivants et vigilants qu'ils savent qu'ils doivent défendre le droit romano-civiliste face à une common law rampante ; qu'ils savent qu'ailleurs, en Chine, les droits de la défense ne bénéficient d'aucune garantie et que la profession d'avocat désorganisée est soumise à la justice d'Etat, sous le contrôle du Parti -le secret professionnel n'existant évidemment pas- ; qu'ils savent qu'ailleurs, en Iran, c'est le pouvoir judiciaire qui délivre le permis d'exercer la fonction d'avocat au mépris de toute impartialité et indépendance de la profession ; qu'ils savent qu'au Royaume-Uni la profession est littéralement coupée en deux, entre barristers qui plaident les affaires devant les cours et sollicitors qui postulent, représentent et conseillent juridiquement leurs clients -une distinction qui, à travers les divergences de pratique de la profession entre plaideurs et conseils, entre pénalistes et avocats d'affaires, s'instille également en France à l'encontre d'une unité de pratique de l'avocature, unité de pratique garante d'une unité déontologique et d'une unité de la Défense des Citoyens-.

C'est contre l'atomisation du destin de la profession d'avocat, contre l'impérialisme du droit anglo-saxon, contre la mise sous tutelle du procès pénal, aujourd'hui, civil, demain, que se dressent les Ordres rétablis, il y a 200 ans, pas au nom du corporatisme, mais au nom de l'unité d'âme, du respect de la règle déontologique, du respect par l'avocat de son serment.

"Sanctus Yvo erat brito
Advocatus sed non latro
Res mirabilis populo
"...

newsid:394278

[Jurisprudence] Du rôle de la signification dans les pseudo-cessions de créance à titre de garantie réalisées sous l'empire de l'article 1690 du Code civil

Réf. : Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-13.388, Société Groupement pour le financement des ouvrages de bâtiment travaux publics et activités annexes - GOBTP, F-P+B (N° Lexbase : A7277EXS)

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 07 Octobre 2010

"Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage" (1) : en poésie comme en jurisprudence, les morales du génial fabuliste sonnent souvent avec une justesse inégalée. A l'appui de notre propos, l'arrêt rendu le 26 mai 2010 par la Chambre commerciale apporte enfin des compléments utiles à des positions développées récemment au sein de la Cour de cassation.
La sagacité judiciaire est alors sollicitée et, devant la cour d'appel de Paris, le prêteur est débouté de ses prétentions pour motif de ce que "s'agissant de la cession d'une créance à exécution successive comme l'est celle de loyers, elle ne constitue qu'une modalité, convenue entre eux, de remboursement du prêt et n'est ni constitutive d'une sûreté, ni assimilable à une saisie-attribution, que dès lors, les loyers à échoir, postérieurement à l'ouverture d'un redressement judiciaire, sont soumis aux règles de cette procédure et qu'il en résulte que les loyers du dernier trimestre 1999 ont été justement payés entre les mains des organes de la procédure, la cession de créance ne constituant pas un privilège entre les mains du prêteur". A l'origine de cette décision se trouve un prêt relais accordé par une société non agréée en qualité d'établissement de crédit (2) à une autre société en vue de l'acquisition d'un bien immobilier. En garantie de son crédit, le prêteur obtient une "cession de créance à titre de garantie" (3) portant sur les loyers perçus par l'emprunteur en sa qualité de bailleur de l'immeuble financé, et réalisée sur le fondement de l'article 1689 du Code civil (N° Lexbase : L1799ABA). La cession est signifiée à l'un des locataires, lequel se met alors à régler directement le prêteur. Un redressement judiciaire est ouvert à l'encontre de l'emprunteur, et est sitôt transformé en liquidation. Le prêteur déclare et obtient l'admission de sa créance de remboursement à la procédure collective ; cependant, le liquidateur lui refuse le paiement des loyers cédés. L'affaire finit par aboutir devant la Chambre commerciale où l'arrêt d'appel est cassé. Pour la formation de cassation, les magistrats du fond n'ont pas su tirer les conséquences légales de leurs constatations selon lesquelles une cession de loyers avait été faite en garantie du remboursement du prêt consenti et que cette cession avait été signifiée au locataire "de sorte que la société GOBTP avait la qualité de créancier nanti" (4).

Ce dernier attendu est une référence manifeste à la décision rendue le 19 décembre 2006 par la même chambre selon laquelle "en dehors des cas prévus par la loi, l'acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créances" (5). Plus précisément, l'arrêt ici commenté n'est qu'une mise en application, une déclinaison, une application rétroactive (les faits s'étant déroulés entre 1990 et 2000) de celui de 2006, fondateur. Toujours est-il qu'il est susceptible d'interpeller en ce qu'il met explicitement au coeur du raisonnement la signification prévue par l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB), à laquelle le prêteur avait choisi de procéder.

Aussi, pour le commentateur, le prétexte est-il tout trouvé pour s'arrêter un temps sur ce qui ne paraît souvent qu'un modeste détail de procédure. De la lecture de l'arrêt du 26 mai 2010, il ressort que la signification a un impact variable sur l'existence de la sûreté constituée par voie de cession de créance de droit commun (I), mais qu'en droit positif elle est susceptible de jouer un rôle d'importance quant aux prérogatives offertes au bénéficiaire de la sûreté (II).

I - L'impact de la signification sur l'existence de la sûreté

La signification de la cession de créance organisée en application des articles 1689 et suivants du Code civil est une formalité de publicité bien connue. Nous ne ferons donc pas l'affront à nos très estimés lecteurs de s'attarder trop amplement sur ses tenants et aboutissants. A toutes fins utiles, rappelons simplement que son objet est de rendre opposable la cession de créance aux tiers qui "n'ayant pas été parties à l'acte de cession, ont intérêt à ce que le cédant soit encore créancier" (6).

Dans l'espèce qui nous retient, la cession des créances de loyers avait été signifiée au débiteur cédé par le cessionnaire. Cette signification n'était pas susceptible d'affaiblir en quoique ce soit la position du créancier (A), mais, à défaut, certains droits n'auraient pu naître contrairement à ce que prévoit le droit positif (B).

A - L'absence d'impact négatif sur l'existence de la sûreté

Tout porte à croire que c'est une analyse de la signification parfumée d'atypisme que fit la cour d'appel de Paris dans son arrêt cassé le 26 mai 2010 : aux termes de ce dernier, l'accomplissement de la formalité a pour effet de faire de la cession de créance à titre de garantie une "simple modalité de remboursement du prêt", d'où une soumission à la procédure collective des loyers échus postérieurement au jugement d'ouverture relatif à l'emprunteur.

A l'évidence, ce raisonnement n'est pas dénué de bon sens juridique ; une brève étude du schéma contractuel généralement retenu tend à l'étayer. S'agissant d'une cession de créance qui se veut à titre de garantie, à l'échéance du crédit, soit le cédant paie sa dette au cessionnaire qui doit lui rétrocéder la créance cédée, soit le cédant est défaillant et le cessionnaire peut alors réaliser sa garantie en obtenant paiement de la part du débiteur cédé (7). Toutefois, en pratique, le mode normal de remboursement du financement apporté est fréquemment l'encaissement direct par le cessionnaire des sommes correspondant aux créances cédées, soit que le cessionnaire ait signifié le débiteur cédé dans les formes prévues à l'article 1690 du Code civil soit, dans le cas d'une cession régie par les articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier (une "cession Dailly"), qu'il ait procédé à la notification qu'impose l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN). De la sorte, cette publicité opère un renversement des rapports "obligationnels" : par principe, il revient au débiteur cédé de rembourser le crédit mais, à titre exceptionnel et sous certaines conditions, le cédant peut être amené à palier d'éventuelles inexécutions contractuelles du débiteur cédé.

De ce point de vue, il est tentant d'abonder en faveur de l'argumentaire développé par l'arrêt d'appel. Toutefois, ce serait nier la volonté première des parties qui ont bel et bien entendu constituer une garantie : à la lumière des faits de l'espèce, difficile de contester que le souhait des parties était d'aller au-delà d'une "simple modalité de paiement" (8). S'attacher à cette position apparaît d'autant moins à propos qu'elle reviendrait à affaiblir la position du cessionnaire pour la seule raison qu'il a pris une précaution supplémentaire, celle de signifier la cession au débiteur cédé. Il faut en retenir que l'accomplissement de la signification prévue à l'article 1690 du Code civil ne saurait avoir d'impact négatif sur l'existence de la garantie mise en place par les parties. En tout état de cause, en juger autrement serait en contradiction flagrante avec le droit applicable au moment des faits.

B - L'impact positif variable sur l'existence de la garantie

L'analyse est moins tranchée s'agissant des conséquences qu'emporte la signification sur la pseudo-cession de créance à titre de garantie faite en application des articles 1689 et suivants du Code civil.

La jurisprudence précitée de décembre 2006 a établi le principe selon lequel une cession de créance de droit commun à titre de garantie ne peut valoir que comme un nantissement de créance. En conséquence, pour l'ensemble des cessions de créance valant nantissement conclues avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés (N° Lexbase : L8127HHH), il est logique de considérer que la signification était une formalité ad validitatem en application de l'ancien article 2075 du Code civil (N° Lexbase : L2312ABA) alors en vigueur et disposant que "lorsque le gage s'établit sur des meubles incorporels, tels que les créances mobilières, l'acte authentique ou sous seing privé, dûment enregistré, est signifié au débiteur de la créance donnée en gage, ou accepté par lui dans un acte authentique" (9). D'ailleurs, c'est sur ce fondement que l'arrêt de 2006 avait battu en brèche les prétentions du cessionnaire. En la matière, la décision de mai 2010 constitue un modeste enrichissement puisqu'elle quitte les rives de l'implicite pour reconnaître "positivement" qu'une cession de créance à titre de garantie ne vaut nantissement qu'une fois signifiée. La Cour de cassation l'exprime, désormais, en des termes clairs : "la cession des loyers [...] en garantie du remboursement du prêt consenti a été signifiée au locataire conformément aux dispositions de l'article 1690 du Code civil, de sorte que la société GOBTP avait la qualité de créancier nanti" ; il fallait donc casser l'arrêt d'appel, ce que n'a pas manqué de faire la Chambre commerciale.

A ce jour, à la suite de la demi-réforme du droit des sûretés, les conclusions qui précèdent ne valent plus : le nantissement ayant perdu son caractère de contrat réel, il ne saurait être imposé au cessionnaire une quelconque signification du débiteur cédé pour pouvoir valablement exciper de la sûreté. En conséquence, nous sommes d'avis que, en droit positif, une cession de créance à titre de garantie réalisée en application de l'article 1689 du Code civil vaut nantissement sans autre formalité que l'établissement d'un écrit (C. civ., art. 2335 N° Lexbase : L1162HIU). Pour le reste, le droit applicable à cette cession fiduciaire déclassée est celui des articles 2355 (N° Lexbase : L1182HIM) et suivants du Code civil

Notons que, si le prêteur et l'emprunteur de notre espèce avaient réalisé leur cession de créance vingt ans après, sous le régime nouveau, leur monde ne s'en serait pas trouvé changé grand chose : un nantissement aurait été valablement constitué et le prêteur aurait pu s'en prévaloir de la même manière lors de la procédure collective de son emprunteur.

A ce stade du discours, nous savons que le prêteur jouit d'un nantissement portant sur la créance qu'il croyait avoir acquise à titre de garantie et ce, parce qu'il avait signifié la cession à l'un des locataires de l'emprunteur. Grand bien lui en a fait ! Car son objectif, en signifiant la cession, n'était sans doute pas tant d'accomplir les formalités nécessaires à la validité de sa sûreté (10) que de s'assurer un remboursement direct du prêt accordé par le locataire signifié. Manifestement, cette seconde vertu de la signification se trouve renforcée du fait des dispositions introduites par l'ordonnance du 23 mars 2006.

II - L'articulation entre la signification et les prérogatives recueillies au titre de la sûreté

Applicable au moment des faits de l'arrêt commenté, l'ancien article 2073 du Code civil (N° Lexbase : L2310AB8) disposait que "le gage confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose qui en est l'objet, par privilège et préférence aux autres créanciers". Partant, une juste application des textes ne pouvait qu'amener à casser l'arrêt rendu en février 2007 par la cour d'appel de Paris : l'emprunteur avait déclaré ce qu'il pensait être une cession de créance comme une sûreté de la créance de remboursement de prêt qu'il détenait sur l'emprunteur déconfit ; il pouvait donc récupérer les loyers indûment versés aux organes de la procédure collective (11).
Les changements intervenus dans le droit des sûretés en 2006 sont de nature à bouleverser l'analyse : un doute est un temps jeté sur la valeur actuelle de la signification d'un nantissement de créance (A). Même une fois cette problématique éclaircie, les conséquences à en tirer demeurent en partie incertaines (B).

A - La valeur sans équivoque de la signification en matière de nantissement de créance

Une cession de créance de droit commun conclue aux fins de garantie n'étant en réalité qu'un nantissement, la valeur de l'acte procédural accessoire qu'est la signification à laquelle l'article 1690 du Code civil fait référence doit être reconsidérée. A minima, c'est le cas en droit positif car, comme énoncé précédemment, l'ancien droit des sûretés (en vigueur au moment des faits de l'espèce) était, lui, familier de l'exigence de signification aux fins de validité de l'acte de nantissement. Pour le reste, en droit positif, la réflexion n'est méritée que pour la canonicité du raisonnement : il faut confesser que la question n'est, à vrai dire, sujette qu'à un bref débat.
En effet, l'alinéa 2 de l'article 651 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6814H7I) nous renseigne sur le fait que la signification est une notification faite par voie d'huissier. Or, il se trouve que le droit des sûretés actuellement en vigueur érige la notification en formalité nécessaire pour assurer l'opposabilité de la sûreté au débiteur (12) (C. civ., art. 2363 N° Lexbase : L1190HIW). Sans grande originalité, il s'agit d'éviter que le créancier ne paie mal et donc deux fois (13).

Signifier une pseudo-cession de créance à titre de garantie équivaut donc simplement à la notifier comme le prévoit l'article 2363 du Code civil. Pour le créancier faussement cessionnaire mais réellement nanti, la différence est faible : il croyait assurer l'opposabilité aux tiers de sa sûreté, automatique en application des termes de l'article 2362 du Code civil (N° Lexbase : L1189HIU), mais conforte seulement sa situation en se ménageant l'opposabilité au débiteur que la signification lui assurait également.

B - Les conséquences incertaines de la signification en matière de nantissement de créance

Pour le créancier fourvoyé dans son faux schéma de cession de créance à titre de garantie, l'intérêt principal de la notification est de percevoir directement les sommes dues au titre de la créance nantie de la part du débiteur conformément aux dispositions de l'article 2363 du Code civil : c'est une expression du droit de rétention (14). Un effet similaire était prévu avant la réforme de 2006 : nul doute que c'était le seul et unique objectif recherché par le prêteur dans les faits considérés dans cette chronique.

Si, comme dans l'arrêt du 26 mai 2010, cette notification a lieu ab initio, dès la conclusion de la sûreté, et s'agissant d'une créance dont le paiement se fait en plusieurs fois (15), se pose la question de savoir s'il existe pour le créancier nanti une possibilité d'opposer une exception de compensation entre sa dette de restitution correspondant aux sommes reçues directement du débiteur et le montant de la créance lui restant due par le constituant. Comme les Professeurs Aynès et Croq, nous aurions tendance à penser que c'est le cas : en ce sens, le nantissement de créances notifié aurait donc un effet similaire à celui de la "cession Dailly" notifiée (16). Ce raisonnement rejoint commodément celui que l'on s'autorise à entr'apercevoir chez les juges de cassation appliquant l'ex-article 2075 du Code civil : puisque le créancier nanti reçoit directement paiement après signification, il ne saurait subir un quelconque concours au titre de la discipline collective du livre VI du Code de commerce et peut donc continuer à recevoir paiement du locataire signifié.

Poussons la démarche intellectuelle un peu plus loin : nombreuses sont les opérations de financement qui se fondent en tout ou partie sur des cessions "Dailly" (17). Or, le recours à ces dernières soulève deux difficultés : d'abord, il ne peut y être recouru que pour autant que l'opération implique au moins un établissement de crédit ; ensuite et enfin, elles impliquent un formalisme précis et lourdement sanctionné (18). En l'espèce, le prêteur n'étant pas un établissement de crédit, les parties avaient certainement buté sur la première de ces lourdeurs.

Aussi, de manière générale, pour y pallier, pourrait-on imaginer remplacer les cessions de créances (y compris à titre de garantie, ce qui est souvent le cas lorsque qu'elles portent sur des créances futures) par des nantissements de créance notifiés. Après tout, si les effets sont identiques et la peine moindre dans le second cas, on aurait tort de se priver ! L'idée peut sembler baroque, voire saugrenue : toutefois, admettons que la différence entre un financement adossé à des créances et un financement garanti par des nantissements de créances n'est pas toujours flagrante. D'ailleurs, cette distinction malaisée fait régulièrement l'objet de débats dans les pays de common law sur le point de savoir si une opération donnée est qualifiable de "true sale" ou non (19).

Néanmoins, en pratique, cette proposition ne paraît pas complètement convaincante pour deux raisons.
Tout d'abord, il n'est pas rare que les cessions "Dailly" ne soient pas notifiées afin de laisser au cédant la possibilité de gérer la relation commerciale qu'il entretient avec son client et pour éviter que le prêteur n'ait à prendre en charge le recouvrement des sommes dues au titre des créances (20). Or, à se dispenser de notification, tout le bénéfice offert par le nantissement décrit ci-dessus s'efface. Certes, demeure la possibilité de notifier tout en indiquant au débiteur que les paiements doivent continuer à être faits auprès du cédant, mais cela reviendrait à ruiner l'intérêt de la notification dont nous essayons de profiter ici.
Ensuite, ce serait se fonder sur notre seule modeste analyse, sur laquelle la jurisprudence reste muette pour le moment !

Au final, il est donc vraisemblablement plus sage de s'en remettre aux instruments de cession ad hoc créés par le législateur. Bref : au sein du corpus normatif qui leur était applicable, les parties de notre espèce ont retenu l'instrument juridique adéquat. Même dans le contexte actuel, la requalification aidant, leur choix se serait révélé être le bon.

A quoi bon ? Telle est la question emplie de justesse mâtinée d'une forme d'impertinence que l'on pourrait se poser à l'issue de cette chronique : qui peut aujourd'hui ignorer l'inefficacité des cessions de créances de droit commun à titre de garantie ? Le profane démuni de toute assistance ou accompagné d'un avocat violant son obligation déontologique de compétence. Gardons ces hypothèses pour hautement improbables. Par voie de conséquence, qui peut encore se soucier du rôle joué par la signification dans ces simili-cessions ? Sans compter que les nouveaux articles applicables au nantissement de créances modifient grandement la donne. Pourtant, il existe une période que nous ne saurions négliger. Cette période, c'est un interstice ! ... C'est un fossé ! ... C'est un gouffre ! Que dis-je un gouffre ? C'est un abysse : celui qui relie le 25 mars 2006 (21) au 19 décembre 2006, période pendant laquelle il semblait encore possible de conclure des cessions de créance de droit commun à titre de garantie et auquel le nouveau droit du nantissement avait imperceptiblement vocation à s'appliquer. Lorsque l'on entrevoit les perspectives qui pouvaient découler de la signification d'une pseudo-cession de ce genre, on se dit que l'analyse se justifiait. De minimis... il faut parfois se soucier.


(1) J. de La Fontaine, Le Lion et le rat.
(2) Qui agissait donc, certainement, soit à titre occasionnel, soit sur le fondement de l'article L. 511-7 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4905IGR).
(3) Nos guillemets se veulent, ici, lourds de sens... nous y reviendrons.
(4) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 17 février 2009, n° 08/04742, SA Le Groupement pour le financement des ouvrages de bâtiment travaux publics et activité annexes - GOBTP c/ Maître Olivier Chavanne de Dalmassy (N° Lexbase : A4771ED3).
(5) Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-16.395, Société Disques investissements audio vidéo (DIVA), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9943DS3). Les écrits sur cet arrêt sont pléthoriques, mais on peut retenir : D., 2007, Jur. 344, note Ch. Larroumet ; RTDCiv., 2007, 160, obs. P. Crocq, G. Mégret, La Cour de cassation tranche : pas de fiducie sans texte..., Lexbase Hebdo n° 250 du 29 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N1071BAW) ou nos obs., La cession de créance à titre de garantie : un an après l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 19 décembre 2006, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4431BET).
(6) Cass. civ. 1, 4 décembre 1985, n° 84-12.737, Wendling c/ Trésorier principal de Saint-Cloud, Epoux Engelhard, SCI Kellermann (N° Lexbase : A5941AAB), Bull. civ. I, n° 336 ; RTDCiv., 1986, p. 750, obs. J. Mestre.
(7) Cf. L. Aynès et P. Crocq, Les Sûretés - La Publicité foncière, Defrénois, 4ème éd., 2009, n° 764, p. 357.
(8) Pour emprunter sa formule à la cour d'appel de Paris.
(9) Même si la magnanimité prétorienne avait conduit à alléger cette exigence : Cass. com., 9 mai 2007, n° 06-10.679, Mme Chantal Buet, FS-P+B (N° Lexbase : A1139DW4), Revue de droit bancaire et financier, juillet-août 2007, n° 154, obs. D. Legeais.
(10) Puisque, à la manière de Monsieur Jourdain, il était nanti sans le savoir !
(11) Dans le même sens : A. Lienhard, Cession de créance à titre de garantie = nantissement, D., 2010, p. 1340.
(12) Ou, alternativement pour aboutir au même effet, que le débiteur soit partie à l'acte.
(13) Cf. C. civ., art. 1240 (N° Lexbase : L1353ABQ) et ce qu'en disent les Professeurs L. Aynès et P. Crocq, Les Sûretés - La Publicité foncière, préc., n° 527, p. 253.
(14) A. Aynès, La consécration légale des droits de rétention, D., 2006, p. 1301 et s..
(15) A échéances régulières, par exemple.
(16) Cf. L. Aynès, P. Crocq, op. cit., n° 536, p. 260.
(17) Titrisations et autres réjouissances du même (troisième) type. On laissera ici de côté les cessions de créance de droit commun, trop peu aisées manier dans les opérations de financement compte tenu des formalités imposées par l'article 1690 du Code civil.
(18) Voir Cass. com., 8 novembre 1994, n° 92-17.265, Société VLS c/ Banque générale du commerce, société anonyme et autres, inédit au bulletin (N° Lexbase : A9539CPY), RTDCom., 1995, p. 455, obs. M. Cabrillac.
(19) Sur cette notion, on peut se référer à O. Bernard et H. Touraine, La notion de "true sale" en droit français : enjeux, sens et problématiques, Revue trimestrielle de droit financier, 2007, n° 1, p. 97-101.
(20) Au passage, cela permet également d'éviter de révéler aux débiteurs que leurs commandes sont une source de financement pour leur fournisseur.
(21) Date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 23 mars 2006.

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Licenciement

[Jurisprudence] La prescription de l'action en contestation du licenciement économique

Réf. : Cass. soc., 15 juin 2010, n° 09-65.062, Société Sameto Honfleur, la SCP Bachelier-Bourbouloux, et autre c/ M. D... X... ; M. P... Y..., FS-P+B+R (N° Lexbase : A2884EZT)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Parmi les nombreuses dispositions relatives au licenciement économique qui figuraient dans la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (1), celle issue de l'article 75 de la loi avait particulièrement retenu l'attention. En effet, ce texte avait réduit le délai de prescription de certaines actions judiciaires relatives à la contestation d'un licenciement économique à un délai de douze mois. En raison du caractère général et, il faut bien le dire, très maladroit de la rédaction de cette disposition, de nombreuses incertitudes planaient quant à son champ d'application exact. Il aura tout de même fallu attendre cinq ans pour que la Chambre sociale de la Cour de cassation soit enfin saisie de la question et apporte sa lumière à ce texte obscur dans un arrêt rendu le 15 juin 2010. En jugeant que le délai de prescription raccourci ne s'applique qu'aux contestations susceptibles d'entraîner la nullité du licenciement (I), la Chambre sociale adopte l'interprétation du texte la plus étroite, interprétation qu'il convient de tenter de justifier (II).
Résumé

Le délai de douze mois prévu par le second alinéa de l'article L. 1235-7 du Code du travail (N° Lexbase : L1351H9W) n'est applicable qu'aux contestations susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

I - L'adoption d'une interprétation très stricte de la prescription de l'article L. 1235-7 du Code du travail

  • Licenciement irrégulier, licenciement injustifié, licenciement nul : quel champ d'application pour la réduction de la prescription ?

Le licenciement pour motif économique, comme tout licenciement, doit être régulier et justifié. Le caractère régulier implique que la procédure décrite par les articles L. 1233-8 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L1113H94) soit respectée. Le caractère justifié suppose que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse dans les conditions établies par l'article L. 1233-2 du même code (N° Lexbase : L8307IAW).

En revanche, et ce n'est plus là une règle s'appliquant de manière générale à tout licenciement, c'est parfois la validité même du licenciement pour motif économique qui peut être mise en cause. Le licenciement constituant un acte juridique unilatéral (2), la mise en cause de sa validité implique sa nullité (3).

Lorsqu'un licenciement pour motif économique concerne au moins dix salariés, sur une même période de trente jours, cela dans une entreprise comptant au moins cinquante salariés, l'employeur a l'obligation de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi dont les modalités sont établies par les articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) à L. 1233-64 du Code du travail. La particularité de cette obligation tient aux conséquences de la défaillance de l'employeur. L'absence (4) de mise en place d'un plan de sauvegarde ou l'insuffisance (5) du plan atteignent la validité des licenciements qui seront donc nuls.

  • L'objectif de sécurisation par la réduction du délai de prescription

Cette solution drastique et certainement nécessaire a, cependant, parfois des conséquences ravageuses sur les entreprises aux prises à de graves difficultés économiques. En réaction à ces difficultés, mises au crédit de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation (6) et de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (7), la loi de cohésion sociale adoptée le 18 janvier 2005 avait cherché à "sécuriser" les licenciements économiques par l'adoption de mesures fortes (8).

Une disposition remarquée avait consisté à réduire le délai de recours d'un salarié contre un licenciement économique. L'article L. 321-26 du Code du travail ancien, devenu l'article L. 1235-7 du Code du travail, avait limité à quinze jours le délai de recours en référé en cas d'irrégularités relatives à la consultation des représentants du personnel et, surtout, avait posé que "toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la lettre de licenciement".

  • Difficultés d'interprétation du champ d'application du délai de prescription

Cette disposition avait nécessairement fait débat. Fallait-il avoir une conception étroite de cette prescription réduite et la limiter aux règles relatives aux licenciements collectifs ou, au contraire, adopter une approche large et appliquer ce délai de prescription à toute action introduite à l'encontre d'un licenciement pour motif économique ?

Les travaux parlementaires paraissaient exclure la contestation de la cause réelle et sérieuse de licenciement (9). Prenant le contrepied de cette position, une circulaire de la DGT adoptait une position des plus larges, appliquant cette prescription réduite à toute action, y compris en contestation de la cause réelle et sérieuse, que le licenciement soit individuel ou collectif (10). La position de la Cour de cassation était, par conséquent, très attendue.

  • En l'espèce

Des salariés, licenciés dans le cadre d'un licenciement économique collectif, avaient saisi le conseil de prud'hommes d'une contestation du caractère réel et sérieux de la cause de licenciement, plus d'un an après le prononcé des licenciements.

La cour d'appel saisie de l'affaire jugeait la demande des salariés recevables. Pour les juges du fond, le délai de prescription de douze mois "ne viserait que le cas des licenciements collectifs d'au moins dix salariés sur une même période de trente jours, dans les entreprises employant au moins cinquante salariés et nécessitant la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi". Il était ainsi fait une application relativement restrictive du texte, en limitant son application aux grands licenciements économiques mais, implicitement, en permettant son application en matière de contestation de la justification du licenciement.

Saisie d'un pourvoi contre cette décision, la Chambre sociale le rejette en adoptant une position encore plus restrictive que celle des juges d'appel. Cette solution est d'une très grande importance comme en témoignent la substitution de motifs à laquelle s'est livrée la Chambre sociale, le degré de publicité de l'arrêt (11) et la publication d'un communiqué de presse de la Première présidence de la Cour de cassation (12). La Cour de cassation juge que "le délai de douze mois prévu par le second alinéa de l'article L. 1235-7 du Code du travail n'est applicable qu'aux contestations susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un plan de sauvegarde de l'emploi".

Dit autrement, le délai de prescription de douze mois n'est applicable qu'en matière de contestation du plan de sauvegarde de l'emploi. A contrario, lorsque la contestation concerne la régularité de la procédure ou la cause réelle et sérieuse, qu'il s'agisse d'un licenciement individuel ou collectif, c'est le délai de prescription de droit commun qui trouve à s'appliquer (13).

II - A la recherche de la justification de l'interprétation stricte du délai de prescription de l'article L. 1235-7 du Code du travail

Incontestablement, cette solution est difficile à justifier quant à la lettre de l'article L. 1235-7 du Code du travail. Elle peut, peut-être, mieux s'accorder à l'esprit du texte, mais également trouver des fondements dans des droits aussi fondamentaux que celui d'accéder au juge.

  • Une interprétation manifestement contraire à la lettre du texte

En aucun cas une interprétation littérale du texte ne pouvait mener à une telle motivation. Les termes de l'article L. 1235-7 du Code du travail sont particulièrement généraux : ils visent "toute contestation" qui concerne la "régularité" ou la "validité" du licenciement. La lecture stricte du texte impliquait dès lors que, comme le suggérait un auteur, toutes les actions soient limitées par ce délai de prescription, à l'exception des actions en contestation de la cause réelle et sérieuse de licenciement (14). Le point de départ du délai étant caractérisé par "la dernière réunion du comité d'entreprise" ou la "notification du licenciement", il semblait là encore que les licenciements individuels ou collectifs étaient tous concernés par ce délai de prescription.

Finalement, une interprétation littérale du texte aurait mené à la même solution, la contestation de la cause réelle et sérieuse ne paraissant pas être concernée par le délai de prescription. En revanche, l'interprétation restrictive adoptée par substitution de motif ne parvient pas à se fondre dans la rédaction du texte.

Pour comprendre l'interprétation opérée par la Chambre sociale, il faut se placer au-delà de la lettre du texte pour s'en rappeler l'esprit.

  • Une interprétation conforme à l'esprit de la loi du 18 janvier 2005

Issu de l'article 75 de la loi de cohésion sociale, lui-même placé au sein d'un chapitre 4 de la loi intitulé "Développement des nouvelles formes d'emploi, soutien à l'activité économique, accompagnement des mutations économiques", l'article L. 1235-7 du Code du travail ne semblait pas spécialement s'appliquer aux licenciements collectifs (15). Pourtant, la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 était principalement intervenue en matière de grands licenciements collectifs (16).

Outre l'abrogation des dispositions de la loi de modernisation sociale jusqu'alors suspendues, la loi de cohésion sociale avait, par exemple, remis en cause l'articulation des consultations des représentants du personnel pour un grand licenciement économique (17), avait introduit des atténuations à l'obligation de réintégration des salariés dont le licenciement était annulé (18), avait créé la négociation sur la GPEC (19) ou, enfin, avait remis en cause la jurisprudence "Framatome Majorette" (20).

A la vérité, rares étaient les dispositions de cette loi qui ne concernaient pas le licenciement de dix salariés sur une même période de trente jours. Les quelques dispositions relatives aux licenciements individuels ou aux "petits" licenciements n'apportaient pas de bouleversement au système en place (21). Plus encore, les dispositions "phares" de la loi du 18 janvier 2005 paraissaient s'intéresser principalement aux plans de sauvegarde de l'emploi, à leurs modalités d'adoption et à leurs conséquences.

Dans ces conditions, il était possible d'analyser le texte issu de l'article 75 en lien étroit avec l'objet essentiel de la loi, c'est-à-dire avec la volonté d'intervenir sur les dispositions législatives relatives au plan de sauvegarde de l'emploi dans le cadre des grands licenciements. C'est cela que s'est permis la Chambre sociale, prenant des libertés avec la lettre du texte pour en faire une interprétation aussi conforme qu'elle le jugeait à son esprit.

Si l'on tente d'élever le débat au-delà de la loi du 18 janvier 2005 elle-même, d'autres arguments peuvent être avancés pour justifier la position adoptée.

  • La conciliation entre l'objectif de sécurisation et le droit d'accès au juge

La réduction des délais de prescription en droit du travail à une durée de douze mois est de plus en plus fréquente. On se souviendra que l'article 2-3° de l'ordonnance du 2 août 2005, relative au contrat nouvelles embauches (N° Lexbase : L0758HBP), avait limité à douze mois le délai de recours contre la rupture du contrat de travail. La loi du 18 janvier 2005 a limité à douze mois la faculté de contester la validité des accords de méthode (22). La contestation de la validité ou de l'homologation d'une rupture conventionnelle du contrat de travail est enserrée dans un délai de recours de douze mois (23). D'une manière plus générale encore, la loi portant réforme de la prescription en matière civile a institué la faculté pour les parties au contrat de réduire le délai de prescription jusqu'à un minimum de douze mois (24).

L'idée qui gouverne la majorité de ces hypothèses de réduction des délais de prescription est celle de la sécurité juridique. Laisser un trop long délai pour contester ces différents actes générerait une trop grande insécurité juridique (25). Il pourrait être discuté que la sécurité juridique soit véritablement mise en cause par des délais de prescription trop longs. Mais, au-delà de cette remarque, il faut surtout admettre que la réduction des délais de prescription implique mécaniquement une atténuation de la force d'un autre objectif essentiel de notre droit, celui de permettre à tout citoyen d'accéder à un juge tel que le prescrit l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. La Cour européenne des droits de l'Homme semble d'ailleurs veiller à ce que des délais de prescription trop courts n'entravent pas de manière trop importante le droit d'accès au juge (26).

En somme, la réduction du délai de prescription à douze mois met en balance la sécurité de l'employeur qui ne doit pas demeurer trop longtemps dans l'expectative à s'inquiéter d'un éventuel recours contre le licenciement et le droit d'accès au juge des salariés à qui il faut laisser demeurer une faculté sérieuse de saisir le juge. Si l'on ajoute à cela que la réduction à douze mois de la prescription constitue une exception à la règle de droit commun fixant le délai de prescription à cinq années, on parvient à se convaincre qu'il était possible d'interpréter la règle aussi strictement que possible.


(1) Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49) et le numéro spécial consacré à cette loi, v. Lexbase Hebdo n° 152 du 28 janvier 2005 - édition sociale.
(2) G. Couturier, Droit du travail. 1/ Les relations individuelles de travail, PUF, 3ème éd., p. 202.
(3) Le régime des actes juridiques unilatéraux n'étant pas décrit par le Code civil, il est communément considéré que c'est la théorie générale des contrats qui doit s'appliquer à ces actes. V. J. Flour, J.- L. Aubert, E. Savaux, Droit civil-Les obligations-1. L'acte juridique, Sirey, 13ème éd., 2008, p. 436.
(4) C. trav., art. L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX).
(5) Cass. soc., 16 avril 1996, n° 93-15.417, Société Sietam industries c/ Comité central d'entreprise de la société Sietam industries (N° Lexbase : A3972AAD).
(6) En particulier, en raison des affaires "La samaritaine", "Framatome" et "Majorette".
Sur l'arrêt "La samaritaine", v. Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, publié (N° Lexbase : A4174AAT), Dr. soc., 1997, p. 331, chron. T. Grumbach, p. 341, chron. F. Favennec ; JCP éd. G, 1997, II, 22843, note F. Gaudu ; JCP éd E, 1997, I, 648, chron. G. Picca et A. Sauret ; P.-H. Antonmattéi, La nullité du licenciement pour motif économique consécutive à la nullité du plan social, RJS, 3/1997. 155 ; G. Couturier, La théorie de la nullité dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 273, spéc. p. 284-285.
Sur les arrêts "Framatome" et "Majorette", v. Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-17.352, Société Framatome connectors France et autre c/ Comité central d'entreprise de la société Framatome connectors, publié (N° Lexbase : A2180AAY) ; Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-20.360, Syndicat Symétal CFDT c/ Société nouvelle Majorette et autre, publié N° Lexbase : A2182AA3), Dr. soc., 1997, p. 18, rapp. P. Waquet, note J. Savatier ; RJS, 1997, p. 12, concl. P. Lyon-Caen.
(7) Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9).
(8) J.- E. Ray, La loi du 18 janvier 2005 : continuité et contournements, Dr. soc., 2005, p. 359 ; G. Couturier, Encore une réforme des licenciements économiques, SSL Suppl., 26 décembre 2005, n° 1242 ; P. Morvan, Le droit des licenciements pour motif économique après la loi de cohésion sociale, TPS, février 2005, étude n° 3.
(9) A. Mazeaud, Droit du travail, Montchrestien, 6ème éd., 2008, p. 491.
(10) Circ. DGEFP n° 2005/47 du 30 décembre 2005, relative à l'anticipation et à l'accompagnement des restructurations, Fiche n° 4 (N° Lexbase : L6929HGQ).
(11) L'arrêt fait l'objet d'une publication P+B+R et fait curieusement l'objet d'une publication sur le site internet de la Cour de cassation, honneur généralement réservé aux arrêts P+B+R+I. Au sujet de cette hiérarchie, v. le site de la Cour de cassation.
(12) Communiqué consultable sur le site internet de la Cour de cassation. On regrettera ici le caractère laconique du communiqué qui aurait pu être éclairant compte tenu des difficultés d'interprétation du texte. Le rapport de la Cour de cassation pour l'année 2010 sera, espérons-le, plus disert.
(13) Avant la réforme de la prescription civile ramenant le délai de droit commun à cinq ans, la Chambre sociale avait estimé qu'il s'agissait d'une nullité relative prescrite par un délai de cinq ans. V. Cass. soc., 28 mars 2000, n° 98-40.228, Société Jeumont Schneider transformateurs c/ M Belocouroff et autres (N° Lexbase : A6305AGM).
(14) S. Maillard, Réflexions autour de l'article L. 321-16, alinéa 1er du Code du travail, RJS, 6/07, p. 507, spéc. p. 508, note n° 12.
(15) Rappelons que la loi de cohésion sociale comportait de nombreuses dispositions d'ordre divers.
(16) N. Mingant, Fiche n° 1 : la modification du droit applicable en cas de "grand" licenciement économique, Lexbase Hebdo n° 152 du 28 janvier 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4383ABX).
(17) C. trav., art. L. 1233-28 et s. (N° Lexbase : L1158H9R).
(18) C. trav., art. L. 1233-11 (N° Lexbase : L1357H97) : lorsque le licenciement est nul, le salarié est réintégré dans son emploi, "sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible".
(19) La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences : un défi social, économique et juridique, Dr. soc., n° spécial, novembre 2007.
(20) Ch. Radé, Fiche n° 1 bis : l'abandon de la jurisprudence "Framatome" et "Majorette", Lexbase Hebdo n° 152 du 28 janvier 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4444AB9).
(21) Par exemple, remplacement de l'adjectif "substantielle" dans l'article L. 321-1 ou le remplacement de la convention de conversion par la convention de reclassement personnalisé.
(22) C. trav., art. L. 1233-24 (N° Lexbase : L1151H9I).
(23) C. trav., art. L. 1237-14, alinéa 4 (N° Lexbase : L8504IA9).
(24) Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I) et nos obs., Les incidences en droit du travail de la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription civile, Lexbase Hebdo n° 310 du 27 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3769BGP). Sur les clauses d'aménagement de la prescription, v. S. Tournaux, La négociation des sujétions contractuelles du salarié, Dr. ouvrier, 2010, p. 297.
(25) A titre d'exemple, sur la loi de cohésion sociale, v. A. Mazeaud, Droit du travail, préc., p. 490 ; sur la rupture conventionnelle, avec un point de vue critique, v. J. Pélissier, Modernisation de la rupture du contrat de travail, RJS, 8-9/08, pp. 679 et s..
(26) Sur cette question, v. F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'Homme, Puf, Paris, 9ème éd., 2008, n° 212.

Décision

Cass. Soc., 15 juin 2010, n° 09-65.062, Société Sameto Honfleur, la SCP Bachelier-Bourbouloux, et autre c/ M. D... X... ; M. P... Y..., FS-P+B+R (N° Lexbase : A2884EZT)

Rejet, CA Caen, 7 novembre 2008

Textes cités : C. trav., art. L. 1235-7 (N° Lexbase : L1351H9W)

Mots-clés : licenciement économique ; licenciement collectif ; contestation ; délai de prescription

Liens base : (N° Lexbase : E9387ESH)

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Collectivités territoriales

[Doctrine] La loi du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales : le renouveau des opérateurs publics

Réf. : Loi n° 2010-559 du 28 mai 2010, pour le développement des sociétés publiques locales (N° Lexbase : L3708IMB)

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par Laurent Ducroux -Avocat Associé- DL Avocats (Montpellier)

Le 07 Octobre 2010

Cette réforme était attendue. La loi n° 2010-559 du 28 mai 2010, pour le développement des sociétés publiques locales (N° Lexbase : L3708IMB), publiée au Journal officiel du 29 mai 2010, va affecter en profondeur les modes de passation et d'exécution des contrats afférents, notamment, aux délégations de service public, ainsi qu'aux opérations d'aménagement et de construction. Elle consacre l'arrivée de nouvelles entreprises publiques locales dans le champ de l'économie publique.
  • Genèse de la réforme

Le point de départ de cette réforme est l'arrêt "Teckal" de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), désormais dénommée Cour de justice de l'union européenne, du 18 novembre 1999 (1). Cet arrêt consacre une exception majeure aux obligations de publicité et de mise en concurrence pour les contrats à titre onéreux passés par les organismes publics ou parapublics ayant une activité autre qu'industrielle et commerciale avec des entités distinctes. Cette exception s'applique dans l'hypothèse où les pouvoirs adjudicateurs exercent sur ces entités un contrôle analogue à celui qu'ils exercent sur leurs propres services et où ces entités réalisent l'essentiel de leurs activités avec les pouvoirs adjudicateurs qui les détiennent. Cette règle, désignée sous le nom de "in house", de "prestations intégrées", ou encore de "quasi-régie", permet de déroger aux obligations des Directives communautaires et, plus largement, aux principes de transparence et de publicité attachés au Traité de l'Union (2).

Par un arrêt marquant du 11 janvier 2005, la CJCE a, cependant, exclu toute possibilité d'attribution directe par des pouvoirs adjudicateurs de contrats à titre onéreux à des entités distinctes dans le capital desquels ils détiennent une participation conjointes avec une ou plusieurs entreprises privées (3). Les contrats passés avec les sociétés d'économie mixte, composées nécessairement d'actionnaires privés, se trouvaient donc définitivement exclues de cette exception. De ce principe se déduisait une situation paradoxale déjà constatée en droit interne. Les sociétés d'économie mixte, pourtant spécialement créées par les personnes publiques pour mettre en oeuvre les activités liées à leurs politiques publiques devaient être mises en concurrence. Certes, les textes et la jurisprudence excluent des obligations de mise en concurrence, notamment, les contrats confiés à des tiers qui ne peuvent être considérés comme des opérateurs sur un marché concurrentiel (4). Cependant, un pan essentiel des activités publiques demeure confié à des opérateurs économiques et se trouve soumis à des obligations de mise en concurrence, avec les vertus, mais aussi les limites qui ont pu être soulignées.

Bien sûr, cette mise en concurrence n'est pas nécessairement mal perçue par les décideurs publics. Elle peut être source d'avantages dès lors qu'elle donne lieu à la présentation de propositions concurrentes permettant de stimuler les meilleures offres des opérateurs. Pour autant, la lourdeur du dispositif, son caractère inadapté à certains contextes et la fragilité juridique qu'il peut engendrer ont pu être, également, soulignés.

Dans certains cas, les décideurs publics font face à une absence de mise en concurrence sur des projets peu rentables et soumis à de forts aléas à long terme, telles des concessions d'aménagement, ou entendent plus simplement privilégier la mise en oeuvre des missions par un opérateur qu'ils contrôlent étroitement. Dans d'autres cas, la mise en concurrence peut s'avérer pénalisante. Par exemple, le besoin ressenti dans des domaines particuliers tels que l'aménagement, de faire réaliser en amont les études préalables par le futur opérateur, créé un risque de distorsion dans la mise en concurrence du contrat subséquent. La jurisprudence n'écarte pas, par principe, toute possibilité dans ce cas mais exige bien le respect de l'égalité des candidats (5). A un autre niveau, les obligations de mise en concurrence impliquent l'interdiction d'avenants modifiant l'objet ou bouleversant l'économie générale du contrat pour les marchés publics (6) ou opérant une modification substantielle du contrat, pour les délégations de service public (7), voire les concessions d'aménagement. Cette règle s'avère particulièrement contraignante, notamment pour les opérations d'intérêt général réalisées sur le long terme avec des aléas importants.

  • Premiers développements en faveur des sociétés publiques locales

Face à cette situation, la réponse du Gouvernement a été très rapide, avec l'insertion dans le dispositif de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK), d'un nouvel article L. 327-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1045HPE) instaurant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements, de constituer, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans des sociétés publiques locales d'aménagement, article modifié par la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (N° Lexbase : L0743IDU). Ces sociétés publiques locales d'aménagement, composées exclusivement d'actionnaires publics mais conservant, à l'instar des SEM, une forme de sociétés anonymes régies par le Code de commerce, se trouvaient, ainsi, en mesure de bénéficier du régime "in house", en particulier pour l'attribution des concessions d'aménagement.

Certains parlementaires avaient pressé le Gouvernement d'élargir ce dispositif au-delà du domaine de l'aménagement. Mais une position de prudence avait été retenue au regard du droit européen. Par la suite, la jurisprudence communautaire a élargi les possibilités de mise en oeuvre du régime "in house", ouvrant de cette manière le champ à la généralisation des sociétés publiques locales. Tout d'abord, en ce qui concerne la condition de l'activité dédiée, la CJCE a considéré l'origine de la rémunération, qu'elle provienne de la collectivité ou des tiers usagers, importe peu (8), ce qui permet d'appliquer logiquement ce régime, y compris aux contrats de concession ou de délégation de service public. Surtout, la Cour de Luxembourg a jugé dans le même arrêt que, dans le cas où plusieurs collectivités détiennent une entreprise, la condition relative aux activités dédiées peut être satisfaite si cette entreprise effectue l'essentiel de son activité, non nécessairement avec telle ou telle de ces collectivités, mais avec ces collectivités prises dans leur ensemble. Cette solution ouvrait donc le champ aux contrats passés par un organisme public avec un opérateur public constitué de plusieurs collectivités ou établissements publics.

La Cour a, également, assoupli la condition liée au contrôle analogue en l'appliquant y compris dans le cas de contrats passés avec une entité dans le capital de laquelle la collectivité commanditaire est très minoritaire, à condition, toutefois, que cette entité ne dispose pas d'une trop grande liberté vis-à-vis des ses actionnaires (9). La voie était, ainsi, ouverte pour conforter et développer les sociétés publiques locales.

  • Instauration d'un régime général des sociétés publiques locales distinct des sociétés d'économie mixte locales

Faisant suite à d'autres initiatives, une proposition de loi du 5 mars 2009 a été déposée en vue d'instaurer un nouveau régime de sociétés distinct des sociétés d'économie mixte et susceptible de bénéficier du régime "in house". Celle-ci a été adoptée en première lecture par le Sénat le 4 juin 2009 et par l'Assemblée nationale le 23 mai 2010, pour être promulguée le 28 mai 2010. Pour les promoteurs du texte, il s'agit de répondre aux attentes des élus et de conforter la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements de travailler directement et durablement avec les structures qu'ils ont spécifiquement créées pour mettre en oeuvre leurs actions et opérations et pour la gestion de leurs services publics.

La société publique locale n'était pas la seule solution envisageable. L'élargissement des critères "in house" permettait déjà d'envisager le recours dans ce cadre à des régies personnalisées. L'alternative des sociétés publiques locales a, cependant, été conçue afin de pouvoir recourir à des entreprises publiques locales régies par les règles plus souples du droit privé.

  • Des possibilités d'intervention conçues de manière très large

La loi du 28 mai 2010 pérennise donc l'expérimentation conduite en matière de sociétés publiques locales d'aménagement, en élargissant leur domaine à l'ensemble des activités des collectivités locales et de leurs groupements. La loi crée un nouveau titre III dans le livre V de la première partie du Code général des collectivités territoriales relatif aux sociétés publiques locales. Les dispositions du nouvel article L. 1531-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3729IM3) précisent, ainsi, que ces sociétés sont créées par les collectivités territoriales et leurs groupements dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi. Les sociétés publiques locales sont compétentes pour réaliser des opérations d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4059ICC), des opérations de construction, ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d'intérêt général.

Sont, notamment, visées les activités économiques principales des personnes publiques, notamment en matière d'aménagement, d'équipement et de service public. La coexistence des termes de construction et d'aménagement permet de couper court à toute interprétation restrictive concernant cette dernière catégorie, spécialement pour les programmes d'équipements dépourvus d'aménagement d'ensemble et sur lesquels la jurisprudence a pu avoir des hésitations (10). Les dispositions de l'article L. 327-1 du Code de l'urbanisme applicables aux sociétés publiques locales d'aménagement élargissent davantage ces possibilités d'intervention, de sorte que les limites aux possibilités d'intervention des sociétés publiques locales dans ce domaine tendent quasiment à s'effacer. La notion de service public industriel et commercial (SPIC) à la laquelle la loi fait aussi référence ne renvoie pas en soi à l'ensemble des services publics. Sont essentiellement visés les SPIC par qualification de la loi (eau, assainissement, transports publics de personnes), mais aussi ceux qui se déduiraient de leurs conditions d'organisation et de financement notamment, par application des critères jurisprudentiels. Pour autant, la catégorie résiduelle prévue par la loi qui vise toutes autres activités d'intérêt général met finalement les sociétés publiques locales en mesure d'assurer les missions les plus larges.

Parallèlement, la loi conserve des dispositions particulières concernant les sociétés publiques locales d'aménagement, dont le caractère expérimental est évidemment supprimé. Des modifications sont, ainsi, apportées à l'article L. 327-1 du Code de l'urbanisme pour élargir et préciser significativement leurs possibilités d'intervention. Aux termes de ces nouvelles dispositions, les sociétés publiques locales d'aménagement sont désormais compétentes pour réaliser toute opération d'aménagement au sens de ce code, mais aussi des études préalables, toute acquisition et cession d'immeubles en application des articles L. 221-1 (N° Lexbase : L9826IA8) et L. 221-2 (N° Lexbase : L7402AC7) du même code, toute opération de construction ou de réhabilitation immobilière en vue de la réalisation des objectifs énoncés à l'article L. 300-1 précité, ou toute acquisition et cession de baux commerciaux, de fonds de commerce ou de fonds artisanaux dans les conditions prévues au chapitre IV du titre Ier du livre II du code. La loi précise qu'elles peuvent exercer, par délégation de leurs titulaires, les droits de préemption et de priorité définis par le Code de l'urbanisme et agir par voie d'expropriation ; elle exige, cependant, que ces conditions d'exercice soient précisées par des conventions.

  • Des règles qui empruntent aussi au régime des sociétés d'économie mixte locales

Les sociétés publiques locales comme les sociétés publiques locales d'aménagement sont des personnes morales de droit privé, constituées sous le régime des sociétés anonymes (SA), plus souple que le statut des personnes morales de droit public. Elles sont soumises, à ce titre, aux dispositions du livre II du Code de commerce. Le Sénat s'était opposé à ce qu'il puisse être fait application du régime des sociétés par actions simplifiées (SAS), dans la mesure où ce dernier n'offre pas autant de garanties que celui des SA en matière de transparence et de contrôle des actionnaires sur les activités de la société.

Les sociétés publiques locales bénéficient donc des dispositions du droit commun, avec, notamment, une comptabilité privée et l'assujettissement de leurs personnels au Code du travail. Elles bénéficient, cependant, d'une dérogation concernant le nombre minimal d'actionnaires, lequel est fixé à 2 au lieu de 7 pour les SA, ce qui facilitera indéniablement le tour de table pour la constitution de ces nouvelles sociétés. En revanche, le principe d'un actionnaire unique qui avait pu être envisagé a été abandonné pour favoriser la coopération entre les personnes publiques, outre le fait que la jurisprudence communautaire avait validé le recours à des structures collégiales pour l'application du régime "in house".

Elles doivent, toutefois, aussi faire application des règles applicables aux sociétés d'économie mixte locales. Les articles L. 1531-1 du Code général des collectivités territoriales et L. 327-1 du Code de l'urbanisme prévoient, ainsi, que les dispositions du titre II du livre V de la première partie du Code général des collectivités territoriales s'appliquent, sous réserve de leurs propres dispositions. Ainsi, les sociétés publiques locales et les sociétés publiques locales d'aménagement sont soumises aux mêmes règles de controle que les sociétés d'économie mixte (chambre régionale des comptes, commissaire aux comptes...) et les règles de protection des élus mandataires au sein de ces sociétés. Elles bénéficient, à ce titre, des possibilités de détachement et de mise à disposition des fonctionnaires.

  • Des conditions strictes visant à sécuriser l'application du régime "in house"

Les sociétés publiques locales et les sociétés publiques locales d'aménagement sont aussi soumises à des conditions particulières qui tendent à sécuriser au mieux l'application du régime "in house" en répondant aux deux conditions fixées par la jurisprudence communautaire.

En premier lieu, les collectivités territoriales et leurs groupements doivent détenir la totalité du capital, ce qui est bien sûr le point fondamental les distinguant des sociétés d'économie mixte locales. Par contre, les nouvelles dispositions de l'article L. 1531-1 du Code général des collectivités territoriales ne prévoient aucune obligation particulière concernant un actionnaire majoritaire. Cette règle fait le lien avec l'évolution de la jurisprudence communautaire concernant l'application du régime "in house" aux entités collégiales. Le régime des sociétés publiques locales d'aménagement maintient, néanmoins, la condition d'une détention de la majorité des droits de vote au moins par l'un des actionnaires, ce qui est plus restrictif.

Ces dispositions tendent clairement à satisfaire le critère du "contrôle analogue" dégagé par la jurisprudence communautaire. Pour autant, cette condition ne suffit pas. Le régime "in house" n'est pas compatible avec le fait de conférer à une entité de larges pouvoirs de gestion qu'elle pourrait exercer de manière autonome. Selon la jurisprudence communautaire, la société adjudicataire doit être soumise à un contrôle permettant au pouvoir adjudicateur d'influencer la détermination de ses objectifs stratégiques et de ses décisions importantes (11). La détention du capital constitue sur ce point un indice, mais qui n'est pas décisif (12). Les statuts, le règlement intérieur et les modalités particulières d'organisation et de fonctionnement de ces sociétés devront donc réserver aux organismes publics commanditaires un pouvoir de contrôle ou un droit de vote particulier pour restreindre la liberté d'action des entités opératrices. Cet équilibre entre l'autonomie attachée aux sociétés commerciales régies par le Code de commerce et le contrôle par les actionnaires inhérent à l'application du régime "in house" est problématique et reste, en tout état, de cause à trouver.

En second lieu, ces sociétés doivent exercer leurs activités exclusivement pour le compte et sur le territoire des collectivités territoriales et de leurs groupements qui en sont membres. Cette disposition tend à sécuriser l'application du régime "in house" au-delà même des exigences de la jurisprudence communautaire qui requiert seulement une activité dédiée principalement aux pouvoirs adjudicateurs actionnaires et pour laquelle le critère territorial est indifférent (13). Ce critère territorial peut, cependant, s'avérer problématique pour certaines missions comme, par exemple, des opérations d'aménagement ou des services de transports qu'il peut être nécessaire de liaisonner en dehors même du territoire administratif des actionnaires.

  • Des exemptions pouvant s'appliquer dans de nombreux domaines mais avec des nuances

La loi du 28 mai 2010 complète en faveur des sociétés publiques locales les dispositions de l'article L. 1411-12 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3730IM4) définissant les exceptions aux obligations de publicité et de mise en concurrence pour l'attribution des délégations de service public qui visaient déjà certains établissements publics. Elle impose, cependant, aussi dans ce cas que les organes délibérants se prononcent sur le principe de la délégation de service public à la société publique locale, le cas échéant après avoir recueilli l'avis de la commission consultative des services publics locaux et en statuant au vu d'un rapport présentant les caractéristiques des prestations que doit assurer la société publique locale délégataire (CGCT, art. L. 1411-19 N° Lexbase : L3731IM7). La loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (N° Lexbase : L8653AGL), dite loi "Sapin", est modifiée dans le même sens.

La définition de l'objet des sociétés publiques locales est susceptible de faire jouer le régime "in house" dans d'autres domaines que les délégations de service public. Les dispositions de l'article 3 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2663HPC) prévoient cette exception de ce régime mais seulement pour les accords-cadres et marchés conclus entre un pouvoir adjudicateur et un cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à celui qu'il exerce sur ses propres services et qui réalise l'essentiel de ses activités pour lui. Ce critère de l'activité dédiée lié essentiellement au commanditaire public opère une restriction par rapport à la jurisprudence communautaire et peut créer, ainsi, une difficulté par rapport à son application aux sociétés publiques locales constituées nécessairement de plusieurs actionnaires. Seul l'actionnaire pour le compte de laquelle la société publique locale opère principalement pourrait être considéré comme susceptible de bénéficier de ce régime. Cette difficulté se retrouve, également, dans le nouveau régime de passation des concessions de travaux publics, instauré par l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009, relative aux contrats de concession de travaux publics (N° Lexbase : L4656IE8) et, en particulier, son article 3, ainsi que dans le régime des concessions d'aménagement sur le fondement des dispositions de l'article L. 300-5-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1034HBW). Sur ce point, il serait donc opportun que les textes soient modifiés pour sécuriser l'intervention la plus large des sociétés publiques locales.

Cette exception du régime "in house" serait susceptible d'être appliquée plus largement à l'ensemble des contrats soumis à des obligations de mise en concurrence, dès lors que des textes particuliers n'en restreignent pas l'application (14). On le sait, depuis l'arrêt de la CJCE "Telaustria" (15), les obligations de publicité et de mise en concurrence ont vocation à s'appliquer largement en dehors des procédures formalisées par les textes. Le régime des sociétés publiques locales sera donc susceptible de s'appliquer dans ces cas.

  • Perspectives d'évolution

Les sociétés publiques locales constituent donc une alternative aux sociétés d'économie mixte locales permettant d'écarter les obligations de mise en concurrence qui s'appliquent à ces dernières. Leur existence n'implique pas nécessairement la disparition des sociétés d'économie mixte qui peuvent être maintenues pour des activités complémentaires, hors champ du régime "in house", pour s'associer avec des partenaires privés et développer des activités d'intérêt général, notamment auprès d'autres personnes que leurs actionnaires. Des solutions de mutualisation de moyens ont ainsi déjà été élaborées dans la pratique entre des sociétés publiques locales d'aménagement et des sociétés d'économie mixte locales relevant de mêmes actionnaires. Les collectivités et établissements publics ont donc le choix. Elles peuvent, notamment, créer une société publique locale de toutes pièces à côté, le cas échéant, d'une société d'économie mixte, ou transformer celle-ci en société publique locale à travers une cession de parts des personnes privées aux personnes publiques.

Les sociétés publiques locales viennent donc enrichir la palette des outils dont disposent les collectivités territoriales et leurs groupements. Elles constituent une faculté nouvelle, et certainement utile, dans la mise en oeuvre des opérations publiques et la gestion des services publics.


(1) CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia (N° Lexbase : A0591AWS).
(2) CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen (N° Lexbase : A7748DK8).
(3) CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle (N° Lexbase : A9511DEY).
(4) Voir, notamment, l'article 1er de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) ; C. marchés publ., art. 1er (N° Lexbase : L2661HPA) ; CE, 6 avril 2007, n° 284736, Ville d'Aix en Provence (N° Lexbase : A9332DU8).
(5) CJCE, 3 mars 2005, aff. C-21/03 et C-34/03, Fabricom SA (N° Lexbase : A1770DHZ) ; CE 29 juillet 1998, n° 177952, Ministre de la Justice c/ Société Genicorp (N° Lexbase : A8026AS3).
(6) Voir respectivement CE, 28 juillet 1995, n° 143438, Société de gérance Jeanne d'Arc (N° Lexbase : A5103ANC) et CE, 11 juillet 2008, n° 312354, Ville de Paris (N° Lexbase : A6133D9Z).
(7) CAA Paris, 17 avril 2007, n° 06PA02278, Société Keolis et Département de Paris (N° Lexbase : A4181DWR) ; CE, 19 avril 2005, n° 371234, avis de la Section des travaux publics.
(8) CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04, Carbotermo SpA c/ Comune di Busto Arsizio, (N° Lexbase : A3283DPB).
(9) CJCE, 19 avril. 2007, aff. C-295/05, ASEMFO (N° Lexbase : A9407DUX).
(10) CE, 28 juillet 1993, n° 124099, Commune de Chamonix-Mont-Blanc (N° Lexbase : A0715ANS) ; CE 1° et 6° s-s-r., 6 février 2006, n° 266821, Commune de Lamotte-Beuvron (N° Lexbase : A8311DMR).
(11) CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, préc..
(12) CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04, Carbotermo SpA c/ Comune di Busto Arsizio, préc..
(13) CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04, Carbotermo SpA c/ Comune di Busto Arsizio, préc..
(14) CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, préc..
(15) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH (N° Lexbase : A1916AWU).

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Discrimination syndicale : la Halde n'a pas la qualité de partie, mais peut présenter devant la Cour de cassation des observations

Réf. : Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-40.628, Société Yusen air & Sea service (France), FP-P+B+R (N° Lexbase : A2118EY4)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 07 Octobre 2010

Quelle influence la Halde exerce-t-elle sur un contentieux ? Son intervention dans le procès est-elle conforme aux exigences du procès équitable et de l'égalité des armes ? La Cour de cassation s'est prononcée par un arrêt très remarqué rendu le 2 juin 2010. L'article 13 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (N° Lexbase : L5199GU4), modifiée par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances (N° Lexbase : L9534HHL), prévoit que la Halde a la faculté de présenter des observations portées à la connaissance des parties. La Cour de cassation estime que ces dispositions ne méconnaissent pas en elles-mêmes les exigences du procès équitable et de l'égalité des armes dès lors que les parties sont en mesure de répliquer par écrit et oralement à ces observations et que le juge apprécie la valeur probante des pièces qui lui sont fournies et qui ont été soumises au débat contradictoire (II). La décision, très discutée en sa dimension procédurale (1), mérite l'attention sur le fond, en ce que la Cour de cassation pose le principe selon lequel, lorsque l'employeur invoque comme motif de licenciement des propos jugés diffamatoires tenus à l'égard de collaborateurs de l'entreprise, un tel motif laisse supposer l'existence d'une discrimination en raison des activités syndicales du salarié. Ce motif se rapporte à des faits commis pendant la période de protection dont bénéficiait le salarié, ce qui exclut que le juge judiciaire puisse vérifier si ces faits étaient réels et constituaient des éléments objectifs étrangers à toute discrimination susceptibles de justifier la rupture par l'employeur du contrat de travail. Bref, ce motif du licenciement, tiré des activités syndicales du salarié, emporte à lui seul la nullité du licenciement (I).
Résumé

Dès lors que le motif ainsi invoqué (propos jugés diffamatoires tenus à l'égard de collaborateurs de l'entreprise), qui laisse supposer l'existence d'une discrimination en raison des activités syndicales du salarié, se rapporte à des faits commis pendant la période de protection dont bénéficiait l'intéressé, ce qui exclut que le juge judiciaire puisse vérifier si ces faits étaient réels et constituaient des éléments objectifs étrangers à toute discrimination susceptibles de justifier la rupture par l'employeur du contrat de travail, ce motif du licenciement, tiré des activités syndicales du salarié, emporte à lui seul la nullité du licenciement.

Les dispositions de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004, modifiées par la loi du 31 mars 2006, qui, sans être contraires à l'article 13 de la Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 (N° Lexbase : L8030AUX), prévoient que la Halde a la faculté de présenter des observations portées à la connaissance des parties, ne méconnaissent pas en elles-mêmes les exigences du procès équitable et de l'égalité des armes dès lors que les parties sont en mesure de répliquer par écrit et oralement à ces observations et que le juge apprécie la valeur probante des pièces qui lui sont fournies et qui ont été soumises au débat contradictoire.

I - Sur le fond : la nullité du licenciement, sanction de la discrimination pour activité syndicale

En l'espèce, le salarié, engagé le 8 janvier 2001 en qualité d'employé de service de groupage aérien, a été désigné délégué syndical le 19 avril 2005, ce mandat lui ayant été retiré le 12 avril 2006. Il a été licencié le 3 mai 2006, notamment en raison de propos jugés diffamatoires qu'il a tenus à l'égard de collaborateurs de l'entreprise soit lors de réunions du comité d'entreprise, soit dans une lettre du 18 novembre 2005, à en-tête du syndicat auquel il appartenait. Il a saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes de paiement et a présenté en appel de nouvelles demandes tendant à ce que son licenciement soit déclaré nul en raison d'une discrimination syndicale et des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des mesures discriminatoires dont il avait fait l'objet pendant l'exécution de son contrat de travail et à l'occasion de sa rupture. La Halde a, en application du décret n° 2005-215 du 4 mars 2005 (art. 9), présenté des observations.

A - Statut protecteur du délégué syndical issu du droit commun

Le droit international a mis en place, dès 1948, un instrument de protection des représentants du personnel, et au-delà, une protection de l'exercice de l'activité syndicale (OIT, Convention C 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948).

En droit interne, ces solutions ont été consacrées et codifiées. Le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, une autorisation est également requise pour le licenciement de l'ancien délégué syndical, durant les douze mois suivants la date de cessation de ses fonctions, s'il a exercé ces dernières pendant au moins un an. Elle est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la désignation du délégué syndical a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa désignation comme délégué syndical, avant que le salarié ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement (C. trav., art. L. 2411-3 N° Lexbase : L0148H9D).

La jurisprudence a complété ce corpus de règles. Il a ainsi été admis que les règles relatives au statut protecteur s'apprécient à la date à laquelle le salarié bénéficie de la protection (2). Même en présence d'une contestation sérieuse, le juge des référés, qui constate que la mise à pied à titre conservatoire d'un ancien délégué syndical est intervenue en violation de l'article L. 2411-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0148H9D) peut l'annuler (3). L'intervention d'une décision juridictionnelle annulant la désignation ayant conféré aux salariés une protection exceptionnelle n'a pas pour effet de remettre en cause rétroactivement le statut protecteur dont ont bénéficié les salariés jusqu'à cette date (4).

Le licenciement intervenu en méconnaissance des règles spécifiques de licenciement des salariés protégés est nul. Si le salarié demande sa réintégration, la Cour de cassation considère qu'elle est de droit, quelle que soit l'ancienneté du licenciement. Le licenciement d'un salarié protégé fondé sur un motif autre que celui retenu par l'inspecteur du travail pour accorder l'autorisation de licenciement est nul (5). La procédure de licenciement des représentants du personnel étant d'ordre public absolu, il est interdit par l'employeur de poursuivre par d'autres moyens la rupture du contrat de travail. Le licenciement est nul en cas de violation de la procédure (6). Le licenciement d'un salarié protégé sans respect de la procédure spéciale, est frappé de nullité de plein droit ; ainsi la demande de réintégration à titre principal est recevable sans qu'il soit tenu de demander préalablement la nullité du licenciement (7).

B - Statut protecteur du délégué syndical issu du régime de la discrimination

En l'espèce, la Cour de cassation devait se prononcer sur le statut protecteur du délégué syndical, non pas tel qu'il résulte de celui des représentants du personnel, mais du régime de la discrimination (C. trav., art. L 2141-5 N° Lexbase : L3769IB9 (8)). La Cour de cassation a été à de nombreuses reprises sollicitée à propos de ce régime de la discrimination syndicale, notamment à propos de :
- la possibilité d'ordonner des mesures d'instruction lorsque le juge, appelé à se prononcer sur une discrimination, ne s'estime pas en état de former sa conviction au vu des éléments qui, présentés par le salarié, laissent supposer l'existence de cette discrimination, et des éléments apportés par l'employeur pour prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (9) ;
- du champ d'application de la prescription, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination, et les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée (C. trav., art. L. 1134-5 N° Lexbase : L7245IAL) (10).

En l'espèce, l'employeur a fait grief aux juges du fond d'annuler le licenciement, d'ordonner la réintégration du salarié et de la condamner à lui payer des dommages-intérêts. En décidant que les courriers adressés par l'entreprise les 27 avril, 23 juin et 7 juillet 2005, pour informer le syndicat désignataire des difficultés suscitées par son délégué au sein de l'entreprise dans le cadre de son mandat (11), sans relever aucune atteinte à la réputation de l'intéressé, ni contester l'existence des faits avancés, seraient constitutifs, par eux-mêmes, d'une discrimination, la cour d'appel aurait violé l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1358A98) et, par fausse application, les articles L. 1132-1 (N° Lexbase : L6053IAG) et L. 2141-5 (N° Lexbase : L3769IB9) du Code du travail.

De plus, selon l'employeur, lorsque survient un litige relatif à l'existence d'une discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le principe constitutionnel du respect des droits de la défense commande que l'employeur accusé de discrimination puisse, quand le juge du fond estime qu'une apparence de discrimination a été établie par le salarié, rapporter des éléments objectifs afin de montrer que l'accusation dont il est l'objet est infondée. En admettant même que les courriers adressés au syndicat aient pu créer une apparence de discrimination, il incombait aux juges de rechercher si les griefs invoqués dans la lettre de licenciement à l'encontre des salariés ne justifiaient pas objectivement la décision litigieuse. En s'en dispensant expressément, la cour d'appel, qui se contente de la démonstration de la Halde, a privé l'employeur de tout moyen de défense.

Le salarié invoquait une discrimination syndicale. L'employeur serait intervenu de multiples fois, à répétition, directement auprès de son salarié, ou indirectement auprès de son syndicat, pour rendre possible un licenciement qu'il estimait souhaitable afin de contrecarrer son activité dans l'entreprise. En infraction avec les dispositions des articles L. 412-2 (N° Lexbase : L6327ACC) et L. 122-45 (N° Lexbase : L1417G9D), anciens, du Code du travail, le salarié a fait l'objet d'une discrimination pour avoir été licencié le 25 avril 2006 en raison, notamment, de son appartenance syndicale.

En ce sens, la Cour de cassation (arrêt rapporté) relève que le salarié a été licencié notamment en raison de propos jugés diffamatoires tenus à l'égard de collaborateurs de l'entreprise soit lors de réunions du comité d'entreprise, soit dans une lettre du 18 novembre 2005 à en-tête du syndicat auquel il appartenait (12). Aussi, dès lors que le motif de licenciement invoqué laisse supposer l'existence d'une discrimination en raison des activités syndicales du salarié et se rapporte à des faits commis pendant la période de protection dont bénéficiait l'intéressé, cela exclut que le juge judiciaire puisse vérifier si ces faits étaient réels et constituaient des éléments objectifs étrangers à toute discrimination susceptibles de justifier la rupture par l'employeur du contrat de travail. Donc, un tel motif du licenciement, tiré des activités syndicales du salarié, emporte à lui seul la nullité du licenciement.

Cette jurisprudence, très protectrice du salarié mandaté par une organisation syndicale, s'inscrit dans un courant déjà mis en place depuis plus de deux décennies, la jurisprudence n'étant pas toujours équilibrée :
- en 1986, la Cour de cassation décidait que l'infraction est constituée même si les motifs discriminatoires ne sont pas les seuls motifs de la décision prise par l'employeur (13) ;
- l'employeur commet un trouble manifestement illicite en ne procédant pas à la consultation de l'inspecteur du travail, même si le CDD a pris fin à son terme précis (14) ;
- peu importe que les faits retenus soient peu nombreux et d'une gravité limitée (refus d'un pot de départ, de donner un cadeau de départ) quand ils sont révélateurs d'une volonté d'entrave pouvant se manifester à tout moment et n'importe quelle occasion (15) ;
- dès lors que le salarié n'a reçu aucune convocation à un entretien de gestion de l'évolution de sa carrière et que l'employeur n'a pas pris l'initiative d'appliquer un accord relatif au droit syndical, l'intéressé a fait l'objet d'une discrimination (16).

Ces arrêts attestent d'une difficulté de la Cour de cassation pour apprécier, parfois, la réalité et prendre la mesure exacte d'un comportement discriminatoire de l'employeur dans le champ de l'activité syndicale. La Halde a rendu un certain nombre de délibérations qui permettent de porter une appréciation et de dresser une typologie des discriminations fondées sur l'activité syndicale d'un salarié. Parmi toutes les délibérations, on relèvera, plus particulièrement, en 2006, la délibération relative à l'exclusion d'un salarié, élu délégué du personnel, du bénéfice d'une prime de fin d'année (17) ; en 2007, la délibération relative à une sanction pécuniaire fondée sur les activités syndicales du salarié (18) ; en 2008, la délibération relative à un cas de harcèlement moral en raison de l'activité syndicale (19) ; ou, en 2009, la délibération relative à la baisse d'une indemnité attribuée à un informaticien en raison de ses activités syndicales (20).

II - Sur la procédure : la présentation par la Halde d'observations ne viole pas les exigences du procès équitable et de l'égalité des armes

En l'espèce, l'employeur avait formé un pourvoi formé contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris. La Halde s'était déjà exprimée sur cette affaire, par deux délibérations (n° 2007-188 du 2 juillet 2007 (21) puis n° 2008-201 du 29 septembre 2008 (22)) ; elle a présenté ses observations, par application de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004, modifiée par la loi du 31 mars 2006. La Cour de cassation (arrêt rapporté) reconnait la régularité de l'intervention volontaire de la Halde, telle que déjà retenue par les juges du fond, mais refuse à la Halde la qualité de "partie".

A - Régularité de l'intervention volontaire de la Halde

L'employeur reproche aux juges du fond d'avoir reconnue la procédure régulière. En constatant que la Halde avait procédé à l'instruction du dossier du salarié en recourant à des procédures exorbitantes du droit commun, qu'elle avait apprécié l'existence d'une discrimination au terme de ses deux délibérations, qu'elle avait aussi fourni assistance au salarié en l'aidant à constituer son dossier et, enfin, qu'elle avait formulé une demande d'intervention volontaire devant le juge judiciaire, la cour d'appel a autorisé la Halde à pratiquer un cumul de fonctions incompatibles entre elles, en violation des dispositions de la Directive 2000/43/CE et du principe de l'égalité des armes (CESDH, art. 6 N° Lexbase : L7558AIR). Toujours selon l'employeur, le fait que la Halde délibère sur l'existence des faits de discrimination, assistant le demandeur dans la constitution de son dossier et intervenant à ses côtés dans le procès porte une atteinte disproportionnée aux principes conventionnels de l'égalité des armes, du procès équitable et de la présomption d'innocence, en violation de l'article 6 de la CESDH.

La Cour de cassation a, pourtant, écarté les moyens soulevés par l'employeur (arrêt rapporté). Les dispositions de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004 (modifiées par la loi du 31 mars 2006), qui, sans être contraires à l'article 13 de la Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000, prévoient que la Halde a la faculté de présenter des observations portées à la connaissance des parties, ne méconnaissent pas en elles-mêmes les exigences du procès équitable et de l'égalité des armes. En effet, les parties sont en mesure de répliquer par écrit et oralement à ces observations ; le juge apprécie la valeur probante des pièces qui lui sont fournies et qui ont été soumises au débat contradictoire.

B - La Halde n'a pas la qualité de "partie"

En application de la loi du 30 décembre 2004 (modifiée par la loi du 31 mars 2006), les juridictions civiles, pénales ou administratives peuvent, lorsqu'elles sont saisies de faits relatifs à des discriminations, d'office ou à la demande des parties, inviter la Halde ou son représentant (c'est-à-dire, un avocat) à présenter des observations. La Halde peut elle-même demander à être entendue par les juridictions civiles : dans ce cas, cette audition est de droit. En donnant à la Halde le droit de présenter des observations par elle-même ou par un représentant dont rien n'interdit qu'il soit un avocat, la loi ne lui a pourtant pas conféré la qualité de partie, selon la Cour de cassation (arrêt rapporté). La cour d'appel devait se borner à entendre la Halde en ses observations, mais pas déclarer son intervention recevable.

Cette solution est tout à fait conforme à la doctrine administrative (circulaire n° 2005-22 du 3 mars 2010, portant sur les relations entre la Halde et l'autorité judiciaire) (23), selon laquelle, en vertu de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004, les juridictions civiles, pénales ou administratives peuvent, lorsqu'elles sont saisies de faits relatifs à des discriminations, d'office ou à la demande des parties, inviter la Halde (ou son représentant) à présenter des observations. La faculté donnée à la Halde de présenter des observations devant les juridictions ne lui confère pas la qualité de partie à l'instance. Les observations émises par la Halde doivent, en tout état de cause, être soumises à la discussion des parties.

La Cour de cassation (Chambre commerciale) s'était, d'ailleurs, prononcée en ce sens, en 1996, s'agissant de la Cob (Commission des opérations de bourse) (24) : la Commission des opérations de bourse pouvait, sans avoir la qualité de partie à l'instance, produire des observations écrites, conformément à l'article 10 du décret du 23 mars 1990. De même, la Cour de cassation avait admis, en 1998, que les dispositions de l'article 9, alinéa 1er, du décret du 19 octobre 1987, relatif aux recours exercés devant la cour d'appel de Paris (qui prévoyaient que le Conseil de la concurrence, qui n'est pas partie à l'instance, avait la faculté de présenter des observations écrites lors de l'instance de la cour d'appel) n'étaient pas de nature à fausser le débat dans la mesure où les parties avaient la possibilité de répliquer aux observations de cette autorité administrative (25).


(1) G. Loiseau, JCP éd. S, 2010, n° 1241 (obs. sous l'arrêt rapporté) ; S. Petit,C. Cohen, La Halde a-t-elle sa place devant les juridictions ?, D., 2008, n° 22, 05/06/2008 ; L. Peru-Pirotte, La lutte contre les discriminations : loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, JCP éd. S, n° 23, 3 juin 2008.
(2) Cass. soc., 6 novembre 2002, n° 00-43.531, Société Galvanoplastie et fonderie du Centre (GFC) c/ M. Jean-Jacques Brigot, F-D (N° Lexbase : A6731A3P).
(3) Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-41.240, Société Dawson France, F-P+B (N° Lexbase : A5578DMK).
(4) CE 4° et 5° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 322581, M. Ouahrirou (N° Lexbase : A0786EM3).
(5) Cass. soc., 11 juin 2002, n° 00-41.073, M. Marcel Claussmann c/ Compagnie française Eiffel, FS-P (N° Lexbase : A8987AYI).
(6) Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-42.867, Société Casino Europe 92 c/ M. Teyssier (N° Lexbase : A8761AHX).
(7) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 98-42.320, M. Maupile c/ Société Ciefa ICD Alternance (N° Lexbase : A2077AIR).
(8) Il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail (C. trav., art. L. 2141-5 N° Lexbase : L3769IB9).
(9) Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-42.697, Société Renault c/ M. Roger Silvain, FS-P+B (N° Lexbase : A9566ECB) et les obs. de G. Auzero, Discrimination syndicale, mesures d'instruction et prescription, Lexbase Hebdo n° 338 du 18 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5636BIL).
(10) Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-43.472, Société Renault véhicules industriels c/ Mme Micheline Bujard, inédit (N° Lexbase : A9860ATD) ; dans le même sens, Cass. soc., 30 janvier 2002, n° 00-45.266, Société Peugeot Citroën automobiles (PCA ) c/ M. Jean-Claude Travel, F-D (N° Lexbase : A8781AXI) ; Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02 -43.560, M. Patrick Monange, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2741DHY) et les obs. de Ch. Radé, L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans, Lexbase Hebdo n° 161 du 31 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2499AIE), Gaz. Pal., 22 juin 2005, p. 8, obs. D. Allix ; Cass. soc., 22 mars 2007, n° 05 -45.163, Société Alcatel, F-D (N° Lexbase : A7483DUP).
(11) Selon l'employeur, les griefs énoncés dans la lettre de licenciement traduisent objectivement des insuffisances personnelles de l'intéressé dans l'exécution de son travail, rappellent un emploi abusif du papier à entête du syndicat pour une intervention personnelle, une production insuffisante dans l'exécution de son travail et un comportement négatif à l'égard de ses collègues.
(12) Ni les écritures, ni la rédaction de l'arrêt de la Cour de cassation ne sont très explicites sur les conditions du comportement discriminatoire de l'employeur, qui ne ressortit pas clairement. Au final, il est extrêmement hasardeux de se prononcer sur le caractère discriminatoire du licenciement prononcé par l'employeur.
(13) Cass. crim., 2 décembre 1986, n° 85-95.121.
(14) Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 01-44.703, Société Intermarché Trimali c/ Mme Sylvie Lesaffre, épouse Stoop, FS-P (N° Lexbase : A4285DAX).
(15) CA Paris, 21ème ch., sect. A, 1er décembre 2004, n° 03/37482, Mme Yvette Deschamp c/ SAS Carrefour (N° Lexbase : A4957DEC).
(16) Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, M. Patrick Monange, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2741DHY).
(17) Délibération n° 2006-291 du 11 décembre 2006. L'exclusion d'un salarié, élu délégué du personnel, du bénéfice de l'avantage consenti sous la forme d'une mesure générale, applicable à l'ensemble du personnel, tout statut confondu (en l'occurrence l'octroi d'une prime de fin d'année) constitue une différence de traitement fondée sur un critère prohibé.
(18) Délibération n° 2007-76 du 26 mars 2007. Le réclamant, chef de magasin, délégué syndical, s'est vu retirer quinze heures sur son contingent d'heures à récupérer malgré la demande de rectification de l'inspection du travail. Cette sanction pécuniaire s'inscrit dans un contexte particulier ayant notamment déjà donné lieu au licenciement de la concubine du réclamant ainsi qu'à son assignation en référé pour trouble manifestement illicite. Dès lors, la haute autorité considère que l'absence de suites données par l'employeur aux observations formulées par l'inspection du travail laisse supposer l'existence d'une sanction pécuniaire discriminatoire. Elle recommande à l'employeur de se conformer aux observations de l'inspection du travail.
(19) Délibération n° 2008-78 du 14 avril 2008. Réclamation d'un policier municipal qui s'estime victime de harcèlement moral discriminatoire. La réclamante allègue que ces faits seraient fondés sur son activité syndicale et l'exercice de ses mandats de représentant du personnel. Le Collège constate que les agissements dont le policier a fait l'objet depuis plusieurs années ont excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et qu'ils sont ainsi constitutifs d'un harcèlement moral. Le maire, non seulement s'est abstenu de toute mesure susceptible de mettre un terme à cette situation, mais a également cautionné et contribué à ces agissements. En reprochant à la réclamante l'exercice de ses mandats syndicaux et de représentation du personnel, et en s'appuyant sur ces griefs pour bloquer son évolution de carrière, le maire de la commune de Roissy-en-Brie a commis à partir de l'année 2005 une discrimination prohibée par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3).
(20) Délibération n° 2009-224 du 15 juin 2009. La Halde a été saisie par un informaticien suite la décision du directeur de l'hôpital au sein duquel il est en poste, de ramener de 26 % à 15 % son indemnité forfaitaire technique.
(21) Délibération n° 2007-188 du 2 juillet 2007, la Halde a considéré que l'employeur avait décidé de se séparer du salarié uniquement pour des raisons explicitement liées à ses activités syndicales.
(22) Conformément à l'article 13 de la loi portant création de la Halde et à la demande du réclamant, la Halde décidait d'être entendue par la Cour d'appel de Paris. L'employeur a formé un pourvoi en cassation. La Halde a décidé, conformément à l'article 13 de la loi portant création de la Halde, de présenter ses observations devant la Cour de cassation.
(23) "La Halde peut, avec l'accord de la juridiction, présenter ses observations devant l'ensemble des juridictions civiles, et notamment devant les conseils des prud'hommes. Il paraît important en effet que la Halde puisse présenter des observations, soit parce qu'elle a eu connaissance du dossier, soit pour éclairer le tribunal de son expérience. Ces observations pourront prendre la forme d'un écrit ou être exposées oralement à l'audience".
(24) Cass. com., 9 avril 1996, n° 94-11.323, M. Haddad c/ Agent judiciaire du Trésor et autre (N° Lexbase : A2403ABM), Bull. civ. IV, n° 115, p. 96.
(25) Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-11.080, Société ITM France c/ Ministre de l'Economie et autres (N° Lexbase : A2613ACR), Bull. civ. IV, n° 42 p. 32 ; dans le même sens, Cass. com., 20 février 2007, n° 06-13.498, Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, F-D (N° Lexbase : A3072DUC).

Décision

Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-40.628, Société Yusen air & Sea service (France), FP-P+B+R (N° Lexbase : A2118EY4)

Textes concernés : loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (N° Lexbase : L5199GU4), modifiée par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances (N° Lexbase : L9534HHL) ; Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 (N° Lexbase : L8030AUX)

Mots-clés : discrimination syndicale ; licenciement ; nullité (oui) ; Halde ; procédure ; droit de présenter des observations (oui) ; violation de l'article 6 de la CESDH (non) ; Halde ; qualité de partie au procès (non)

Liens base : (N° Lexbase : E2582ETS) et

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Avocats/Honoraires

[Chronique] Chronique d'actualité relative aux honoraires d'avocat - Juin 2010

Lecture: 6 min

N4261BPI

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par Samantha Gruosso, Avocat au Barreau de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité relative aux honoraires d'avocat, rédigée par Samantha Gruosso, Avocat au Barreau de Paris. Deux intéressantes décisions y sont mises en évidence. La première, promise aux honneurs du Bulletin, a trait à l'irrecevabilité du recours formé contre les décisions du bureau d'aide juridictionnelle (Cass. civ. 2, 25 mars 2010, n° 09-16.902, F-P+B) et rappelle le principe selon lequel la décision du bureau d'aide juridictionnelle statuant sur une demande d'aide juridictionnelle est, conformément à l'article 23, alinéa 2, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE), insusceptible de recours. La seconde porte sur l'exercice, en cours de procédure, de la liberté de choix de son avocat par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle qui emporte renonciation rétroactive à cette aide (Cass. civ. 2, 11 février 2010, n° 09-65.078, F-D).
  • Irrecevabilité du recours formé contre les décisions du bureau d'aide juridictionnelle (Cass. civ. 2, 25 mars 2010, n° 09-16.902, F-P+B N° Lexbase : A1657EUW)

Dans cet arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient confirmer l'instauration d'une voie de recours unique en matière d'aide juridictionnelle. Plus particulièrement, elle fait une exacte application de l'article 23, alinéa 2, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, modifié par l'article 8 de la loi n° 2007-210 du 19 février 2007, portant réforme de l'assurance de protection juridique (N° Lexbase : L4510HUL), qui dispose que : "Les décisions du bureau d'aide juridictionnelle, de la section du bureau ou de leur premier président peuvent être déférées, selon le cas, au président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation, au président de la cour administrative d'appel, au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, au vice-président du Tribunal des conflits, au président de la Commission des recours des réfugiés ou au membre de la juridiction qu'ils ont délégué. Ces autorités statuent sans recours".

Néanmoins, il convient au préalable de revenir sur la voie de recours ouverte en cas de rejet de la demande d'attribution de l'aide juridictionnelle.

En effet, le rejet d'une demande d'aide juridictionnelle peut donner lieu à un recours, lorsque cette demande :

- a été rejetée au motif que le demandeur ne remplissait pas les conditions de ressources ou qu'il manque des documents ou renseignements dans son dossier,
- a été rejetée au motif que la procédure que le demandeur a engagée est manifestement irrecevable ou dénuée de fondement en droit.

En revanche, si la demande a fait l'objet d'une décision de caducité constatant la non production, dans le délai imparti, des documents ou renseignements demandés de nature à justifier qu'il satisfait aux conditions exigées pour bénéficier de l'aide juridictionnelle, le requérant peut alors introduire une nouvelle demande d'aide juridictionnelle.

Ce recours peut être formé dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle.

Le recours doit être formé par simple déclaration remise ou adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au bureau d'aide juridictionnelle qui a rendu la décision contestée.

Il est impératif en cas d'exercice de cette voie de recours de justifier de sa nouvelle situation ou de produire tous éléments permettant de prouver que l'aide peut être accordée, à défaut de quoi le recours risquera d'être déclaré mal fondé.

En l'espèce, une ordonnance avait été rendue par le premier président de la Cour de cassation le 8 juin 2009 concernant la décision de rejet de la demande d'aide juridictionnelle formée par le justiciable.

Celui-ci a, par la suite, formé un pourvoi par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, contre la décision rejetant ce recours, en soutenant que l'ordonnance était entachée d'une erreur manifeste en ce que le juge aurait omis de procéder à une recherche quant aux conditions d'attribution de l'aide juridictionnelle.

Or, le justiciable avait déjà utilisé la seule voie de recours qui lui était offerte en interjetant appel de la décision de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle prise par le bureau d'aide juridictionnelle.

C'est dans ces conditions que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation faisant une parfaite application des dispositions de l'article 23, alinéa 2, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, a déclaré irrecevable le pourvoi formé par le requérant aux motifs que le "recours formé contre le rejet d'une demande d'aide juridictionnelle n'est pas susceptible de recours".

  • L'exercice, en cours de procédure, de la liberté de choix de son avocat par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle emporte renonciation rétroactive à cette aide (Cass. civ. 2, 11 février 2010, n° 09-65.078, F-D N° Lexbase : A7877ER8)

La question de la détermination du partage des honoraires peut trouver à se poser, lorsque le départ de l'avocat est le fait, non de l'avocat lui-même, mais de son client. Plus précisément, dans le cadre d'une succession d'avocats, il convient de distinguer les cas où les confrères interviennent dans une même procédure au titre de l'aide juridictionnelle ou en dehors de l'aide juridictionnelle :

- lorsqu'un avocat qui succède un confrère, intervient également au titre de l'aide juridictionnelle, par confraternité, il devra, dans ce cas, se rapprocher de celui-ci et convenir d'un commun accord du partage de la rétribution versée par l'état en fonction du travail accompli par chacun, qui a défaut d'accord sera fixée par le Bâtonnier ;

- lorsqu'un avocat a été désigné au titre de l'aide judiciaire ou de la commission d'office et qu'il est évincé au profit d'un confrère qui va se faire rémunérer normalement, le client renonçant au bénéfice de l'aide judiciaire, il est normal qu'il soit prélevé sur les honoraires que le second va percevoir une indemnité suffisante pour payer le premier avocat précédemment commis des diligences qu'il a effectuées (TGI Lyon, 16 février 1981, Gaz. Pal.,1981, 1, jurisprud., p. 280, note A. Damien).

Le cas d'espèce exposé dans l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se situe dans le cadre d'une succession d'avocats dans une même procédure au titre de l'aide juridictionnelle.

La deuxième chambre civile a fait une exacte application des articles 32 de la loi du 10 juillet 1991 (loi n° 91-647 N° Lexbase : L8607BBE) et 103 du décret du 19 décembre 1991 (décret n° 91-1266 N° Lexbase : L0627ATE).

En effet, l'article 32 de la loi du 10 juillet 1991 dispose que "la contribution due au titre de l'aide juridictionnelle totale est exclusive de toute autre rémunération sous réserve des dispositions de l'article 36".

De même, l'article 103 du décret du 19 décembre 1991 dispose que "lorsqu'un avocat désigné ou choisi au titre de l'aide juridictionnelle est, en cours de procédure, remplacé au même titre pour raison légitime par un autre avocat, il n'est dû qu'une seule contribution de l'Etat. Cette contribution est versée au second avocat, à charge pour lui de la partager avec le premier dans une proportion qui, à défaut d'accord, est fixée par leBâtonnier.

Dans le cas où les avocats n'appartiennent pas au même barreau, la décision est prise conjointement par les Bâtonniers des barreaux intéressés.

Les mêmes règles sont applicables lorsque le remplacement a lieu au cours des pourparlers transactionnels".

Cependant, la deuxième chambre civile vient donner une précision supplémentaire concernant le principe de la liberté de choix de son avocat dont bénéficie tout attributaire de l'aide juridictionnelle.

En effet, lorsque le justiciable a fait le choix d'un nouvel avocat en cours de procédure, l'exercice de cette liberté de choix emporte renonciation rétroactive à cette aide essentiellement lorsque l'avocat désigné au titre de l'aide judiciaire a été évincé au profit d'un confrère qui va se faire rémunérer normalement.

Dans ce cas précis, il est établi que l'intégralité des honoraires seront pris en charge par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle qui en choisissant un confrère intervenant en dehors de l'aide juridictionnelle, a renoncé rétroactivement au bénéfice de cette aide.

En l'espèce, le justiciable avait été assisté par un avocat dans le cadre d'une instance en contribution aux charges du mariage. Celui-ci avait été désigné au titre de l'aide juridictionnelle. Au cours de l'instance, le justiciable a dessaisi l'avocat et a fait le choix d'un nouvel avocat également désigné au titre de l'aide juridictionnelle. Par la suite, le premier avocat a adressé au justiciable une note d'honoraires d'un montant de 358,80 euros TTC au titre des diligences accomplies dans ce dossier alors même qu'il aurait dû se rapprocher de son confrère afin de partager avec l'avocat qui l'avait remplacé au même titre la contribution versée par l'état. C'est la raison pour laquelle le justiciable a saisi le Bâtonnier d'une contestation de ladite facture d'honoraires. Dans la mesure où le Bâtonnier n'avait pas rendu d'ordonnance, le justiciable a saisi le premier président de la cour d'appel de Nîmes. Celui-ci, dans une ordonnance rendue le 21 février 2008, a condamné le justiciable à régler au premier avocat la somme de 358,80 euros TTC au titre des honoraires dus. Le président de la cour d'appel justifiait la condamnation du justifiable en arguant que le premier avocat avait été dessaisi avant la fin du litige, et ne pouvait recevoir des honoraires au titre de l'aide juridictionnelle sous la forme d'indemnité.

Cependant, aux termes de son ordonnance du 21 février 2008, le Président de la cour d'appel de Nîmes, pour condamner le justiciable, n'a pas opéré de distinction concernant l'intervention des confrères violant ainsi les dispositions des articles 32 de la loi du 10 juillet 1991 et 103 du décret du 19 décembre 1991.

C'est dans ces conditions, que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé l'ordonnance rendue par la cour d'appel de Nîmes aux motifs que le premier avocat "devait partager la contribution de l'état avec l'avocat qui l'avait remplacé au même titre".

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Juin 2010

Lecture: 11 min

N4267BPQ

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille I

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en procédures fiscales, réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille III. Au sommaire de cette chronique, on retrouve, tout d'abord, un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris, le 18 mars 2010, à propos de la rétroactivité des dispositions en matière de sanction aux infractions à la réglementation au paiement par chèque ou par virement. A l'honneur, également, un arrêt du Conseil d'Etat, en date du 16 avril 2010, qui apporte des précisions intéressantes quant à la combinaison de la pénalité pour non-révélation du bénéficiaire d'un revenu distribué et de la majoration de 10 % ; retour, enfin, sur le contrôle exercé par le premier président de la cour d'appel en matière de visites domiciliaires, avec un arrêt important de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu à cet égard, le 7 avril 2010.
  • Rétroactivité des dispositions en matière de sanction aux infractions à la réglementation au paiement par chèque ou par virement (CAA Paris, 9ème ch., 18 mars 2010, n° 08PA03117, mentionné au tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5634EU9)

Pour lutter contre la fraude, le législateur a entendu réglementer l'obligation de paiement par chèque barré, virement bancaire ou postal.

Le dispositif mis en place a évolué. En effet, l'article 1er de la loi du 22 octobre 1940 (N° Lexbase : L2559ATX), qui prescrit le règlement dans les formes précitées, a prévu une amende de 5 % des sommes indûment réglées en numéraire. Les règles ont été modifiées par l'article 4 de l'ordonnance du 14 décembre 2000 (ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000, relative à la partie législative du Code monétaire et financier N° Lexbase : L6857BUI), entré en vigueur dès janvier 2001. Le texte a été codifié sous l'article 1840 N sexies du CGI (N° Lexbase : L4748HMS). Comme le fait observer la cour administrative d'appel de Paris, la loi du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (loi n° 2005-882 N° Lexbase : L7582HEK), puis l'ordonnance du 7 décembre 2005, relative aux mesures de simplification en matière fiscale (N° Lexbase : L4620HDH), à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités ont quelque peu allégé les sanctions.

Il résulte de cette évolution que l'article 1840 J du CGI (N° Lexbase : L0177IKR), entré en vigueur au 1er janvier 2006, fixe pour principe que "les infractions aux dispositions de l'article L. 112-6 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4765IE9) sont passibles d'une amende fiscale conformément aux dispositions des deuxième et troisième phrases de l'article L. 112-7 du même code (N° Lexbase : L7116ICK)".

Les règlements en espèces, prescrits par l'article L. 112-6 du Code monétaire et financier, s'imposent y compris dans des situations difficiles. Le Conseil d'Etat a jugé, notamment, que la circonstance que la plupart des clients qui auraient été des ressortissants étrangers ne disposant pas de compte bancaire et de chéquier, ce qui est une situation fréquente, ou celle qu'un règlement par chèque ou par virement de leur part n'aurait donné aucune garantie au vendeur d'être payé, ne saurait disqualifier les infractions constatées (CE, 28 avril 1993, n° 87214 N° Lexbase : A9164AMD, RJF, 1993, 6, comm. 865).

Par son arrêt du 18 mars 2010, la cour administrative d'appel de Paris rappelle qu'en application de la loi du 11 juillet 1979 (loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 N° Lexbase : L8803AG7), l'administration devait indiquer au contribuable les motifs de droit et de fait justifiant la sanction. Mais cette dernière n'était pas tenue de motiver le taux retenu pour l'amende dans l'exercice du pouvoir de modulation que lui conférait le nouveau texte. En l'espèce, l'administration avait dressé des procès-verbaux, le 13 décembre 2002 et le 10 avril 2003, dans lesquels elle dressait la liste des paiements en numéraire et indiquait à cette occasion les dispositions légales prévoyant l'amende que l'administration envisageait de porter à sa charge. En conséquence, les sanctions avaient fait l'objet d'une motivation régulière, quand bien même l'administration ne livrait pas les raisons pour lesquelles le taux de l'amende prévue serait de 5 %. La cour administrative d'appel de Paris avait déjà jugé que la majoration de 10 % applicable au montant des cotisations ou fractions de cotisations soumises aux conditions d'exigibilité prévues par l'article 1663 du CGI (N° Lexbase : L0676IHI) (CGI, art. 1761 N° Lexbase : L2628HNN) est au nombre des sanctions devant être motivées (CAA Paris, 2ème ch. 25 avril 2003, n° 99PA03592 N° Lexbase : A7638B9R, RJF, 2003, 10, comm. 1124).

La cour, par application rétroactive de la loi pénale plus douce, a retenu l'application rétroactive de l'article 1840 J du CGI. En outre, elle retient qu'il ressort de l'article L. 80 D du LPF (N° Lexbase : L8025AEX) que les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées, dès lors qu'un document ou une décision adressé au plus tard lors de la notification du titre exécutoire, ou de son extrait, en a porté la motivation à la connaissance du contribuable.

  • Contestation et combinaison de la pénalité pour non-révélation du bénéficiaire d'un revenu distribué et de la majoration de 10 % (CE 3° et 8° s-s-r., 16 avril 2010, n° 313456, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0143EW9)

Voilà un arrêt qui apporte un certain nombre de précisions utiles quant à combinaison de la pénalité pour non-révélation du bénéficiaire d'un revenu distribué et la majoration de 10 % qui résulte de l'article 1761 du CGI (N° Lexbase : L2628HNN), alors applicable.

Le principe déclaratif s'impose à ceux qui perçoivent un revenu comme à ceux qui le verse.

A cet égard, rappelons, d'une part, que l'article 117 du CGI (N° Lexbase : L1784HNE) prévoit que, dans l'hypothèse où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale, celle-ci doit fournir à l'administration dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. A défaut de réponse dans les délais, il est fait application d'une pénalité visée à l'article 1759 du CGI (N° Lexbase : L1751HN8).

La doctrine administrative est, sur ce point, stricte, considérant qu'en principe, il doit y avoir concordance absolue, pour une période d'imposition donnée, entre la masse des revenus distribués et le total des revenus individuels déclarés par la personne morale (DB 4 J-1212 du 1er novembre 1995).

D'autre part, l'article 240 du CGI (N° Lexbase : L5003HLU) dispose que les personnes physiques qui, à l'occasion de leur profession, versent à des tiers des commissions, courtages, ristournes commerciales, vacations, honoraires occasionnels ou non, gratifications et autres rémunérations doivent déclarer ces sommes à l'administration.

A souligner que le fait que l'administration s'abstienne d'inviter une personne morale à lui indiquer le bénéficiaire d'une distribution est sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'égard des personnes physiques qui ont bénéficié de la distribution et que l'administration peut identifier (CAA Paris, 2ème ch., 14 octobre 2002, n° 98PA03171 N° Lexbase : A3876A3X).

Le Conseil d'Etat a une interprétation extensive des principes énoncés par le législateur et sanctionne les montages hasardeux en jugeant, par exemple, que sont susceptibles d'être imposés au titre des revenus distribués les avantages occultes consentis par l'intermédiaire d'une société de capitaux (CE, 29 juin 2001, n° 223663 N° Lexbase : A5287AUD, RJF, 2001, 10, comm. 1233). Dans la décision précitée, l'avantage occulte consenti par la société de personne n'a le caractère d'une distribution qu'à proportion de la participation qu'y détiennent les associés passibles de l'impôt sur les sociétés.

Aucun texte ne fait obstacle, dans le cas où la personne morale refuse ou s'abstient, dans le délai prescrit, de fournir à l'administration les indications demandées, à ce que celle-ci puisse chercher à identifier le véritable bénéficiaire de l'excédent de distribution. En conséquence, lorsqu'une société est invitée à désigner le bénéficiaire (CGI, art. 117) de bénéfices réputés distribués et que son gérant s'est lui-même désigné, celui-ci doit être regardé comme ayant appréhendé les bénéfices réputés distribués, la preuve contraire lui incombant (CE 9° et 10° s-s-r., 6 décembre 2006, n° 255492 N° Lexbase : A8493DSD, RJF, 2007, 3, comm. 325). Toutefois, il appartient à l'administration de justifier de l'existence et du montant des bénéfices réintégrés dans les bases de l'impôt sur les sociétés, à l'origine de cette distribution, lorsque le bénéficiaire désigné a refusé les redressements.

La charge de la preuve d'une distribution occulte est supportée par l'administration. Celle-ci l'administre lorsqu'elle établit l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale d'un bien cédé et qu'elle fait la preuve de l'existence d'une intention d'octroyer et de recevoir une libéralité du fait des conditions de la cession (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2002, n° 224975 N° Lexbase : A4717A4H, RJF, 2003, 3, comm. 299).

Lorsque le contribuable ne répond pas à une proposition de rectification mettant à sa charge les revenus distribués litigieux, il lui appartient d'apporter la preuve que la désignation du bénéficiaire par la société versante est inexacte (CE 9° et 10° s-s-r., 3 juillet 2002, n° 204646 N° Lexbase : A0329AZ9, RJF, 2002, 10, comm. 1103). Il appartient au contribuable désigné de démontrer qu'en réalité, il n'a pas appréhendé les revenus concernés, ou s'il n'a pas contesté dans les délais le montant des redressements, de prouver que le montant retenu par l'administration est exagéré (CE 9° et 10° s-s-r., 6 décembre 2006, n° 255492 N° Lexbase : A8493DSD, RJF, 2007, 3, comm. 325).

Concernant la pénalité de l'article 1759 du CGI, il a été jugé qu'elle doit être motivée au sens de l'article L. 80 D du LPF et qu'elle n'est contraire ni aux dispositions de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), ni aux stipulations de l'article 14 § 3 g) du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (N° Lexbase : L6816BHW) (CAA Nantes, 1ère ch., 26 octobre 2009, n° 08NT03354 N° Lexbase : A2369EPG). L'administration n'est tenue à l'obligation de motivation qu'à l'égard de la société qu'elle envisage de soumettre à la pénalité, et non à l'égard des personnes qui, après mise en recouvrement de cette dernière, sont solidairement responsables de son paiement (CE, 6 mai 1996, n° 134415 N° Lexbase : A8930AN3, RJF, 1996, 6, comm. 734). Enfin, le moyen tiré de l'absence de motivation de la pénalité n'est pas d'ordre public (CE, 10 octobre 2001, n° 199333 N° Lexbase : A1916AXA, RJF, 2002, 1, comm. 53).

Le Conseil d'Etat considère, d'une part, que la contestation relative à l'application de la pénalité, visée par l'article 1759 précité, se rattache au contentieux de l'assiette, et ne peut pas être retenue dans un contentieux de recouvrement, d'autre part, que l'administration ne peut assortir la pénalité visée par cet article de la majoration de 10 % pour paiement tardif (CGI, article 1761).

En outre, à suivre le Conseil, il résulte de l'article 1761 du CGI que la majoration de 10 % doit être analysée comme une sanction qui s'applique au montant des cotisations, ou fractions de cotisations, soumises aux conditions d'exigibilité visées par l'article 1663 du code précité. Aucun de ces deux articles ne mentionne la pénalité visée à l'article 1763 A du CGI (N° Lexbase : L4402HMY), laquelle n'est pas une imposition. En conséquence, l'administration ne pouvait pas assortir la pénalité d'une majoration de 10 % pour paiement tardif.

  • Visite domiciliaire : retour sur le contrôle exercé par le premier président de la cour d'appel (Cass. com., 7 avril 2010, n° 09-15.122, FS-P+B+R N° Lexbase : A5903EU8)

Une fois encore, la mise en oeuvre de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0549IHS) suscite des interrogations et donne matière à contestations. Gageons que ce ne sera pas la dernière.

Dans cette affaire, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Montpellier a autorisé les agents de l'administration fiscale à effectuer une visite et une saisie de documents dans les locaux et dépendances susceptibles d'être occupés par le contribuable et par d'autres, en vue de rechercher la preuve de la fraude fiscale de M. C. au titre de l'impôt sur le revenu et de la TVA.

Le délai et voies de recours sont mentionnés dans l'ordonnance (LPF, art. L 16 B). Dorénavant, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel territorialement compétent. L'appel n'est pas suspensif. D'un point de vue pratique, le greffe du tribunal de grande instance transmet sans délai le dossier de l'affaire au greffe de la cour d'appel où les parties peuvent le consulter. Toutefois, la faculté de consultation du dossier au greffe ne dispense pas l'administration de communiquer à la partie qui le demande les pièces dont elle fait état (Cass. com., 2 février 2010, n° 09-14.821, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2064ERU).

Une des originalités de cette affaire tient au fait que c'est le directeur général des finances publiques qui forme un pourvoi contre l'ordonnance rendue le 3 juin 2009 par le premier président de la cour d'appel de Montpellier.

Une autre originalité tient à la nature de l'activité du contribuable qui, semble-t-il, exerçait une activité de ventes d'oeuvres d'art par l'intermédiaire de sites internet.

L'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation, selon les règles prévues par le Code de procédure civile. Le délai du pourvoi en cassation est de quinze jours (LPF, art. L 16 B).

L'affaire qui nous est soumise nous invite à faire l'examen de la nature et de la portée du contrôle exercé par le premier président de la cour d'appel.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation retient que les dispositions de l'article L. 16 B du LPF ne limitent en rien le contrôle exercé par le premier président de la cour d'appel, dans le cadre d'un débat contradictoire. C'est à bon droit qu'il peut vérifier que tous les éléments fournis par l'administration fiscale requérante ont été obtenus par elle de façon licite. Il a été jugé que le nombre de pièces produites ne peut, à lui seul, laisser présumer que le premier juge s'est trouvé dans l'impossibilité de les examiner et d'en déduire l'existence de présomptions de fraude fiscale (Cass. com., 2 février 2010, n° 09-13.795, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2063ERT).

En outre, le juge d'appel doit s'en tenir aux éléments de fait présumant une fraude fiscale existant au moment du prononcé de l'ordonnance autorisant la visite et, par conséquent, il doit faire abstraction de redressements notifiés avant l'appel (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-14.707, F-P+B N° Lexbase : A1858ETY).

De plus, l'ordonnance pointe qu'il résulte de l'article L. 83 du LPF (N° Lexbase : L7615HER) que seuls les administrations, entreprises publiques, établissements ou organismes contrôlés par l'autorité administrative doivent, à la demande de l'administration fiscale, communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs et prestataires de communications électroniques.

Le droit de communication s'applique aux données conservées et traitées par les fournisseurs d'accès, définis comme des personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, et aux hébergeurs, qui sont des personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services.

Enfin, ayant constaté que ce droit a été exercé pour obtenir des pièces et documents auprès d'un opérateur et d'un prestataire de communications électroniques et, qu'en l'absence de deux pièces illicites, le juge des libertés ne pouvait présumer que le contribuable exerçait une activité non déclarée de vente d'oeuvres d'art depuis le territoire français au moyen d'un site internet.

Rappelons qu'il est de jurisprudence bien établie qu'en cas de cassation de l'ordonnance autorisant la visite et la saisie, les actes exécutés sur le fondement de l'ordonnance sont également annulés (Cass. crim., 2 décembre 1991, n° 90-85.273 N° Lexbase : A3509ACX, RJF, 1992, 11, comm. 1523).

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Propriété intellectuelle

[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR - Juin 2010

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR. L'auteur a sélectionné quatre décisions particulièrement importantes. Tout d'abord, dans un arrêt du 25 mars 2010 paré des plus beaux atours de la publication, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que seul le titulaire du droit moral "gardien naturel de la mémoire de l'auteur" pouvait décider des conditions de la divulgation post mortem de l'oeuvre, à l'exclusion du co-titulaire des droits patrimoniaux de l'auteur décédé. L'auteur a, ensuite, choisi de revenir sur la solution retenue par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 15 avril 2010 qui, interrogée au titre d'une question préjudicielle par le TGI de Paris, a énoncé que la loi française peut conserver la dévolution du droit de suite exclusivement à l'égard des héritiers à l'exclusion des autres ayants droit. L'actualité jurisprudentielle en droit de la propriété intellectuelle a également été marquée ce trimestre par deux arrêts de la Cour de cassation : dans le premier, la première chambre civile apporte, le 6 mai 2010, une réponse très solennelle à la question de savoir quelle juridiction est compétente pour statuer sur la validité d'une saisie-contrefaçon lorsque la juridiction saisie de la contrefaçon n'est pas celle ayant autorisé la saisie-contrefaçon ; enfin, dans le dernier arrêt sélectionné cette semaine, en date du 18 mai 2010, la Chambre commerciale apporte quelques précisions, d'une part, sur l'intérêt à agir de l'auteur de la demande de déchéance d'une marque pour défaut d'exploitation, et, d'autre part, sur les conséquences de cette déchéance à l'égard de la validité de la marque enregistrée postérieurement à celle dont la déchéance est demandée.
  • Quand le droit moral confère le droit d'organiser les conditions patrimoniales de la divulgation des oeuvres posthumes (Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-67.515, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1340EU8)

Respecter la volonté d'un mort qui, de fait, ne peut plus en exprimer aucune, voilà déjà une entreprise sujette à interprétation qui intervient dans la plupart des successions. Mais l'art divinatoire est à son comble lorsqu'il s'agit de respecter la volonté d'un auteur décédé relativement aux conditions de la divulgation d'oeuvres posthumes, que par définition l'auteur lui-même n'a pas voulu divulguer de son vivant. Pourtant, n'en déplaise à certains (1), la Cour de cassation a considéré, par un important arrêt du 25 mars 2010 paré des plus beaux atours de la publication (2), que seul le titulaire du droit moral "gardien naturel de la mémoire de l'auteur" (3) pouvait décider des conditions de la divulgation post mortem de l'oeuvre, à l'exclusion du co-titulaire des droits patrimoniaux de l'auteur décédé. Le droit de divulgation prévaut donc sur les droits patrimoniaux.

L'intérêt d'une telle solution réside bien évidemment dans l'hypothèse qui était celle de l'arrêt où le jeu des règles de la dévolution des droits d'auteur conduit à répartir sur la tête de différents héritiers, en l'espèce les deux enfants du philosophe Emmanuel Lévinas, les prérogatives patrimoniales et extrapatrimoniales dont bénéficie de son vivant l'auteur d'une oeuvre de l'esprit. Chacun des enfants, un garçon et une fille, est co-indivisaire des droits d'exploitation de l'auteur. Toutefois, seul le fils s'est vu confier l'exercice du droit moral et plus particulièrement du droit de divulgation par un codicille rédigé le 15 décembre 1994. Fort de cette exclusivité le fils a conclu seul un contrat d'édition pour la publication des oeuvres posthumes du philosophe. Sa soeur, évincée de la négociation d'un tel contrat, a cependant contesté, au nom de l'exercice du droit moral de leur père et du droit de divulgation qui en découle, que son frère puisse définir seul les conditions de l'exploitation de l'oeuvre. La question était donc posée à la Cour de cassation de savoir si le droit de divulgation doit être entendu restrictivement de la seule première communication de l'oeuvre au public ou si, au contraire, il doit s'entendre largement et partant être étendu aux conditions matérielles de la divulgation. Prérogative du droit moral à l'origine, le droit de divulgation peut-il avoir une incidence sur les conditions d'exploitation de l'oeuvre, manifestation traditionnelle du droit patrimonial de l'auteur ? Ce qui est en cause dans cet arrêt c'est véritablement l'étendue du droit de divulgation, la détermination de la frontière qui sépare le droit moral du droit patrimonial de l'auteur. La frontière est ténue, mais la Cour de cassation a tranché en faveur du droit moral. Elle a en effet décidé que "le droit de divulguer une oeuvre, attribut du droit moral d'auteur, emporte, par application des dispositions de l'article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3347ADC), le droit de déterminer le procédé de divulgation et celui de fixer les conditions de celle-ci ; que la cour d'appel a relevé, sans encourir le grief de dénaturation, que par dispositions testamentaires Emmanuel Lévinas avait confié l'exercice de ce droit exclusivement à son fils Michaël, ce dont il résultait que ce dernier était seul habilité à décider de la communication au public des oeuvres posthumes de son père, du choix de l'éditeur et des conditions de cette édition".

La Cour de cassation affirme donc que le titulaire du droit de divulgation post mortem peut, de manière exclusive, conclure un contrat d'édition portant sur une oeuvre non communiquée au public du vivant de l'auteur. Il n'a pas à obtenir l'autorisation des autres titulaires des droits patrimoniaux alors même que sa décision a nécessairement une incidence sur les droits patrimoniaux ainsi que le rappelait le moyen. Invoquant l'article L. 121-2, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle, les juges retiennent que le droit de divulgation permet à son titulaire de décider et déterminer les conditions de la communication au public d'oeuvres posthumes. Le droit de divulgation doit ainsi primer les droits patrimoniaux en cas de conflit.

Que penser d'une telle solution ? Elle apparaît fondée si l'on admet que la Cour de cassation a cherché à préserver l'esprit des textes relatifs à la dévolution anomale du droit de divulgation. En effet, l'article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle permet de conférer à une personne "en communion de pensée avec l'auteur", ou présumée l'être, le droit de divulgation. Le caractère exorbitant des règles relatives à la dévolution de cette prérogative n'est justifié que par la singularité de la divulgation des oeuvres posthumes. C'est, en effet, une décision des plus intimes qui doit être au plus proche de la volonté de l'auteur, en dépit qu'il ne l'ait jamais exprimée. Il semblerait peu respectueux de cette singularité d'admettre que les conditions de la divulgation ne sont pas consubstantielles au droit du même nom mais qu'elles appartiennent au droit strictement patrimonial. La solution doit donc être approuvée en ce qu'elle tend à faire primer la volonté de l'auteur et le respect de son droit moral par delà la mort et ce en assurant la plus large diffusion de ses oeuvres en dépit des conflits familiaux entre ses héritiers. Cette solution se justifie d'autant plus que les intérêts du titulaire des droits patrimoniaux n'en sont pas pour autant sacrifiés sur l'autel de la volonté présumée de l'auteur défunt dès lors qu'il pourra toujours, le cas échéant, invoquer un abus notoire du droit de divulgation si d'aventure le titulaire de ce droit se révélait peu digne de la confiance placée en lui par son auteur de père.

  • La paranoïa du droit de suite des oeuvres de Salvador Dali ou l'application du droit interne par application du droit européen ! (CJUE 15 avril 2010, n° C-518/08, Fundacion Gala-Salvador Dali c/ Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) N° Lexbase : A9184EUP)

Le droit de suite est une prérogative du droit patrimonial de l'auteur qui lui permet de percevoir une rémunération sur les ventes successives du support matériel de son oeuvre. Face à une importante disparité de traitement du droit de suite dans les législations des différents Etats membres, le législateur européen a souhaité une harmonisation. Celle-ci fut faite par la Directive CE 2001/84 du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale (N° Lexbase : L4714GU7). Cette Directive a été transposée en droit interne par la loi du 1er août 2006 (loi n° 2006-961, relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L4403HKB) et par le décret du 9 mai 2007 (décret n° 2007-756 N° Lexbase : L4652HXL). Cette transposition a généré une modification de l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2843HPY) en vertu duquel le droit de suite est reconnu comme une prérogative inaliénable conférée à tous les ressortissants des Etats membres. Toutefois, l'article L. 123-7 (N° Lexbase : L3378ADH), qui prévoit la dévolution du droit de suite postérieurement au décès de l'auteur, n'a nullement été modifié par la transposition de la Directive relative au droit de suite, si bien que le texte dispose toujours que "après le décès de l'auteur, le droit de suite mentionné à l'article L. 122-8 subsiste au profit de ses héritiers et, pour l'usufruit prévu à l'article L. 123-6 (N° Lexbase : L0305HPY), de son conjoint, à l'exclusion de tous légataires et ayants cause, pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années suivantes". Pourtant, l'article 6 de la Directive, qui détermine les bénéficiaires du droit de suite, prévoit que le droit de suite "est dû à l'auteur de l'oeuvre et sous réserve de l'article 8, paragraphe 2 [excluant la dévolution du droit de suite aux ayants droit lorsque l'Etat membre ne reconnaît pas le droit de suite à l'auteur lui-même], après la mort de celui-ci à ses ayants droit". La loi française peut-elle déterminer aussi restrictivement les bénéficiaires du droit de suite après le décès de l'auteur en réservant cette prérogative aux seuls héritiers à l'exclusion des autres ayants droit à l'instar des légataires testamentaires. C'est à une telle question que la CJUE se devait de répondre par son arrêt du 15 avril 2010 dans l'affaire qui lui était soumise par le TGI de Paris au titre d'une question préjudicielle (TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 29 octobre 2008, n° 06/00303, Fundacio Gala-Salvador Dali c/ Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques N° Lexbase : A6620EEW).

Le peintre Salvador Dali, qui avait laissé cinq héritiers légaux pour lui succéder, a institué par testament l'Etat espagnol comme légataire universel, au sens de la loi française, de ses droits de propriété intellectuelle. Une fondation de droit espagnol créée du vivant de l'artiste à son initiative a été investie de l'administration de ces droits. Cette fondation a elle-même confié à une société un mandat exclusif, valable pour le monde entier, de gestion collective et d'exercice des droits d'auteur. Cette société est contractuellement liée à son homologue française, l'ADAGP, afin qu'elle gère les droits d'auteur du peintre pour le territoire français. Cette société, depuis 1997, a prélevé les droits d'exploitation se rapportant à l'oeuvre du peintre et les a reversés à la fondation par l'intermédiaire de la société de gestion collective. Toutefois, l'ADAGP a reversé le droit de suite non pas à la fondation mais directement aux héritiers de Salvador Dali. La fondation, estimant qu'en application du testament de l'artiste et du droit espagnol, le droit de suite perçu à l'occasion de ventes aux enchères réalisées sur le territoire français devait lui être reversé, a assigné à cette fin l'ADAGP. Afin de trancher le litige le TGI de Paris a décidé de surseoir à statuer afin d'obtenir de la CJUE la réponse à la question préjudicielle de savoir si la loi française pouvait postérieurement à la Directive maintenir l'exclusivité du bénéfice du droit de suite aux seuls héritiers.

Pour la CJUE, la Directive relative au droit de suite répond à un double objectif. D'une part, assurer un certain niveau de rémunération aux artistes et, d'autre part, mettre fin aux distorsions de concurrence sur le marché de l'art en autorisant que certains Etats, n'appliquant pas ce droit de suite, soient plus attractifs pour le marché de l'art. Or la Cour relève que la satisfaction de ces deux objectifs n'implique nullement que l'on remette en cause la dévolution de droit de suite à certains sujets à l'exclusion d'autres. Fort de ce constat, elle décide que "l'article 6, paragraphe 1, de la Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du conseil, du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition de droit interne, telle que celle en cause au principal, qui réserve le bénéfice du droit de suite aux seuls héritiers légaux de l'artiste, à l'exclusion des légataires testamentaires. Cela étant, il incombe à la juridiction de renvoi, aux fins de l'application de la disposition nationale transposant ledit article 6, paragraphe 1, de tenir dûment compte de toutes les règles pertinentes visant à résoudre les conflits de lois en matière de dévolution successorale du droit de suite".

Dès lors, la loi française peut conserver la dévolution du droit de suite exclusivement à l'égard des héritiers à l'exclusion des autres ayants droit contrairement au droit espagnol. Toutefois, dans le litige opposant les héritiers de Dali à la fondation représentant les intérêts du légataire testamentaire, il n'est pas certain que le droit français trouvera à s'appliquer.

  • Compétence de la juridiction saisie de l'action en contrefaçon pour la validité de la saisie-contrefaçon (Cass. civ. 1, 6 mai 2010, n° 08-15.897, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0438EXI)

Lorsque la juridiction saisie de la contrefaçon n'est pas celle ayant autorisé la saisie-contrefaçon, laquelle de ces deux juridictions est compétente pour statuer sur la validité de la saisie-contrefaçon ? La question, très pratique, était posée à la Cour de cassation qui a rendu une réponse très solennelle si l'on en juge par la publicité donnée à cet arrêt du 6 mai 2010.

En l'espèce, une société avait sollicité auprès du tribunal d'Orléans l'autorisation de faire pratiquer une saisie-contrefaçon de logiciel dans les locaux de la société Parfums Christian Dior. Après avoir fait procéder aux opérations, la société a saisi le tribunal de grande instance de Montpellier afin que soit jugée au fond l'action en contrefaçon et en concurrence déloyale contre la société Parfums Christian Dior. Ces derniers se sont cependant opposés à l'action en invoquant une nullité de fond de la requête en autorisation résultant de l'absence de signature de l'avocat postulant.

La cour d'appel de Montpellier a  toutefois refusé de faire droit à cette demande et a rejeté l'exception de nullité au motif qu'en application de l'article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L1778H3A), les contestations relatives à l'ordonnance autorisant la contrefaçon doivent être portées devant le juge qui l'a rendue.

Saisie du pourvoi la Cour de cassation a néanmoins censuré ce raisonnement et décidé qu'à "l'expiration du délai imparti par l'article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle, pour demander la mainlevée de la mesure de saisie, la contestation relative à la validité de la requête au vu de laquelle a été autorisée la saisie-contrefaçon relève du pouvoir exclusif de la juridiction saisie au fond de l'action en contrefaçon".

La solution, importante en pratique, se justifie pleinement par le caractère exorbitant de la saisie-contrefaçon. Postérieurement au délai de trente jours, modifié par le décret du 27 juin 2008 (décret n° 2008-624, pris pour l'application de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon et portant modification du code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L5375H79) et porté à "vingt jours ouvrables ou de trente et un jours civils si ce délai est plus long", la saisie-contrefaçon ne doit plus produire d'effet, et il appartient à compter de ce délai de statuer au fond sur l'action en contrefaçon. Il n'est donc pas surprenant que les contestations relatives à la validité de la saisie-contrefaçon soit de la compétence de la juridiction saisie de l'action au fond.

Il est toutefois possible de s'interroger sur la solution rendue par la Cour de cassation. Doit-on considérer qu'elle n'a vocation à encadrer que les contestations postérieures au délai de l'article L. 332-2 ou bien faut-il considérer qu'elle se prononce également pour les contestations soulevées antérieurement à l'expiration du délai ? En effet interprétée a contrario, il est loisible de penser que les contestations ne relèvent pas du pouvoir exclusif de la juridiction saisie au fond. Autrement dit, avant l'expiration du délai il y aurait une possibilité de porter le litige devant la juridiction saisie de l'action en contrefaçon tout autant que devant la juridiction qui a autorisé la saisie. La compétence serait donc partagée avant l'expiration du délai et exclusive en faveur de la juridiction saisie de l'action en contrefaçon postérieurement à l'expiration du délai.

  • Précisions sur la procédure de déchéance des droits de marques pour défaut d'usage sérieux (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-65.072, F-P N° Lexbase : A3950EXL)

La Cour de cassation a eu l'occasion, par un arrêt 18 mai 2010 destiné à la publication au bulletin, de venir apporter quelques précisions, d'une part, sur l'intérêt à agir de l'auteur de la demande de déchéance d'une marque pour défaut d'exploitation, et d'autre part, sur les conséquences de cette déchéance à l'égard de la validité de la marque enregistrée postérieurement à celle dont la déchéance est demandée.

En l'espèce, la société Philip Morris avait enregistré en 1988 puis renouvelé en 1998 une marque "Next" pour désigner les produits du tabac, articles pour fumeurs, allumettes, cigares et cigarettes. Dans le même temps les marques "Next" avait été déposée en 1982 et en 1985 par la société Next Retail pour désigner des vêtements, bottes, chaussures et pantoufles.

La société Philip Morris a demandé la déchéance des droits détenus par la société Next Retail sur les marques Next pour défaut d'exploitation. Cette dernière a cependant opposé à la société Philip Morris un défaut d'intérêt à agir en déchéance des droits de marques et, reconventionnellement, elle a demandé la nullité de la marque déposée par Philip Morris.

La cour d'appel de Paris a fait droit à l'ensemble de ces demandes (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 19 novembre 2008, n° 07/10199, SA Philip Morris Products c/ Société de droit anglais Next Retail Limited N° Lexbase : A6626EBZ).

Elle a, tout d'abord, refusé de prononcer la déchéance au motif que l'action, traduisant un objectif manifestement contraire à l'ordre public, caractérise un dévoiement de la procédure prévue à l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3738ADS). La cour d'appel soulignait, en effet, que le dépôt postérieur avait constitué une atteinte au droit de la première marque déposée, qui en application de la législation en matière de lutte contre le tabagisme, n'avait plus la possibilité d'être exploitée paisiblement. Pour la cour d'appel, le titulaire de la marque enregistrée postérieurement ne pouvait donc invoquer un véritable intérêt à agir en déchéance dès lors qu'il avait lui-même contribué, par le dépôt ultérieur, à rendre impossible tout usage paisible de la marque. Mais la Cour de cassation s'en tient à une lecture beaucoup plus procédurale de l'article L. 714-5 puisqu'elle décide de censurer la décision au visa de ce texte. Elle souligne à cet égard que "le demandeur en déchéance de droits de marque justifie d'un intérêt à agir lorsque sa demande tend à lever une entrave à l'utilisation du signe dans le cadre de son activité économique, l'atteinte portée au signe antérieur ne relevant que de l'examen au fond des conditions d'usage de ce dernier". Pour la Cour de cassation, il y a donc lieu de distinguer l'aspect strictement procédural, qui implique que le titulaire de la marque enregistrée postérieurement ait un intérêt à agir en déchéance de la marque antérieure, du bien-fondé de la demande de déchéance. La solution n'est pas nouvelle (4), mais elle a le mérite d'être énoncée très clairement par la Cour de cassation.

La cour d'appel avait, ensuite, admis la nullité de la marque déposée postérieurement. Sur ce point également la décision est censurée au visa de l'article L. 711-4 (N° Lexbase : L8991G9U) au motif que "l'existence d'une marque qui n'aurait pas fait l'objet d'un usage sérieux depuis un délai ininterrompu de cinq ans ne peut fonder la nullité d'une marque enregistrée postérieurement", dès lors la cour aurait dû recherché "si la marque avait fait l'objet d'un usage sérieux et, le cas échéant, s'il existait de justes motifs d'inexploitation" préalablement à la reconnaissance de la nullité de la marque postérieure. La solution doit être approuvée dès lors qu'il ne peut y avoir de nullité de la marque postérieure que si la marque dont la déchéance est demandée constitue une antériorité. Or, si la déchéance est obtenue, la marque disparaît si bien qu'il n'y a plus de motifs justifiant la nullité de la marque postérieure. La Cour de cassation a ainsi rappelé là encore un principe déjà connu (5), mais elle le fait de manière très pédagogique, et la clarté du propos, et partant de la solution admise, doivent être soulignés et salués.

Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR


(1) J. Daleau, D., 2010, p. 888.
(2) C. Zolynski, LEDC, 2010 n° 6.
(3) C. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd., 2009, n° 273, citant une décision CA Paris 9 juin 1964, JCP, 1965, II, 14172 note A. Françon.
(4) CA Paris, 16 juin 2000, PIBD, 2000, n° 708, III, 552.
(5) TGI Paris, 9 novembre 2004, PIBD, 2005, n° 803, III, 152.

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Propriété intellectuelle

[Evénement] Inventions et créations de salariés... Code du travail versus Code de la propriété intellectuelle via la Haute juridiction... A quand un régime simplifié ?

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le sujet semble être dans l'air du temps. Si d'aucuns arguaient de l'inertie gouvernementale en la matière, actuellement, deux propositions de loi sont pourtant sur les rangs. La première, déposée à l'Assemblée nationale le 5 février 2010, s'intéressait à la compensation des salariés inventeurs. Son but était essentiellement d'aligner les deux régimes secteur privé/secteur public. Reposant sur une logique pro-salarié, elle a finalement été retirée de l'ordre du jour de la commission des affaires culturelles le 7 avril dernier, le groupe étant invité à réécrire sa proposition de loi. La seconde, déposée sur le bureau du Sénat le 4 juin, issue du Rapport Yung, adopte une approche différente en ne traitant pas directement de la rémunération, mais en remettant directement en cause la classification existante. De cette classification découlera la nouvelle rémunération afférente. Elle propose, ainsi, la création d'une nouvelle classification, bipartite, qui opposerait les inventions de service -regroupant les actuelles inventions de mission et inventions hors mission attribuables- aux inventions hors service -regroupant les actuelles inventions hors mission non attribuables. Elle permettrait donc de simplifier le régime existant. Par ailleurs, elle propose la suppression du mécanisme du juste prix. Si cette proposition semble marquer une véritable avancée en termes de créations de salariés, cependant, une question peut se poser : est-il juste de prévoir un seul type de rémunération pour deux types d'inventions ? C'est dans ce contexte que Linklaters LLP organisait, le 17 juin dernier, un séminaire intitulé "Créations de salariés - un système à recréer ?". Durant ce séminaire, l'équipe IP/TMT, dirigée par Marianne Schaffner, Associée, Linklaters LLP, s'est proposée de dresser un état du droit actuel et en devenir et d'évoquer des pistes de réflexion sur les points à améliorer. Comme le rappelle, en propos introductifs, Marianne Schaffner, le thème des inventions et des créations de salariés est assez complexe car il touche à plusieurs branches du droit. Le droit du travail, en premier lieu, mais également le droit des contrats et le droit de la propriété intellectuelle. En définitive, tout repose sur un antagonisme opposant le droit de la propriété intellectuelle (la création doit être libre) au droit du travail (lien de subordination découlant du contrat de travail). En effet, la théorie classique du droit du travail est que l'employeur recueille les fruits du labeur de ses salariés... alors que la création appartient à son auteur. Cet antagonisme révèle deux logiques différentes : alors que la création doit être libre, le contrat de travail repose sur un lien de subordination. Par ailleurs, il apparaît, poursuit la même intervenante, que le "nerf de la guerre" réside dans le conflit latent existant entre l'employeur et ses salariés : l'employeur pouvant considérer à juste titre que, lorsqu'il emploie un salarié pour créer, il reçoit un salaire ; tandis que le salarié considèrera que son travail d'innovation mérite une récompense supplémentaire à son salaire. Or, les entreprises doivent prendre en compte le fait que la capacité d'innovation intéresse directement la valeur de l'entreprise, c'est pourquoi il faut inciter les salariés à innover. Et c'est là sans doute tout le paradoxe du système existant....

Il y a un autre problème : la création peut présenter des éléments d'extranéité ; dans la mesure où, aujourd'hui, nos sociétés sont globales, les entreprises peuvent avoir des centres de recherche en divers lieux sur le globe nous confrontant ainsi à divers systèmes législatifs. Est-il normal que les salariés d'une même société se voient appliquer des modes de rémunération distincts en fonction du lieu où ils sont employés? La réponse, pour Marianne Schaffner est, à l'évidence, non. Il faut une rémunération identique. Surtout, n'est-il pas souhaitable qu'une entreprise globale ait un programme de rétribution des créations de ses salariés harmonisé ? Autant de questions qui restent aujourd'hui en suspens....

  • L'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle

Lorraine Sautter, Avocat, Linklaters LLP, envisage la création salariée sous l'angle du droit des brevets. Elle rappelle, à ce titre, que l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3556AD3) appréhende spécifiquement la question de la création salariée. Il dispose, en effet, que "1. les inventions faites par le salarié dans l'exécution soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l'employeur. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une telle invention, bénéficie d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail [...].
2.
Toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Toutefois, lorsqu'une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l'exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l'entreprise, soit par la connaissance ou l'utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l'entreprise, ou de données procurées par elle, l'employeur a le droit, dans des conditions et délais fixés par décret en Conseil d'Etat, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l'invention de son salarié.
3.
Le salarié doit en obtenir un juste prix qui, à défaut d'accord entre les parties, est fixé par la commission de conciliation ou par le tribunal de grande instance : ceux-ci prendront en considération tous éléments qui pourront leur être fournis notamment par l'employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l'un et de l'autre que de l'utilité industrielle et commerciale de l'invention.
Le salarié auteur d'une invention en informe son employeur qui en accuse réception selon des modalités et des délais fixés par voie réglementaire.
Le salarié et l'employeur doivent se communiquer tous renseignements utiles sur l'invention en cause. Ils doivent s'abstenir de toute divulgation de nature à compromettre en tout ou en partie l'exercice des droits conférés par le présent livre.
Tout accord entre le salarié et son employeur ayant pour objet une invention de salarié doit, à peine de nullité, être constaté par écrit [...]".

Sur le principe, l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle est tout à fait explicite. La jurisprudence est, cependant, venue préciser certains points. Ainsi, s'il ressort des termes mêmes de la loi que l'article L. 611-7 s'applique au salarié -au sens de l'article L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B) et de la jurisprudence s'y rapportant-, c'est-à-dire à la personne avec laquelle se crée un lien de subordination vis-à-vis de l'employeur, mais aussi au fonctionnaire et à l'agent public (C. prop. intell., art. L. 611-7, 5°), les juges du fond ont précisé qu'il ne concernait ni les mandataires sociaux (1), ni les stagiaires (2), il vient surtout distinguer trois types d'inventions.

  • La classification des inventions

Les dispositions de l'article L. 611-7, rappelle Lorraine Sautter, sont d'ordre public. Il ne peut y être dérogé qu'au profit du salarié. L'article L. 611-7 adopte une classification tripartite, aujourd'hui largement admise, quoique remise en cause (3). A chaque catégorie d'invention s'applique un régime propre. Le pré-requis pour que ces dispositions s'appliquent est que l'employé ait réalisé une contribution inventive ; ce n'est pas toujours évident (4).

La première catégorie a trait aux inventions de mission. L'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle définit les inventions dites "de mission" comme étant réalisées par le salarié dans l'exécution soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées. Elle fait, ainsi, ressortir deux catégories distinctes d'inventions de mission. Le principe est qu'elles appartiennent automatiquement à l'employeur.

L'invention de mission résulte, le plus souvent, d'une mission inventive. L'hypothèse la plus simple est celle d'une insertion expresse de la mission inventive dans le contrat de travail du salarié. La charge de la preuve incombe alors au salarié : c'est à lui de démontrer qu'il a réalisé l'invention en dehors de la mission inventive, afin d'emporter la qualification d'invention hors mission, laquelle lui est économiquement plus favorable. Dans un arrêt du 3 juin 2008 (5), la Haute juridiction livre certains indices permettant au salarié de démontrer que son invention n'est pas une invention de mission, malgré la présence d'une mission inventive dans son contrat de travail.

Dans cette affaire, un salarié poursuivait son employeur en paiement du juste prix de trois inventions, réalisées alors qu'il était salarié et qui avaient fait l'objet de demandes de brevet déposées au nom de cet employeur. La Chambre commerciale retient que, si dans les brevets qui ont été délivrés, le salarié est cité en tant qu'inventeur, cette seule mention ne suffit pas à établir que l'invention a été effectuée dans un cadre distinct de celui institué par son contrat de travail. Par ailleurs, dans chacune des demandes de brevets, son nom est associé à celui de son supérieur hiérarchique, dont il s'était engagé à respecter les instructions, et il ne produit aucune pièce propre à justifier de la création ou du développement, en dehors de ses fonctions, des ustensiles nouveaux et du perfectionnement qui ont été brevetés. Enfin, le salarié n'a, à aucun moment, déclaré ses inventions, attendant plus de dix ans avant d'émettre une prétention à leur sujet ; or, compte tenu du niveau auquel il a été recruté, son activité comportait une part d'innovation consistant à rechercher des adaptations et des modifications cohérentes et compatibles entre elles ainsi qu'avec l'objectif défini. Dès lors, en l'état de ces constatations, la cour d'appel a souverainement décidé que les inventions en question n'avaient pas été réalisées en dehors de la mission dévolue par les contrats de travail.

La mission inventive peut également ne pas figurer explicitement dans le contrat de travail. Elle pourra alors êtredéduite des activités et de l'objet social de l'employeur (6).

Elle peut, ensuite, résulter d'études et de recherches qui sont explicitement confiées au salarié. Dans un arrêt du 3 juin 2008 (7), la Cour de cassation nous en donne un exemple. Dans cette affaire, les juges retiennent qu'il s'agissait d'une invention relevant d'une mission explicite de recherche donné par l'employeur et donc d'une invention de mission.

L'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle distingue les inventions hors mission des inventions de mission. Elles appartiennent à l'employé, mais dans certains cas précis, le droit au titre reviendra à l'employeur. Ce sont les inventions hors mission attribuables.

Parmi elles, figurent en premier lieu les inventions effectuées dans le cours de l'exécution des fonctions du salarié. La cour d'appel de Paris, dans une décision du 13 mars 2009 (8), considère que la condition de l'exécution des fonctions n'est pas remplie du fait de la fonction de dirigeant et de la formation d'ingénieur économiste dudit salarié et non pas d'ingénieur technicien.

Figurent également, parmi les inventions hors mission attribuables, les inventions réalisées dans le domaine des activités de l'entreprise ou par la connaissance ou l'utilisation des techniques spécifiques à l'entreprise ou de données procurées par elle. La même jurisprudence nous donne une définition générale de ce que ces formules recouvrent : elles impliquent que le salarié a, par un effort personnel qui a lui demandé du temps réalisé une découverte personnelle dont la paternité lui revient de droit, mais dont les efforts doivent être attribués à l'entreprise en raison des données procurées par elle. Ce qui prévaut ici, comme le souligne Lorraine Sautter, c'est le côté personnel de l'effort et de la découverte, dans la mesure où il n'existe plus, dans le cadre des inventions hors mission attribuables, de lien de subordination, comme il peut exister dans le cadre des inventions de mission. Le salarié a créé librement mais grâce aux moyens de l'entreprise.

Restent, pour terminer, les inventions hors mission non attribuables. Elles ne posent guère de difficultés. Ces inventions n'ont pas été réalisées dans le cadre de l'exécution des fonctions ni avec les moyens de l'entreprise. Elles restent donc logiquement la propriété du salarié et les titres en découlant également.

  • Le régime des inventions et créations des salariés

Le salarié a l'obligation de déclarer toutes ses inventions à son employeur, y compris les inventions hors mission non attribuables. Il doit le faire immédiatement et proposer une classification. L'employeur a deux mois pour répondre. S'il ne répond pas dans les deux mois, le classement proposé par le salarié est réputé accepté. S'il s'agit d'une invention ouvrant droit à attribution pour l'employeur, ce dernier doit exercer son droit d'attribution dans un délai de quatre mois à compter de la date de réception par l'employeur de la déclaration de l'invention.

La procédure de déclaration crée des obligations réciproques entre l'employeur et l'employé. La principale est une obligation de confidentialité.

Quelle est la sanction si le salarié ne déclare pas ? Les textes sont, à cet égard, muets. La jurisprudence s'efforce donc d'apporter certains éléments de réponse. La Cour de cassation considère, de manière générale, qu'il n'y a pas de sanctions pour le salarié ; il ne peut, en particulier, pas perdre son droit à rémunération. Ainsi, dans un arrêt du 18 décembre 2007 (9), elle reconnaît que, compte tenu de la structure de la société, qui employait quatre ou cinq salariés dont les deux associés, celle-ci n'avait pu ignorer l'invention ayant fait l'objet d'une demande de dépôt à son nom dont elle vantait les mérites et qu'elle ne conteste pas avoir exploitée. Dans cette optique, il ne peut être reproché au salarié un manquement à son devoir d'information. Mais, comme le remarque Lorraine Sautter, la décision est, dans cette affaire, très circonstanciée.

En cas de contentieux, il existe une procédure de conciliation devant la Commission nationale des inventions de salariés (CNIS) -saisie par l'employeur ou le salarié-, qui a six mois à compter de sa saisine pour proposer une conciliation. Si la conciliation échoue, le salarié ou l'employeur a un mois pour se pourvoir devant les tribunaux judiciaires. Cette procédure de conciliation n'est pas obligatoire. Les parties peuvent directement saisir les tribunaux. Seul le tribunal de grande instance de Paris est compétent (10). Le TGI peut revenir sur la classification de l'invention, mais également sur la rémunération proposée, ou décider de la propriété des brevets ou des demandes de brevet relatifs à l'invention litigieuse.

  • La compensation financière

L'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle révèle, ici, certaines lacunes, comme commence par le rappeler Romain Viret, Avocat, Linklaters LLP. En effet, il se contente de poser le principe du droit à compensation supplémentaire tout en renvoyant, pour les modalités pratiques de détermination, aux conventions collectives nationales, aux accords d'entreprise et au contrat de travail. Les systèmes mis en place par les entreprises apparaissent insuffisants. In fine, ils conduisent à un contentieux abondant. Le principal élément déclencheur du versement d'une rémunération supplémentaire est le dépôt d'un brevet d'invention. Viennent, ensuite, l'exploitation directe de l'invention, l'extension et la délivrance du brevet. Dans la majorité des cas, le système de rémunération supplémentaire se caractérise par le versement de primes forfaitaires. Existent également, mais c'est plus rare, des systèmes de rémunération qui sont fonction de l'exploitation de l'invention et des systèmes mixtes, combinant les deux modes de rémunération. Le niveau de la rémunération supplémentaire versée au salarié tend à augmenter lorsque l'élément déclencheur se situe plus en aval de la procédure, notamment lors de la délivrance ou de l'extension du brevet ou lorsque cette rémunération est liée à l'exploitation. Les systèmes de rémunération ainsi mis en place comportent, parfois, des dispositions ayant pour effet de remettre en cause le droit à une rémunération supplémentaire. Dans de telles hypothèses, les dispositions des conventions collectives ont parfois été réputées non écrites.

Dès lors, si des systèmes existent, ils s'avèrent très souvent insuffisants ; ce qui explique que la détermination de la rémunération fasse l'objet d'un abondant contentieux. Dans le silence de la loi, quels sont les critères pris en compte par les magistrats pour fixer cette rémunération supplémentaire ?

La jurisprudence est donc, ici, une nouvelle fois, d'un grand secours. Cette rémunération supplémentaire étant analysée comme un complément de salaire, sa base de fixation est souvent le salaire. Mais, dans une décision célèbre du 21 novembre 2000 (11), la Cour de cassation juge qu'il faut prendre en considération la valeur de l'invention. En effet, selon la Haute juridiction, il ne résulte d'aucun texte légal ou conventionnel que la rémunération due au salarié, auteur d'une invention de mission, doive être fixée en fonction de son salaire. Dès lors, ayant constaté qu'aucune des parties ne contestait les conclusions de l'expert sur le cadre légal de cette rémunération complémentaire, sur la définition, l'intérêt scientifique et les difficultés de la mise au point pratique de l'invention ainsi que sur l'importance de la contribution personnelle du salarié, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'a pas fixé le montant de la rémunération supplémentaire due à celui-ci uniquement, comme allégué par la société, sur l'intérêt économique de l'invention, a statué comme elle l'a fait.

Parmi les critères pris en compte par la jurisprudence, figurent également la difficulté de mise au point de l'invention, l'importance de la contribution originale de l'inventeur dans la mise au point de l'invention, l'intérêt économique de l'invention... On le voit ici, il n'y a pas vraiment d'unicité des critères pris en compte par les juges, ce qui conduit à une certaine insécurité juridique pour les sociétés.

Enfin, quant à la prescription, Romain Viret souligne que certaines divergences subsistent tant sur son point de départ que sur sa durée et ce, malgré la loi du 17 juin 2008 (12). Ainsi, encore récemment, un arrêt de la cour d'appel de Toulouse retenait, de façon tout à fait étonnante d'ailleurs, une prescription de dix ans (13). La jurisprudence diverge également quant au point de départ de ce délai de prescription. La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 février 2005 (14), retenait que la prescription ne peut courir qu'à partir du moment où la créance est déterminée et ce n'est pas le cas si la fixation même du montant est l'objet du litige. La cour d'appel de Toulouse, dans sa décision du 16 mars 2010 (15), retenait, quant à elle, la date de délivrance du brevet. Les nouvelles dispositions concernant la prescription issues de la loi de 2008 énoncent que la prescription commence à courir à compter du jour où le titulaire du droit avait connaissance ou aurait du avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit. Reste à savoir qu'elles vont être les incidences de ces nouvelles dispositions sur la prescription des inventions de salariés...

  • Le juste prix

On retrouve, ici, le même schéma. L'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle nous donne quelques pistes en retenant que, à défaut d'accord entre les parties, le juste prix est fixé par la commission de conciliation ou par le tribunal de grande instance : ceux-ci prendront en considération tous les éléments qui pourront leur être fournis notamment par l'employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l'un et de l'autre que de l'utilité industrielle et commerciale de l'invention. A défaut d'une abondante jurisprudence en la matière, il existe peu d'indices permettant de déterminer ce juste prix.

  • Les créations de salariés sous l'angle du droit d'auteurs et des dessins et modèles

Le droit d'auteur conditionne son application à l'existence d'une oeuvre originale supposant une liberté de création totale alors que, encore une fois, le droit du travail suppose un lien de subordination. C'est là peut-être tout le paradoxe.

- Les droits patrimoniaux

Les grands principes en matière de droits d'auteur sont définis par l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2838HPS), véritable pierre angulaire du système du droit d'auteur : "L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous". Quelles que soient les conditions de création et même si celle-ci s'effectue dans le cadre d'un contrat de travail, la création appartient donc à l'auteur. Aucune ambiguïté ici. Comme le souligne Sandra Georges, Avocat, Linklaters LLP, cette acception découle logiquement de la vision personnaliste du droit d'auteur, qui place l'auteur au centre de la création. Cette vision peut être justifiée concernant les oeuvres d'art pur, elle pose plus de difficultés concernant les oeuvres d'art appliqué. Et pourtant, l'article L. 511-9 (N° Lexbase : L5283AWL) contient le même principe : la protection du dessin ou modèle est accordée au créateur ou à son ayant cause. Cela ne signifie pas que l'employeur est laissé sans ressources, il peut exploiter les oeuvres de ses salariés en se faisant céder les droits. Le contrat de cession doit obéir à de nombreuses conditions formalistes. Ainsi, concernant l'exploitation des droits, l'article L. 131-3 (N° Lexbase : L3386ADR) prévoit que "la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article. Les cessions portant sur les droits d'adaptation audiovisuelle doivent faire l'objet d'un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l'édition proprement dite de l'oeuvre imprimée. Le bénéficiaire de la cession s'engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l'auteur, en cas d'adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues". Et à l'article L. 131-1 (N° Lexbase : L3384ADP) de préciser que la cession globale des oeuvres futures est nulle. Cette prohibition, poursuit Sandra Georges, a fait couler beaucoup d'encre. De son côté, la jurisprudence semble admettre la validité des clauses de cession anticipée, si elles touchent des oeuvres qui sont déterminables, même si elles sont futures. Il faut également mentionner l'article L. 132-4 (N° Lexbase : L3395AD4), en matière d'édition, qui permet les pactes de préférence.

Si la rémunération doit être indépendante du salaire, elle doit également être proportionnelle aux recettes perçues sur l'exploitation de l'oeuvre. L'article L. 131-4 (N° Lexbase : L3387ADS) prévoit des exceptions limitativement énumérées. Il envisage, ainsi, une rémunération forfaitaire lorsque la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ; les moyens de contrôler l'application de la participation font défaut ; les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ; la nature ou les conditions de l'exploitation rendent impossible l'application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l'auteur ne constitue pas l'un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l'oeuvre, soit que l'utilisation de l'oeuvre ne présente qu'un caractère accessoire par rapport à l'objet exploité... L'article L. 122-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3367AD3) admet, par ailleurs, les cessions à titre gratuit, à condition que l'intention libérale du créateur ne fasse aucun doute.

En pratique, ces conditions strictes ne sont pas sans poser certaines difficultés à l'employeur, qui se voit obligé de multiplier les contrats de cession au coup par coup. La jurisprudence a, par le passé, essayé de trouver des solutions. Aujourd'hui, avec l'intervention du législateur en 1957, qui a intégré au Code de la propriété intellectuelle le principe de la titularité initiale des articles L. 111-1 (N° Lexbase : L3523ADT) et L. 511-9 (N° Lexbase : L5283AWL), la jurisprudence est claire : même en présence d'un contrat de travail, la création appartient au créateur. Cependant, un courant jurisprudentiel continue à essayer d'imposer l'idée de cession implicite lorsqu'il y a un contrat de travail, même si finalement, comme le remarque Sandra Georges, la décision du 21 novembre 2006 reste isolée (16).

Il existe des correctifs issus d'une logique économique. Il y a, d'abord, le correctif de l'oeuvre collective, qui est définie à l'article L. 113-2 (N° Lexbase : L3338ADY) : est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.

Cette définition de l'oeuvre collective correspond à la définition du contrat de travail et du lien de subordination. Les employeurs vont pouvoir échapper au formalisme de l'article L. 131-3 (N° Lexbase : L3386ADR) sur la cession des droits d'auteurs en invoquant systématiquement l'oeuvre collective. En effet, ce régime est très favorable à l'employeur puisque les droits tant moraux que patrimoniaux appartiennent ab initio à l'employeur.

Il existe un autre correctif, qui correspond à la présomption de titularité. Selon l'article L. 113-1 (N° Lexbase : L3337ADX) : "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée". L'article L. 511-9 sur les dessins et modèles énonce la même présomption. L'article L. 132-24 (N° Lexbase : L3417ADW) en matière d'oeuvres audiovisuelles prévoit la présomption équivalente en faveur des producteurs.

- Les droits moraux

Les droits moraux s'entendent du droit au respect de l'oeuvre, du droit de divulgation et du droit de retrait. Ces droits moraux sont définis aux articles L. 121-1 (N° Lexbase : L3346ADB), L. 121-2 (N° Lexbase : L3347ADC) et L. 121-4 (N° Lexbase : L3349ADE) du Code de la propriété intellectuelle. Ils sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles.

Pour conclure, selon Marianne Schaffner, les réformes s'avèrent compliquées. Les divergences au sein des juridictions sont à cet égard révélatrices...


(1) CA Paris, 4ème ch., sect. B, 13 mars 2009, n° 07/18278, M. Michel Cregut c/ Société Citec environnement (N° Lexbase : A6087EE8). Dans cette affaire, la confusion entre les rôles d'employé et d'employeur ne permettait pas, selon les juges du fond, l'application de la présomption légale de l'article L. 611-7. Il s'agit, ici, d'éviter les abus de l'employeur, qui est à la fois employé, et qui décide, lui-même, de la rémunération qu'il veut s'octroyer !
(2) CA Paris, 4ème ch., sect. A, 12 septembre 2007, n° 06/15211, Centre national de la recherche scientifique c/ M. Michel Puech (N° Lexbase : A4489DYW). La cour d'appel s'est fondée sur les dispositions de l'article L. 611-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3555ADZ), selon lequel le droit au titre de propriété industrielle appartient à l'inventeur ou à son ayant cause. Dans cette affaire, la cour d'appel considère que le CNRS est l'ayant-cause du stagiaire, dans la mesure où le stagiaire, lorsqu'il est arrivé au CNRS, avait signé le règlement intérieur, lequel prévoyait que les inventions réalisées au cours du stage étaient transférées à l'employeur. Le problème devenait donc celui de la légalité de ce règlement intérieur. C'est une question de droit administratif. C'est pourquoi elle a été référée au Conseil d'Etat. Ce dernier a considéré en l'espèce, après avoir rappelé que l'article L. 611-7 ne s'appliquait pas aux stagiaires, que le règlement intérieur était illégal, car le CNRS ne tenait d'aucun texte ni d'aucun principe le pouvoir d'édicter un principe de dévolution générale de l'invention à son profit. On attend à l'heure actuelle la décision finale des juridictions judiciaires.
(3) Cf. la proposition de loi déposée le 4 juin 2010, préc..
(4) TGI Paris, 19 mai 2009, n° 07/07300, M. Patrick Masse c/ Société nationale des chemins de fer français (N° Lexbase : A3667EIN).
(5) Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-10.253, M. Gilbert Li, F-D (N° Lexbase : A9256D8C).
(6) CA Toulouse, 2ème ch., sect. 2, 16 mars 2010, n° 08/00258, M. Henri Cousse c/ SA Société Pierre Fabre dermocosmétique (N° Lexbase : A7307EWK). Attention, l'objet social reste un indice, il ne saurait suffire à lui seul.
(7) Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-12.517, M. Alain Rouyer, F-D (N° Lexbase : A9278D87).
(8) CA Paris, 4ème ch., sect. B, 13 mars 2009, n° 07/18278, préc..
(9) Cass. com., 18 décembre 2007, n° 05-15.768, Société Aube viticole services (AVS), F-D (N° Lexbase : A1157D3A).
(10) Décret n° 2009-1204 du 9 octobre 2009, relatif à la spécialisation des juridictions en matière de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8530IEN) et décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009, fixant le siège et le ressort des juridictions en matière de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8531IEP).
(11) Cass. com., 21 novembre 2000, n° 98-11.900, Société Hoechst Marion Roussel c/ M Raynaud et autre (N° Lexbase : A9333AH7).
(12) Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I). Lire les obs. de S. Tournaux, Les incidences en droit du travail de la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription civile, Lexbase Hebdo n° 310 du 26 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3769BGP).
(13) CA Toulouse, 2ème ch., sect. 2, 16 mars 2010, n° 08/00258, préc..
(14) Cass. com., 22 février 2005, n° 03-11.027, Société Application des gaz- ADG "Camping gaz" c/ M. Gérard Scrémin, F-P+B (N° Lexbase : A8644DGA). Lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Application immédiate de la "loi" nouvelle, attention aux dérapages !, Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4903AB9).
(15) CA Toulouse, 2ème ch., sect. 2, 16 mars 2010, n° 08/00258, préc..
(16) Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n° 05-19.294, M. Emmanuel Chaussade, F-D (N° Lexbase : A5339DSK).

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Célébration du bicentenaire du rétablissement du barreau de Paris (1810/2010) - Questions à Jean Castelain, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris

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N4260BPH

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Un moment historique au rayonnement international.

C'est ainsi qu'est communément envisagée la célébration du bicentenaire du rétablissement par Napoléon du plus grand barreau de France, celui de Paris, cérémonie qui se déroule les 24, 25 et 26 juin 2010. Un peu d'histoire... En 1790, un décret de l'Assemblée nationale met brutalement fin à la profession d'avocat, au nom du principe de la liberté absolue de défense. La réorganisation de la profession ne surviendra qu'en 1810, sous le contrôle strict du parquet impérial, Napoléon éprouvant la plus grande méfiance pour le barreau, agacé par sa liberté de parole et d'action. Un décret du 14 décembre 1810 prend, donc, soin de "poser les bornes qui doivent la séparer de la licence et de l'insubordination". Fort heureusement, à la chute de l'Empereur, les avocats ne mettront pas longtemps à se dégager de cette tutelle : aussitôt reconnu roi des Français, Louis-Philippe donne aux avocats le droit d'élire leurs dirigeants et la faculté d'exercer sans contraintes leurs fonctions sur l'ensemble du territoire, par l'ordonnance du 27 août 1830. Mais, en définitive, plutôt que de se tourner vers le passé, Jean Castelain, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris préfère se concentrer sur l'avenir et inscrire cette célébration dans la modernité, ainsi qu'il nous l'a confié lors d'une récente rencontre. Lexbase : Dans quel état d'esprit abordez-vous la célébration du bicentenaire du barreau de Paris ?

Jean Castelain : Je suis très serein et, naturellement, fort enthousiaste. Mes confrères, lors de mon élection, ont attiré mon attention sur la chance que j'avais d'être le Bâtonnier du Bicentenaire. Il s'agit d'un grand honneur et j'entends donner à cette cérémonie tout son éclat.

Le barreau de Paris mérite, en effet, une grande commémoration. Il est le premier barreau de France sur tous les plans (en termes d'avocats inscrits, de chiffre d'affaires, de personnalités, d'activité internationale, de poids dans la vie publique, de rôle dans la défense des avocats à l'étranger, etc.). Paris est, en outre, la première place mondiale en matière d'arbitrage international.

Je souhaite offrir aux 22 000 avocats parisiens un événement exceptionnel, auquel s'associent de nombreux partenaires de qualité (dont la cinquantaine de cabinets internationaux implantés à Paris, ainsi que des grandes entreprises telles qu'Aon, Oddo & Cie, Radio classique, Le point, BNP Paribas, International Herald Tribune, Les Echos, etc.). Sont conviés à cette célébration des représentants des barreaux français et étrangers, des décideurs des grandes entreprises, des magistrats et, plus généralement, des personnalités issues du monde des affaires, économique et financier, institutionnel, culturel, etc..

Cet événement va écrire une belle page du barreau de Paris.

Lexbase : Quel est le programme ?

Jean Castelain : La célébration se déroule sur 3 jours, les 24, 25 et 26 juin prochains et comporte trois axes :

- l'un institutionnel, le 24 juin à 17 heures, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, inaugure la cérémonie au Palais de Justice, où il apposera une plaque commémorative, suivie d'une réception à 19 heures dans le salon de l'Hôtel de Ville, en présence de Bertrand Delanoë, Maire de Paris ;

- l'un international, avec la tenue des conférences du droit et de l'économie à l'Unesco les 25 et 26 juin 2010 ; et

- le dernier convivial, avec les nuits du barreau les 25 et 26 juin, au cours desquelles auront lieu une chorégraphie de plus de cinquante danseurs, une illumination spectaculaire des lieux, un show aérien en déambulation sous le dôme du Grand Palais, un concert privé de Thomas Dutronc, une prestation de célèbres DJ jusqu'au petit matin et plusieurs autres surprises...

Lexbase : Pourquoi avoir choisi comme thème "Ordre et transgression - les leviers juridiques du progrès" ?

Jean Castelain : Michèle Alliot-Marie a très justement déclaré que "la crise a trouvé son origine dans la finance ; elle trouvera son issue dans le droit". Je partage pleinement ce point de vue et nous souhaitons placer cette célébration sans précédent sous le signe du progrès et de l'innovation.

En effet, si la crise financière a bouleversé le droit et l'économie, nous sommes, aujourd'hui, dans une configuration inédite où cohabitent droit existant et transgression de la norme. Or, cette dernière peut tout à fait être une "innovation créative" -selon les termes de Dominique de la Garanderie- aboutissant à une nouvelle norme. Nous en avons un bon exemple avec la création du G20 : certains ont pris l'heureuse initiative d'aller plus loin que ce qui était attendu. Et la question se pose, désormais, de savoir comment cette impulsion va s'organiser sur le long terme ? Il est, nécessaire, d'y apporter un cadre. Le cadre juridique est le plus opportun.

Je suis, ainsi, convaincu que la norme juridique, sortie de son carcan, constitue un élément fédérateur, une force créatrice, une réponse à la crise. Elle a pour vocation de réhabiliter et d'asseoir des valeurs essentielles tels que la morale, les règles déontologiques et éthiques et le respect des droits fondamentaux dans le monde.

L'occasion nous est donnée de débattre des nouveaux choix stratégiques, des nouvelles voies de gouvernance qui réinventent la croissance dans un monde plus responsable. Nous le ferons au cours de cette conférence exceptionnelle intitulée "Ordre et transgression, les leviers juridiques du progrès", organisée par le Bâtonnier Dominique de la Garanderie. Celle-ci s'étalera sur deux jours (les 25 et 26 juin) et sera ouverte par Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco. Elle regroupera près d'une quinzaine de tables rondes aux cours desquelles interviendront des juristes de renom, des dirigeants de grandes sociétés multinationales, des personnalités politiques de premier plan, etc..

Seront, ainsi, abordés les thèmes suivants :

- Gouvernance mondiale, le devoir de transgression ? ;
- Investir à bon droit ;
- Face au risque judiciaire, l'avocat médiateur et arbitre ;
- L'entreprise collaborative et ses parties prenantes ;
- Du risque financier à l'économie de la responsabilité ;
- L'entreprise à progrès collectif ;
- Opinions minoritaires et Bien commun ;
- La finance islamique à l'épreuve des Valeurs ;
- La démarche conformité juridique ;
- L'arme du droit ;
- Le droit, levier du développement (Legal empowerment) ;
- Quel cadre pour la microfinance ? ;
- Sortir de la doxa, d'où viendra l'innovation ? ; et
- Ordre et transgression, le droit levier du progrès collectif.

Lexbase : En quoi cette célébration a-t-elle un rayonnement international très fort ?

Jean Castelain : En 1910, quand a été célébré le centenaire du rétablissement du barreau de Paris, les représentants des barreaux du monde entier ont été conviés. L'expérience sera renouvelée pour le bicentenaire.

J'ai, également, souhaité que les Bâtonniers qui le souhaitent s'adressent au barreau de Paris par le biais d'un message audiovisuel, enregistré dans leur langue et portant, notamment, sur les thèmes de "la défense des plus démunis et la protection des droits fondamentaux, mais aussi [sur ceux de] la place de l'avocat dans le rayonnement du droit et sa contribution par ses compétences reconnues et les garanties qu'il apporte au développement économique". Ces messages sont actuellement diffusés sur le site du Bicentenaire de notre barreau et le seront, également, au cours des Nuits du barreau. Nombreux sont ceux qui ont répondu positivement à cette invitation (1).

Lexbase : Quels moyens cette célébration nécessite-t-elle ?

Jean Castelain : Jusqu'à présent, cet événement a impliqué plus de sept mois de préparatifs, des dizaines de personnes mobilisées, dont plusieurs à temps complet et une enveloppe de 4,7 millions euros, majoritairement constituée des fonds versés par nos sponsors.


(1) Not., Yori Geiron, président of the Israel Bar, Marc Chabonneau, Bâtonnier du barreau de Montréal, Kevin Caroll, président of the Canada bar association, Lu Chan Khuong, Bâtonnière du barreau du Québec, Germ Kemper, Amsterdam Bar Association, Samuel W. Seymour, President, New York City Bar Association, Carlos Carnicer Díez Presidente del Consejo General de la Abogacia Española, Kazuo Wakatabi Président of the Tokyo Bar Association, Anita Alvarez, President of the Chicago Bar Association, Nicholas Green QC Chairman of the General Council of the Bar, Luiz Flávio Borges d'Urso, bâtonnier du barreau de São Paulo, Kim M. Boyle President of the Louisiana State Bar, Michael A. Patterson President-Elect of the Louisiana State Bar Association Association, Søren Jenstrup Chairman, Danish Bar and Law Society.

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