Jurisprudence : CEDH, 26-09-1996, Req. 47/1995/553/639, Miailhe c. France (n

CEDH, 26-09-1996, Req. 47/1995/553/639, Miailhe c. France (n

A3186AUK

Référence

CEDH, 26-09-1996, Req. 47/1995/553/639, Miailhe c. France (n. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008380-cedh-26091996-req-471995553639-miailhe-c-france-n
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Cour européenne des droits de l'homme

26 septembre 1996

Requête n°47/1995/553/639

Miailhe c. France (n



En l'affaire Miailhe c. France (n° 2) (1)

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Bernhardt, président,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
N. Valticos,
Mme E. Palm,
MM. R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
P. Jambrek,
P. Kuris,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 mars et 27 août 1996,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 47/1995/553/639. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 29 mai 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 18978/91) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. William Miailhe, qui possède également la nationalité philippine, avait saisi la Commission le 16 septembre 1991 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné ses conseils (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 8 juin 1995, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. B. Walsh, M. C. Russo, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. A.N. Loizou, M. P. Jambrek et M. P. Kuris, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43). Ultérieurement, M. R. Pekkanen, suppléant, a remplacé M. Walsh, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement les 20 et 28 novembre 1995 respectivement. Le 1er février 1996, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué n'entendait pas y répondre par écrit.

Les 13 décembre 1995 et 22 janvier 1996, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

5. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 26 mars 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. M. Perrin de Brichambaut, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères,
agent,
B. Nedelec, magistrat détaché à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
E. Bourgoin, directeur divisionnaire des impôts,
service du contentieux du ministère du Budget,
B. Hacquin, directeur départemental des impôts,
mis à la disposition du ministère de la Justice, conseils;

- pour la Commission

M. J.-C. Soyer,

délégué;

- pour le requérant

Mes D. Baudin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
F. Goguel, avocat à la cour d'appel de Paris, conseils.

La Cour a entendu M. Soyer, Me Baudin, Me Goguel et M. Perrin de Brichambaut.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

6. M. Miailhe possède la double nationalité française et philippine. Il a exercé des fonctions de consul honoraire des Philippines à Bordeaux de 1960 à mai 1983 et s'occupait aussi du consulat de ce pays à Toulouse.

A. La genèse de l'affaire: les poursuites douanières

7. Les 5 et 6 janvier 1983, des agents des douanes saisirent près de 15 000 documents à la résidence bordelaise du requérant, dans des locaux abritant le siège de sociétés qu'il dirigeait et le consulat de la République des Philippines. Ils agissaient dans le cadre d'une enquête en matière de contrôle des changes qui portait notamment sur le point de savoir si le requérant, ainsi que sa mère, devaient passer pour résidents en France.

Ouverte sur plainte du directeur des enquêtes douanières du chef de constitution et détention irrégulières d'avoirs à l'étranger, l'information judiciaire aboutit à un jugement du tribunal correctionnel du 2 décembre 1992 déclarant "l'action publique et l'action tendant à l'application des sanctions douanières éteintes par l'abrogation de la loi pénale à l'encontre des époux Miailhe" et ordonnant la restitution des documents saisis. Celle-ci eut lieu en janvier 1993.

8. M. Miailhe contesta devant les organes de Strasbourg la régularité des saisies douanières menées en application des articles 64 et 454 du code des douanes. Cette procédure déboucha sur deux arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme concluant, le premier, à la violation de l'article 8 de la Convention (art. 8) au motif que les visites domiciliaires et les saisies opérées par les agents des douanes, en l'absence d'un mandat judiciaire, avaient porté atteinte à la vie privée du requérant, de sa mère et de son épouse, et, le second, au versement par la France à M. Miailhe de 50 000 francs français (FRF) pour dommage moral et de 60 000 FRF pour frais et dépens (voir les arrêts Miailhe c. France (n° 1) du 25 février 1993, série A n° 256-C, et du 29 novembre 1993, série A n° 277-C).
B.
La procédure administrative de contrôle fiscal

9. Le 4 mars 1983, la direction nationale des enquêtes fiscales adressa au requérant un avis de vérification approfondie de sa situation fiscale d'ensemble concernant ses revenus au titre des années 1979, 1980, 1981 et 1982.

M. Miailhe se considérant comme domicilié fiscalement aux Philippines et, partant, non redevable de l'impôt à l'Etat français, l'administration fiscale lui demanda de produire copie de ses bulletins d'imposition aux Philippines et des pièces permettant d'identifier tous les comptes bancaires ouverts à son nom tant en France qu'à l'étranger.

Le 20 avril 1983, M. Miailhe répondit qu'il lui était impossible de transmettre certains des documents retenus par les douanes et dont il avait demandé la restitution.

10. Au courant du mois de mai 1983, l'agent vérificateur des impôts exerça le droit de communication prévu aux articles L.81 et suivants du livre des procédures fiscales et 64A du code des douanes.

Il consulta auprès de ses homologues douaniers les 9 478 pièces définitivement retenues et cotées par l'administration des douanes et fit copie de 1 200 à 1 300 de ces documents.

11. Le 9 février 1984, l'agent vérificateur sollicita des autorités philippines l'assistance administrative prévue par l'article 26 de la convention fiscale franco-philippine du 9 janvier 1976 "tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu" (paragraphe 27 ci-dessous).

Il eut communication le 21 mars 1985 de quarante et un feuillets concernant des déclarations et annexes du requérant et de sa mère pour les années 1980 et 1982, de vingt-sept feuillets relatifs aux déclarations, états financiers y attachés et certificats de l'expert comptable de la société AMIBU gérée par l'intéressé au titre des exercices 1979, 1980 et 1981, et de trois feuillets concernant une situation comptable provisoire et un état de rapprochement des soldes des comptes bancaires au 15 septembre 1982.

Ces pièces étaient parvenues le 8 novembre 1984 à l'administration centrale des impôts, à Paris.

12. Au terme de la procédure de vérification fiscale, M. Miailhe se vit notifier quatre redressements: le 22 décembre 1983 pour l'année 1979, le 4 décembre 1984 pour l'année 1980, le 19 février 1985 pour l'année 1981 et le 12 mars 1985 pour l'année 1982. L'administration revint sur les avis concernant les années 1979, 1980 et 1981, une première fois le 16 juillet 1985, au vu des observations du requérant, puis le 8 novembre 1985, pour substitution de motifs.

13. Pour chaque catégorie de procédures, administrative, fiscale et pénale, les pièces pertinentes à analyser n'étaient pas toutes les mêmes puisqu'il s'agissait d'exercices fiscaux différents, d'assiettes d'impôts diverses, de non-déclaration ou d'impositions foncières et agricoles distinctes de l'imposition générale sur le revenu que la controverse sur la résidence fiscale concernait plus spécialement.
C.
La contestation des impositions devant les juridictions

administratives

14. M. Miailhe contesta devant les juridictions de l'ordre administratif, ès qualités de juge de l'impôt, les redressements fiscaux imposés au titre des années 1979 à 1982, en introduisant un recours fondé en partie sur le caractère non contradictoire de l'instruction au plan fiscal de son dossier.

Par un jugement du 12 décembre 1991, le tribunal administratif de Bordeaux considéra que le requérant ne démontrait pas avoir expressément demandé à l'administration des impôts la communication des documents sur lesquels elle aurait fondé les redressements pour les années 1980, 1981 et 1982 et ordonna un supplément d'instruction sur ce point. Quant au redressement imposé pour l'année 1979, le tribunal constata en revanche que l'administration avait omis de faire droit à une demande de communication du conseil du requérant et accorda de ce fait au requérant la décharge des impositions supplémentaires dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers et en matière de revenus d'origine indéterminée au titre de cette année. La cour administrative d'appel de Bordeaux rejeta l'appel du ministre du Budget portant sur la décharge d'impôt accordée pour la seule année 1979.

Le jugement du tribunal se trouve aujourd'hui soumis à l'examen du Conseil d'Etat en tant que juge de cassation. Le tribunal administratif ne s'est pas encore prononcé au fond sur les rappels d'impôts afférents aux années 1980, 1981 et 1982.

15. Dans le cadre d'une autre instance opposant la société AMIBU dirigée par le requérant à l'administration des impôts, la cour administrative d'appel de Bordeaux releva que l'imposition contestée par la société était en partie établie sur des documents saisis par les douanes dans des conditions jugées contraires à l'article 8 de la Convention (art. 8). Par un arrêt du 15 juin 1995, elle accueillit la requête de la société en décharge d'impositions en ces termes:

"Considérant que, si l'irrégularité de la saisie, dans le cadre
d'une procédure diligentée au titre d'une autre législation, de
documents sur la base desquels le service des impôts, usant de
son droit de communication, a établi les impositions est sans
incidence sur la régularité de la procédure d'imposition, cette
irrégularité est de nature à priver de toute valeur probante
lesdits documents, y compris en tant qu'ils ont révélé au service
que le contribuable était

en situation d'être taxé d'office; que, lorsqu'un organe
juridictionnel international institué par un traité ou accord
international régulièrement ratifié ou approuvé a statué sur la
non-conformité de la saisie des documents audit traité ou accord,
le juge de l'impôt doit regarder les documents saisis comme
dénués de valeur probante (...)"
D.
Les poursuites pénales pour fraude fiscale

16. Le 15 avril 1986, la commission des infractions fiscales (CIF) se déclara favorable au dépôt d'une plainte tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts, conformément à l'article L.228 du livre des procédures fiscales (paragraphe 29 ci-dessous).

En conséquence, la direction générale des impôts déposa une plainte avec constitution de partie civile contre l'intéressé, pour fraude fiscale au titre des années 1981 et 1982. Elle lui reprochait de n'avoir pas souscrit de déclaration générale des revenus pour 1981 et d'avoir minoré ses revenus agricoles pour 1982.

17. L'administration joignit à sa plainte une partie des documents communiqués par les services douaniers. Elle n'y annexa alors aucune des pièces transmises par les autorités philippines, bien que le rapport de synthèse de l'agent vérificateur versé au dossier de l'instruction mentionnât la correspondance entre les autorités françaises et philippines.

Le juge d'instruction entendit sur ce point l'agent des impôts qui en référa à son administration centrale. Il put ensuite informer le juge que l'administration avait hésité à produire dans une procédure pénale des documents que l'autorité judiciaire n'aurait pu se procurer elle-même. Sur demande du magistrat, l'agent versa au dossier les pièces en provenance des Philippines que lui fournit son administration, soit les seuls documents concernant M. Miailhe pour les faits retenus dans la prévention. Les pièces non versées intéressaient Mme Miailhe et la société AMIBU qui n'étaient pas en cause et, en ce qui concerne le prévenu, les années 1980 et 1982 qui n'étaient pas visées par les poursuites de défaut de déclaration.

18. Le 6 mai 1988, le juge d'instruction renvoya devant le tribunal correctionnel de Bordeaux le requérant, prévenu de s'être frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement partiels de l'impôt sur le revenu dû au titre des années 1981 et 1982 "en s'abstenant de faire certaines déclarations catégorielles (pour les revenus de capitaux mobiliers "RCM" et les bénéfices industriels et commerciaux "BIC", article 92 du code général des impôts) dans les délais prescrits (pour 1981), et en omettant une fraction de ses revenus agricoles et fonciers dans ses déclarations (pour 1981 et 1982), dissimulant ainsi volontairement dans ses déclarations globales une partie des sommes sujettes à l'impôt".

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